Phazz, cycles vertueux
D’abord révélé en tant que producteur électronique sur Soundcloud, Phazz est devenu ces dernières années un faiseur de hits du rap français et un réalisateur prometteur. Rencontre avec un musicien en constante évolution.
Minimalisme. C’est sans doute le premier mot qui vient à l’esprit lorsque l’on décrit la musique de Phazz. Minimaliste, comme les notes de pianos sèches de son premier tube, “RR 9.1” de Koba LaD. Minimaliste aussi, comme les silences qui accompagnent les flûtes torturées de son second tube, “R.A.C” de SCH. Et minimaliste enfin, comme les morceaux aux sonorités feutrées que Phazz a publié pendant des années à coups de millions d’écoutes sur la plateforme Soundcloud, avant de devenir un producteur qui compte dans le rap français.
S’il n’a que 29 ans, Adam Preau semble déjà avoir vécu plusieurs vies, au moins dans le cadre de la musique : d’abord révélé en tant que producteur électronique de la scène Soundcloud du milieu des années 2010, il parcourt le monde pour des DJ sets dans des clubs du monde entier, avant de s’infiltrer dans l’univers du rap français. D’abord avec Jorrdee, puis ensuite au travers d’une rencontre capitale avec OrelSan et Skread. Embarqué dans l’ouragan La Fête est finie, celui qui devait à la base juste venir donner un coup de main pour finir l’album va se retrouver à partir en tournée pendant deux années de sa vie avec la bande. Un bouleversement qui ne va pas l’empêcher de se faire un nom en tant que producteur, que ce soit avec Koba LaD, Oxmo Puccino, Leto ou, dans des univers très différents, Woodkid ou la chanteuse Sônge.
Phazz est un producteur qui aime les contrastes. Si à un moment il plonge sa musique dans le rap le plus dur (“Chambre d’Hôtel” pour Koba LaD le mois dernier) il va par la suite aller prendre une respiration dans un projet pop (“Goliath” de Woodkid aussi le mois dernier) pour exploiter toutes ses inspirations et ses capacités. Pointilleux techniquement et ouvert musicalement, Phazz fait finalement partie de ces producteurs nouvelle génération dont la découverte musicale se traduisait au milieu des années 2000 à coups de giga octets téléchargés sur eMule et Kazaa. Le résultat : une musique de son temps, rap et à la fois électronique, précise et puissante, qui fait sans doute sa réputation de faiseur de hits aujourd’hui. Avant d’en arriver là, le natif de Béziers a pourtant dû faire ses classes : apprendre à épurer sa musique, la rendre percussive, et peut être aussi parfois moins langoureuse qu’à ses débuts. Un long cheminement qu’il nous a raconté pendant plusieurs heures dans son studio, de sa jeunesse dans le Sud de la France à ses années de DJ entre des hôtels et des aéroports en passant par sa nouvelle vie de producteur rap français (avec, notamment, une collaboration impromptue avec Jonathan Cohen) dans ce qui est, comme il le reconnaît lui même “sa plus longue interview”.
Retrouvez notre playlist « Produit par : Phazz » sur Deezer et Spotify.
I. Piano et conservatoire
Abcdr : On t’associe souvent à Lyon mais ce n’est pas ta ville de naissance. Où es-tu né, et dans quel contexte as-tu grandi ?
Phazz : Je suis né à Béziers, dans l’Hérault à côté de Montpellier. J’ai grandi à Casablanca parce que ma mère est marocaine, et je suis retourné en France autour du CP. Je suis né en 1991 donc j’avais 5 ans environ. J’ai passé le reste de mon enfance à Béziers, et après avoir passé mon bac je suis ensuite parti à Lyon. Très tôt j’avais envie de faire de la musique, et j’ai été pris là-bas dans des études de musicologie.
A : Tu avais déjà fait de la musique en étant petit ?
P : Oui. J’ai d’ailleurs une anecdote là-dessus : quand je vivais au Maroc, mes parents cherchaient une maison pour venir s’installer en France. Et durant une des visites il y avait une maison avec un piano. Pendant la visite, ils entendent quelqu’un tapoter bêtement sur les touches. Et mes parents ont vu que c’était moi. Du coup par curiosité ils se sont dit que ça serait peut-être intéressant de me mettre dans un cours de piano et de là je n’ai jamais lâché. J’ai pris des cours particuliers jusqu’au collège, puis je suis entré au conservatoire, j’ai ensuite continué, en classique, en jazz… Mais pas spécialement en ayant l’idée de faire absolument de la musique plus tard.
A : Tu étais dans une famille musicale ?
P : Il y avait de la musique à la maison mais mes parents n’étaient pas du tout musiciens. Mon père travaillait dans le textile et ma mère a été mannequin pendant une partie de sa vie avant de travailler avec mon père. Ma mère écoutait principalement de la musique marocaine : elle avait une quantité de cassettes, elle a vraiment été bercée par ça. Elle a grandi au Maroc et est ensuite partie en France après avoir rencontré mon père, donc elle a vraiment cette culture musicale marocaine. Mon père c’était plutôt rock, Beatles, tout ça…
A : Est-ce que tu as un souvenir d’un premier coup de cœur musical personnel ? Un groupe, un artiste qui t’a marqué ?
P : Je pourrais te sortir Black Eyed Peas, l’album Elephunk m’a traumatisé. Ou Jamiroquai. Je pense aussi à Phoenix, Sébastien Tellier. Mais j’étais un peu plus ado. Vraiment jeune, j’ai été marqué par 50 Cent, Daft Punk, Justin Timberlake.
A : C’est du rap et de la French Touch en gros.
P : J’ai l’impression que ça a toujours été un peu ça. J’ai toujours eu une attraction pour la musique électronique, je ne sais pas pourquoi. Et le rap c’était autour de moi, je ne pouvais pas passer à côté… Et en même temps tu avais mon père qui me donnait des CDs de hard rock. À l’époque, je voulais apprendre la guitare en plus du piano et il me faisait découvrir d’autres choses. Vers 11-12 ans je découvre Led Zeppelin, Pink Floyd, toute cette scène rock et tout ça se mélange avec ce que je découvre à l’école. En plus à ce moment-là, il y a eMule et les premières clés USB MP3. Je me rappelle j’en avais une, il y avait 265 mégas, tu mettais 14 ou 15 sons, pas plus. [Rires] Ceux qui avaient la 512 ils étaient bien ! C’est pour ça que j’ai du mal à un peu cibler les premières choses que j’ai écoutées parce qu’il y avait plein de choses qui me faisaient kiffer. C’est con mais Jean-Jacques Goldman j’adorais quand j’étais gamin. Je suis allé le voir en concert avec mes parents. Aux arènes de Béziers [Sourire]. Henri Salvador aussi !
A : Dans le rap que tu nous as cité, il y a beaucoup de rap US. Tu écoutais aussi du rap français ?
P : [Il réfléchit] Je pense qu’en vrai je m’intéresse vraiment au rap français à l’entrée du lycée. Et c’est aussi une période où je me prends plein de choses en même temps niveau musique. On devait être en 2005-2006, et Ed Banger était en train d’exploser. Un de mes premiers concerts d’ado c’est Justice. Mais j’ai aussi vu Gojira en concert. J’écoutais plein de trucs différents ! En gros je me prends tous les trucs d’electro, je traîne aussi sur MySpace, je tombe sur OrelSan, j’ai des potes qui écoutaient par ailleurs la Scred Connexion… C’est pour ça que j’ai du mal à tout situer temporellement. Putain mais je suis un fou furieux, il y avait MC Solaar ! MC Solaar je l’écoute dès le CM2. « Solaar Pleure » tourne en boucle à la radio et je me l’écoute en jouant à la console avec des potes. Je suis fils unique, donc je n’ai pas eu le délire du grand frère qui te fait découvrir des trucs, j’ai écouté plein de choses un peu par hasard.
