Muun : atmosphère, atmosphère
Interview

Muun : atmosphère, atmosphère

Muun sortait il y a quelques semaines en toute confidentialité son EP Dopamuun, un projet aux teints multiples et à l’ambiance vaporeuse. L’occasion idéale pour faire connaissance avec ce jeune Montreuillois, qui est une preuve de plus de la bonne santé musicale de sa ville.

Photo à la une : Arnaud Deroudilhe Dessins : Sabine Roux

Abcdrduson : Tu viens de sortir l’EP Dopamuun, qui semble être ton premier projet. Est-ce bien le cas ? N’y a-t-il pas eu d’antécédents ?

Muun : C’est bien mon premier projet, ma carte de visite. Mais effectivement j’en avais déjà enregistré un à une autre époque, j’ai fait des sons, sous un autre nom. Ce n’était pas aussi professionnel que maintenant, mais j’ai fait d’autres choses. Cela fait maintenant douze ou treize ans que je rappe.

A : Tu étais déjà à Montreuil à ce moment ? 

M : Je suis de Montreuil, j’ai commencé le rap au Café La Pêche avec l’atelier d’écriture et tout ça. On y rencontrait plein de rappeurs, de Montreuil et d’ailleurs. Il en venait de partout. Par rapport à cette époque, j’avais un groupe quand j’ai commencé, en cinquième.

A : Quand tu débutes dans le rap, tu es déjà auditeur de cette musique ? Quels sont les artistes qui te motivent à franchir le pas ?

M : J’écoutais beaucoup, beaucoup de rap. Je n’écoutais pas que ça pour autant, j’ai eu la chance d’avoir des grands frères, et ils m’ont fait écouter toutes sortes de musiques. Doc Gynéco, Passi, Tupac, Wu-Tang… Les musiques reubeues aussi, de par mes parents. Tous les ans j’allais au bled pendant minimum un mois, que ce soit Maroc ou Algérie, sur le trajet et là-bas on écoutait des musiques maghrébines. Mon père écoute aussi de la variété française, Sardou, Renaud, Cabrel… J’ai grandi dans un mélange de musiques. Après selon les époques je n’ai pas toujours kiffé ce que j’entendais, j’en ai apprécié certaines en grandissant.

A : Dans l’image qui est renvoyée par les articles et documentaires sur la musique montreuilloise depuis quelques temps, la ville semble être très cosmopolite, et sa musique imprégnée de ce mélange dans lequel toi-même dis avoir baigné.

M : Du moment où tu vis à Montreuil, ta musique est imprégnée de la culture de cette ville. Ici, on est hyper ouverts d’esprit, parce que c’est un grand mélange de bobos et de cailleras. Il y a une mixité qui existe depuis longtemps, et qui donne notre mentalité musicale très ouverte. Je pense que sur le plan musical, c’est là que se situe notre particularité, on n’est pas bloqués, on n’attend pas les modes. Selon moi, c’est aussi pour ça que la plupart des artistes de Montreuil n’ont pas pété. Ils sont parfois un peu trop originaux, un peu trop spés. C’est vrai que les cinq doigts de ma main suffisent à compter les artistes d’ici qui ont pété.

A : Pour ce qui est du rap, que l’on prenne Soklak, Swift Guad, Triplego, ou Ichon par exemple, ce sont aussi des gens qui sont arrivés avec une identité très prononcée à un moment, non ?

M : Oui, ils apportent quelque chose. Puisque l’on évoque Triplego, ils sont très présents sur Dopamuun, parce que ce sont des potos, plus que ça, ce sont des frères. Sanguee et moi nous connaissons depuis l’école primaire, Momo Spazz je le connais depuis le collège.

A : Momo Spazz produit la quasi intégralité du projet. Le traitement de ta voix est assez semblable à celui de la voix de Sanguee sur les projets du groupe. Te sens-tu affilié au son que Triplego a justement apporté ?

