Le tempo d’Ayao
Aux confins du milieu rap depuis une vingtaine d’années, Ayao vient s’immiscer dans l’époque avec Supérieur, un premier EP qui sonne comme un défi à l’âge où les carrières se défont. Rencontre avec un étonnant rookie de trente-neuf ans.
Abcdr du son : Il faut d’abord que tu m’expliques un truc. Tu n’es pas dealer, pourquoi tu te trimbales encore avec un téléphone pareil en 2019 [Un vieux Nokia] ?
Ayao : [Rires] Parce que je suis très mauvais en nouvelles technologies. Je suis sans doute un technophobe qui s’ignore. C’est pour ça que j’ai ce téléphone qui a dû tomber au moins cent soixante-dix-huit fois. Il est toujours là, fidèle au poste. Je lis encore des bouquins avec de vraies pages, j’écris encore mes textes sur une feuille, j’aime beaucoup marcher… Je n’ai pas internet, à part quand je suis avec ma compagne. Quand j’utilise mon ordinateur, c’est surtout pour regarder des films des années trente, quarante, cinquante… Je m’intéresse beaucoup au cinéma. J’ai quelques réalisateurs fétiches : Julien Duvivier, Kenji Mizoguchi, André Cayatte, Marcel Carné, Henri-Georges Clouzot… Pour moi, être comme ça, c’est vraiment normal. Ce n’est pas une posture. C’est le regard extérieur des gens qui m’a fait remarquer que c’était de plus en plus rare.
A :Tu as un tempérament nostalgique ?
Ay : Sur certaines choses, oui. Mais pas sur tout. Je dirais plus que j’ai un tempérament classique en fait. Je considère que quelque chose de bien, que ce soit une œuvre d’art ou un comportement, est intemporel. Le mot « à l’ancienne », c’est pour ne pas dire vieux. Et le mot « classique », c’est pour ne pas dire intemporel.
A : Tu viens tout juste de sortir ton premier EP, Supérieur, mais tu rappes dans l’ombre depuis quand ?
Ay : Pour de vrai, depuis 1994. À la base, je suis un mélomane. Mon père collectionnait les vinyles. Il était très éclectique. Ça allait de la soul music du Sud, de Memphis, au son de Philadelphie en passant par le zouk et le reggae. Moi, je me suis vraiment focalisé sur la musique noire américaine de Philadelphie, les productions de Thom Bell, Dexter Wansel, Kenny Gamble, Leon Huff… Ainsi que sur celle de Chicago : Leroy Hudson, Rufus and Chaka Khan, Ramsey Lewis, Earth, Wind and Fire et toutes les productions de Maurice White. Tout ce qui était reggae et musique populaire africaine, j’avais toujours eu du mal. Ensuite, je me suis intéressé au hip-hop, vu qu’il découlait de ces musiques noires américaines.
A : Tu le découvres de quelle façon ?
Ay : En 1988, je vais au Togo, mon pays d’origine. Et mes cousins étaient fans de rap américain. Contrairement à ce que beaucoup de gens croient, la musique noire américaine est très présente en Afrique. Je ne vais pas dire qu’elle prédomine mais ils ont les yeux rivés sur l’Amérique et ont été très en avance sur nous parfois. Aujourd’hui avec Internet, ça se vaut. Mais la new jack a explosé là-bas bien avant d’exploser ici par exemple. Mon grand cousin m’a donc fait découvrir Naughty by Nature et Bell Biv DeVoe, groupe issu de New Edition. Et quand je suis retourné en 1994, ils avaient le premier Snoop avant nous. Je ne suis plus retourné en Afrique depuis. La déconnexion n’est pas totale mais elle est très avancée… J’ai découvert le premier Biggie, qui est mon rappeur préféré, là-bas aussi. Et quand je suis revenu ici, je m’y suis vraiment mis. Il y avait l’explosion de Solaar avec Prose Combat que j’ai beaucoup aimé. De là, ça s’est enchaîné : avril 1995, il y a le premier Sages Po’, le premier La Cliqua en novembre et puis la compil’ Time Bomb… Un enchaînement condensé et très intense.
A : Dans ton quartier, à Franconville (95), le rap avait déjà pris de l’importance à l’époque ?