« Ce qui me plaisait énormément et ce qui me plaît toujours aujourd’hui, c’est le minimalisme. »
A : On est sur une période où tu joues du piano classique au conservatoire. À côté de ça, tu te passionnes pour l’électro, le rap, le rock. Il n’y avait pas un paradoxe ?
P : Complètement [sourire]. D’ailleurs le conservatoire m’a fait chier au bout d’un moment. D’un point de vue créatif le conservatoire ça peut être frustrant : tu apprends énormément de théorie musicale, mais à la fin de ton parcours tu es juste un interprète. Et ça me rendait fou de me dire que ça faisait tant d’années que je savais jouer du piano avec une bonne technique mais qu’à côté de ça, on me foutait avec deux potes dans une salle, j’étais incapable de jouer. Quand j’ai fini mon parcours classique, on m’a proposé de partir en conservatoire national pour continuer à élever mon niveau. Et j’ai dit non, et je suis parti dans des classes de jazz. Mon objectif dans ma tête c’était de faire du surf sur un piano. [Sourire] La classe. Là j’ai 14-15 ans. Et c’était trop bien. La liberté. En deux ans je rattrape un niveau fou.
A : C’est le jazz et l’improvisation qui t’ont donné envie de faire ta propre musique ?
P : À fond. J’ai commencé à faire de la musique sur un ordinateur l’année où j’ai raté mon bac. Ça ressemblait à rien, c’était de la débrouille de l’extrême : j’avais un piano électronique que je branchais sur une carte son, avec un adaptateur jack, ça crissait, et j’enregistrais sur Cubase.
A : Ça ressemblait à quoi ?
P : Ça ressemblait à rien poto [rires] J’essayais de mettre un truc à peu près en boucle avec des batteries complètement éclatées dans mon piano électronique, et j’essayais de faire une sorte de morceau en jouant par-dessus. Ce qui est marrant c’est que j’avais vraiment une approche de musicien, il fallait vraiment que je fasse les 3 minutes en entier. Non-stop. Sans aucune faute ! [rires] Aujourd’hui tu te rends compte que dans un studio ça ne fonctionne pas du tout comme ça. C’était un genre de hip-hop jazz bizarre mais un peu Saint-Germain-des-Prés café, un peu lounge ! C’est con mais dans les intentions, ça ressemblait à la musique que j’aime aujourd’hui. Même si dans la forme ça n’a plus rien à voir, à l’époque ce qui me plaisait énormément et ce qui me plaît toujours aujourd’hui, c’est le minimalisme. C’est aérien, il y a très peu d’éléments, c’est pas démonstratif, c’est juste là. C’est quelque chose dans l’émotion tout simplement. Et je crois que j’ai toujours aimé ça dans la musique, même si évidemment c’est toujours bien dans la musique la violence. Je suis un peu de l’école less is more.
II. Lyon et la scène Soundcloud
A : Tu nous disais que tu es parti à Lyon juste après le bac. Le fait d’aller là-bas, ça t’a ouvert plein de portes ?
P : Exactement. Très vite, mon objectif était de partir le plus vite possible de Béziers, je savais que ça allait me tirer vers le bas sinon. Je suis parti à Lyon et c’était le début du kif.
A : C’est là où tu commences à faire sérieusement de la musique ?
P : Oui, c’est le moment où je chope mon premier Mac pour aller à la fac. Je fais trois ans de fac mais je ne finis pas. La première année je fais du son sans réel but précis et à l’époque je traînais avec deux mecs, dont un qui était à la maternelle avec moi et on s’est retrouvés des années après. C’était vraiment ouf, on a kiffé. Lui et l’autre gars faisaient un peu de rap. Ces deux mecs s’appelaient MC Doodle et Wagger et ils ont fait les Rap Contenders. La première année où on arrive à Lyon, on traîne ensemble. J’apprends à faire des instrus et à enregistrer les autres avec ces deux gars. À une soirée on rencontre un mec un peu chelou qui parle avec une voix aiguë : c’est Jorrdee. On devient potes, et on traîne souvent ensemble, et de là je rencontre plein de gens : Lyonzon, Gouap, Lala &Ce, Freeze Corleone…
A : Il y avait quelque chose qui se passait musicalement à Lyon ?
P : À ce moment-là, quand j’arrive à Lyon en 2011, c’est surtout L’Animalerie. Il y a aussi des soirées open mic. J’y vais avec mes deux potes et on croise des têtes, donc musicalement il y a un truc. Mais Lyon en termes de musique ça a toujours été plutôt musique électronique. Moi je me retrouve un peu entre les deux, j’écoute du rap, mais je vais aussi au festival des Nuits Sonores [festival de musique électronique à Lyon, un des plus important dans le genre en France, NDLR]… En vérité, la plupart des personnes qui se retrouvent à écouter du rap et qui sont aussi dans l’univers Nuits Sonores, ce sont des personnes alertes à ce qui se fait dans les musiques hybrides. Mais rap et electro ne se sont jamais trop mélangés en ville.
A : Du coup est-ce que c’est pour ça que tu crées True Lyon Crew ?
P : Ah mais putain t’es un bon ! [rires] True Lyon Crew ça se passe en même temps que la période où je vagabonde avec mes potes du rap. Quand j’étais à Béziers, j’allais pas mal en soirée, et j’avais deux trois potes qui organisaient des soirées à Montpellier. On va dire que c’était les premières soirées que j’ai faites. Au moment où je me retrouve à Lyon, un de ces potes décide de venir à Lyon et décide de s’installer là-bas. Il vient, un deuxième arrive, ce même pote ramène d’autres potes et on se retrouve à être une grande bande à Lyon qui aime la musique électronique et qui va en soirée. Lors d’un after, on se dit que ce serait marrant de fonder un collectif. Moi à l’époque je ne sais pas mixer, je suis juste embarqué par des potes qui sont chauds, et à ce moment-là il se passe plein de choses. Dans la bande il y a deux ou trois froisseurs comme on dit, des DJs assez qualifiés, et on commence à faire pas mal de soirées. On fait aussi notre propre radio, dans le même style que les Boiler Room, on invite tous les DJs de la ville, on a dû avoir 100 ou 150 invités, puis on mixait chacun notre tour, en discutant avec l’invité.
A : Vous faisiez ça où ?
P : On faisait ça dans notre colloc’ qui faisait un peu plus de 100m carré et on avait tout notre matos au même endroit. Ce qui portait pas mal le crew c’était la passion pour la musique anglaise, le grime, la drum’n’bass, le garage, ça a vraiment été une base importante. En fait, chacun affirmait un peu sa personnalité : il y avait un mec qui tuait tout dans le dubstep qui s’appelait Altazer, un mec qui s’appelait McFly qui était un tueur en drum’n’bass, à côté de ça tu avais Nasty J qui était plus orienté grime-techno bizarre, Sulkap, Nasty J, VoloDM, LeTo et il y avait moi qui était plus trap et hip-hop. Et en même temps c’est le moment où je sors mes trucs sur Soundcloud, avec une vibe trap/R&B très vaporeuse. À nous sept on parcourt tout le spectre de la musique électronique et c’est dingue. C’est par exemple eux qui m’ont appris à mixer. Ça a été un club formateur, franchement, j’ai appris trop de choses. Vu qu’on était les petits jeunes de la ville, on mixait un peu partout à Lyon, on se retrouvait à mixer avec des gens qui étaient des légendes pour nous. Mais quel kiff ! On a passé des années de rigolade ensemble.
A : Donc à ce moment-là tu écoutes toujours du rap ?
P : J’écoute toujours à mort de rap. Surtout je mixe partout. Et dans ce que je mixe il y a quand même pas mal de morceaux de rap. Je ne fais pas que ça mais j’essaie toujours d’en glisser un. Beaucoup de rap US. Et puis il y a ce virage électronique dans la trap avec Hudson Mohawke, Lunice… TNGHT c’était génial. On les a vus à Lyon aux Nuits Sonores on était comme des fous !