M : Nous avons commencé à faire du son ensemble, et nous avons à peu près les mêmes références. Si on a traîné ensemble c’est aussi parce que l’on a kiffé les mêmes musiques, Kanye West, Kid Cudi, Lil Wayne… J’étais imprégné de sons en permanence à l’époque où on a commencé, et eux aussi. On a les mêmes influences, je pense que ça explique les ressemblances que l’on peut trouver entre nos façons de poser etc., mais je pense que nous sommes plus complémentaires que similaires.

A : Triplego, c’est un groupe que tu as beaucoup accompagné récemment non, notamment en concerts ?

M : Récemment oui, je les ai accompagnés ces dernières années sur des concerts, j’ai parfois fais les backs de Sanguee. Mais bien avant aussi. On a commencé à faire des concerts il y a longtemps, on devait avoir treize ou quatorze ans. Nos premiers enregistrements remontent à la même époque, et étant jeunes on a fait pas mal de scènes, on est allés jusqu’à Marseille. C’est la scène qui m’a forgé niveau rap, le live c’est ce que j’aime le plus. À mon avis, ça m’a permis d’avoir de bonnes bases, aujourd’hui peu d’artistes commencent par le live, alors que ça t’oblige à performer.

A : Le son que tu délivres aujourd’hui, ultra synthétique surtout pour ce qui est de la voix, n’est-il pas compliqué pour performer sur scène justement ?

M : Un son vocodé, je ne vais pas le poser de la même manière sur scène, c’est sûr. Mais je trouve que c’est l’intérêt du live, le morceau que tu fais dois être unique, il ne doit exister qu’à ce moment précis. Sinon, autant rester chez soi et écouter le disque. La scène, il faut que ce soit un moment unique, et le fait de ne pas utiliser le vocoder, ou alors de l’utiliser d’une autre manière -avec un son plus imposant ou plus grave par exemple, fait la différence.

A : C’est avec Juxe que tu as travaillé sur le mix de Dopamuun, pourquoi lui, et comment se déroule votre collaboration ? 

M : Juxe a l’habitude de bosser sur les mixes de Triplego donc il connaît un peu mon délire, puisque comme nous disions, eux et moi avons des influences communes. Juxe, je lui fais confiance. Il m’arrive de lui donner des instructions pour certains sons, c’est au cas par cas. Parfois, lui va commencer à mixer et c’est moi qui vais lui réclamer un peu plus de reverb sur ma voix, un peu plus d’aigus ici ou de graves là… Tout dépend des titres, sur certains je ne vais pas l’orienter, il va faire son truc et le résultat me satisfaira. Ce ne sont pas des calculs, ce sont des vibes.

A : Les productions que t’a proposées Momo Spazz étaient-elles conçues pour toi ou les as-tu choisies parmi ce qu’il avait ?

M : Vu qu’il connaît mon délire, il m’envoie souvent des prods qu’il sait que je kifferais. Mais il arrive qu’il me fasse écouter plusieurs prods et que je sélectionne parmi ce qu’il a à proposer. Là encore, c’est au cas par cas, selon l’inspiration.

A : Pour ta part, tu ne composes pas du tout ?

M : Si, justement, là je commence à travailler sur un prochain « projet » et je compose des prods. Cela fait longtemps que je compose, mais tant que ce n’était pas au niveau que j’attends, je gardais ça pour moi. Je préfère travailler en amont, entrer dans la salle du temps et revenir avec quelque chose de lourd. Les prods sur lesquelles j’ai posé, je les trouve hyper lourdes, donc je me dois de faire des bonnes prods. Je m’impose une certaine rigueur.

A : Tu pars sur du sampling a priori ? 

M : Un peu, pas seulement. Compo, samples, une fois de plus ce n’est qu’une histoire de feeling. L’important, c’est que ça tape.

