Monsieur Nov, à l’écoute des cœurs
En quinze ans de carrière, Monsieur Nov s’est imposé comme une figure du R&B en France. Retour sur un parcours qui a connu différentes directions musicales et sur un nouvel album totalement à son image.
Sur la chaîne YouTube de Monsieur Nov, les commentaires sous ses clips sont dithyrambiques : « Incontestablement le meilleur pour faire du R&B », « Il mérite tellement une meilleure visibilité dans ce monde musical », « Des années qu’il est un roi sans couronne », et ce depuis ses premières sorties en 2008. Chanteur, auteur et compositeur, Nov a rapidement su créer son propre univers et fédérer une communauté de fans investis.
C’est d’abord par sa signature vocale que Nov est identifiable. Une voix mate et ronde qui semble glisser sur des prods qui s’y adaptent pour la sublimer. C’est ensuite un groove à l’américaine et des vibes bien senties, dans la pure tradition du R&B. Enfin, ce sont des thèmes qui touchent directement au coeur grâce à une écriture précise. L’amour est évidemment le sujet principal de ce genre musical mais Nov se démarque par sa façon de raconter ces sentiments quotidiens et universels, rendant compréhensibles des situations jamais vécues.
La carrière de Monsieur Nov se rapproche de celle d’un rappeur. Depuis sa chambre d’adolescent, l’autodidacte écoute ses artistes préférés et apprivoise les outils numériques à sa disposition pour débuter la musique. Des quelques titres en ligne sur MySpace aux premières collaborations, en passant par l’autoproduction d’un EP, le succès scénique et une signature en label, Nov a fait ses classes en indépendant et s’est adapté aux évolutions musicales et de l’industrie.
Constamment dans l’expérimentation, Monsieur Nov n’a pas hésité à s’éloigner de son public originel pendant un temps afin d’écouter ses envies de trap et de sonorités plus synthétiques. Cette étape hors des senties battus lui a été bénéfique pour se renouveler dans le fond comme dans la forme et toucher un nouveau public. Surtout, ce détour, couplé au confinement, a permis au chanteur de retourner à l’essence même de ce qui l’anime : les textes et les histoires. Le tout toujours guidé par un seul fil conducteur : sa voix.
A : C’est le fameux grand retour de Monsieur Nov, mais en regardant ta discographie, tu n’es jamais parti, tu as toujours été productif, à raison d’un projet voire deux par an. Tu fais de la musique constamment ?
Monsieur Nov : Je n’en fais pas tous les jours, surtout maintenant avec les enfants, mais j’essaie quand même de sortir au moins un projet par an. Comment je fonctionne : j’ai beaucoup d’inspiration d’un coup, puis elle parte, donc je laisse du temps au temps. Je ne fais pas grand-chose mais quand je me décide à retourner au studio, je bosse. C’est vrai que ces dernières années, c’était beaucoup d’EPs. Sept ou huit titres sans réellement de trame, juste du feeling, ce format me plaît. Mais je ne suis pas au studio tous les jours.
A : C’est toujours dans l’optique de sortir quelque chose ou c’est juste pour le kiff ?
M. N. : Quand je me mets dans mon mode studio, c’est pour sortir quelque chose oui. J’ai le studio à la maison, j’ai de quoi enregistrer, donc il m’arrive d’avoir des petits moments où je pianote, je trouve des accords, j’enregistre des petits trucs mais tant que je ne suis pas dans la période psychologique où je me dis qu’il faut que je balance quelque chose, c’est que de l’amusement.
A : Le premier pied que tu mets dans la musique, c’est par la production.
M. N. : Ouais. J’avais à l’époque quinze ans, mon grand frère était un peu dans la musique, il avait des platines et quelques logiciels sur l’ordinateur. Et vu que j’étais très solitaire de base, je traînais à la maison, je fouinais et je suis tombé sur le logiciel eJay. Ce sont des samples prédécoupés avec lesquels tu peux faire un son. C’est comme ça que je me suis amusé et que je me suis passionné pour la composition. Je ne faisais que ça ! J’ai ensuite téléchargé FruityLoops et je ne faisais que des prods très hip-hop. J’étais jeune, sans contacts pour les placer, pour rencontrer les artistes. Au bout d’un moment, dans mon ordinateur, il devait y avoir mille prods comme ça. Je me demandais ce que j’allais en faire et un peu par hasard, je me suis mis à faire des petites toplines, à chantonner dessus, et mon entourage m’a dit : « Non mais c’est intéressant, t’as une petite voix, faudrait essayer de pousser le truc. » C’est à partir de là que je me suis intéressé au chant.
En réalité, les planètes s’alignaient parce que je commençais à écouter beaucoup plus de R&B, j’étais dans ma période Usher, Craig David, Boyz II Men, vraiment des chanteurs à voix, et ça m’a inspiré. Avec les prods et le début du chant, je me suis mis à enregistrer des titres sans prétention ni ambition, juste parce que j’avais des prods qui n’étaient pas finies. J’ai créé quelque chose mais il fallait une voix dessus, un couplet, un refrain, pour que ça fasse une chanson. Je voulais juste voir comment ça rendait mais ensuite, j’y ai pris goût, surtout quand j’ai uploadé des titres sur MySpace. Avec les retours des gens, j’ai commencé à créer une petite communauté autour de mes deux-trois, chansons et c’est là que j’ai éventualisé l’idée d’en faire mon métier.