Ay : Non, c’était avant tout un délire de Parisiens. Dans mon quartier, il y avait très peu de gens qui rappaient. Les grands de la banlieue étaient portés sur la funk. Et de ma génération, on devait être trois ou quatre à rapper. J’étais souvent à Paris et là-bas, quasi tout le monde rappait. J’étais très volatile, j’allais à Châtelet, Clignancourt… On faisait des freestyles dans la rue et c’est là que j’ai commencé à faire des connexions même si j’étais assez solitaire. Mais quand je croisais un rappeur que j’appréciais, je n’hésitais pas à aller le voir. J’avais croisé Zoxea, il m’avait fait passer à son émission Quoi de neuf bébé en 1996 ou 1997. À un moment, j’ai déménagé et habité à Sarcelles pendant deux ans. On avait enregistré plein de morceaux avec des potes de Garges. En 1999, j’avais même croisé Calbo d’Ärsenik qui avait écouté notre maquette et l’avait appréciée. Mais le gars avec qui je rappais a arrêté entre-temps et ça n’a pas pu se faire.
A : Tu écoutais qui à cette époque ?
Ay : L’écurie Time Bomb et plus particulièrement les X.Men qui était pour moi le meilleur groupe de rap français, bien que leur album ait un peu déçu. J’aimais beaucoup aussi Futuristiq, Triptik, S.Kiv, Double Pact, Les Sages Poètes de la Rue et La Cliqua bien sûr, en particulier Daddy Lord C. Carré Rouge également, un groupe marseillais qui n’a pas fait une grosse carrière malheureusement. M.A.S.S, Aktefräze… Et La Caution, bien évidemment. La Caution a pour moi démontré que le rap est une musique qui peut rendre n’importe quel sujet attractif. Souvent, il y a des rappeurs qui, sous couvert d’avoir un discours engagé ou militant, veulent rendre légitime leur faible niveau. Et je ne suis pas fan de cette façon de voir les choses. J’estime qu’il faut qu’il y ait un fond bien sûr mais il doit être défendu par une forme acceptable, pas forcément sophistiquée mais soutenue quand même.
A : Qu’est-ce qui s’est passé entre la fin des années 90 et 2019 pour que tu ne sortes rien avant ?
Ay : J’ai continué à rapper en amateur, je n’ai jamais lâché. Les deux éléments qui m’ont beaucoup freiné, c’est que j’ai eu beaucoup de revers avec les gars avec qui j’ai rappé et que j’avais beaucoup de mal à trouver un endroit où maquetter. C’était super cher à l’époque. Et rapper tout seul, ça m’angoissait, ça m’inhibait. Tu rappes avec un gars, il est démotivé, il te lâche alors que tu as dix textes avec lui… Le manque de moyens et le refus des compromis ont fait que ça a mis du temps. Même si parler de refus du compromis, c’est peut-être une forme de déni sur le fait que ça ne plaisait pas à certaines personnes. Aujourd’hui, je le fais parce que j’ai l’opportunité de le faire. Je suis quelqu’un d’assez acharné, obstiné. La problématique de temps, je ne l’ai jamais vraiment prise en compte en fait, à tord peut-être. Sur cet EP, il y a des morceaux qui ont quelques années et d’autres qui sont récents.
Ayao x Hifi – Le Noir attire la chaleur (prod : Dubias)
A : Tes collaborations avec Hifi et Nubi montrent que tu as une expérience du groupe. On y ressent une alchimie assez naturelle.
Ay : J’estime que faire une collaboration avec un artiste, c’est comme créer un groupe éphémère. Je suis dans cet esprit-là, auquel s’ajoute l’émulation naturelle quand tu rappes avec de bons artistes, qui me rend peut-être meilleur.
A : Tu es quel genre de rappeur en studio ? Plutôt laborieux ou instinctif ?
Ay : Assez laborieux, ouais. Même quand j’ai la bonne prise, je regarde si je peux l’améliorer à chaque fois. Je rappe en quatre, cinq prises par couplet. Quand tu es en studio, il faut réussir à atteindre ton niveau optimal tout en évitant l’usure. C’est un fin équilibre difficile à trouver. J’ai déjà enregistré des one shot, où la première était la bonne mais j’en enregistrais d’autres derrière avant de m’en rendre compte. Quand tu dépasses quatre, cinq prises, tu es trop dans l’analyse, dans la recherche de quelque chose qui va te dépasser, te perdre. C’est un de mes défauts parfois. Le français est une langue très complète alors si en plus, derrière, tu la rends encore plus sophistiquée qu’elle ne l’est déjà, c’est compliqué. Et vu que je suis très porté sur la technique, ça peut me porter préjudice.
