Ctznkane, voix du Port et porte voix
Interview

Ctznkane, voix du Port et porte voix

Rappeur et beatmaker, CTZNKANE diffuse depuis La Réunion une musique qu’il compte bien voir voyager au-delà de l’île. Elle le mérite.

Photographies : Samuel Malka

C’est depuis l’océan Indien que CTZNKANE a répondu aux questions de l’Abcdr en mai 2022, quelques semaines après la sortie de sa dernière mixtape en date, De La Fournaise. Un intitulé qui renvoie directement au volcan de La Réunion, son île natale, celle où il vit encore et sur laquelle toute son histoire s’est écrite jusqu’à présent, ou presque. Depuis sa naissance au Port, ville populaire entre Saint-Paul et Saint-Denis, le rappeur et beatmaker n’a quitté les lieux que deux ans afin de poursuivre des études à Villetaneuse, Seine-Saint-Denis. Un peu trop vieux pour avoir eu Internet dès l’enfance, CTZNKANE n’a pu découvrir le rap français à proprement parler qu’à la fin de ses années collèges. Avant cela, pas de Skyrock à La Réunion, donc pas de rap français, ou peu. Il y a bien les artistes locaux, dont le groupe K Libre 420 et Achem, et puis quelques morceaux joués par la radio Velly Music ou dans l’émission Run Vibes sur la chaîne publique. Comme souvent, un cousin s’ajoute à l’équation, en l’occurrence dans le cas CTZNKANE, un cousin et son CD de Sniper. Sniper, le groupe de Blacko. Blacko le Réunionnais. Pas rappeur certes, du moins pas totalement, mais réunionnais dans un groupe de rap, et fier de ça. Tout comme l’est CTZNKANE, dont la mixtape De La Fournaise fait suite à Des Neiges, qui s’ouvrait sur un fameux discours de Paul Vergès : « Nous Réunionnais, nous descendons c’est vrai… Nous descendons d’Africains venus d’Afrique. Nous descendons, chers camarades, d’Indiens venus de l’Inde. Nous descendons de Malgaches venus de Madagascar. Nous descendons de Chinois venus de Chine. Nous descendons aussi de Français venus de France. Mais qu’ils n’essaient pas de nous faire choisir dans nos ancêtres ! Car nous sommes aussi fiers, car nous sommes aussi fiers de ceux venus d’Afrique ou de l’Inde que de ceux venus de France ! »


Abcdr Du Son : Est-ce que tu te rappelles du contexte dans lequel tu t’es dit que tu allais rapper toi-même ?

CTZNKANE : C’est venu naturellement, dans le sens où j’ai commencé par écrire, j’aimais ça à l’école et je continuais à écrire quand j’étais à la maison. Le chant, j’en faisais à l’église, c’est à la chorale que j’ai capté les délires de mélodies etc. Lorsque j’ai découvert le rap et les rappeurs, j’ai compris qu’il était possible d’allier le chant à ce que j’écrivais, sans avoir vraiment besoin de savoir chanter en plus. Une fois que j’ai commencé à maîtriser l’écriture et le rap, j’en ai eu marre très vite de poser sur des faces B, donc j’ai décidé de me mettre à composer. Je voyais des cainris comme Kanye West qui savaient tout faire ; moi je ne connaissais pas de beatmaker et n’avais aucune connaissance des studios ou quoi que ce soit, donc lorsque j’ai eu l’occasion d’avoir un ordinateur, la première chose que j’ai faite c’est prendre Fruity Loops et commencé à essayer de composer. C’était autour de mes quinze ans, j’avais déjà deux ou trois ans d’écriture rap dans les pattes.

A : Tu as passé deux ans dans l’hexagone pour les études. Ton rapport à la musique a-t-il évolué alors ?