A : Tu te souviens du premier morceau que tu as mis en ligne ?
M. N. : Je crois que c’était « Viens » ou « Laissez-nous pleurer », mais c’était des versions maquettes. Que je me souvienne un peu du processus… J’ai rencontré quelqu’un et on s’est associés pour produire le premier EP Sans dessus de soul en 2008 et cette personne-là a fait en sorte que le titre « Laissez-nous pleurer » soit un feat avec Al Peco et surtout qu’il passe à la radio, sur Générations. C’est allé très vite : feat, radio, donc on y va quoi ! Il y avait une espèce d’effervescence à l’époque, il fallait sortir quelque chose, je ne pouvais pas juste être sur MySpace sachant qu’il y avait mon son en radio. Puis on a tourné le clip de « Ma vie de galérien » et coup de bol aussi, il est rentré en playlist sur Trace TV. Si je ne dis pas de bêtises, tout ça a dû prendre une année.
« Avec les prods et le début du chant, je me suis mis à enregistrer des titres sans prétention ni ambition, juste parce que j’avais des prods qui n’étaient pas finies. »
A : Tu es finalement directement un artiste indépendant.
M. N. : Oui. Techniquement, je faisais tout chez moi. J’avais conscience que je n’avais pas encore le niveau en termes de prod mais j’avais cette sensibilité et cette inspiration pour trouver des mélodies, des accords, et j’avais juste de quoi faire des maquettes. Et grâce à la personne dont j’ai parlé, on a rencontré une autre personne qui avait un studio dans lequel on a tout enregistré, puis on a fait mixer. Je n’avais pas les compétences pour mixer mais aujourd’hui je me débrouille, je peux sortir une vraie mise à plat. Il y avait huit morceaux dans l’EP Sans dessus de soul et il y a eu une réédition avec d’autres morceaux et les instrumentales. Beaucoup considèrent Sans dessus de soul comme mon premier album alors que c’était un EP ou une mixtape, comme on disait à l’époque.
A : Sans dessus de soul t’ouvre des horizons plus larges.
M. N. : Clairement, surtout avec les passages en radio. On clippe ensuite le titre « Trop fresh ». C’était le début des clips au 5D, il n’y avait pas beaucoup de personnes qui clippaient avec ce matériel, quelques réalisateurs seulement. Donc on a clippé avec le 5D et ça donnait un grain particulier. Le titre est entré en playlist sur Ado FM et Trace TV. J’ai vu tout de suite dans les chiffres que ça prenait sur YouTube. C’est mon premier clip qui a atteint le million de vues, c’était quelque chose pour l’époque. Parallèlement, on était déjà dans une démarche de scène, on avait fait un premier concert à la Bellevilloise, c’était mon premier contact avec le public. Ensuite il y a eu le Nouveau Casino pour lequel on a fait sold out. Puis le Trabendo et l’Élysée Montmartre qui tombaient durant la période du premier album, Groove Therapy, en 2010. On grimpait en termes de capacité à chaque fois. Sur le moment, je ne m’en suis pas rendu compte, ce n’est que des mois voire des années plus tard que je me suis dit : « Ah ouais, on a fait des trucs quand même. »
A : As-tu vu un engouement de la part des maisons de disques ?
M. N. : Non, je n’ai pas ressenti d’effervescence ou d’engouement particulier, plus de « on regarde ». À l’époque, j’étais signé en édition chez Warner mais ils ne me calculaient pas alors qu’ils savaient que j’étais auteur-compositeur. Et quand Sans dessus de soul a commencé à faire parler de lui, que les concerts commençaient à être sold out, c’est là que les rendez-vous ont commencé à se faire, mais sans résultat. Je me souviens qu’on me demandait de changer ma manière d’écrire, qu’on voulait me placer un directeur artistique et m’imposer des auteurs.
A : Vers quoi voulaient-ils te diriger ?
M. N. : Je ne sais pas, mais en tout cas, on voulait me diriger, et ça m’a vite refroidi. C’était la mentale de l’époque et peut-être qu’avec du recul, si j’avais accepté, j’aurais eu une tout autre carrière. Quand je repense à certains projets et titres, je me dis : « Ah, je ne les aurais pas faits comme ça, là ce n’est pas au point, etc. » Et qui sait, à ce moment-là, peut-être que si j’avais eu un D.A. avec toute une expérience, on aurait fait quelque chose de plus propre. Mais ça fait partie de mon chemin, c’était ma mentale à moi, je voulais faire mon truc tout seul.
A : C’était une période charnière pour l’industrie en général et pour la petite scène R&B en particulier. Que certains artistes aient signé ou non, personne n’a vraiment réussi à sortir du lot.
M. N. : L’analyse que je peux faire c’est que les artistes qui ont signé ont tout de suite eu les robinets ouverts des majors avec une grosse exposition, ils ont été confrontés à la masse et quand la masse consomme tout de suite, ça explose. Mais pour l’album d’après, comment ça se passe ? Est-ce que tu as réussi à fidéliser ? À faire entrer les gens dans ton univers ? À faire en sorte que les gens kiffent qui tu es et ce que tu proposes au-delà de l’instant t ? Je ne suis pas un mec qui écoute trop la radio mais quand je l’allume dans ma voiture, je me mange un truc, je trouve ça cool, je profite de l’instant présent mais je ne vais pas spécialement m’y intéresser – après ça dépend, il peut y avoir des coups de cœur. Mais quand tu reproduis ça en masse, c’est encore plus difficile de réussir la conversion. Alors que pour ma part, a contrario, je n’ai pas eu ce truc-là, c’est le travail de terrain, de proximité, qui a fait que petit à petit, même si ce n’est pas la masse, j’ai de vrais soldats derrière moi. Mille soldats qui seront là au prochain projet, au prochain concert, et qui m’aident à attirer le soldat suivant pour faire gonfler le tout.
