Chronique

DJ Krush
Shinsou – The message at the depth

Sony Music - 2002

Les moins sceptiques d’entre nous auraient pu légitimement craindre « Shinsou – The message at the depth », le septième opus de DJ Krush. Son précédent album, « Zen », sorti il y a à peine un an avait laisser planer quelques doutes sur les performances du producteur/DJ nippon, et beaucoup doutaient sur ses capacités à se renouveller. Celui-ci était donc attendu au tournant et savait qu’il n’avait pas droit à l’erreur. Ces détacteurs lui avaient reproché de trop se disperser et regrettaient nostalgiquement l’époque où Krush sortait des beats destructurés et contribuaient à chaque mesure à l’écriture d’une nouvelle page de l’abstract hip hop. A maintenant 40 ans, Hideaki Ishii aurait pu choisir la voie de la facilité et revenir avec un album entièrement instrumental et en nous pondant des instrus venus de nulle part. Tout le monde aurait alors criéé au miracle et au génie, à raison. Mais c’est bien mal connaître DJ Krush, un simple coup d’œil sur les featurings suffit pour savoir qu’il ne se fit qu’à son instinct et que sa démarche artistique n’est toujours guidée que par une seule et unique chose : son envie.

Et qui réunit-il pour ce nouvel album : les jeunes fougueux d’Opus, les reggaemen jamaïcains Sly & Robbie et Abijah, M. Sayyid et High Priest d’Antipop Consortium, la troupe Anticon, le prometteur MC japonais Inden, la jeune chanteuse americano-japonaise Angelina Esparza et le duo D-Madness & Masato Nakamura. Un bien étrange mélange, surtout pour un LP de onze titres. Mais dès les premières secondes Krush remet les pendules à l’heure. Exit la petite boucle de ‘Song 1’ de Zen qui traîne sur 4 minutes, place à la boîte à rythme et au génie inventif d’Opus pour une ouverture tonitruante (Trihedron) découpée en trois temps. Beats explosés, caisses claires se balladant ici et là, tel est le menu de l’intro de  »The message at the depth ». On retrouve le Krush que l’on avait jamais perdu… Et on est ainsi porté de surprises en surprises tout au long de l’heure que dure l’album, les ambiances se succèdents, s’atténuent et s’éffacent au gré des humeurs du DJ. Les fonds sonores, sombres et répétitifs, donnent une impression de lourdeur qui contraste nettement avec la légéreté qui se dégageait de Zen. Le casting semble par ailleurs été fait en fonction de cela : APC pour poser sur des sons bruts et électroniques (‘Supreme team’), et la clique d’Anticon (Dose One, Why ?, Alias, Sole, Passage) pour exploser sur une basse qui n’en fini pas de retomber (‘Song for John Walker’). En invitant Dose One & Cie avec un thème plus que jamais d’actualité (le procès de John Walker se déroule en ce moment), Krush nous prend doublement à contrepied. En effet, on aurait pu légitimement supposer que l’instru qu’il leur fournirait serait tout de ce qu’il y a de plus étrange et tortruré, mais il choisit au contraire de leur confectionner un beat bien lourd et bien claquant, qui contraste avec les sons plus ralentis utilisés habituellement par le crew. Ce n’est pas Anticon qui embelli l’instru de Krush, c’est Krush (épaulé par Jel) qui met en avant les voix des Mcs en se mettant à leur service. Ce titre de près de 6 minutes se conclu sur ces mots empreints de dérision à l’égard du président des Etats-Unis : « No matter what You do G.W. there will be no dollar for you, do the math, give him a bomb to suck on ». Et au final, sur le fond et surtout sur la forme, ce titre ferait même penser à certains qu’Anticon sait faire du hip hop… c’est dire si le pari, qui aurait pu paraître osé au départ, est réussi.