C : Totalement ! Dans cette période entre 2010 et 2012, j’ai saigné Datpiff et Livemixtape. Je quittais ma maison et Le Port pour la première fois, or je viens d’une famille nombreuse donc j’étais habitué d’être avec du monde à la maison et là je me retrouvais tout seul dans mon petit studio. La semaine, je restais planqué chez moi et je bombardais des mixtapes, et lorsque j’allais me promener dans le 93 ou faire le touriste sur Paris, j’écoutais du son aussi. C’est aussi là-bas que j’ai assisté aux deux deuls concerts de ma vie, ceux de Young Jeezy et de Waka Flocka au Bataclan. Pour ce qui est du rap français, c’est en étant là-bas que j’ai eu plus envie d’écouter ce qui se faisait à l’époque. J’ai toujours kiffé le rap du 92, et tout bêtement en arrivant à Villetaneuse je me suis mis à écouter tous les mecs du 93… En étant sur place, j’avais l’impression d’être dans le même endroit que les rappeurs que j’écoutais. Ça change d’une écoute au Port, même s’il peut y avoir des similitudes dans ce qui est raconté. Là-bas, c’est une autre atmosphère, tu sens vraiment le froid, tu reconnais vraiment le lieu du métro… Pour moi, ça a amené des petits déblocages, ça m’a aidé à comprendre certaines choses du rap français.

A : Pendant cette période, tu ne partages pas ta musique ?

C : Je crois que c’est à ce moment-là, en 2011, que j’ouvre mon compte Soundcloud. Un pote de mon petit frère m’avait entendu freestyler un couplet et avait kiffé donc m’avait invité chez lui, où il y avait un petit matos. J’ai enregistré mes premiers petits freestyles là-bas et ça m’a fait de la matière pour alimenter le Soundcloud quand je l’ai ouvert. Après, je traficotais sur mon ordi pour essayer d’avoir des trucs à balancer. Je faisais sans entourage professionnel, seul avec quelques potes passionnés que je rencontrais. Mon cousin était DJ, c’est lui qui m’a branché sur Logic Pro, mais on était très amateurs et à un moment donné moi je voulais tellement aller dans la compo, mais je n’avais pas rencontré de gens qui pouvaient vraiment m’apprendre.

A : Quand tu te diriges vers la compo, c’est avec l’idée de produire pour autrui ou juste pour faire tes instrus ?

C : Ce n’était que pour moi ! Mais en tombant sur « La petite voix » de PNL, je me suis dit que c’était le genre de vibe que je comptais « amener » et ces gars étaient tellement chauds, ça méritait que j’essaie de leur envoyer quelque chose. Ils n’étaient pas connus et à aucun moment je ne me pensais capable de placer pour des gars en place dans le game, même à La Réunion. J’avais fait écouter à quelques potes, mais je n’aurais pas envoyé à quelqu’un de confirmé.

A : Tu as envoyé un instru à PNL malgré tout.

C : Oui, quand j’envoie l’instru après avoir écouté « La petite voix », je m’étais un peu amélioré quand-même. Je n’ai jamais été dans le type-beat en fait, vu que je voulais éviter les faces B. Je n’avais pas de formation de musicien non plus donc je faisais à l’oreille, et c’est à cette période-là que je commençais à avoir une certaine couleur.

A : Et ça a donné « Loin des hommes » sur Le Monde chico

C : J’avais envoyé pas mal d’instrus, c’est celui-ci qui a été bloqué et après j’ai rebossé la compo pour eux. La première version était assez courte, genre deux minutes, puis j’ai ajouté une autre partie de prod qui partait totalement dans un autre délire. Ils ont gardé la version finale en enlevant l’outro que j’avais faite. J’étais en contact avec PNL en amont de la sortie de Le Monde chico, puis une fois que le choix de l’instru a été fait, je n’ai plus eu de nouvelles. Quand « Le Monde ou rien » est sorti, avec le buzz qu’il y a eu je me suis dit que les mecs devaient maintenant avoir des majors et des gars en place derrière eux, et que ma prod était passée à la trappe.