« C’est le travail de terrain, de proximité, qui a fait que petit à petit, même si ce n’est pas la masse, j’ai de vrais soldats derrière moi. »
A : Arrives-tu à percevoir à quel moment ton public a été plus ou moins présent ? Y a-t-il des tournants dans ta carrière ?
M. N. : Pour moi, le gros tournant, c’est 2014-2015. J’ai senti que mon public de 2009-2010, qui m’avait découvert peut-être quand j’avais vingt ans et lui vingt-six par exemple, avait une perception nostalgique de ma musique, du Nov de Sans dessus de soul et de Groove Therapy. J’avais ensuite sorti mon deuxième album Cullinan en janvier 2015 et quelques EPs, et j’ai réellement senti que mon public avait vieilli et qu’il ne captait plus trop la démarche dans laquelle je voulais avancer.
A : Quelle était cette dynamique que ton public ne comprenait pas ?
M. N. : Plus le temps passait, plus j’avais envie d’expérimenter et j’écoutais ce qui se faisait. À cette période-là, je kiffais August Alsina ou Bryson Tiller et c’était très trap, trap-soul. Dans Cullinan et les EPs, je plaçais des petits trucs, j’aimais bien, c’était mon flow du moment, je ne voulais pas me limiter. Je sentais que mon public ne captait pas, il était encore en mode new soul de 2010. C’était alors le moment de donner un coup de fraîcheur, de faire un reset pour ne pas tourner en rond en termes d’image et de musicalité, quitte à perdre beaucoup de gens mais pour en gagner. J’ai fait une cassure mais c’était une cassure naturelle. Et c’est à ce moment-là que Zeg P est arrivé.
A : Comment s’est faite cette rencontre ?
M. N. : Je rencontre Zeg P par hasard au studio, il était là tous les jours, c’est vraiment un charbonneur. Il me proposait des trucs continuellement et il y avait des trucs frais, des bons accords donc on commence à taffer ensemble et à faire des réarrangements, de façon très naturelle. Et sans le savoir, on a travaillé tout le projet et co-réalisé EVO qui est sorti en décembre 2015. On a lancé le titre « Dollars / Euros remix » avec Mac Tyer en premier single. Un morceau avec de l’Auto-Tune, de la grosse 808, et comme je m’y attendais, les réactions c’étaient : « Mais qu’est-ce qui nous fait Nov, c’est quoi ce truc avec de l’Auto-Tune ? » Mais moi je kiffais et je l’assumais !
Ça fait mal parce que tu vois beaucoup de gens te tourner le dos parce qu’ils ne comprennent pas, mais je le savais. Je me disais : « Laisse-toi le temps et tu verras, des gens vont découvrir avec ça », parce qu’ils vont découvrir sans a priori, sans connaître le Nov de Groove Therapy. Je suis resté sur ma lancée et en deuxième single, j’ai sorti « R.I.P. », en mode trap-soul à mort. Ensuite, « Quand vient la nuit », toujours pareil, trap-soul et Auto-Tune, et une nouvelle image parce que j’avais perdu beaucoup de poids à l’époque et ça m’a permis de me refaire une santé. J’avais un objectif de reset avec EVO et je considère que la mission a été accomplie. Je l’ai vu grâce aux retours sur les réseaux, des nouvelles personnes m’ont découvert, des nouveaux fans sont arrivés. J’ai perdu quelques soldats en route et c’est normal, mais quand je fais le ratio, je suis plus gagnant que perdant. C’est vraiment l’instant charnière de ma carrière.
A : Quand t’est venue l’idée de la trilogie EVO ?
M. N. : Je n’avais pas cette idée, c’était juste EVO pour « évolution ». Quand le projet est sorti, on est retournés au studio et on a commencé à faire quelques titres sans penser au deuxième volume. Zeg P était toujours dans le coin, c’est lui qui réalisait un peu sans le savoir. Un jour, il est arrivé avec une boucle d’accords, la même boucle que pour « Quand vient la nuit » mais en piano, et il m’a dit : « Ça pourrait être frais de faire la partie deux du titre. » Mais souvent, les deuxièmes parties sont claquées, on l’a vécu en tant qu’auditeur, mais Zeg P a insisté : « Viens on essaye avec le piano, tu n’as pas souvent fait de piano-voix, et si c’est claqué, tant pis. » On a testé et on a finalement fait un truc cool. On l’a titré « Quand vient la nuit part 2 » et de là est venue l’idée d’enregistrer EVO 2.
A : C’est d’ailleurs ton morceau le plus streamé [ndlr, avant la sortie du nouvel album le 24 février 2023]. Comment l’expliques-tu ?