A : C’est aussi à cette période que des musiciens commencent à émerger sur Soundcloud. Dont toi, non ?
P : Oui. D’un point de vue temporel, on est en 2012 ou 2013. Je sors un EP en partenariat avec un collectif, le Tom Crew, et il était disponible gratuitement sur cette plateforme. L’EP arrive après ma première sortie chez Soulection qui était un remix de Cassie. J’étais proche de Stwo et c’est lui qui me branche avec Soulection, avec qui il avait déjà bossé. Je sors ça et pas très longtemps après il y a Nothing Was The Same de Drake qui sort. Et ça c’est le traumatisme. Il nous a tous traumatisés.
A : Pourquoi ?
P : C’était trop bien. Musicalement c’était fou. Dans les textures sonores quand tu re-contextualises, Stwo, moi, on fait que des sons où il n’y a rien et on s’y retrouve vachement en écoutant cet album. On se dit que c’est possible de faire des tubes avec ça, on sait le faire. C’est beaucoup trop bien fait et ça communique trop d’émotions. Quand tu passes ton temps à faire des instrus lentes, que tu es à fond dans le r’n’b, que tu samples des petites voix, putain, ça te parle. L’album est fait pour toi. Steven [Stwo, NDLR] il est allé plus loin au point de finir par bosser chez OVO… Mais on a senti avec cet album qu’on faisait quelque chose qui avait du sens. Ça rejoignait la musicalité que j’avais dans mon parcours d’instrumentiste avec l’aspect technique léché.
A : Tu avais envie de faire pareil ?
P : En fait à ce moment-là je n’ai pas toutes les compétences pour faire ce que j’aimerais faire. Donc je me dis « fais ce que tu sais faire ». Et je me suis alors mis à claquer des accords de piano comme je sais le faire, j’ai mis un beat de trap lent par-dessus, et là je me suis dit « C’est ça que je veux faire ». Et c’est comme ça qu’est venu ce truc de musique Soundcloud. C’est aussi comme ça que je rencontre Stwo et plein d’autres têtes. Et on s’est retrouvés à être une belle scène pendant pas mal d’années à développer ce truc. Après il y en a pas mal qui sont partis dans le côté EDM, d’autres comme moi dans le côté producteur, mais c’est vrai qu’aujourd’hui la scène n’existe plus vraiment.
A : Est-ce que tu bossais déjà avec des rappeurs ? On parlait de Jorrdee tout à l’heure par exemple.
P : Jorrdee c’est arrivé bien plus tard. On se connaissait via mes potes rappeurs dont je parlais tout à l’heure mais on ne voulait pas bosser ensemble de suite, je n’étais pas assez prêt pour faire ce genre de chose techniquement et lui se cherchait. Entre-temps je me lance dans ma carrière de musicien via Soundcloud, je me mets à mixer. Et tout le long de cette période avant de bosser avec le rap français je travaille sur des voix que je retravaille sur des remixes, ou alors je pars d’une voix a cappella que je mets sur des prods electro ou future beats. Je pitche les voix tout en bas, et j’en fais une autre interprétation par exemple. Et ça me donne alors plein de techniques que je réutilise aujourd’hui. Par exemple aujourd’hui ça m’arrive souvent de demander un a cappella et de faire mes trucs par-dessus.
« La vie de DJ me fait péter les plombs tellement c’est génial. Et ensuite je me rends compte à quel point ça isole. »
A : On entend beaucoup ce travail sur les voix sur le premier projet Almeria avec Everydayz chez Nowadays.
P : À fond. Ohlala. [Sourire] Tu me parles de trucs… Le premier EP d’Almeria date de 2015. Pour moi ça a été important dans mon parcours : avec du recul, le titre éponyme « Almeria » a été marquant dans la catégorie Future Beats. On me le ressort encore souvent, je le vois toujours dans des playlists. Je trouve ça fou que ce morceau existe encore. Et à l’époque tout le monde parlait de ça, je ne sais pas pourquoi. Mais c’est sûr que ce morceau nous a fait beaucoup de bien avec Everydayz.
A : Vous vous rencontrez comment ? Via MySpace ?
P : Même pas. On s’est rencontrés via Soundcloud, j’étais fan de son taf. En arrivant à Lyon j’essaie de trouver qui fait quoi dans la ville et à l’époque il vit à Lyon. Sur son Soundcloud j’écoute particulièrement un projet qui s’appelle la Summer Tape. On échange quelques messages et je crois qu’un peu plus tard par hasard, on se croise au détour d’un métro. « Mais t’es pas Everydayz »? [sourire] On s’est alors échangé nos contacts. Il se trouve qu’un jour il me contacte par hasard parce que le label Nowadays a un format qui s’appelle Just A Lil Beat dans lequel deux producteurs se rencontrent pour faire de la musique ensemble. Et c’est comme ça qu’on fait Almeria. Il vient deux semaines chez moi et en deux semaines on fait tout. C’était une vraie alchimie. De là ont suivi des DJ sets, et après on s’est posés un peu plus tard pour faire une réédition avec des remixes en rajoutant des voix sur certains morceaux.
A : Comment expliques-tu cette alchimie avec Everydayz ?
P : À l’époque il a déjà bien plus que moi les codes trap, il a toujours été très rap et il m’apporte vraiment ça. Instantanément on se kiffe parce que j’arrive à faire des choses qu’il galère à faire et inversement. On comprend qu’on peut faire instantanément plein de choses ensemble et en deux semaines, on fait presque tout l’album. Et ça, c’est quand même un gros marqueur dans notre carrière parce que ça nous fait faire des dates, etc… Même si je n’aime pas utiliser ce mot, ça nous installe aussi comme des « piliers » de la scène Soundcloud. Le morceau « Almeria » est tellement bien accueilli que c’est trop cool.
A : Tu disais tout à l’heure que tu tournais en tant que Phazz. Tu faisais déjà des DJ sets avant Almeria, en France et à l’étranger ?
P : Oui carrément. Grâce au succès de mes morceaux sur Soundcloud puis Almeria, j’ai eu une vie de DJ. J’ai joué aux États-Unis à South By Southwest, j’ai fait l’Australie, l’Asie, l’Europe, la Russie… de fin 2013 jusqu’à OrelSan. Six mois avant que je travaille avec OrelSan je rentre de tournée asiatique. J’avais fait deux semaines là-bas.
A : C’était comment, la vie de DJ electro ?
P : C’était fatigant. [Sourire] Tu te régales mais en même temps tu es vite déprimé parce que tu es tout seul. Et pour avoir vécu la tournée avec les gars pour OrelSan, j’ai vu les deux choses et je préfère largement la tournée. C’est cool tout seul, mais franchement c’est dur. N’importe quel DJ pourra te le dire. Tu sors de l’avion, tu vas dans une chambre d’hôtel, tu fonces au club, tu te douches, tu repars. Tu passes ton temps dans tes écouteurs, tu prépares tes sets, tu essayes de faire des FaceTime quand tu as le blues, mais c’est souvent pas le bon moment avec le décalage horaire… Au début c’est complètement fou, ça me fait péter les plombs tellement c’est génial, et ensuite je me rends compte à quel point ça isole. C’est con mais quand tu as tout ça qui se met en place, tu vis ta vie, et ton entourage continue à vivre sa vie. Et des fois ça crée un peu des décalages. Et il y a des moments où tu peux te retrouver seul. Vraiment.
III. Le déclic Jorrdee et Orelsan
A : La rencontre avec OrelSan te permet de sortir de cette vie-là justement ?
