Hermit and the Recluse
Orpheus vs. the Sirens
« Ka, que l’on imagine sans mal en ermite retiré au sommet d’une montagne… », écrivait-on à l’époque de Honor Killed the Samurai. Ermite : le mot était prémonitoire. C’est sous un nom qui fleure fort la claustration et derrière une illustration empruntée à un obscur peintre français de la première moitié du XIXe siècle que Ka nous revient, accompagné du beatmaker Animoss, entendu sur le Rosebudd’s Revenge du compère Roc Marciano.
Et ledit Ka se livre, de disque en disque, à une assez fascinante opération de subversion. De l’intérieur, qui plus est. Ce qu’il subvertit, c’est le rap new-yorkais. Natif du quartier de Brownsville, né au début des années 1970, Kaseem Ryan était prédisposé à verser dans le boom-bap. À concrétiser son goût de l’épure en ne gardant que l’os, filtrant le reste au maximum.
Il fait le contraire. Il cherche l’économie rythmique. Il repousse le beat à l’arrière-plan, il l’assourdit voire l’écarte du chemin au moment d’entrer en scène, comme dans « Atlas » – l’effet est d’ailleurs saisissant. Au kick, répudié, le rappeur préfère tout au plus les percussions discrètes (le final « Companion of Artemis » et son riff blues). Du coup, c’est la basse qui lui sert de repère et surtout la boucle principale, soulignée, massive. Ou peut-être faut-il prendre les choses dans l’autre sens : le rappeur en premier, a capella, définissant lui-même la cadence (son rap est bel et bien scandé, mais pas du tout à la manière du rap new-yorkais standard), et charge ensuite au producteur de se caler.
« À ce point de dépouillement rythmique, il faut une sacrée présence pour occuper l’espace sans hausser le ton. »
À ce point de dépouillement rythmique, il faut une sacrée présence pour occuper l’espace sans hausser le ton, pour ne pas se laisser écraser par les samples instrumentaux et vocaux. Cette présence, Ka l’a. Il l’a alors même qu’il fait preuve de la plus grande retenue – difficile d’imaginer rappeur moins braillard que le pompier de Brooklyn. Indissociablement son timbre de voix et son phrasé l’imposent. Ses textes aussi. Car si l’auteur de The Night’s Gambit a toujours joué sur les références célestes pour transcender ses descriptions de l’adversité terrestre, il pousse ici la logique jusqu’au bout en construisant tout l’opus autour du mythe d’Orphée et des Argonautes. Un opus plus court encore que le précédent (trente-deux minutes) – principe d’économie toujours – mais pas moins intense.
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