M. N. : Le premier a posé le contexte et le deuxième a pris parce qu’il était juste bon musicalement. Quand EVO est sorti, on avait en tête des titres qui pouvaient plaire et « Quand vient la nuit » était juste un titre cool du EP alors que c’est celui qui est ressorti, c’est pour ça qu’on l’a clipé. Et « Quand vient la nuit part 2 » a également pris sans qu’on s’y attende. En studio, on cherche toujours à comprendre le pourquoi du comment, à trouver la formule mais on passe toujours à côté. Mais, franchement, je ne pensais pas du tout qu’il prendrait comme ça.
A : Comment ça s’est passée pour EVO 2 ?
M. N. : On a sorti un huit titres et le premier single, « Yakuza », a suscité beaucoup de débats. À l’époque, comme le R&B n’était pas compris comme aujourd’hui, j’avais comme une espèce de complexe du lover. Je ne voulais pas faire le lover alors que c’était ce que j’étais. Et il y avait une contradiction avec l’image que j’avais amenée avec EVO. Donc j’ai envoyé un premier single très trap, avec un clip assez spécial parce que je ne voulais pas qu’on me catalogue comme étant chanteur de R&B lover. Aujourd’hui, on ne dit plus lover, on dit juste chanteur. Mais à cette période, dès que tu chantais et que tu parlais d’amour, tu étais un lover. Mais, en réalité, mon appréciation était biaisée par ce que je voyais aux États-Unis alors que la mentalité est différente là-bas. Chris Brown, il peut chanter, faire des vibes, faire le maxi lover et dans le couplet d’après, il va rapper, et il n’y a pas de problème. Alors qu’en France, t’es soit chanteur de R&B, chanteur de variété ou t’es rappeur, et même dans ça tu peux être celui qui fait de la drill. Et moi, je ne voulais pas être catalogué de lover, j’étais dans une ambiguïté avec moi-même. Je m’en suis délivré avec EVO 3 et le confinement. J’ai compris où était ma force et je l’ai acceptée.
« Je ne voulais pas être catalogué de lover, j’étais dans une ambiguïté avec moi-même. Je m’en suis délivré avec EVO 3 et le confinement. J’ai compris où était ma force et je l’ai acceptée. »
A : Justement, durant le confinement, tu as sorti des one shots, chose que tu n’avais jamais faite, toi qui viens d’une école EP/album. Comment as-tu pensé ces singles ?
M. N. : C’était un contexte particulier parce que depuis 2013-2014, j’étais signé en artiste dans le label Interludes, que j’ai quitté. En 2019, j’étais donc dans une espèce d’entre-deux où j’étais seul face à moi-même. J’ai eu une envie de partager en direct qui a été renforcée par le contexte. Juste avant le confinement, j’ai sorti le titre « Dans l’by », le jour de la Saint-Valentin. C’était vraiment juste un titre déconnecté du reste. Et durant le confinement, on était constamment sur le téléphone, sur les réseaux, et j’avais l’impression de vivre avec les gens sur Instagram et Twitter. C’est marrant parce qu’aujourd’hui, quand tu teases un truc en story, ce n’est pas la même sensation qu’à l’époque du confinement où il y avait une proximité, on vivait tous le même truc ensemble, et quand je balançais un teaser, les gens étaient avec moi. J’ai ensuite sorti « Cendrillon babinks », un remix de « Cendrillon du ghetto » de Matt Houston et « Confinés ». Puis durant l’été j’ai travaillé sur EVO 3.
A : Tu voyais donc que le public était réceptif.
M. N. : C’est ça, les auditeurs étaient réceptifs. De mon côté, j’avais enregistré des maquettes par ci par là et mon dernier projet était sorti en 2017, donc il était temps de balancer quelque chose. Et j’avais cette envie de sortir en indé, de le faire moi-même. Je voulais être partout, gérer les visuels, la communication, je sentais que j’étais capable de le faire. EVO 3 était prêt et je l’ai balancé au mois de septembre 2020 et j’ai eu de très bons retours auxquels je ne m’attendais pas du tout. J’ai beaucoup douté pendant le confinement avec les one shots, sur comment les gens allaient percevoir mon nouveau projet, et il y avait eu une hype dans ma communauté parce que j’avais longtemps teasé EVO 3. Mais quand le projet est sorti, ça s’est super bien passé, j’ai fait le meilleur démarrage de toute ma carrière et je suis super fier parce que je l’ai fait tout seul.
A : C’est vrai que j’ai senti une caisse de résonance plus importante, j’avais l’impression que tu étais attendu. Et les plateformes de streaming ont joué le jeu.
M. N. : Ouais, Deezer, Apple Music, ils ont joué le jeu à fond. Mais je pense que, sans le savoir, vu que j’étais un peu hors industrie pendant une certaine période, les mentalités et les goûts ont changé, le R&B à proprement dit était perçu différemment et EVO 3 tombait à pic. J’avais teasé les titres sur une semaine via des capsules sur Instagram, il y avait un bon storytelling autour du projet et les gens sont rentrés dedans tout simplement. J’ai aussi créé mon label Vibe Labo exprès pour EVO 3.
A : On peut faire le parallèle avec le rap. Au même moment, il y a eu de plus en plus d’albums avec des storytelling et des interludes par exemple.
M. N. : Oui ce sont des cycles. Comment nous, ceux de « l’ancienne école », on travaillait un projet avec un squelette et surtout une identité, parce qu’on avait envie d’apporter un truc sur la table que l’autre ne pouvait pas apporter. Il fallait une singularité via la musique, les visuels, ce que tu dégages, qui tu es. C’est vrai qu’il y a eu une période avec le streaming, les certifications qui tombaient très vite, où tout le monde était à la course aux tubes, aux hits. Et j’ai senti, à partir de 2018, comme une espèce de cycle qui fait que la nouvelle génération est arrivée avec un grain. Des artistes comme Freeze, Laylow, avec leur identité.