A : Puisque nous parlions de tes collaborateurs sur ce projet, évoquons aussi Rosrows, qui en a dessiné la cover et qui est derrière les illustrations qui accompagnent cette interview.

M : Sabine Roux (Rosrows), je l’ai rencontrée par hasard avant la sortie de 2020 de Triplego. Elle m’a montré son travail, ses typographies etc., j’ai grave kiffé. De là, je lui ai fait écouter des sons que j’avais déjà enregistrés. J’avais une idée, qui était de représenter chaque son avec des objets de mon quotidien, qui me représentent. On est partis sur ça, et on a essayé de décliner tout mon environnement, toutes mes influences, tout ce que j’aimais, sur la cover comme sur la tracklist. Chaque objet représente un son. Par exemple une darbouka pour « Ragnar », dont la rythmique me renvoie à la série Vikings. C’est une série qui m’a beaucoup influencé au niveau de l’atmosphère plus que de par les personnages. Ce que j’ai kiffé, c’est le côté sombre et bleuté. Pour le son « Ganja », il est représenté par la villa dans laquelle il a été créé.

A : C’est le morceau produit par Ikaz Boi, comment s’est passée sa conception ?

M : Nous étions au Maroc, à Casablanca. Il y avait Ikaz, il y avait Sanguee, des artistes hollandais et moi-même. On était à la fin d’une journée ensoleillée, près d’une piscine, tous ensemble et Ikaz faisait une prod. Quelqu’un a commencé à enregistrer, et tout s’est fait tout seul.

A : Quand tu parles d’atmosphères qui t’influencent, c’est « amusant » car c’est aussi ce qui ressort de cet EP : des atmosphères plus que des textes, des sons plus que des structures, des ambiances plus qu’un propos. 

M : C’est cool parce que c’est ce que j’essaie de faire. Je veux plus faire ressentir une atmopshère que dire forcément des choses… Raconter une histoire, ce n’est pas trop mon délire. Moi, je veux essayer de faire comprendre des choses par une ambiance.

A : Le Japon ne compte-il pas aussi parmi les contrées qui t’inspirent des ambiances ? Y as-tu voyagé ?

M : Je n’y suis jamais allé, mais depuis le Club Dorothée, les mangas font partie de mon environnement, le Japon m’attire aussi par ses paysages. C’est un délire ! Même au niveau des traditions, je trouve qu’ils ont des valeurs, que certaines choses comptent pour eux, comme l’amitié…

A : Puisque tu as des attaches au Maroc, est-ce que tu suis la scène rap locale, qui de l’avis des observateurs est en pleine forme actuellement ?

M : Lorsque je suis parti au Maroc et que nous avons enregistré « Ganja », tout le reste de l’EP était prêt, mais là-bas nous avons rencontré une partie de la scène marocaine : Madd, Issam, Lone qui est moins connu mais qui est très fort. Ce ne sont pas des gens qui m’ont influencé pour cet EP, parce que je ne connaissais pas encore le rap marocain, je ne connaissais que l’ancienne école : Casa Crew et tout. Mais là, ce que j’ai découvert depuis un an, je trouve que c’est vraiment un bon délire. Ils donnent une bonne image du Maroc, dans leur façon d’être. C’est une bête de scène qui va monter de plus en plus.

A : Dans un avenir plus ou moins proche, que peut-on attendre de toi ?

M : Pour l’instant, je vois l’avenir dans le travail. Je vais essayer de travailler un maximum, et d’envoyer des sons. Mais je ne suis pas quelqu’un qui aime envoyer masse de choses sans qualité. Chaque son que j’envoie, je veux vraiment être sûr qu’il ait une atmosphère, un vrai délire. Sinon je le garde pour moi. Il y aura bientôt le clip de « Ganja », et plein d’autres choses, surtout que je suis content des retours sur l’EP, que ce soit au niveau du public ou au niveau des médias, c’est hyper cool. On va travailler pour en avoir encore plus.

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