Hopsin
RAW
Il ne faut pas se fier à l’immonde pochette de Raw, digne de la plus obscure des mixtapes. Derrière cette reprise douteuse des films Saw se trouve l’un des albums les plus surprenants de 2010. Hopsin est un jeune rappeur et producteur californien au potentiel monstrueux. Avec un sens de la production accrocheuse, un flow énergique et un bagout d’élève du fond de la classe, il s’est créé un personnage d’éternel adolescent, rebelle et un peu psychopathe sur les bords. Si l’on ajoute que le skateboard et le crachat sur les rappeurs en vue figurent parmi ses passe-temps préférés, le parallèle avec Tyler the Creator semble inévitable. En théorie du moins. Car si c’est bien le même esprit de petit con impertinent qui anime Hopsin et le chef de file d’Odd Future, le résultat final est nettement différent. Tyler est le jeune renfermé qui couve des envies de meurtres et des désirs frustrés, l’exemple-type du garçon bizarre, intelligent et foncièrement inquiétant ; Hopsin est le pendant exubérant de ce même garçon. À la marge lui aussi, mais moins élitiste, plus explosif et peut-être plus gamin. Ex-loser revanchard et sans pitié, Hopsin délivre sur Raw un rap plein d’insolence, qui flirte entre des ambiances horrorcore et de cour de récréation. Comme sur « Ill Mind of Hopsin 4 », morceau hors-album où il tape allègrement sur Tyler et parodie le clip de « Yonkers ». C’est qu’Hopsin se fait un devoir de tourner en dérision les têtes d’affiche qui l’exaspèrent. Ce qui lui a valu d’attirer l’attention sur lui et sur ce Raw, carte de visite atypique et captivante.
L’album est sombre et drôle à la fois. L’univers d’Hopsin est glauque, mais l’humour grinçant toujours présent, ce qui aboutit à un mélange malsain et plutôt savoureux. Sur le plan sonore, le rappeur a tablé sur un cassage de nuque en règles. Son style de production est encore un peu juvénile, mais terriblement efficace. Les percussions rentre-dedans, les petits pianos, les mélodies de soucoupes volantes : tout est fait pour s’incruster dans les crânes et faire hocher les têtes. Le tout manque parfois un peu de grain, de chaleur, mais cet aspect propret tranche agréablement avec la crudité et la fougue d’Hopsin. De la même manière, les refrains sont systématiquement chantés ou chantonnés, à l’image de « Sag My Pants », rengaine aussi addictive qu’une chanson pour enfants. Rappeur immature mais spontané, Hopsin est plus qu’à l’aise au micro. Il se balade sur ses instrus avec un débit nerveux, agressif, mais qui ne lasse pas sur la longueur. Loin d’être monotone, il agrémente ses couplets de petites accélérations, de voix ridicules et de gimmicks en tous genres. Les seize morceaux s’enchaînent sans qu’on ait le temps de s’ennuyer. Cruel, amusant et volontiers stupide, le personnage du jeune homme fascine. Après une écoute, on comprend pourquoi il a choisi de s’identifier à la marionnette grimaçante de Saw : sa musique se veut originale, inquiétante et surtout insensée.
Cancre inventif, Hopsin se montre en revanche un peu pataud lorsqu’il s’attaque à des sujets plus sérieux. Ses indignations naïves prêtent parfois à sourire. C’est le revers de celui qui prétend avoir tout vu. Il est finalement moins bon lorsqu’il s’applique et enfile un costume de toute évidence trop grand pour lui. On le préfère en roue libre, à cracher son venin sur tout le monde, plutôt qu’en train de donner des leçons de vie. On peut également reprocher à Raw quelques trous d’air, avec une ou deux productions plus génériques. À l’avenir Hopsin gagnerait à collaborer avec d’autres metteurs en son. Mais si cet album est rugueux et imparfait, cela fait partie de son charme. Hopsin est encore un artiste immature, et c’est peut-être un bien.
Brièvement signé sur Ruthless Records, avant que l’aventure ne tourne au cauchemar (comme le montre « Kill Her », dédié à Tomica Wright la veuve d’Eazy-E), Hopsin a maintenant son propre label : Funk Volume. En 2011, il s’est rapproché de Tech N9ne et a fait une apparition sur son album All 6’s and 7’s. Pour le bien de sa carrière, souhaitons que le jeune rappeur s’inspire de son aîné, véritable modèle à suivre en termes d’indépendance. Le prochain album d’Hopsin, intitulé Knock Madness, est prévu pour le courant de cette année. Conserver l’impétuosité et la folie créatrice présentes sur Raw sera sans doute le plus grand défi d’Hopsin. S’il le réussit, de grandes choses pourraient en sortir.
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