On dit souvent que c’est un « public de niche » mais la niche ne cesse de grandir et touche tellement de personnes qu’elle a une très grande résonance. Je pense qu’aujourd’hui, les auditeurs sont à la recherche d’artistes authentiques avec une singularité dans ce qu’ils proposent et une proximité. Il y a des artistes qui à la base sont théoriquement des artistes de niche qui deviennent mainstream, même si ce mot ne veut plus rien dire. La niche d’hier est devenue le mainstream d’aujourd’hui. Mais quand tu regardes quatre ou cinq ans en arrière, tu écoutes la musique et tu te dis que ça ne rentrait pas dans les cases du mainstream : pas de rythme à 100 BPM, pas de refrain catchy, pas de topline ni de gimmick. Ce truc authentique a fédéré des gens qui en ont fédéré d’autres et la boule a tellement grandi que ça a changé le jeu. Les nouveaux artistes qui arrivent se disent qu’ils veulent procéder de cette manière et faire ce qui était considéré comme de la musique alternative ou underground il y a quelques années. Et ça, je ne l’ai compris que très tard.
A : Tu disais que le confinement t’a aidé à assumer ce côté lover.
M. N. : Ouais parce que j’ai compris que ce qu’apprécient les gens chez moi, c’est ma voix et la manière dont je raconte les histoires d’amour. C’est ma plus grande force. Je me suis dit : « Les gens kiffent quand tu chantes et quand tu vibes, donc assume-le. » Tous mes hits sont des chansons d’amour dans lesquelles je raconte une histoire avec un storytelling. J’arrive à me mettre à la place des autres et à raconter des situations que des gens ont vécu, ou qu’ils vivent, vraiment dans leurs tripes. J’arrive à le retranscrire mot pour mot sans savoir comment je fais.
A : Tu as d’abord sorti EVO 3 or puis EVO 3 argent. Quelle était l’intention derrière la version argent ?
M. N. : J’ai enregistré plein de titres sur toute la période du confinement et la démarche était d’abord pour EVO 3 or. Et une fois qu’il était sorti, il m’en restait encore parmi lesquels j’en ai choisis pour les réarranger et les sortir dans la version argent. Mais tu le sens de toute façon car j’ai pour habitude de sortir un projet par an ou tous les deux ans en moyenne et là j’ai sorti un projet en septembre et un autre en décembre. Ce ne sont pas des fonds de tiroir mais c’est vrai que l’histoire d’EVO 3 or est plus claire. Il y avait le côté spontané et l’euphorie des chiffres de la version or, donc j’ai balancé EVO 3 argent.
A : Il y a tout de même des continuités avec la reprise de certaines phases et mélodies de la version or. Et surtout, tu clôtures la trilogie « Quand vient la nuit » avec la partie 3.
M. N. : Ouais, c’est ça, c’était vraiment pour clore le chapitre EVO et passer à autre chose. Même si j’étais encore dans le flou parce que je ne savais pas si j’allais faire un album ou un EP, mais Zeg P me faisait du pied pour bosser ensemble sur un album.
« J’ai compris que ce qu’apprécient les gens chez moi, c’est ma voix et la manière dont je raconte les histoires d’amour. C’est ma plus grande force. »
A : Par quoi commence-t-on pour faire un album ?
M. N. : Zeg P avait toujours émis l’idée de réaliser mon album parce qu’il aime ce que je fais, c’est un mec du R&B. Il était déjà présent sur les deux premiers EVO et, entre-temps, les planètes se sont alignées pour lui. Il a fait tous ses maxi tubes de 2016 jusqu’à 2020. De mon côté, j’avais commencé à bosser des petits titres mais ce n’était que des maquettes. Et il m’a dit : « Vas-y, viens, on fait album, j’ai envie de bosser avec toi. On a commencé ensemble avec EVO, viens on fait un bête d’album. » On se met donc au travail, je lui envoie quelques maquettes pour avoir ses retours, il m’envoie des prods. Je lui laisse la D.A. parce que tout ce qu’il dit est pertinent, même quand il n’avait pas autant d’expérience, il a toujours eu un super instinct et une vision.
A : Tu produis toujours autant ?
M. N. : Je produis tout autant mais on bosse à plusieurs maintenant. Avant, j’étais tout seul, je composais, j’arrangeais, j’écrivais. Là, je compose, ça passe par Zeg P et Benjay qui est entré dans la boucle grâce à Zeg. Benjay a fait pas mal de titres pour Damso ou PLK, donc je connaissais son travail de compositeur et on avait collaboré sur le titre « Senorita ». Parfois, je commence un truc et au final je n’ai rien fait dessus, j’ai juste trouvé un accord, et ça peut être pareil pour eux. Il y a toujours plusieurs compositeurs sur un titre. Et même quand on a une deadline pour terminer un projet, ça ne se passe jamais comme ça parce qu’on a toujours de nouvelles inspirations, du recul sur les titres pour les modifier ou les supprimer.
A : La signature avec All Points (Believe) et ton nouveau management (Le Bureau des artistes) sont arrivés à quel moment ?