A : J’ai cru comprendre que tu étais un grand amoureux de jazz…
Ay : Oui. J’aime particulièrement le jazz fusion : The Return to Forever, The Weather Report, Caldera, George Duke, Jean-Luc Ponty, Eddy Henderson, The Breckers Brothers… On l’appelle comme ça parce qu’il faut le mettre dans une case mais il pourrait avoir tellement de dénominations. On y retrouve la musique noire dans sa quintessence. Commercialement, ça n’a jamais vraiment marché. Mais en termes de créativité, j’estime que c’est ce qu’il y a de mieux. Dans un même morceau, il peut y avoir quatre morceaux. Il y a beaucoup de modulations, de variations, c’est très aérien… Moi, ce qui m’intéresse, c’est de saisir le côté fonky des choses. C’est ce qui a par exemple manqué à la nu soul à mon sens, le côté fonk. Alors que la new jack l’avait, le rap l’a.
A : Quel lien peut-on dessiner entre le jazz et le rap ?
Ay : Ce qui relie vraiment le rap et le jazz, c’est que ceux qui sont le plus à même de comprendre l’égocentrisme du rappeur, ce sont les jazzmen. Parce que ce sont les deux seules musiques où chaque protagoniste a le droit à son solo, son instant. Trois rappeurs, un DJ : chaque rappeur aura son couplet, le DJ aura sa partie. Et dans un quatuor de jazz : le batteur, le pianiste, le bassiste, le saxophoniste auront chacun le droit à leur solo. Et chacun veut briller, faire son egotrip, être dans la performance. Ce parallèle-là explique pourquoi les premiers à avoir compris le rap sont les jazzmen. Alors qu’initialement les premiers rap se faisaient quasiment sur de la funk. Et les chanteurs de funk voyaient les rappeurs comme de potentiels remplaçants. Ce n’est pas qu’ils en ont eu vraiment peur mais ils les ont un peu méprisés, parfois à juste titre. Alors que les jazzmen n’avaient aucune raison de se sentir en concurrence. Des Weldon Irvine, Ron Carter, Quincy Jones ou Miles Davis ont compris le rap très tôt. Le paradoxe, c’est que d’un côté, on a la musique où il faut être le plus assidu dans la maîtrise de son instrument et, de l’autre, la musique où tu n’as besoin d’aucune notion musicale. Mais elles se rejoignent sur l’aspect complètement désinhibé, sur le fait de bien maîtriser son art pour ensuite aller dans la performance totale jusqu’à s’affranchir des codes.
« On perd le meilleur du jazz quand il se mélange au rap et on perd le meilleur du rap quand il se mélange au jazz. »
A : Tu crois au mélange rap/jazz ?
Ay : Pas du tout. J’aime beaucoup le jazz tout seul et le rap tout seul mais la fusion des deux, ça donne souvent quelque chose de léger. On perd le meilleur du jazz quand il se mélange au rap et on perd le meilleur du rap quand il se mélange au jazz. Ce sont deux choses qui s’annulent quand elles sont fusionnées. Les projets rap/jazz, j’ai toujours trouvé ça très moyen. Dans la musique noire, j’aime quand le côté sophistiqué est soutenu par quelque chose de très rude. C’est ça pour moi la beauté de la musique noire. Et quand on associe le rap et le jazz, on perd des deux en fait : on perd de la sophistication et on perd le côté brutal. C’est aussi le problème des rappeurs qui veulent prouver qu’ils font de la vraie musique. Face à la variété, ils veulent prouver qu’ils écrivent de vrais textes, face à un musicien, ils veulent prouver qu’ils font de la vraie musique, face à un intellectuel, ils veulent sortir des grands mots… Alors que s’il y a bien des gens à qui je n’ai rien à prouver en tant que rappeur, ce sont aux gens des autres musiques. C’est un complexe de rappeur français de vouloir constamment prouver. C’est comme ceux qui se présentent comme rappeurs conscients et tous ces termes pour se rassurer et rassurer les autres. Personnellement, je peux écrire un texte sur l’esclavage et à côté un autre sur les femmes plantureuses avec la même dextérité, sans que ça ne me trahisse. C’est peut-être l’avantage qu’on a sur les autres musiques : cette capacité à rendre n’importe quel sujet attractif. Surtout le rap français car, contrairement à ce qu’on dit, je trouve que le rap français sonne bien quand il est bien écrit. Parfois, je vois des interviews de gars qui se sentent flattés d’être adoubés par tel ou tel chanteur de variété ou qui gonflent Gainsbourg, Aznavour, Brel ou Brassens. « Ouais, je suis le nouveau Brel » ! Mais pourquoi tu veux être le nouveau Brel ? Et toi, t’es qui ? [Rires] Alors qu’honnêtement, beaucoup de rappeurs écrivent mieux que la plupart des chanteurs de variété. En France, on aime les rappeurs quand ils arrêtent de faire ce que qu’ils savent faire. Le meilleur exemple, c’est Oxmo. On le boudait presque à son apogée et, maintenant qu’il est nul, on l’encense. C’est ouf !