A : Pour au final l’entendre sur l’album comme tout le monde à sa sortie. Aujourd’hui, les jeunes artistes sont mieux avertis qu’il y a sept ans sur la nécessité de formaliser leur travail, est-ce que cette expérience t’a poussé à te structurer ? Ça aurait pu être un gros coup perdant.

C : Totalement. C’était ma première fois à plusieurs titres : j’envoyais mon travail à quelqu’un, ma musique arrivait quelque part, et pas n’importe où, elle a fait un bout de chemin incroyable quand-même, pour appartenir à la discographie d’un groupe qui est chaud…  Mais le côté business, les royalties… Je ne connaissais rien. Je ne me rendais même pas compte de ce qui était en train de se passer, j’étais dans d’autres bails, la musique je la faisais en mode passionné, rien de pro. Donc c’est allé très vite.

A : Après ça, ne t’es-tu pas posé la question de choisir entre composition et écriture ?

C : Je pensais surtout impossible de concilier les deux, d’être à 100% dans la composition et à 100% dans l’écriture. J’ai commencé à produire quand j’avais un petit bagage en rap, puis j’ai pris de l’expérience au niveau de la prod et ensuite je me suis remis à écrire, ce qui m’a permis de structurer mes morceaux. À un moment donné, je n’ai travaillé que sur les prods en essayant de parfaire mon style, jusqu’à ce que je ressente le besoin de me concentrer que sur le rap et l’écriture pour arriver à une première version de ce que je suis capable de faire.

« On me dit souvent « t’as dormi » mais je ne pensais pas que ma musique avait déjà une portée dès le début. »

A : Depuis 2015 tu sembles avoir beaucoup travaillé sur ta musique, aussi bien sur la composition que sur le rap, sans pour autant l’avoir beaucoup partagé puisque tu as sorti trois EPs ou mixtapes de 2018 à aujourd’hui. Cette relative discrétion était un choix lié à de l’insatisfaction sur ce que tu créais ?

C : En vrai j’étais hyper productif dans mon coin, mais je me mettais – et je me la mets encore – une certaine pression. J’étais à une époque où sur certains titres je sentais que j’avais le truc qui faisait que je pouvais le balancer. Et ça marchait, puisque « Mapaleaksa » et « Met’1L » ont bien tourné à La Réunion et ont même pu être diffusés par certains médias en France. Mais il fallait que je taffe mon univers, que je m’améliore ; je ne me sentais pas encore prêt pour balancer de vrais projets comme je le fais maintenant. Si je ne sortais pas souvent ma musique, c’est que ce n’était pas encore le moment. De temps en temps je balançais des sons pour le peu de gens dont j’avais l’impression qu’ils me suivaient à l’époque. Aujourd’hui je me rends compte qu’on me dit souvent « t’as dormi » mais je ne pensais pas que ma musique avait déjà une portée dès le début.

A : Tu évoques « Mapalaeksa » et « Met’1L », ce sont deux titres qui ont connu un certain engouement sur l’île, n’est-ce pas ? Ils t’ont donné une petite renommée en 2018, non ?

C : Totalement ! C’était cool, c’est arrivé à peu près à la même période que le truc avec PNL. J’avais placé la prod et de l’autre côté je commençais à avoir des sons un peu plus propres, j’allais dans des home studios avec des ingés sons qui maniaient mieux le micro. « Mapalaeksa » et « Met’ 1L », ce sont parmi les premiers morceaux que je sors qui ne sont plus des petites maquettes que je mettais sur Soundcloud. C’étaient des sons vraiment diffusables. « Mapalaeksa », j’ai fait la prod moi-même avant de poser dessus et ensuite il y a eu un remix avec Nicko et Alaza. [Nicko et Alaza sont deux rappeurs réunionnais habitués à travailler ensemble depuis 2015, NDLR] « Met 1’L » dans la foulée, ça a changé quelque chose c’est vrai… On me reconnaissait quand je sortais en boîte. [Rires]

A : Comment est-ce que tu t’es retrouvé à faire ce remix « Mapalaeksa 2.0 » avec Nicko et Alaza ?