Le concept de « Shinsou » repose sur l’alternance de morceaux instrumentaux et de productions soutenues par des voix, comme pour prouver que le producteur japonais domine aisément toutes les facette de la production. Mais cela ne suffirait pas à faire taire les mauvaises langues. Alors Krush, conscient de son potentiel, se rajoute un handicap supplémentaire : naviguer entre différents styles musicaux, exercice périlleux où plus d’un beat maker s’est cassé les temps. Le titre le plus surprenant est sans doute ‘The lost voices’, avec la présence de la session rytmique la plus célèbre de jamaïque : Sly Dunbar et Robbie Shakespear. The dub masters (repectivement à la batterie et à la basse) ne sont plus à présenter, tant leurs compositions et leurs dubs ont heurtés à jamais les tympans de quiconque les a entendu. Le titre est remarquablement travaillé et le mastering qui y a été fait est un véritable travail d’orfèvre. Autre surprise, l’apparition d’Angelina Esparza et de sa voix douce sur ‘Aletheuo (truthspeaking)’, qui vient nous faire sortir la tête de l’eau après une demie heure plutôt ‘oppressante’. Le dernier titre, ‘But the world moves on’, est l’œuvre de Abijah, prometteur chanteur jamaïcain, dont les intonations ne sont pas sans rappeller un certain Horace Handy. Abijah est surtout connu pour son côté éveillé et pacifique, et le texte (d’une apparente simplicité) qu’il livre en est l’illustration la plus parfaite.

Inutile de dire que « The message at the depth » saura satisfaire les nombreux fans de DJ Krush et prouvera au reste (en existe-t-il encore ?) que tout ce que Krush touche se transforme en classique. Les productions, résolument estampées abstract hip hop (à l’image du somptueux ‘The blackhole’) , viennent rompre avec certaines en demi teinte figurant sur Zen. Pour les plus pessimistes, insatisfaits et sceptiques cités dans l’intro, il est à noter que Krush, en plus de nous livrer une septième merveille, offre une véritable leçon de vie sur laquelle il nous invite méditer…

En effet, « Shinsou – The message at the depth » (Vérité – le message dans toute son intensité) semble s’éclaircir à mesure qu’il s’écoule, comme si Krush voulait nous emmener vers la lumière. C’est un peu le concept inverse qu’a utilisé Boom Bip pour  »Seed to sun », le producteur de Cincinnati ayant préféré l’idée du fondu au noir en plaçant des pods de plus en plus sombre. Mais on pourrait également comparer la démarche de Krush à celle de Bob Marley pour ‘Exodus ‘(puisqu’il est beaucoup question de reggae), sur lequel la basse sourde d’Aston Barett venait ouvrir l’album (‘Natural mystic’) et où l’album se finit en apothéose sur les notes légères et optimiste de ‘One love’, neuf titres plus loin…

Comme pour tout ce genre de concept, il y a un titre charnière qui fait basculé l’auditeur de l’ombre à la lumière. Dans le cas présent il semble que ce soit le massif, imposant et pourtant bref ‘D’you hear that ?’, construit avec une bass drum démoniaque en seul réponse à une caisse claire très sèche. Faut-il y voir comme un symbole au fait que le titre suivant (‘Aletheuo (truthspeaking)’) soit chanté par une jeune femme (Angelina Esparza) ? Certainement. D’autant qu’à partir de ce titre, les messages issus des textes sont on ne peu plus pacifiques et unificateurs. Le retour aux sources semble avoir été le leitmotiv de Krush sur cet album, d’où la présence de personnages tels que Sly & Robbie et Abijah qui diffèrent des New-Yorkais d’Opus et d’APC, ou encore les cuivres légers de ‘But the world moves on’. Ceux-ci apportent de la vie et du relief en se substituant aux sons électroniques et superficiels de la première partie de l’album. Et, la dernière phrase de « Shinsou », (chantée par Abijah) ne peut laissé planer aucun doute quand au ton que Krush à voulu donner à son album : « There’s no war that love can’t conquer, we should all be our brother’s keeper ». Point.

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