P : Non, ça c’est avec Jorrdee ! J’adorais le son de Toronto, Jorrdee aussi, et avant de repartir en Asie pour des dates, j’ai une période de pause. À ce moment-là je recroise Jorrdee. On se revoit dans des soirées à Lyon et on se dit qu’on aimerait faire des sons ensemble. Ça fait pas mal de temps qu’on se connaît, on avait tracé notre route et on s’est dit que c’était le moment de faire de la musique ensemble. On fait un morceau, deux morceaux, on voit que ça marche vraiment bien. Il parle avec Rec118, on lui propose de signer, et je le suis dans l’aventure. On fait alors Avant.
A : Tu as appris des choses avec Avant ?
P : J’ai appris trop de choses. Déjà travailler avec un artiste de A à Z. Avant je l’ai enregistré, je l’ai masterisé, j’ai fait les prods. On était enfermés dans mon 15 m² et on l’a fait tous les deux. J’ai appris comment mettre en avant et mixer la voix d’un artiste, comment mixer un morceau de rap, comment mixer un morceau dans des conditions laborieuses aussi. [Sourire] L’album a eu un gros succès d’estime, c’était génial. Malheureusement on n’a pas confirmé, mais ça c’est pour d’autres raisons. Mais ça m’a donné envie de continuer. Un peu déçu quand même parce que je le voyais en haut de l’affiche, j’y croyais dur comme fer. C’est dommage. Mais c’est la vie. Je me dis à ce moment que toutes les choses que j’ai pu apprendre pour ce projet, je les utiliserai plus tard. Jorrdee, c’est aussi un live qu’on met en place. Et je l’accompagne pour jouer les instrus derrière avec une vraie composition live, sans bande, je joue de la guitare, je joue des claviers…
A : Quand tu dis que tu apprends des choses, est-ce que la direction musicale que tu prends sur ce projet ce n’est pas un aboutissement sonore de ton travail musical des années précédentes ?
P : Bien sûr. Mais parce que c’est Jorrdee qui était ouvert à ça. Limite parfois il me disait d’aller plus loin. Ça a été une chance de travailler avec quelqu’un d’ouvert là dessus.
A : Il y a une production sur cet album sur laquelle tu as la sensation d’avoir vraiment été au bout de ce que tu voulais faire ?
P : Il y en a plein. « Maméne » je l’aime beaucoup. Tout comme « Roulez jeunesse ». Mais en vrai j’aime tout l’album. « California » c’est le même délire : quand on commence on n’a pas du tout l’idée du sample, c’était tout un cheminement… Je pense qu’honnêtement, ma plus grande fierté ça a été d’avoir fait cet album dans son entièreté. Aujourd’hui quand je le réécoute je me dis « wow ». Et il y a peu de choses dans ma musique où je pense comme ça. Bon, récemment un peu plus. [Sourire] Mais cet album rassemble tout ce qu’on a voulu faire, et sans cet album…
A : OrelSan ne vient pas te chercher ?
P : Pas forcément ! OrelSan vient me chercher via un article sur le site Pigeons & Planes. Il m’envoie alors un message sur Twitter en anglais. [Rires] Il était tombé sur un remix de MØ que j’avais fait. [Artiste danoise, NDLR] Je lui envoie alors des instrus, mais pendant un petit moment rien ne se passe vraiment…
A : Dans quel état d’esprit es-tu à ce moment-là ? Tu vas repartir en tournée pour faire des DJ sets ?
P : Au départ c’est ça oui. Mais d’abord j’essaye de défendre un peu Avant sur scène avec Jorrdee, on fait les Inouïs du Printemps de Bourges… Et puis finalement la scène ça ne chauffe pas trop Jorrdee. Et là je me dis que je vais reprendre les DJ sets. Au même moment OrelSan m’envoie un nouveau message : il me dit qu’il a presque terminé son nouvel album et qu’il aimerait bien que je vienne travailler dessus. À ce moment-là on se parle depuis déjà un peu plus d’un an je crois. OrelSan me demandait de lui envoyer des trucs mais il ne s’était pas passé grand-chose. Il trouvait que mes prods étaient cool mais il n’arrivait pas vraiment à poser dessus. C’étaient des prods à la Soundcloud, elles étaient bien mais elles étaient trop chargées. Erreur typique des producteurs électro qui veulent faire du rap [sourire]. Et, là il m’appelle en demandant si je suis chaud pour donner un coup de main pour terminer son nouvel album. Au départ je dois rester deux jours. On fait « La Lumière », et on s’entend hyper bien. Finalement on continue à bosser, et on fait d’autres morceaux, on finit par faire « Défaites de familles », « Christophe », « Dans ma ville on traîne ».
« Je devais rester deux jours avec l’équipe d’OrelSan, au final je suis resté deux ans et demi. »
A : Est-ce que tu sais pourquoi OrelSan et Skread voulaient t’avoir pour la fin de l’album ? Qu’est-ce qui leur manquait ?
P : D’après ce que j’avais compris à l’époque, ils voulaient un truc de sonorités. Avoir les kicks de batterie qui défoncent bien… Il y avait certains morceaux avec des codes un peu actuels où Skread avait l’impression que, s’il le faisait lui, ça sonnerait un peu daté. C’était juste un truc d’esthétique, pour utiliser les sonorités du moment, mettre le truc au bon endroit. J’ai dix ans de moins que Skread, donc son école n’est pas la même que la mienne, je fais des choses que lui ne fait pas et inversement. C’était vraiment une question de production de « jeune ». Il voulait voir ce que ça pouvait donner et prendre ce qui allait l’intéresser dans les morceaux. Et finalement on s’est tous très bien entendus. Je devais rester deux jours et au final je suis resté deux ans et demi. Ils ne m’ont jamais lâché. Et moi non plus d’ailleurs. [Rires]
A : Est-ce que tu te souviens de la première fois où tu entends La Fête est finie ? Quelle est ton impression ?
P : Quand je débarque ils me disent « Voilà on a fait tout ça, on sait pas trop quoi en penser ». Petite période de doute : ça fait un an et demi qu’ils ont la tête dedans et ils attendent un regard extérieur… Le premier morceau que j’entends c’est « Basique ». Et le premier truc que je me dis c’est « Oh les bâtards ». [Rires] Mais à ce moment-là ils n’y croient pas trop parce qu’il me semble qu’il y a pas mal de réticences sur ce morceau. Son entourage pense un peu qu’il essaye de faire un jeunisme un peu bizarre, mais en fait pas du tout. Il y a une magie dans ce titre, une efficacité redoutable. C’est trop bien écrit. Et c’est la formule où Orel’ est le plus efficace : punchline un peu piquante, simple, efficace, gimmick au max. Et c’est même devenu une expression ! Donc déjà j’écoute ça, je me prends une baffe. Ensuite ils enchaînent avec « Tout va bien ». Dans ma gueule ! [Il fait semblant de tomber de sa chaise, NDLR] Je tombe. [Rires] « Mais vous êtes des fous les mecs ? Mais là vous doutez ? » Sur le moment, je suis comme un fou. Je sais que l’album va être très costaud. Et de là s’ensuivent dix ou quinze jours de studio où on finit tous les morceaux. « Basique » sort en octobre, l’album en novembre, donc rendu en septembre, et moi je les vois fin août. On est hyper speed, il y a énormément de stress. Mais au final tout va vite. Disque d’or en trois jours. Platine en à peine une semaine. C’est un truc de fou. Sur le moment on ne comprend pas, mais c’est génial. Et je me retrouve aspiré là-dedans : tournée direct, donc on part en résidence.
IV. La vie en tournée et Épilogue
A : Comment est-ce que tu te retrouves à partir en tournée avec OrelSan d’ailleurs ?
P : Ça s’est fait par hasard pendant l’enregistrement de l’album ! Je me balade dans le studio à un moment et il y a un piano. Je me mets dessus, et OrelSan me voit. Il me dit « Putain mais tu joues du piano ? ». « Bah oui ». « Ah c’est marrant parce qu’on cherche un pianiste pour la tournée. Tu veux pas venir ? ». Je me dis « Wow ». [Rires] J’ai un petit coup de pression mais je dis oui.
