Ab-Soul, avant qu’il ne soit trop tard
Qui est Ab-Soul ? Où se cache-t-il ? Pourquoi sa musique se fait-elle si rare, si précieuse ? Six ans après la sortie de son dernier album, le rappeur de Carson semble prêt à faire le bilan et à émerger, enfin, des ténèbres.
Fort de deux premiers titres dévoilés cette année – « Moonshooter » et « Hollandaise » -, Ab-Soul annonce son retour définitif avec le clip de « Do Better », présenté comme une « collection de pensées. » En cinq minutes, le rappeur expose ses entrailles pour en dévoiler la noirceur : sa vie a été traversée de tragédies et il faut rimer pour faire partir la douleur. Il y a eu le suicide de sa compagne, Alori Joh, déjà évoqué sur le déchirant « The Book Of Soul » (2012) et dont la présence plane toujours, dans ces images où Ab-Soul saute dans le vide. Il y a eu aussi la mort brutale de Doe Burger, fin 2021, son meilleur ami, mais aussi celle de Mac Miller, proche d’Ab-Soul et de toute l’écurie de TDE. « Ils hanteront toujours mes rêves », chante la voix de Nick Hakim, dont la chanson « Green Twins » est samplée par DJ Dahi.
Sur des images d’Omar Jones (Pusha-T, Isaiah Rashad, Young Thug, Lil Tecca, Nas,…) « Do Better » se joue des opposés. Alors que la musique de TDE s’est parée, ces deux dernières années, d’atours tranchants, après l’émergence du producteur Kal Banx, puis de Reason, Ray Vaughn et Doechii, « Do Better » favorise des cuivres et un tempo mesuré aux rythmiques saccadées. Sur ce terrain propice à l’introspection, Ab-Soul sort de lui-même et observe son double chuter, mais il reste les deux baskets collées au bord du précipice. Des larmes coulent sur ses joues, mais elles captent aussi la lumière. Des hommes s’enlacent et alors le bitume de Carson n’est plus aussi menaçant. Et avant de s’écraser sur le sol, un homme voit son corps faire marche-arrière, le sang se retire du trottoir et des yeux s’ouvrent enfin. Ab-Soul a très rarement montré ses pupilles, fermées malgré elles par le syndrome de Stevens–Johnson : il enlève ici ses épaisses lunettes noires et regarde vers le haut.
« Je dois faire mieux », répète-t-il au fil de la chanson, et peut-être ce mantra s’applique-t-il à son quotidien mais aussi à sa musique, lui qui n’a pas encore livré d’album définitif en termes de succès populaire, à la différence des trois autres membres originels de TDE. Ab-Soul est longtemps resté dans l’ombre de ses illustres collègues, presque condamné au statut d’éternel underdog, lui qui est pourtant souvent présenté comme l’auteur le plus habile du label. Comme s’il voulait tromper le destin, Ab-Soul, adepte de théories obscures et de rimes alambiquées, simplifie ici son écriture pour évoquer tour à tour sa dépression, son isolement, son hypocrisie, la culpabilité de s’être échappé des rues desquelles ses proches sont encore prisonniers et l’envie, le besoin, de devenir un homme meilleur. Plus direct dans ses messages, le rappeur change de perspective et vise plus juste.
« Je suis juste reconnaissant d’être ici », révèle finalement Ab-Soul. « Je suis reconnaissant d’être en vie pour partager mon témoignage. Je veux être clair : je ris parce que j’ai déjà trop pleuré. Je choisis de rire maintenant, parce que je suis là, entier, et que je suis reconnaissant […] L’attente de six ans est bientôt terminée. » « Do Better » sonne comme une résurrection et une remise à zéro. – Nicolas Rogès