Redman en cinq morceaux
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Redman en cinq morceaux

Redman a cinquante ans. L’occasion de se retourner sur sa formidable carrière et d’en tirer cinq morceaux particulièrement marquants.

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En ce 17 avril 2020, Reggie Noble alias Redman fête ses cinquante ans. Et si ses plus beaux jours dans le rap sont derrière lui, le natif de Newark a le mérite de continuer à sortir de la musique écoutable et de rester une référence sur scène. Redman, c’est une carrière qui s’étend sur quatre décennies, trois albums de haute volée, des morceaux classiques à la pelle. C’est surtout un artiste qui, à sa meilleure période pouvait, par sa technique et sa prestance, faire d’un morceau fadasse un banger juste parce qu’il y posait un couplet probablement écrit à la hâte. En somme : l’un des meilleurs à avoir tâté le micro. Tout ça valait bien hommage : voici donc cinq morceaux de Redman qui nous ont particulièrement marqués.

« Bobyahed2dis » (1994)

Dare Iz a Darkside est souvent négligé lorsqu’est évoquée l’œuvre de Redman, y compris par Redman lui-même qui garde un souvenir flou et désagréable de cette période de sa vie. C’est pourtant l’un des sommets de sa discographie, et ce en partie grâce à sa deuxième piste, « Bobyahed2dis ». Produite par Reggie Noble et Rockwilder, elle arrive juste après le prélude du « Dr. Trevis », psychiatre imaginaire du rappeur qui annonce sans équivoque la direction de ce second album : une plongée tête la première dans l’esprit sombre et enfumé de son créateur. Le morceau prend malgré tout son temps : Jeffrey Stewart introduit Redman, le « funkadelic devil himself », qui ne rappe réellement qu’après une minute trente. Mais quelle minute trente ! Des sirènes hurlantes, des basses ronflantes à faire péter les fenêtres, des bruits tout droit sortis de l’espace… Ténébreux, cosmique et psychédélique, le ton est posé pour les dix-huit pistes à venir. Alors quand Redman commence à rapper, comme un Dieu mais avec le diable au corps, c’est presque un miracle qui s’accomplit. Tout son personnage est contenu dans ce seul couplet : funk (la référence explicite au « Atomic Dog » de George Clinton), cartoonesque (Dennis The Menace, Pete Puma), rouleur invétéré (« Go in any hood and puff a blunt with any nigga »), virtuose au micro (« I got game like Ennis ») et grand admirateur de ses pairs de la côte est (Slick Rick, Kool G Rap ou Buckshot, pour ne citer qu’eux). Placé en milieu de disque, « Bobyahed2dis » n’aurait sans doute rien été de plus qu’une carte de visite efficace. Mais placé en introduction, sa dimension devient toute autre. Le travail de mise en scène, la noirceur ambiante – poussée à son paroxysme dès les premières secondes de cette deuxième piste – et Redman au firmament de sa créativité artistique en font l’une des plus grandes ouvertures d’album de l’histoire du rap américain. – David2

Redman - « Bobyahed2dis »

« Rockafella » (1994)

Deux ans après ses débuts tonitruants avec Whut? Thee Album, Redman sort Dare Iz a Darkside, qui est donc son disque le plus sombre et torturé. Une œuvre dont il rechigne à jouer les morceaux en concert, tant ils le ramènent à une période morose de sa vie, faite de dépression et de drogues. « Rockafella » est un peu l’anticlimax de l’album, nommé ainsi en l’honneur d’un collègue rappeur décédé – que l’on entend d’ailleurs brièvement en action sur la piste précédente. Dire que l’ambiance du titre est pesante et poisseuse serait un euphémisme : sur d’inquiétantes nappes de synthé empruntées à Parliament, une lourde ligne de basse et de puissantes batteries, Redman est en mode sourcils froncés, attaquant les imposteurs la bave aux lèvres : « Wanna copy-cat my whole format/So you get funk tracks, punchlines and skull hats/Huh! Got a little Redman in town/Who’s that effin’ clown soundin’ wack with the frown? » Le sample de « I Wanna Do Something Freaky to You » de Leon Haywood qui faisait le sel de « Nuthin’ but a ‘G’ Thang » de Dr. Dre semble tout à coup beaucoup moins appeler à la détente. Comme souvent, Redman déforme sa propre voix en la rendant suraiguë pour se créer une sorte d’alter ego, qui lui répond sur le refrain et clôt le morceau dans une transe macabre. Étouffant. Erick Sermon, peu présent lors de la conception de Dare Iz a Darkside, signera un remix « Rockafella » qui fera apparaître le morceau sous un autre jour, bien moins hostile et âpre. – Kiko

Redman - « Rockafella »

« Whateva Man » (1996)