A : Ça te fait quoi de te retrouver sur scène aux claviers ?
P : Je suis comme un fou. En vrai il y a un sentiment particulier. Et parmi les autres feelings comme ça, on joue au Zénith de Montpellier dans les premières dates. Mes parents sont dans la salle. Et la dernière fois qu’on était ensemble dans cette salle, c’était quinze ans avant pour aller voir Henri Salvador quand j’étais enfant. On n’était pas du tout retournés tous les trois là-bas depuis que j’étais gamin. Et on y va à nouveau quand je monte sur scène. [Sourire] Et histoire d’en rajouter dans la thématique de la vitesse et de la dernière minute, au moment où on fait la résidence pour préparer la tournée, j’ai Ablaye et Orel’ qui viennent me voir en me disant :
« Du coup les premières parties ça te branche pas ? »
« Attends, les première parties, tu veux dire une seule, sur une date ? »
« Non, non, non. Toute la tournée. »
[Il soupire en riant]
Et je me retrouve à faire quinze ou vingt premières parties en plus des Bercy pour les concerts d’OrelSan.
A : Comment est-ce que tu te prépares à ça ?
P : Au moment où il me dit ça, j’ai dix jours, c’est pas des conneries. [Rires] Bon allez peut-être quinze jours. Pour préparer un live de trente minutes. En entier. Franchement pression. Donc j’ai passé dix jours bien enfermé. Et en plus c’était pas pareil pour moi : j’avais déjà l’expérience de jouer sur scène mais pour d’autres. Surtout, il fallait jouer en première partie, pour des gens qui ne t’attendent pas du tout. Mais j’ai beaucoup appris avec ça. Tous les soirs il y a Orel’ qui est derrière et qui regarde, il me donne des retours. « Ça c’est pas bien », « ça c’est bien ». Même parler au micro, en vérité, je ne savais pas le faire. Juste dire « Bonsoir », « Tout le monde va bien ? », « Je m’appelle Phazz », « Faites du bruit pour OrelSan »… T’es obligé, sinon ça ne marche pas. Et ça j’apprends à le faire. Surtout que je suis un mec timide à la base… Mais c’est con, parce que même la façon de tenir un micro, je ne savais pas le faire. Orel’ me disait « Mais pourquoi tu tiens ton micro comme ça, on t’entend pas ? ». Et je couvrais en fait la cellule du micro sans faire exprès. Donc c’est des choses que j’apprends au fur et à mesure des dates, centre de formation total.
A : Tu te mettais plus en danger sur les premières parties que sur le concert ?
P : Non les deux. Moi dans ma tête, même en ayant fait mes tournées en tant que DJ ou mes concerts, j’arrive sur la tournée d’OrelSan en me disant « t’es qu’une merde ». [Rires] “Ces gens tournent depuis des années, il font des trucs démesurés, on n’est pas dans la même échelle, ferme-la et observe.” Et j’ai passé tout mon temps à faire ça pendant plus de deux ans.
A : Et tu as trouvé le temps de faire un deuxième album avec Almeria.
P : Oui. Et des prods. Et Épilogue ! J’ai fait « RR 9.1 » pendant la tournée. La tournée ce n’était pas non-stop, il y avait des pauses de quelques semaines. On faisait deux mois de Zéniths, une pause, des festivals, une pause… En vrai je n’ai pas trop réfléchi. Au bout de deux ans et demi j’ai commencé à être un peu sur les rotules et j’ai pris un peu de temps pour me reposer. Mais sur le moment je ne réfléchis pas, je me dis juste qu’il faut y aller. J’ai trop de chance de vivre tout ça, donc faut qu’en aucun cas que je rate ça. Il ne faut pas passer à côté, et si je ne l’avais pas fait j’aurais été complètement débile. Il y a plein de gens talentueux qui auraient aussi pu le faire et c’est tombé sur moi. Il fallait que je respecte ça. Et que je sois à la hauteur de ce qu’on me propose. Et aujourd’hui je pense encore comme ça parce que la route est longue.
A : Entre 2016 et cette époque de la tournée tu as sorti pas mal de singles en solo. Ces morceaux, c’était une cour de récréation, un laboratoire pour toi ?
P : Oui bien sûr. Je me suis très vite retrouvé confronté à cette super nouvelle qui est que j’allais faire la première partie d’OrelSan et donc je me suis mis à composer. J’avais déjà de la matière, j’ai un peu pioché là-dedans, composé de nouvelles choses, et vu comment le public d’Orel’ réagissait. En vérité, c’est complètement couillu de mettre une première partie comme moi de sa part, tout le monde s’attendait à quelqu’un qui rappe. Et on me voyait arriver et je faisais des instrus. [Rires] Mais c’est vrai que ça a été un test pour voir ce que je pouvais proposer, les limites aussi de ça, je suis jeune et j’en apprends tous les jours, donc ça a été une façon de ne pas laisser dormir de la musique sur mon ordinateur. C’était des sons assez ancrés dans une période de ma carrière musicale, je voyais que j’évoluais et je ne trouvais pas ça cohérent de sortir plus tard. Et vu que je les jouais sur scène, il fallait que les gens qui voyaient ça en concert puissent les écouter ensuite.
A : Il y en a un en particulier qui te plaît en termes de direction musicale ?
P : Tous du coup. Je trouve qu’ils ont tous leur brillance à leur façon, il y a quelque chose qui m’attendrit pour chacun d’eux. Bizarrement chaque titre dévoile assez bien ce que j’aime. On voit mon influence rap, tout ce que j’aime dans la musique électronique, le fait que j’aime travailler les voix, le minimalisme, et parfois quelque chose d’orchestral et cinématographique. Chaque morceau a son angle d’attaque que je chéris particulièrement.
A : Tu es plus impliqué sur Épilogue de OrelSan. Qu’est-ce qui a le plus nourri l’album selon toi : ton apport personnel ou l’énergie globale de la tournée ?
P : Je dirais que c’est un peu des deux. Par exemple pour « Adieu les filles » on a clairement utilisé les pistes qu’on jouait en live. C’était vraiment ce qui sortait de la console de l’ingé son quand on jouait sur scène. On a pris la meilleure version et on l’a mise sur l’album. Mais en même temps je pense que j’ai un peu apporté ma petite touche. En vérité c’était tellement en accord avec ce que les gars aiment que ça paraissait naturel. Quand tu parles de grime avec Skread et Orel’ ou de musique UK ils ne sont pas perdus, toute la musique anglo-saxonne en général. Ce sont des mecs calés et tu peux parler de rap pendant des heures avec eux. Et de n’importe quel autre style en vrai. Donc ça laisse de la place à pas mal de libertés. Je pouvais donc proposer plein de choses variées et on gardait ensuite le meilleur. Surtout que Épilogue était plus un projet de kiff. Il y avait moins de barrières, on était moins dans la recherche de chansons intemporelles. On était plus là pour se faire plaisir, faire quelque chose de plus spontané, avec du kickage.
A : On sent qu’OrelSan se fait plus plaisir à rapper oui.
P : Orel’ se fait plaisir à fond. Et c’est ce qu’ils voulaient avec Skread dès le départ. Et mon travail c’était souvent de réactualiser ce qu’avait fait Skread. J’ai plus accompagné Skread que j’ai pu le faire sur La Fête est finie parce que j’étais là au départ des titres. En général avec les gars ça fonctionne un peu toujours de la même façon : j’envoie des prods, Orel’ aime ou pas, et s’il aime, il fait des trucs dessus et on avise. À côté de ça il y a toute la partie de travail d’Orel’ avec Skread qui est le cœur du truc. Ils avaient tellement une idée précise de ce qu’ils voulaient faire dès le départ qu’ils savaient très bien où ils voulaient aller avec cette réédition.