M. N. : C’est arrivé au moment où on avait plus ou moins le premier jet de l’album fini. On a fait écouter à All Points la V1 qu’on pensait terminée à cet instant-là. Ils ont kiffé les titres et on a officialisé la collaboration mais le temps est passé et on a continué à enregistrer. Zeg P m’aide beaucoup dans le comportement, c’est son rôle de D.A., moi je suis un mec qui donne quand il a de l’inspiration et après salut. Et au final, l’album qu’on pensait terminé a été totalement retravaillé dans cette démarche d’identité et de texture. On n’avait pas cette identité à la V1 de l’album, même si les morceaux étaient super bons. On n’avait juste la voix de Nov qui est reconnaissable mais on voulait pousser le processus, c’est pour cela qu’on l’a appelé Love Therapy. C’est une référence à mon premier album Groove Therapy parce que j’étais dans ce mood-là à l’époque : je voulais marquer mon temps et qu’à l’écoute de ce grain-là, les gens se disent : « C’est du Nov », et c’est ce qui s’était passé. On voulait refaire la même chose sur ce nouvel album.
A : Par quoi reconnaît-on ce grain justement ?
M. N. : Par les arrangements, les accords, le mix. C’est aussi dans les choix des sonorités et des accords. Tu peux choisir un certain piano, ça va rendre bien mais Benjay va proposer un meilleur piano et ajouter un effet dessus, et ça va tout changer. C’est ce qui crée le grain et l’atmosphère. Et puis le groove, les beats : essayer de trouver un groove qui va suivre ma mélodie. Tout ça posé côte à côté, et puis avec les interludes qui est un truc d’anciens, c’est recréer un mood et une histoire autour d’un album. Et c’est pour ça qu’on l’a appelé Love Therapy parce qu’il y a une continuité dans les thématiques et pour le clin d’œil.
A : C’est intéressant d’avoir fait le choix de créer un album autour d’une rupture, ça casse le cliché sexy du R&B. Tu arrives à faire un storytelling sur tous les pans de l’amour.
M. N. : Oui c’est ça. Il y a d’ailleurs un interlude dans lequel j’appelle mon ex. Je ne l’ai pas vécu personnellement mais je pense qu’il y a plein de gens qui l’ont vécu. C’est universel, surtout dans le cadre d’une rupture : madame ne te répond plus donc tu laisses un message de rageux, et après la messagerie se coupe parce que c’est saturé. T’es juste en chien parce que ton ex est en couple, c’est quelque chose que tu gardes en secret. On est tous vulnérables et je voulais l’assumer, le mettre en musique et bien le raconter.
A : L’idée de ce fil rouge est venue dès le début ?
M. N. : Non, pas dès le début. À la base, les titres qu’on avait n’étaient pas articulés comme ça, il n’y avait pas d’interludes. C’est en cours de route, lorsqu’on fait le titre « Love Therapy » – c’était mon titre à l’époque, je le kiffais ! Le storytelling et les interludes au téléphone viennent de Zeg P. On s’est dit avec que ce serait bien que l’album raconte vraiment une histoire : « Qu’est-ce qui se passe après le moment de la rupture ? » J’ai cette faculté de raconter les histoires tristes qui finissent mal, je suis plus à l’aise dans le drama. J’ai un peu plus de mal à raconter les joyeuses, même si j’en ai fait quelques-unes.
A : Comment fais-tu pour parler d’un même thème sans que ce soit répétitif ?
M. N. : C’est l’angle d’écriture, c’est le plus important pour pas écrire le même titre. Je vais essayer de te décrire mon processus d’écriture pour le titre « Une autre », par exemple, dans lequel je me suis remis avec quelqu’un d’autre mais je pense toujours à ma femme. Ce sont des titres universels dans le R&B et moi-même j’en ai déjà fait plusieurs mais tout est dans le moment. Tu te mets dans le contexte : à quelle période ça t’arrive ?, Ça fait combien de temps que c’est fini avec ta femme ?, Ça fait combien de temps que tu es avec ta nouvelle meuf ?
Exemple : ça fait un an que je ne suis plus avec ma femme, on s’est séparés. Là ça fait trois mois que je vis avec ma nouvelle meuf. J’essaie d’avancer, de créer quelque chose mais ça ne marche pas. J’essaie vraiment de contextualiser d’ancrer chronologiquement. Quand j’écris, j’essaie vraiment d’être ancré dans un moment. Je vis chez elle, elle vit chez moi, on vit séparément mais on se rejoint le soir ou je vais chez elle un peu le week-end, etc. Je me crée un scénario et de là des phases arrivent. Tous ces petits détails font que quand tu vas écrire et il va y avoir un angle, un mot ou une phase qui sera différente et qui donnera une autre perspective au morceau. J’ai cette faculté à être empathique, d’imaginer une situation et de me mettre dedans.
Monsieur Nov - Une autre
A : Tu n’as pas forcément besoin de parler avec des gens qui le vivent ou d’écouter d’autres histoires ?
M. N. : En réalité, je me nourris inconsciemment d’histoires, même à travers des films, et je pioche dedans quand je dois écrire et me mettre dans ces situations. C’est comme dans la vie, il peut se passer un événement devant nous, qu’on va voir tous les deux, mais on va le vivre et le ressentir différemment. Comment tu vas le raconter à ton mec en rentrant, ça sera différent de comment je vais le raconter à ma femme. Et si on prend nos deux discours, ce sont deux histoires différentes alors qu’on a vécu la même chose.