C : Par le bouche à oreille, des gens à La Réunion ont entendu parler d’un gars qui avait fait une prod pour PNL. Alaza tenait à me rencontrer par rapport à ça, on s’est checkés et on s’est bien entendus. Si bien qu’on a eu l’intention de faire du son ensemble, il m’avait branché sur un studio… Il avait bien aimé « Mapalaeksa » et avait chauffé Nicko pour que notre première collaboration se fasse là-dessus. À l’époque, on comptait bosser sur plusieurs choses : je leur avais fait la prod de « Lord », on faisait pas mal de son, on se checkait souvent et « Mapalaeksa 2.0 » annonçait ce travail commun à venir.

A : En 2018 tu sors Kazentole, ta première mixtape. Dans quelles conditions l’as-tu réalisée ? Était-ce l’amoncellement de plusieurs titres enregistrés dans les mois et années antérieures ou était-ce un projet construit en tant que tel ?

C : C’est plutôt un amoncellement de morceaux comme tu dis. Kazentole sort en 2018 avec dix ou onze titres, mais plusieurs étaient déjà sortis en 2017 voire 2016 : « Mapalaeksa », « Met’1L », « La Morue » ont atterri dans Kazentole en 2018. Le truc c’est que durant ces deux ans je bossais sur un projet qui devait s’appeler Constellation et ne comptait que des titres en solo sur mes propres prods. Mais des mésententes avec mes collaborateurs de cette période faisaient que je ne pouvais pas sortir ça dans les conditions que je voulais, donc ce projet a été avorté. Une partie des titres de Constellation a fini en bonus tracks sur Kazentole, qui est donc un mélange de singles déjà sortis, de morceaux préparés expressément et de tracks issues d’un projet avorté.

A : Quels ont été les retours sur cette première tape ?

C : Je ne m’en rendais pas compte à l’époque mais elle a eu de l’écho. Avec Kazentole j’ai eu un article dans le quotidien de l’île, j’ai fait un showcase en boîte de nuit, j’ai été number one sur Haute Culture – ça n’a pas duré longtemps. [rires] Il y a eu des relais de morceaux sur OKLM, même sur l’Abcdr du Son si je ne me trompe pas. « Met’1L » est passé en radio et vu le rap que c’est et ce que ça raconte, c’est presque miraculeux ! Donc en vrai avec Kazentole, j’ai pu cocher pas mal de cases.

A : Sur cette mixtape tu alternes le créole et le français, en laissant une grosse place au créole. Ce sera le cas sur les deux autres, peut-être un peu moins sur Des neiges cela dit. Est-ce quelque chose à quoi tu réfléchis ? Te poses-tu la question de l’accessibilité de ta musique au public hexagonal ?

C : Kazentole, c’était fait exprès que ce soit full créole en vrai, les morceaux où je parle un peu plus français comme « C’est ça la vie », je les ai mis en bonus tracks, et même là-dedans il y a du créole. Au début, je tenais à tout prix à rapper en créole.

A : Pourquoi ?

C : J’ai commencé à écrire en français en fait, mais à un moment donné je ne peux pas être un rappeur venant de La Réunion et ne pas rapper en créole, ce n’est pas concevable. Je tenais à ce que le premier projet marque cela. Et « Met 1’L », c’est le premier son full créole où je me suis dit « vas-y, là c’est bon, je commence à avoir ma propre manière de rapper en créole, je peux faire ressentir dans mon rap la façon dont je m’exprime en créole. » Depuis que je suis tout petit, mes parents ont tenu à ce que je sache m’exprimer en français avant de m’exprimer en créole. Ils parlaient créole devant moi, mamie parlait créole à la maison, à l’école je pouvais parler créole, mais quand j’étais avec eux, ils tenaient à ce que je m’exprime d’abord en français, du coup j’ai eu cette facilité à écrire en français directement. Mais plus j’ai grandi, plus mon amour pour le créole a pris de la place, donc je voulais que Kazentole soit en créole. Après pour Des Neiges, effectivement j’avais envie de kicker et le français s’y prêtait bien, mais il y avait quand même “LÉ ZOT’” à la fin, petite note de rappel en créole. Enfin avec De la fournaise, le dernier projet, j’arrive à manier les deux naturellement.