A : Orel’ a d’ailleurs parlé de son « mini stud », qui était un petit studio qu’il avait dans le tour bus pour Épilogue. Tu t’en souviens ?
P : [sourire] Absolument. Il est vite arrivé avec sa petite valise en nous disant « Vous savez quoi les mecs, moi aussi je vais faire du son, et on va trouver une solution pour bosser sur la route parce que c’est trop cool de faire ça. » Il avait fait ça dans la même optique que ce que je vous disais tout à l’heure : travailler sur la tournée, être restreint par pas mal de contraintes et en tirer au final des avantages. À son concert au Zénith de Montpellier, Orel’ a par exemple enregistré son featuring avec Lefa. Et je pourrais t’en sortir plein d’autres. En vrai on transformait très vite les loges de Zéniths, en quelque chose d’autre, parce qu’on avait tous un petit kit de voyage. On était dans la volonté d’avoir quelque chose de facile, portable, qui nous permette de faire de la musique très facilement, très rapidement.
V. Oxmo, Koba, SCH et le rap français
A : Tu parlais d’Eddy Purple tout à l’heure. Tu as travaillé avec lui sur le dernier album d’Oxmo Puccino. Comment est-ce que tu as eu l’opportunité de travailler sur cet album ?
P : Tout simplement à travers la tournée d’Orel’. On se rencontre avec toute l’équipe et je rencontre les autres musiciens dont Eddy Purple. On s’entend tous très bien très vite et on ne va pas se mentir, le fait qu’avec Eddy on fume tous les deux des cigarettes aromatisées nous a noué un lien assez rapidement [rires]. Donc on s’est très vite retrouvés aux pauses-café pour discuter de sujets divers et variés, et on s’est vraiment bien entendus. Il m’a alors très vite proposé de l’accompagner dans la réalisation de l’album de Oxmo. Et ça, ça s’est passé durant la première année de la tournée. On devait sortir l’album un an plus tôt, mais les choses ont fait qu’on était un peu trop juste et l’équipe d’Oxmo a préféré repousser la sortie. En vérité, on commence à travailler sur l’album très tôt.
A : Il y a une couleur sur cet album d’Oxmo, très organique, chaleureuse. Il y avait une direction musicale définie très clairement ?
P : C’est quelque chose qui était déjà là dès le départ. Parce que Eddy comme tu l’a souligné c’est quelqu’un qui touche à tout, qui est guitariste, pianiste, il fait de la trompette, et forcément ça fait partie de son identité musicale. Donc quand on commence à créer les morceaux ensemble, c’était ça : « Le droit de chanter », « Horizons sensuels »… Au moment où moi et Eddy on se parle, il est intéressé par la sonorité rap moderne que j’ai, un peu patate. Et ça l’intéressait de ramener ça sur les morceaux d’Oxmo. Donc on a déjà commencé par faire ça, ajouter cette touche plus rap que chanson dans l’énergie, ce qui a plutôt bien fonctionné. Rythmiquement et instrumentalement on a modifié ça pour l’emmener vers un autre univers. On s’est un peu laissés porter par nos envies, on m’a fait confiance aussi, on m’a laissé pousser le curseur loin. Par exemple « Ali Baba » qui est un titre ovni pour moi ça s’inscrit là-dedans : on l’a poussé un peu loin, mais si tu ne pousses pas assez loin le côté ovni, ça ne pas fonctionner. J’ai l’impression que dans n’importe quelle direction musicale, si tu ne vas pas au bout de ton idée, ça ne sert à rien.
« J’aime beaucoup la musique underground. Et elle peut ne pas être forcément synonyme de musique de niche. »
A : Il y a quelque chose d’intéressant sur cet album-là, c’est le côté synthèse entre la chanson française et le côté rap que tu sembles avoir amené.
P : C’est une discussion qui est très vite arrivée entre Eddy et moi. Je lui ai clairement dit que moi en tant qu’auditeur, un nouvel album d’Oxmo j’ai envie que ça soit du rap. Du coup on a fait « My Life ». Et on a essayé de tirer un peu vers là, « Peuvent Pas » ça s’inscrit aussi là-dedans, « 10 000 », « Parce que la vie » ou « Social Club »… En fait je trouve que tu soulignes un truc qui est vrai, c’est que peut-être d’une façon inconsciente au début, mais qu’on a vite comprise, on a su que c’était ça qu’il fallait qu’on fasse. On ne voulait pas non plus mettre de côté son amour de la chanson, parce qu’il est fort là-dedans, mais peut être que des fois il n’imagine pas certaines choses, alors qu’on peut jouer avec les esthétiques, en faisant des clins d’œil à l’auditeur, sans être non plus dans un compromis total. Pour parler avec mes mots de jeunes, je pense qu’en général il y a toujours moyen de mettre une douille. J’ai toujours fait de la musique pour que les gens l’écoutent. Mais j’aime beaucoup la musique underground, et elle peut ne pas être forcément synonyme de musique de niche. Ça peut aussi être une musique populaire.
A : À côté de ça, tu te mets à avoir envie de travailler avec le rap français en tant que producteur. Tu commences à vraiment placer des prods.
P : Oui effectivement. Je me laisse prendre dans le mouvement, sans avoir la démarche de vouloir absolument placer des prods. Cette école de faire des dossiers et d’envoyer des prods je n’ai jamais été là-dedans. Dans ma tête je veux juste faire de la musique, et à ce moment-là je suis toujours un artiste de Soundcloud dans ma tête. Sauf qu’en France il y a un truc très concret, les choses prennent à ce moment. Je n’envoyais pas des mails dans le vide, et le fait de faire partie de l’entourage d’Orel’ ça a fait avancer énormément de choses. C’est bête mais je ne sais pas si autant de personnes m’auraient fait confiance si je n’avais pas bossé avec lui. Surtout que Orel’ ne s’est pas du tout caché de parler de moi pendant la promo de l’album, de souligner que j’avais bossé avec Skread dessus, et ça a créé un cercle vertueux.
A : C’est par ce biais-là que tu te fais donc inviter à la résidence de Koba ?
P : Oui et d’ailleurs “RR 9.1”, c’est la première production que je signe tout seul avec un artiste établi. Épilogue sort bien après, et il n’y a que sur Épilogue que j’ai quelques morceaux que j’ai fait tout seul, sinon je travaillais avec Skread. Et pour les artistes où j’étais seul à la compo par la passé, c’était des artistes plus dans mon entourage comme Jorrdee, donc je ne le voyais pas comme un placement, mais comme du son avec mes potes. Mais en tout cas « RR 91 » c’est le premier titre que je place après Orel’. Je m’étais fait contacter par son éditeur, que je connaissais un peu, c’était la même personne avec qui on avait signé Avant de Jorrdee chez Rec118, et j’avais dit dans une séance de questions-réponses sur mon Instagram que j’avais envie de bosser avec Koba. Il voit ça et me dit qu’ils vont faire un séminaire bientôt, en me proposant d’y passer. Du coup j’y vais avec un autre producteur qui s’appelle Sam Tiba, et on se retrouve dans cette villa à faire deux journées. En fait avant d’y aller je fais quelques instrus histoire de ne pas arriver les mains vides pour présenter quelques trucs. Donc j’en fais quelques-unes dont celle de « RR 91 » l’après-midi avant de partir. J’ai fait écouter ça à Koba et son équipe et ça a été instantané en fait. On s’ambiançait tous, tout le monde était grave chaud, et ils l’ont mise direct de côté. Je reçois ensuite le titre, je suis super content. On me dit aussi qu’il va y avoir un clip. Mais pour l’instant il n’y a pas encore de Niska dans l’histoire. Et le morceau sort. Sauf que le jour de la sortie, ils retirent le titre des plateformes parce qu’il y a une phrase polémique dans un de ses couplets. Et le morceau a été très vite retiré. Donc pour moi, petit coup dur sur le moment. Et là il ne se passe rien pendant deux semaines. Jusqu’au jour je reçois un texto tardif : « Est-ce que tu peux nous renvoyer les pistes de l’instru s’il te plaît ? ». Puis pareil pas de nouvelles. Quelques jours plus tard, mon pote Romain m’appelle en me disant « Je veux pas t’enflammer, mais Niska est sur le morceau, du coup on va le ressortir et il s’appellera RR 91 ». Je l’ai écouté et j’étais comme un ouf. Les gens attendaient tellement ce feat à ce moment-là que c’est sorti au bon moment, de la bonne manière. Ils se complètent trop bien sur ce morceau.