A : Tu arrives à suivre ce qui passe dans le paysage du rap francophone malgré ta forme de déconnexion ?
Ay : Non, je ne suis pas très au courant de ce qui se passe. Je connais les grands noms évidemment. J’ai écouté un morceau de PNL une fois. J’ai aussi écouté un mec qui s’appelle… [Il hésite] Vlad, c’est ça ?
A : Vald.
Ay : Voilà. Artistiquement, je n’ai pas du tout accroché. Mais, dans ce que j’entends aujourd’hui, on sent qu’il y a une vraie mécanique qui s’est mise en place. Les morceaux sont plus produits, formatés, moins de choses y sont laissées au hasard. Et cette mécanique aurait dû servir les rappeurs de ma génération qui, à mon sens, étaient meilleurs. Je pense à un mec comme Salif qui était un bête de rappeur, qui avait le flow, la technique et cette capacité d’ouverture qui auraient dû lui permettre de faire des tubes calibrés de qualité.
A : C’est quoi le dernier album qui t’a marqué ?
Ay : J’avais beaucoup aimé Boulogne Boys vu qu’on évoque Salif mais le dernier qui m’ait vraiment marqué, je pense que c’est le double album de La Caution. Plus récemment, j’ai bien aimé Dope Game de Joe Lucazz par exemple, avec le fameux accessoire dans le CD [Rires]. J’aime bien ce qu’il fait. On doit faire un morceau ensemble mais il est dur à joindre, compliqué à capter. Chez les Américains, le dernier rappeur que j’ai vraiment aimé, c’est Cory Gunz, qui pour moi n’a pas la carrière qu’il mérite. C’est un tueur ce mec. Je suis très ouvert mais, rapologiquement parlant, je suis né et je mourrai à New York. Même si, paradoxalement, ça ne m’a jamais intéressé d’y aller. J’adore particulièrement le son d’Harlem et de Brooklyn. Big L, G. Dep, Cam’ron, Jeru, Biggie, AZ, Smoothe da Hustler, tout le Boot Camp… Pour moi, le Boot Camp, c’est la meilleure équipe de New York, la seule où tout le monde est bon. Dans le Bronx, Camp Lo, qui est un groupe énorme, qui n’a pas eu la carrière qu’il méritait également… À un moment, je voulais écrire un bouquin sur les talents gâchés du rap.
A : Tu mettrais qui en couverture ?
Ay : Pour le rap français, c’est facile [Rires] : les X, Hifi… Mais peut-être que ces gars n’étaient faits que pour être des phénomènes. Il y a des rappeurs à albums et des rappeurs d’instants. Et sans doute étaient-ils moins opportunistes que d’autres, moins carriéristes. Leurs albums étaient bien au-dessus du niveau général du rap français mais pas tout à fait à la hauteur de leur talent. Chez les Américains, Camp Lo, Cormega ou peut-être G. Dep, même s’il est en prison. En France, il faut dire la vérité, on a eu de bons groupes et de gros producteurs aussi, de Drixxxé à Logilo en passant par Mehdi, Nikkfurie, Zoxea, Melopheelo ou Ivan… Et quand on voit le résultat, c’est presque triste en fait.
A : Tu as produit certains morceaux de l’EP ?