A : Est-ce que le créole réunionnais s’écrit à proprement parler ou est-ce avant tout une langue orale ?

C : Déjà, je n’ai pas eu la chance d’apprendre beaucoup le créole réunionnais dans les classes d’école. Pour moi, c’est de la transmission orale premièrement. Après dans l’écrit, j’ai envie de te dire que c’est une langue vivante, qui évolue. Le créole que mes potes, mes cousins et moi parlons n’est pas le même que celui parlé par mes darons quand j’étais plus jeune, et même celui de mes petits cousins continue d’évoluer… Du coup il n’y a pas vraiment d’orthographe, à part pour des mots qui sont restés dans le temps.

A : Si tu devais mettre tes textes sur Genius, tu serais donc embêté ?

C : Non, non, pas du tout ! Au contraire, je pense que ce serait cool et je compte le faire. Vu ma manière de tourner les phrases en maîtrisant les deux langues, je peux dire quelque chose en créole qui a plusieurs significations en français et inversement. Le mélange des deux permet d’avoir trois sens sur une seule phrase, et ça peut être très drôle de pouvoir mettre ça sur Genius. Après l’orthographe…

« Je veux représenter les miens et mon île au reste du monde. »

A : As-tu la volonté d’exporter ta musique jusqu’à l’hexagone ? Si oui, penses-tu que le créole est un frein ?

C : Je pense que ça l’est de moins en moins. Je pense même que c’est … [Il se reprend] À part pour certains créoles, parce que si on parle du point de vue des Français, il y en a qui sont quand-même des boloss à dénigrer… Quand tu vois les gens parler de Gato Da Bato sur les réseaux, moi j’ai l’impression qu’ils se permettent d’être aussi négatifs parce qu’il rappe en créole haïtien et qu’ils ne comprennent pas, donc il y a quand même toujours des boulets qui pensent comme ça. Mais moi je ne pense pas que ce soit un frein, et pour tout te dire, j’aimerais que ma musique s’exporte. Pourtant, le fait de rapper en français ou en créole ne rentre à aucun moment dans le calcul. Je tenais à ce que les gens d’ici, de chez moi, captent ce que j’essaie de faire, et maintenant que c’est le cas je suis chaud pour essayer d’atteindre l’hexagone.

A : Un artiste qui rappe en créole à la base et qui pour toucher la France hexagonale met le créole sur le côté pour privilégier le français à tendance, je trouve, à édulcorer sa musique et à lui enlever une dimension très importante. C’est ce que j’ai ressenti en tout cas devant les choix de certains rappeurs antillais.

C : J’ai une vision un peu particulière sur ça. Vous, Français, avez plus été habitués à entendre des Antillais que des Réunionnais, déjà. Je vais reprendre l’exemple de Gato : quand c’est Kalash qui rappe en créole antillais, bah c’est cool, mais dès que c’est un créole auquel les gens sont moins habitués, ça fait grincer des dents. Et puis les Antillais ont aussi l’habitude depuis un long moment de chanter en français, habitude bonne ou mauvaise, ça je ne sais pas, je ne peux pas le dire. À la Réunion on est habitués à toutes les langues, même celle qu’on ne comprend pas, on écoute des chansons indiennes, tout ce que tu veux… Ce débat-là n’existe que parce qu’on parle de la France, car ici c’est la musique qui compte. Que Meryl chante en français ou pas, que Kalash chante en français ou pas, tant que le son est lourd, on pull up dessus.

A : Des Neiges s’ouvre sur un discours de Paul Vergès, une ode à la Réunion et à sa richesse. Pourquoi ce choix ?