A : Tu avais des inspirations musicalement pour cette prod’ ?
P : Absolument, j’en avais déjà parlé avec Raphaël dans La Prod’, dans ma tête je voulais faire un morceau comme le freestyle « Ténébreux #1 ». Et c’est vraiment un coup de bol parce que quand j’entends le morceau pour la première fois j’ai senti qu’il avait tout capté par rapport à cette idée. C’était un morceau qu’il fallait faire, un morceau rap vrai et puissant. Donc je voulais faire ça. Quand je vois Koba je lui fais donc écouter que des bastos comme ça.
A : Je me souviens avoir été étonné en voyant ton nom à la prod’ de « RR 9.1 ». On est très loin de ce que tu faisais sur Soundcloud il y a quelques années. Est-ce que tu as fait évoluer ton son, pour qu’il soit plus compatible avec le rap français ?
P : Je comprends ce que tu veux dire, mais Soundcloud ça reste juste une vitrine de ce que je fais. Il y a des choses durant mon époque Soundcloud que je n’ai pas sorties. Mais ce qui est sur c’est que je suis arrivé à un moment où j’avais aussi envie de faire des trucs plus sombres dans ma musique. Je passais beaucoup de temps à vendre mon côté sensuel, musique sexy, et à un moment ça me soûlait un petit peu. Donc je me suis mis à faire pas mal de trucs un petit peu dans cet esprit plus sombre. Ce que je veux souligner par là c’est qu’en réalité j’ai toujours fait des choses complètement différentes. C’est sûr que sur Soundcloud on m’a connu pour quelque chose d’assez défini, de la musique plutôt « chill », mais en vérité j’ai toujours kiffé faire autre chose. Mon seul souci à l’époque c’était de savoir comment proposer le reste de ma musique sans choquer les gens. Parce que quand les gens te découvrent pour une sonorité, ils veulent la même chose par la suite. Et j’en avais bien conscience. Donc je peux comprendre le côté surprenant au moment de sortir « RR 91 ». Mais même si je ne sortais pas mes morceaux vénères c’était des outils pour mixer, ça me permettait de changer de genre en DJ set, aller vers un petit ScHoolboy Q, pour faire l’entre-deux. Mais j’ai toujours kiffé ça.
A : L’autre étape importante, pour toi, c’est « R.A.C » de SCH.
P : Oui. Je connais l’équipe de Rec118 depuis l’époque où on avait signé avec Jorrdee et ça faisait pas mal de temps qu’ils me disaient que ça pourrait être bien qu’on fasse quelque chose ensemble avec SCH, et j’avais envoyé des prods, on s’était échangé les contacts avec Guilty. Ça a pris du temps, et suite à la sortie de « RR 9.1 » ça s’est accéléré. Ils m’ont contacté en me disant qu’ils cherchaient un titre aussi percutant. Donc oui j’ai ressenti un avant et un après avec « RR 9.1 ». Je me retrouve à envoyer des prods dans cet esprit-là, SCH pose sur une première, mais ça ne me convenait pas. Du coup j’ai demandé au S de récupérer l’a cappella, et j’ai refait toute la prod’. Je viens de l’école des remixes et j’adore bosser un a cappella tout seul. Je prend l’a cappella, je le sors de son contexte, et j’en fais autre chose. Par exemple, les cris de SCH au tout début du morceau, je les ai calés moi. Même la structure du morceau n’était pas identique. Il y avait déjà les couplets, le refrain, mais c’était pas placé au même endroit. Je me suis aussi amusé à découper des backs à lui, à les placer à d’autres endroits, en faire des ambiances. Dans ma tête je voulais remettre le côté impressionnant des backs qu’on peut retrouver chez certains rappeurs comme A$AP Ferg, avec une grande reverb’.
A : Justement, est-ce que tu n’as pas une crainte ou une appréhension, qu’on vienne te chercher pour faire des « RR 9.1 » ou des « R.A.C » ?
P : Ce n’est pas une crainte, on vient me chercher pour ça ! [rires] Mais j’ai de la chance, il y a des gens en maison de disques qui sont conscients que je suis capable de faire plein d’autres choses. Que ce soit dans mon boulot avec Orel’, ou avec Sônge, ou Lyonzon. J’ai de la chance. Mais par contre effectivement quand ce sont des artistes très étiquetés rap ils viennent me chercher pour ça. Donc à moi d’essayer d’aller vers ce qu’ils recherchent tout en essayant d’y ajouter quelque chose de nouveau ou de différent. Mais j’alarme toujours sur le fait qu’un « casse », ça ne se fait pas forcément deux fois. Pour moi « R.A.C » a un peu ce côté « RR 9.1 » qui marche très bien avec le S, et jamais de la vie on comparera les deux prods. Mais au début on m’avait demandé une prod’ type « RR ». Donc évidemment je suis pas fou, je me doute bien que quand tu fais un son qui défonce tout le monde vient te chercher pour ce son qui défonce. C’est un risque parce que tu peux t’enfermer là-dedans, et du coup j’ai de la chance d’avoir des gens autour de moi qui me font prendre conscience de ça. Je donne aux gens ce qu’ils veulent, parce que ce n’est pas intéressant non plus de toujours prendre les gens à contre-pied. Mais à moi d’être intelligent et de proposer quelque chose d’un peu différent.
A : D’ailleurs, tu sens que tu as besoin de travailler parfois sur des projets qui sortent du rap ? Je pense notamment à Woodkid récemment.
P : Oui Woodkid c’est vrai qu’on n’en parle pas assez. À fond. Ce sont des projets que je ne peux pas m’empêcher de faire parce que ça fait aussi partie de mon son. Quand tu entends Woodkid et mon morceau « Heartbreaks » tu vois pourquoi on s’est bien entendus. C’est pas fondamentalement la même chose, mais on aime bien les côtés un peu musique à l’image les deux, ça me plaît aussi. Et je ne pourrais pas m’empêcher de le faire. Ce n’est pas parce que je m’éclate à faire des sons hyper efficaces que je m’interdis de faire des choses un peu plus recherchées. Sachant que la simplicité ne veut pas dire que c’est pas recherché. Certes une prod’ un peu « RR 9.1 » c’est pas la prod la plus compliquée sur le papier. Mais en vérité il faut la trouver.
VI. La Méthode Phazz
A : Musicalement, quand tu travailles des prods, comment est-ce que tu procèdes ? Tu cherches la texture, l’accident ?
P : En général j’aime bien l’émotion de la mélodie, ce qu’elle dégage. De là, ensuite, soit je la texture, soit je prends des textures et j’essaie de les emmener dans un univers. Mais en tout cas le départ c’est toujours la mélodie. Pour moi, un truc qui défonce c’est une mélodie toute seule.
A : Est-ce que ça veut dire que tu démarres beaucoup sur les claviers ?