Ça commence par une inhalation, des gémissements féminins, un refrain, une référence à EPMD ainsi qu’à la chanteuse Teena Marie. Ou aux Fugees, mais peu importe (mec). Puis Redman s’extirpe du brouhaha pour rentrer sur le morceau avec une fluidité incroyable, avant de laisser quelques mesures à Erick Sermon, et de reprendre le micro pour parler en long et en large de son sujet favori : la fumette. « Whateva Man », c’est Redman dans la plus grande forme de sa carrière. Un rappeur qui raconte toujours plus ou moins la même chose, mais avec un tel brio et une telle facilité qu’on l’écouterait des heures sans se lasser. Par ses adlibs, par ses intonations, par sa voix nasillarde, Red capte l’attention et remplit l’espace sonore. Dès lors, pas besoin de production trop touffue : un breakbeat, une ligne de basse bien ronde, les gémissements susmentionnés et le tour est joué. Tout a l’air simple, trop sans doute : gageons que n’importe quel autre rappeur qui emploierait la même formule paraîtrait ridicule au possible. Le propre des plus grands, assurément. Le clip du morceau voit Redman et Method Man s’illustrer dans une parodie du film The Blues Brothers, prémisse de l’humour potache qu’ils développeront quelques années plus tard dans le film How High et dans la série Red & Meth. – Kiko

Redman - « Whateva Man » ft. Erick Sermon

« Let’s Get Dirty » (2001)

Les incursions de Redman dans la musique pop au début des années 2000 sont un peu l’arbre qui cache la forêt : s’il n’a jamais autant touché le grand public, Reggie Noble a alors perdu de sa superbe. Les albums Doc’s Da Name 2000 en 1998 et Malpractice en 2001 ne sont pas au niveau de leurs trois prédécesseurs, et surtout pas de Muddy Waters, sorti en 1996. La faute est imputable à des choix de productions moins avisés que par le passé et à une direction artistique plus hasardeuse. Mais que l’on ne s’y trompe pas : Redman reste un redoutable crameur de micro. Sur « Let’s Get Dirty », il profite d’un mastodonte sonore construit par Rockwilder pour signer un party anthem bestial et imparable. Le ton est donné dès l’intro : « Time to put down the Cristal, time to take off the ice for a minute/Time to throw a little mud in this motherfucker » . Pas de champagne, de carré VIP, de danse lascive. Le Doc se place du côté de ceux qui devront miser sur un malentendu pour rentrer en boîte, n’ayant ni la tronche, ni la tenue qu’il faut. Son flow braillard percute à merveille les claps surpuissants, les synthés stridents agissent comme un shoot de taurine et les hurlements de DJ Kool sur le refrain chauffent encore un peu plus l’ambiance. On brûle des calories rien qu’à l’écoute. Le clip, nerveux et brut, met parfaitement en image ces soirées où il convient d’être ferme sur ses appuis pour ne pas finir piétiné. En 2002, quand elle voudra montrer une facette moins policée d’elle-même, Christina Aguilera ne cherchera pas midi à quatorze heures : elle invitera Rockwilder et Redman pour une version remaniée de « Let’s Get Dirty » intitulée, avec force imagination, « Dirrty ». – Kiko

Redman - « Let’s Get Dirty » ft. DJ Kool

« Dunfiato » (2014)

En 2014, Reggie Noble est dans une phase un peu cahoteuse de sa carrière. Ses années et ses disques de gloire sont vingt ans derrière lui. Le natif de Newark avait débuté sur les chapeaux de roue en 1992 et a gardé du jus jusqu’en 1996 pour trois albums solos de haute facture. La suite allait être un peu plus corsée, mais Redman continuera de sortir des projets sans vraiment trop se soucier de la critique. Alors quand on le voit arriver face caméra, avec un fish eye sentant bon les nineties, sa plus belle chemise à carreaux, des lunettes de soleil à 3 heures 14 du matin, une coupe afro et un mégot de weed dans le bec, on se dit que le come back va être plié en deux-deux : « I need a beat, I need a fuckin’ beat/I don’t need no turn up beat, I need some elements/Some Hip-hop« . La production, attribuée tantôt à Easy Mo Bee tantôt à Kanye West, est limpide. Une petite voix pitchée « à la Rawkus » comme dirait Gérard Baste, de gros drums pour se briser la nuque et Redman, dans le plus grand des calmes, va cracher son freestyle « d’un fiatto« . « D’une traite » pour les non-italophones. Le Funk Doc va encore démontrer, en l’espace de trois petites minutes, que peu de monde lui arrive à la cheville lorsqu’il s’agit de kicker dans les règles de l’art. Quand c’est en plus fait avec la nonchalance funky qu’on lui connaît et cette attitude provocatrice du gars qui vient dépasser les premiers de la classe sans forcer, l’admiration est à la hauteur du charisme du personnage. Sans concessions et authentique depuis « Hardcore » sur le « Business as Usual » d’EPMD, et ce n’est pas un tube avec Pink qui y changera quelque chose. Tenez, pour vous faire une petite idée du talent de Redman, écoutez le morceau « Livin’ a Movie » de Kanye West de 2004, qui utilise le même instru que ce « Dunfiato ». Un peu fade, n’est-ce pas ? Maintenant, vous savez pourquoi Redman est l’un des meilleurs MCs à avoir touché un micro. – JuldelaVirgule

Redman - « Dunfiato »


Bonus

En 2017, Redman et Erick Sermon revenaient pour The Nod Factor sur la série des morceaux « Sooperman Lover », super-héros libidineux incarné par Redman. Chaque album sorti par le rappeur entre 1992 et 2007 compte un morceau relatant ses aventures.

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