C : Le discours de Paul Vergès dit tout, et moi je veux représenter les miens et mon île au reste du monde.

A : Tu as une autre façon de représenter les tiens, c’est à travers des clips comme « FATi » ou « Demain j’arrête ». On y voit des visages en gros plan, des gens dans leur vie quotidienne, sans qu’il n’y ait forcément de rapport avec le texte. Qu’est-ce qui t’a motivé à faire ça et comment ça s’est passé ?

C : Quand Des Neiges a été prêt, je voulais avoir un clip pour la sortie de l’EP et au début je pensais à « TABA SON », alors je suis entré en contact avec le réalisateur Samuel Malka mais en le rencontrant et regardant bien son travail, je me suis dit qu’il m’était possible de ramener Le Port à travers ses images à lui. Je lui ai simplement demandé de me dire quand il était libre afin que je l’emmène dans tous les quartiers où j’ai grandi, les quartiers où je traîne et que l’on filme ma ville comme elle. Un jour lambda, sans que je ne prévienne personne, on est partis à droite à gauche et dans chaque endroit où on est passé on s’est présentés, on a demandé l’autorisation de filmer et voilà. Au Port, on aime beaucoup les jeunes, on supporte les artistes, mais moi je fais du rap et quand tu fais du rap on demande quand-même à voir ce que tu fais pour s’assurer que tu ne racontes pas trop de conneries. Là où j’étais content c’est que les gens qui ne disaient pas « oui » tout de suite pour être filmés et demandaient à quoi serviraient les images, ils ont accepté ensuite. C’est cool, parce qu’à part les scènes où on rentre chez les gens, rien n’est préparé là-dedans. Les gosses qui se battent, toutes les scènes dehors, ce n’est que la vérité quotidienne du Port.

A : Quelle est la situation des jeunes du Port aujourd’hui, sur le plan économique et social ? Est-ce que des choses ont changé depuis les mouvements de protestation qui ont traversé l’île de la Réunion en 2018 ?

C : C’est assez compliqué… Le Port en vrai de vrai, c’est vu comme une ville de délinquance, c’est chaud pour eux, c’est un cliché dans les villes de l’île. Moi, je dirais que ça s’est quand-même apaisé depuis l’époque de mes parents, bien que ça reste assez compliqué pour la plupart des gens. J’ai de la chance, je fais partie de ceux qui ont un peu de pedigree, mais la dernière fois que j’avais checké, il y avait plus de cinquante pourcents des jeunes au chômage alors qu’il y a un port et je ne sais combien de zones industrielles… C’est tendu, mais il y a une volonté de rester soudés. Dans « FATi », les mecs qui font de la moto, c’est un truc que les jeunes kiffent à mort ici et qui n’a jamais été régulé par la mairie mais récemment des grands de la ville ont fait en sorte de s’organiser avec les jeunes pour que tout se passe correctement, même si la mairie ne s’en occupe pas. Pour moi, ça c’est une preuve que malgré les antécédents de ma ville et la galère, les gens essaient d’être soudés.

A : Et est-ce que toi en tant qu’artiste tu envisages d’avoir un rôle à jouer un rôle auprès de la jeunesse du Port ?

C : De ouf ! Totalement ! Là je collabore actuellement avec le Kabardock qui est une SMAC au Port, une des seules de l’Océan indien. Je vais bientôt participer à des initiations et à des ateliers d’écriture, je vais même en faire avec des classes de collèges ou de lycées du Port dès la rentrée prochaine. Pour moi c’est important parce que lorsque je ramène une caméra dans un quartier, il y a les petits qui traînent et je vois que ça les intéresse, donc autant que ce soit utile d’un côté. On n’est pas juste là pour faire les beaux gosses devant un micro et une caméra, j’ai grave envie de pouvoir transmettre et comme je suis avec des gens professionnels maintenant comme ma manageuse, qui est au courant de pas mal d’actions que l’on peut mettre en place, c’est une des premières choses que je tenais à faire.

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