P : Oui carrément. Vu que je suis pianiste à la base, c’est l’instrument vers lequel je me dirige le plus facilement. J’ai besoin de voir où je veux en venir musicalement, avant même de faire quoi que ce soit techniquement. J’ai besoin d’avoir un petit cadre musical, ça m’aide bien. Et c’est vrai que souvent j’aime bien aussi travailler depuis un a cappella du rappeur, quand c’est possible. J’aime bien faire ça parce que ça me permet de travailler la prod’ de manière bien plus détaillée en fonction de ce qu’a fait l’artiste dessus. Le fait d’avoir l’a cappella sous les yeux ça donne plus d’idées, et je travaille ça un petit peu comme quand je faisais des remixes sur Soundcloud. Ça me permet d’avoir une autre vision sur le morceau, faire des rythmiques qui suivent les rebondissements dans le flow de l’artiste, en tout cas ça va créer quelque chose de beaucoup plus vivant et uni. Au même titre que tu as ça dans les versions live de certains morceaux, avec quelque chose de plus humain qui fait que c’est plus impactant.
A : Cette manière de travailler, en « remixant » un a cappella, elle n’est pas très courante dans le rap français, si ?
P : Non je ne pense pas. En vérité, dans ma tête, si je propose une version différente c’est juste parce que je pense qu’elle est mieux. Il n’y a aucun ego là-dedans, c’est juste que dans ma tête c’est mieux. Après c’est ma vision, peut être que je me trompe. Mais « R.A.C » ou « Peuvent pas » tout le monde a bien aimé, et je pense qu’on peut en trouver d’autres. C’est un truc que je fais souvent en vérité, même pour m’amuser. Et parfois il peut y avoir des bonnes surprises. Tout ce que j’ai appris avec Soundcloud c’est des choses que j’utilise aujourd’hui constamment dans mes morceaux, ça fait partie de ma signature sonore. Les voix pitchées dans tous les sens, je les utilise tout le temps, même cachées, une petite voix pitchée derrière dans un morceau… C’est quelque chose que j’ai toujours aimé. J’aime les voix énormément produites, les voix bien mixées, ça met la chanson à l’honneur. C’est quelque chose que j’ai beaucoup entendu dans la musique de Toronto notamment, avec Drake, et ça transmet vraiment de l’émotion. C’est quelque chose qui me parle.
A : Tu parlais de ton apprentissage sur Soundcloud. Est-ce qu’en tant que producteur, quand tu travailles sur du rap, tes années de musicien électro ont une influence ?
P : Oui à 100 %. Encore aujourd’hui j’ai des synthés analogiques, j’ai un Prophet 6, j’ai un Mellotron, j’aime bien les machines. Sans même parler de ça, dans la façon dont j’utilise les logiciels : par exemple je bosse sur Ableton qui est un logiciel fréquent chez les producteurs de musique électronique, là où les musiciens de rap bossent sur Fruity Loops ou Logic. Déjà ça c’est une première influence, je n’ai jamais changé de logiciel. Et ma façon de produire du rap elle se décline de ma façon de produire de la musique électronique. Mes batteries et mes subs qui sont ultrapatates, ils viennent de la musique électronique, tout comme ce que j’ai appris sur le mixage. Dans l’électro, pour que ta musique sonne en club, il faut qu’elle soit bien mixée, sinon ça ne sonnera pas comme chez toi. Du coup, dans la musique électronique on sait relativement très tôt comment façonner un son de A à Z pour que techniquement ça fonctionne bien.
A : Tu viens de sortir de la musique avec Woodkid et Koba LaD en une semaine, il y a un côté grand écart dans ce que tu fais. Est-ce que c’est quelque chose d’important pour toi ?
P : Complètement. Regarde, cet après-midi j’étais au téléphone avec Camélia Jordana. J’adore ça. Ce qui m’intéresse c’est de faire de la musique qui me plaît. Camélia, elle a une voix dingue j’y vais. Koba LaD il rappe de fou, j’y vais. Et après je vais bosser avec Woodkid, sans aucun problème. Ce qui m’intéresse c’est d’emmener les morceaux là où ils doivent être. Mon meilleur kiff c’est ça : arriver à un produit fini dont on est tous fiers.
A : Quand tu vas sur un projet rap, tu penses que tu ramènes aussi quelque chose d’extérieur grâce à tes autres collaborations et inversement ?
P : Ça dépend. Par exemple récemment j’ai travaillé avec Ibeyi et je les ai ramenées sur un terrain un peu rap, mais aussi parce qu’elles le voulaient. Oxmo, il y avait aussi un peu de ça, j’ai un petit peu ramené ce truc de rap moderne qui n’était pas prévu au départ sur l’album. Je pense que forcément l’un influe dans l’autre, mais j’essaye toujours de faire gaffe au contexte parce que le mieux est l’ennemi du bien, je suis convaincu de cette phrase. J’essaye de prendre le maximum de recul, pour voir où est-ce que je peux piocher dans toutes mes influences et les choses que j’ai pu apprendre, pour ensuite les traduire au bon endroit. La façon dont je travaille avec Camelia Jordana, ce n’est pas la même façon que celle dont je travaille avec OrelSan, qui est différente de celle avec Maes ou Niska. Ça n’a rien à voir.
« J’ai envie de ramener du Phazz de Soundcloud dans ce que je suis devenu aujourd’hui »
A : Tu as déjà un parcours fourni. Est-ce qu’il y a des choses que tu as en tête et que tu aimerais faire ?
P : De la musique de film. J’aimerais trop faire ça, une BO de film. J’ai toujours aimé ça. Même des séries. Être en charge de la musique d’un projet visuel je trouve ça cool. Ou alors faire de la musique de jeux vidéo, ça a l’air cool. En termes de sound design, c’est un truc de fou, ça m’intéresserait de voir comment ça s’articule. Mais disons que d’un point de vue plus concret, le but ça va être de continuer à faire ce que je suis en train de développer, c’est déjà beaucoup. Il faut que je reste concentré, que je ne m’éparpille pas, qu’on m’identifie bien en tant que producteur. Et ensuite j’ai envie de vraiment sortir un projet en solo. J’ai envie de ramener du Phazz de Soundcloud dans ce que je suis devenu aujourd’hui et de faire un vrai projet sous la forme de ce que je suis aujourd’hui et ce dont j’ai envie de faire.
A : Almeria ce n’était pas une première étape ?
P : Un petit peu mais c’était plus une version bêta. Ça nous a permis de tester plein de choses avec Everydayz, de s’amuser, et de faire des choses qu’on n’aurait pas pu faire ailleurs, mais on va dire qu’on a trempé le pied. Mais j’ai envie de vraiment continuer à faire les choses dans l’ordre, ne pas me précipiter. Ce n’est pas encore très clair dans ma tête mais la seule chose que je sais c’est que j’ai envie de faire un projet, avec des artistes. Après est-ce que ça sera un album, des singles, des clips, peut-être une mini série ? J’en sais rien [rires]. Mais en tout cas j’ai envie de ressortir des sons. C’est ça l’envie principale. Sortir de la musique en tant que Phazz.
A : Tu penses que tu vas avoir envie à un moment de revenir en solo ? Refaire de la musique en tant que Phazz tout seul ?
P : [il hoche la tête, NDLR] Oui ça va revenir. Ça va réapparaitre. Sous forme instrumentale, sous forme de featurings, je ne sais pas encore. Pour l’instant j’attends de vraiment enfoncer le clou dans ma place en tant que producteur parce que c’est trop cool ce qu’il m’arrive ces dernières années, donc je ne veux pas que ce soit éphémère. J’aime trop ça, je prends trop de plaisir, c’est trop cool, et j’aimerais que ça me permette d’avoir une certaine crédibilité en tant qu’artiste pour qu’ils aient confiance en moi quand je les invite sur un projet à moi. Pour l’instant j’en suis là. Concrètement il n’y a pas d’action établie, pour une date précise. Mais ça va revenir.
A : Le Phazz de Soundcloud n’a pas totalement disparu.
P : Jamais de la vie. Jamais de la vie… [sourire]. Il faudra me tuer pour ça !
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