Ay : Non, le thème de l’intro, c’est moi mais il a été arrangé par ma compagne qui est musicienne. Elle a aussi produit « Supérieur », l’interlude et l’outro. Sinon, il y a Dubias, qui était DJ pour les X.Men et a notamment produit pour Sté, qui m’a fait quatre ou cinq morceaux. C’est un passionné de jazz, de musique noire américaine, qui m’a été présenté par le frère de Hifi. Il y a également Fanatik qui a produit trois morceaux ainsi que Nikkfurie évidemment sur « Rues obsessionnelles ». Je le connais depuis 2000. Un gars vraiment top qui m’a donné des coups de main et ne m’a jamais rien demandé en échange. C’est peut-être la personne qui m’a le plus aidé dans l’industrie. Il sera également présent sur le prochain EP.
A : Nikkfurie, je ne sais toujours pas s’il est meilleur en tant que compositeur ou en tant que rappeur…
Ay : C’est marrant parce qu’aux États -Unis, on sait. Eric Sermon est meilleur producteur que rappeur, pareil pour Havoc ou Large Professor. J’ai un doute pour RZA. Mais en France, ils sont souvent aussi bons dans les deux : Nikkfurie, Zoxea, AKH, Hifi, Section Fu… J’aurais bien voulu produire mais je suis très mauvais avec les machines [Sourire]. Ma compagne, elle, du jour au lendemain, elle s’est mise à Logic Pro et elle a tout compris. Il faut être un peu geek pour produire et je ne le suis pas du tout.
Ayao – « Salutations distinguées » (prod : Dubias)
A : Dans « Salutations distinguées », tu ironises sur l’expression « black, blanc, beur »…
Ay : Il y a des mots comme « paix » ou « tolérance » qui m’inquiètent quand ils sont sortis systématiquement car, souvent, les gens qui les emploient, c’est pour servir des intérêts contraires. Le « vivre ensemble », c’est pareil. On dirait un code pour passer à la télévision. La façon dont on nous le vend, c’est utilisé pour faire abstraction de la divergence des opinions. C’est l’uniformisation, l’harmonisation forcée. C’est quelque chose qui a éclos depuis SOS Racisme. On est dans le survivre ensemble en réalité. Le vivre ensemble, je ne l’ai jamais vu matérialisé dans ce pays. Il y a une époque où les gens vivaient en communautés en France et ça ne dérangeait personne. On a inventé le concept de communautarisme quand certaines minorités – les noirs et les Arabes pour schématiser – ont essayé de s’émanciper grâce à la communauté car elles ne pouvaient le faire en tant que simples individus. À la télévision, quand on te montre un noir ou un Arabe, c’est qu’il sert le discours dominant d’une façon ou d’une autre. Ils ne font que parler de nous, sans nous. Un exemple tout bête : au début de la diffusion de C dans l’air, je me souviens qu’il y avait eu deux ou trois émissions sur la fameuse renaissance de l’Afrique – ça fait vingt ans qu’ils nous en parlent, bref – et devine quoi ? Il n’avait pas invité un seul Africain sur le plateau. Des exemples comme ça, je peux t’en sortir mille. Ce sont des réflexes racialistes inconscients.
Si les gens trouvent un système qui leur permet de prospérer, de s’épanouir socialement, économiquement et politiquement, et que ce système-là n’enfreint pas les règles en vigueur du territoire dans lequel ils sont, ça ne me dérange pas. Il y a des pays où ça marche très bien, d’autres moins. Je ne dis pas que je le préconise mais je n’y vois rien de malsain. C’est instinctif. Le mot « patrie », c’est la terre des pères. Le couple, la famille, le village, la ville, la région, le pays. Tout n’est que communauté plus ou moins étendue. Et le pire dans l’affaire, c’est que s’il y a bien des gens qui font rarement les choses en communauté, ce sont les noirs. C’est ça le comble. Moi, j’estime qu’avant de serrer la main à quelqu’un, tu dois t’assurer que tes doigts sont en bon état. Tu es plus fort pour aller vers l’autre quand ton identité est affirmée. Elle peut évidemment être composite mais il ne faut pas la morceler ou la fragmenter. Et si ton identité est affirmée, tu peux alors t’inspirer de l’autre sans le singer.
A : Tu comptes enchaîner sur d’autres projets ou cet EP était juste un accomplissement de passionné, une parenthèse dans ta vie ?
Ay : J’ai deux autres volumes en préparation, qui sont déjà bien avancés. On y retrouvera sans doute des artistes que j’estime, comme c’est le cas dans ce premier volume que je vais continuer à défendre. Il est déjà disponible sur Bandcamp et sera sur les plateformes de streaming début janvier. Et je tiens à remercier l’Abcdr de l’avoir mis en lumière.
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