
Crooked
The original score
“These sounds are not for the weakhearted, and certainly not for trend-chasers. So take a rest, Mos Def. El- P ? Shmell me. You think you know underground ? You know what it’s like to die slowly, so your music can live? We live this everyday of our lives, making music for no money, purely as therapy to deal with a crooked industry and a crooked world.”
Cette tirade, un brin prétentieuse et moralisatrice, on la doit à Skiz Fernando, patron du label Wordsound, plus connu sous le pseudonyme de Spectre lorsqu’il s’atèle à la production. Pavé de bonnes intentions, cet extrait provient de la présentation de la B.O Crooked : The original score, disque sensé selon toute vraisemblance montrer la voix de la raison à l’industrie du rap et à ce fameux ‘underground’… Tout un programme.
Sorti en 2002, le projet visualo-sonore Crooked : The Movie & The Soundtrack disposait de deux atouts majeurs pour que l’on en espère beaucoup : un concept pour le moins attrayant et innovant, et surtout un casting regroupant une partie de la crème de l’underground New-Yorkais. Tout cela sous l’égide d’un Spectre passé maître dans l’art de conduire des projets où musique et thérapie convergent là où sont directement branché ses machines : les tréfonds les plus sombres du cerveau de chacun. L’idée de donner un double rôle de téléspectateur/auditeur au récepteur que nous sommes était elle aussi séduisante, le CD servant de B.O à un film DVD de deux heures relatant les frasques d’acteurs (jouant leur propre rôle) tels que Sensational, Prince Paul, MC Paul Barman ou encore les membres de feu Anti-pop Consortium. Si il semble que cet album hybride ait trouvé son public sans grande difficulté, il serait risqué d’en dire autant de The original score, complément des titres illustrant le film et non présent sur la B.O originelle.
Autant le dire tout de suite cet album, en plus d’être décevant, est ennuyeux. La liste des protagonistes avait pourtant de quoi laisser présager du meilleur : Sensational (bien que davantage doué pour les rimes enfumées que pour les beats), Mentol Nomad, Prince charming, et Spectre bien sûr (présent sur sept titres), producteur le plus chevronné de cette macabre cohorte. Ce casting de choix avait de quoi laisser augurer d’un disque instrumental d’une noirceur abyssale, caverneux et duquel on n’aurait su sortir indemne à son écoute. D’une certaine manière, on n’en sort pas indemne. Mais c’est la déception et l’affliction qui prévalent. La quasi totalité des vingt-trois productions est d’une pauvreté affligeante. D’une simplicité infantile. Comment ne pas en convenir à l’écoute des interminables et minimalistes ‘Yae yo’ ou ‘Put the money in the bag’ d’un Spectre méconnaissable, alors même que son classique ‘Psychic Wars’ était en pleine gestation. Avec le recul, il nous renvoie aux pires moments d’un ‘Parts Unknown’ déjà bien mitigé. Dans l’ensemble, quelques idées émergent bien de ce marasme, mais sont aussitôt noyées dans l’insuffisance des éléments qu’elles accompagnent. Aucun morceau ou presque ne semble abouti, pas même au niveau du mix (exception faite pour ‘Third eye dub’), ce qui aurait au moins eu le mérite de faire illusion. Les beats sont d’une fadeur déprimante, sans âme, et semblent avoir été composés en quelques minutes seulement. Pour l’essentiel ils reposent sur un schéma unique, sans variation, où la boucle se contente de tourner, encore et encore, jusqu’à ce qu’on se décide à passer au morceau suivant. Les seules exceptions reviennent au ‘Zen’s theme’ (fortement estampillé DJ Krush) de Bill Laswell, au ‘Psychotropical heatwave’ de Prince charming et au dernier titre, seul et unique à être rappé, ‘Third degree burn’. Lorsqu’il produit pour Sensational, Spectre nous avait certes déjà habitué a des instrus dépouillés, minimalistes, mais la nonchalance du MC de Brooklyn équilibrait le tout et constituait un complément unique, où un équilibre fragile subsistait et faisait la force des morceaux. Ici, les sons donnent l’impression de se perdre dans le vide, de tomber, et d’attendre vainement une voix qui viendrait se poser dessus, pour éviter qu’elles ne deviennent tout simplement inutiles.
Skiz Fernando avait initialement fondé Wordsound pour favoriser la création libre et indépendante dans le but d’inciter à l’expérimentation, loin des considérations mercantiles habituelles (dixit le livret). Contrat rempli, peu de disques instrumentaux, même réalisés en peu de temps et se voulant résolument sombre et cathartique, peuvent se targuer de sonner de manière aussi creuse et soporifique. Il voulait donner une leçon d’underground aux principaux acteurs de ce ‘mouvement’, c’est un euphémisme de dire que son argument ne sera pas recevable. Il est des fois où l’on s’interroge beaucoup, trop. Et il est des fois où l’on espère se tromper et n’avoir rien compris.
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