A : Écrivais-tu de la même manière il y a quinze ans ?
M. N. : Moi, à l’époque, j’écrivais comme un rappeur. J’écrivais sans mélodie sur mon calepin et je trouvais ma topline sur mon texte directement en cabine. J’ai fait ça très longtemps parce que je n’avais pas de quoi m’enregistrer tout seul, donc quand tu as un ingé dans le studio, tu ne peux pas dropper, prendre le temps pour trouver des mélodies pour le couplet suivant. Aujourd’hui, la manière dont je crée est plus chirurgicale, c’est-à-dire que je n’ai pas de texte, je mets mon casque, le micro est prêt, j’écoute la prod et il une phase va apparaît, mélangée avec du texte. Par exemple, « je pense à toi », et je vais enregistrer juste cette phrase-là avant de la retravailler plusieurs fois. [Il chantonne en proposant des variations sur cette phrase]. Quand j’ai la bonne, je la garde. Ensuite, je cherche ce qui rime avec et je construis comme ça. Quand tu as un couplet et un refrain, ça te fait quasiment un morceau en vrai.
A : Y a-t-il eu des morceaux plus compliqués à écrire sur cet album ?
M. N. : [Il réfléchit]. Pas vraiment. Généralement, quand ce n’est pas fluide, c’est que ce n’est pas bon. Par contre, il y a des titres qui sont arrivés à la dernière minute, comme « Dis-moi ». On avait plus ou moins terminé l’album mais Zeg P m’a envoyé une boucle de piano, je me souviens j’étais en voiture. Je lui ai dit : « Ah ouais pour de vrai tu m’envoies ça, mais tu sais que je vais poser dessus. » C’est un de mes morceaux préférés et j’ai su tout de suite qu’il fallait que j’en fasse quelque chose, j’ai senti la patate de ce qu’il m’a envoyé. Je suis rentré direct, j’avais la pression, il me fallait une bête de topline et un bête de texte. Ça m’a tout de suite inspiré sans savoir sur quoi écrire. J’ai enregistré le titre et je l’ai envoyé à Zeg P qui a fait : « Wooow, ça tue ! ». Il n’y avait pas de pont au début dans le titre, ça ne se fait plus trop aujourd’hui d’ailleurs, mais je l’ai ajouté et j’ai changé les accords, en arrivant sur un piano-voix à la fin du titre. On l’a ajouté à la dernière minute et c’est un des titres qu’on a mis en avant. Et, au contraire, certains morceaux ont été très longtemps dans la tracklist et ont finalement sauté.
A : Avant l’album, tu as sorti les « Novlines ». C’est la première fois que tu demandais des histoires aux auditeurs pour écrire ? Ton écriture a-t-elle été différente ? Car à l’écoute, ça a l’air d’avoir été très facile.
M. N. : Je t’assure que c’est vrai, c’était beaucoup plus simple. La démarche était vraiment la spontanéité. L’album était terminé et il fallait qu’on rentre en connexion avec les fans, donc quoi de mieux que de les inclure. « Parlez-moi. Moi je vous raconte des choses à travers mes chansons, maintenant c’est à vous de me raconter. » Et quand je reçois les messages, c’est super simple parce que déjà, en termes de deadline, tu as une semaine pour rendre le son, il faut bosser vite, tu n’as pas le temps. C’était en mode « écoute et écris ». Même dans les toplines, je ne cherchais pas à trouver une structure particulière. Et c’est la première Novline de Camille qui a dicté tout le reste. Et quand tu écoutes, il n’y a pas réellement de structure à part la répétition dans le refrain. Un couplet et un refrain et c’est réglé. J’ai gardé ce schéma un peu brut sans grands arrangements. C’était pratique parce que j’ai fait toutes les prods. J’ai enregistré, envoyé à Alban qui a fait un petit mix, mis en image et c’est en ligne. J’ai vraiment kiffé cette période parce que j’ai senti la reconnexion et beaucoup de gens me disaient : « Je retrouve Nov. » J’ai d’ailleurs demandé ce matin en story Instagram quel titre préféraient les auditeurs et la réponse est toujours la même : « Celui-là parce que je suis en train de le vivre. » On m’envoie souvent des DMs pour me dire : « Mais c’est exactement ce que je vis mec. Chaque mot que tu dis, c’est ce que j’ai ressenti, ce que j’ai vécu. »
Juste après, on a lancé le titre « Love Therapy », qui n’est pas vraiment un premier single mais une ouverture de porte pour faire entrer les auditeurs dans l’univers, c’est pour ça qu’on ne l’a pas clipé. Puis, le single avec Josman, « Dernier je t’aime », qui est vraiment le lancement de l’album et qui a super bien pris en termes de chiffres. Merci à Josman qui a fait un couplet incroyable d’ailleurs.
A : Et qui s’est ouvert, qui a montré cette vulnérabilité dont tu parlais.
M. N. : Je suis un kiffeur de Josman et quand je l’ai rencontré – à une époque où il n’était pas encore Josman – on se parlait et il me disait qu’il kiffait mes sons, qu’il écoutait depuis « Ma vie de galérien ». Un vrai de l’ancienne école ! Et quand je lui propose et qu’il accepte, j’ai en tête le Josman qui découpe donc je lui envoie des prods de comment je perçois le titre. Et il me dit : « Non moi je veux une chanson d’amour. » Et j’avais sorti le titre « Ce que tu m’as fait », un slow jam, et il m’a dit : « C’est ça que je veux. Je peux poser sur du Nov, limite je veux chanter. » Donc on commence à faire des accords, des trucs bien mielleux. J’étais parti dans un délire et Josman m’a dit d’enlever les petits gros mots parce qu’il voulait une belle chanson d’amour, un truc qu’il pourrait faire écouter à sa mère. Il était super investi, il nous demandait notre avis sur chaque mot et, au final, il est super fier du titre et c’est vrai que c’est une belle chanson qui va rester.
A : Il y a quelques prods zouk sur l’album.
M. N. : Ouais comme le titre « Aye » ou « Essaie encore » avec Joé Dwèt Filé parce que j’aime son univers et ce qu’il est. Et souvent, et j’ai déjà été confronté à ça, quand on m’appelle en feat, on ne m’appelle pas pour ce que je suis mais pour mon nom à l’instant t, pas pour ma musicalité. Du coup, quand moi j’appelle pour un feat, je veux que tu me donnes ce que j’aime chez toi. Et quand j’ai invité Joé Dwèt Filé, je voulais du Joé, je voulais que ce soit lui qui fasse la prod et ça donne une espèce de zouk un peu chaloupé. Et sur le titre d’avant qui est l’interlude « L’Effort », c’est lui qui est entré dans mon univers avec un piano posé, plus R&B, comme ça on a un morceau où chacun va dans le côté de l’autre.
A : J’ai été agréablement surprise de voir Manal en feat.
M. N. : Je suis un grand fan de Manal. Ça s’est fait de manière très simple, de manageur à manageur et elle a dit ok. Mais je n’y ai pas cru au début. J’ai découvert Manal par hasard sur YouTube avec le clip de « Niya » que je me suis directement mangé, un clip incroyable. Je me suis dit : « C’est frais de fou, comment ça se fait que je ne connais pas. » Et je commence à m’intéresser, j’écoute un deuxième puis un troisième titre, je vois qu’elle a sorti un album, 360. J’écoute le projet, je me mange tous ses clips, j’écoute son back catalogue, je suis en mode fan, j’adore ce qu’elle fait.
Et quand c’est le moment de réfléchir aux éventuels invités sur l’album, je dis à ma manageuse : « Moi je veux bien Manal. » Je ne sais pas quel micmac elle a fait mais on a réussi à l’avoir. Elle était à Paris pour un séminaire pendant quelques jours, donc on s’est vus avec Seezy au studio qui cale une petite guitare. Déjà, je voulais déjà qu’elle chante et qu’on fasse une belle chanson d’amour, en mode déclaration. Moi j’ai ma femme, Manal a son mari, donc on connaît ce truc de l’amour fort qui a du vécu, et je lui propose ça. Donc je vais en cabine, je commence à enregistrer quelques trucs et elle me dit ce qu’elle aime ou pas, me donne des conseils. J’étais vraiment en mode fan : « Dis-moi que je peux faire sans souci. » [Rires] Et quand elle rentre en cabine, c’est un one shot, la go est super efficace, elle ne blague même pas ! C’est elle qui trouve la mélo du refrain, elle trouve le gimmick en arabe « Fik n’doub » et me demande si je peux le faire aussi. À ce moment-là, on n’avait qu’une boucle de guitare parce que Seezy avait un rendez-vous mais on voulait tout de même faire un truc très épuré. On a fait les arrangements et Manal a adoré quand je lui ai envoyé. Je suis vraiment super content du titre.
A : Comment définirais-tu le R&B ?
M. N. : J’ai mes critères et chacun a ses propres critères, mais je pense qu’il y a des fondamentaux pour décrire le R&B tel qu’il est. Je ne vais pas dire « le vrai » parce que tout évolue. Mais pour moi, c’est une manière de chanter et la présence de certains accords et rythmes particuliers. Et puis il y a quelque chose que tu ne peux pas définir, c’est un ressenti, c’est une espèce d’âme que tu mets dans ta façon de chanter. Et en cohérence avec le tout, il y a une chaleur qui se qui se dégage qui pour moi définit le R&B. C’est comme les slow jams, il y a un rythme particulier. Après, c’est ma perception et ma description parce que ça évolue constamment. En 2010, si tu m’avais posé la question, j’aurais donné une autre réponse. Pareil pour 2015-2016, avec l’arrivée de la trap qui a modernisé et changé un peu le genre. Le R&B peut évoluer sans perdre son essence première.
A : Donc chanter ne suffit pas.
M. N. : C’est un tout, oui. Mais, a contrario, tu n’es pas obligé de savoir bien chanter pour faire du R&B. Il y a des artistes qui ne sont pas des chanteurs à proprement dit mais qui font du R&B. Hamza, par exemple, qui pour moi est plus un rappeur, mais il a des titres qui sont R&B, je sens qu’il a écouté ça toute sa jeunesse. Il y a des toplines, des riffs, les évolutions d’accords dans les mélodies : c’est du R&B.
Je viens de tomber sur cette interview, elle est vraiment top !! NOV est un super artiste et ça fait du bien de lire une itw qui explore en profondeur son processus créatif (petit + pour la relation avec Zeg P et l’histoire du feat avec Manal, un des meilleurs morceaux du projet pour moi).
Merci pour cet article de qualité 🙂