Chronique

6ix9ine
DAY69

Caroline Distribution - 2018

Et si la jeunesse était devenue un passe-droit artistique ? Analyse de Day69, l’album du clivant, déroutant et parfois malfaisant 6ix9ine.

Dans chaque discipline, l’ouverture est une étape cruciale. Elle axe, angle, balise le parcours pour éviter la sortie de route. Première piste : « BILLY ». Premiers mots. « That’s my word, get up in they face / Talk your shit, let your nuts drag, nigga ». Les premières mesures sont une forme d’avant-propos soufflé par un camarade. Le ton est belliqueux. La marque est apposée « Scuuuuuum Gaaaang » – l’acronyme pour « Society Can’t Understand Me », nom donné à son collectif. Et l’étiquette du paria, délibérément choisie, scandée, braillée.

La suite est une confirmation. Fin du prélude, 6ix9ine n’a pas encore esquissé un verbe. Les basses assourdissantes éclatent, l’histoire peut s’écrire. Pas de couplet pour démarrer, mais un refrain, d’emblée. Les provocations abondent. Les onomatopées fusent « Sending shots, shots, shots, shots, shots, nigga / Everybody gettin’ pop, pop, popped, nigga / The thing go rrrah, rrrah, rrrah, rrrah, rrrah, nigga / We send shots, shots, shots, shots, shots, nigga ». L’expérience est déroutante, et la suite une surenchère. Avec ses premières mesures, autrement dit, le premier couplet officiel pour décorer sa toute jeune discographie, la musique se fixe comme pour encenser son discours. Quatre phrases s’échappent, a cappella, un grand instant de fragilité. À découvert, Daniel Hernandez – son vrai nom – est littéralement à nu, et semble lutter face à lui-même pour aligner les mots avec charisme. Cette suspension de musique est presque un piège. Les silences entre chaque rime deviennent plus longs. Le grain de sa voix s’étire. L’élocution est approximative. Le souffle flanche à chaque bout de phrase. Et par-dessus tout, le vide résonne.

« L’expérience est d’abord déroutante, mais sa suite est une surenchère. »

À la reprise de la composition produite par Beat Menace, une formule à la fois extrêmement standardisée, mais « efficace », car très actuelle, une question survole : à quelle mesure 6ix9ine incarne ses morceaux ? La musique est-elle son cache-misère, un peu comme les fonds verts utilisés pour les montages vidéo ? L’illusion de profondeur. La réponse a plutôt tendance à pencher du second côté, tant « GUMMO » en est l’exemple parfait. Certainement le meilleur titre de la mixtape DAY69, le résultat est à mettre au crédit du producteur Pi’erre Bourne, qui démontre une fois de plus son aisance derrière les touches. Un semblant de flûte compressé à l’extrême pour donner des relents de film d’épouvante. Des basses synthétiques, elles-mêmes étouffées, dans une ère où la musique s’écoute saturée. Le tout ralenti, dans un parfait contre-temps. Et Pi’erre Bourne confirme être le dénominateur commun au succès de toute une nouvelle génération de rappeurs. Pour conclure son premier titre – toujours « BILLY » –, l’ensemble se termine par des coups de feu, une violence caractéristique du personnage de Tekashi. Le fait est important à souligner, car la piste suivante est introduite de manière similaire, un détail qui laisse présager une envie de bien faire, mais un sens de l’orchestration tout simplement bâclé. Et tout ça, en à peine 1 minute 52. Record.

À l’image de cette introduction, DAY69 sonne essentiellement creux. Des titres comme « DOWEE » ou encore « MONKY » semblent être des démos, avec des idées éparpillées dans tous les sens. Des brouillons enregistrés. La partie centrale de « BUBA » est une récupération de « Take a Step Back » de Ski Mask The Slump God en compagnie de XXXTENTACION. Cette réappropriation, additionnée aux distorsions volontaires et aux bruissements presque industriels, donne l’impression de toucher quelque chose de vrai, un sentiment de rage authentique aux allures garage rock, mais dans l’absolu, 6ix9ine accouche d’un galimatias, dans lequel il se contredit en l’espace d’une rime (« Got this bitch all on my body, bitch get off my body / Get the fuck up out my whip, ‘less you tryna suck my dick »). Prouesse de l’insouciance. Le remix de « GUMMO » se voit accorder un couplet d’Offset. Malheureusement, aucune plus-value, hormis celle de faire réfléchir à la pertinence d’un remix dans un projet seulement composé de onze titres. Encore des idées, exécutées avec maladresse, comme si le jeune homme et son équipe ne savaient pas où aller, ni quoi faire pour remplir les trous. Absence de substance oblige. Dans ce manque criant, les références aux flingues et leurs bruitages dénotent naturellement du reste (« bang », « clip », « drop », « bo-bo-boom », « blicky », « uzi », « chops », « glock », « heat », « po-po-popped », etc.). Un florilège dont 6ix9ine nous « gracie », qu’il en deviendrait même drôle d’en faire le décompte, pour ensuite calculer leur part sur l’ensemble des mots recensés dans son œuvre.

Par extension, sa façon d’aborder son premier projet pose même une question essentielle, à savoir, le rapport d’une frange de nouveaux jeunes artistes, quant à la musique et son usage. Une génération ultra connectée, avec du flair pour trouver les bons plans – la production « KOODA » est réalisée par Koncept P, le titre était disponible sur sa page YouTube pour être loué. Une génération « clout », nouvel anglicisme d’adolescent, pour définir une personne à la fois populaire, influente, et célébrée.

« La jeunesse comme passe-droit artistique ? »

Pour donner du relief au vide – le plus long des titres et « GUMMO » (Remix), pour une durée de 3 minutes 25, et la courte durée du projet est bien même une de ses qualités –, 6ix9ine a misé sur son image. Une esthétique de la transgression, parallèlement à des rouages de la promotion parfaitement maîtrisés, à travers une seule et même posture, le clivage. Cheveux arc-en-ciel. Grill arc-en-ciel. Sorties polémiques. Tatouages faciaux. Pochette cartoon inspirée par la série animée Adventure Time. Affaires de mœurs graves – qui ont conduit certains médias à ne pas couvrir l’actualité du jeune homme. Même ses vidéos sont un reflet « intelligent » de sa stratégie de communication. Des impressions de liesse urbaine, qui font mouche quand les premières patrouilles de police déboulent, car par la suite, ces séquences hors montage seront partagées sur les réseaux sociaux, et par les nouveaux chiens de garde du voyeurisme : DJ Akademiks ou encore Girbaud Tx. Une méthode qui reflète peut-être un changement d’époque.

Lil Yatchy avait capitalisé à merveille autour des frictions générationnelles. 6ix9ine récupère les miettes, et tous ses agissements sont volontairement tranchés, grotesques, à la limite de l’immoralité, comme si, au fond, ne pas savoir rapper était secondaire. DAY69 est un projet de plus dans un marché déjà saturé, à une époque où le statut de star, la viralité, sont peut-être plus valorisants que la considération artistique. Pourtant, le morceau « CHOCOLATÉ » qui ferme sa première œuvre, ses échos, son atmosphère à la fois EDM et trap, laissent penser qu’il pourrait être appréciable d’écouter sa musique, sur scène avant tout, en pleine période de festival avant l’arrivée d’une tête d’affiche. Même constat pour « 93 ».

Plus le temps s’effilera, plus les mois feront oublier sa première galette. Edgar Morin aurait eu plaisir à s’attarder sur Tekashi69. Il s’était déjà attardé à décortiquer la fabrication du personnage de James Dean à travers le prisme hollywoodien, l’incarnation idéale d’une jeunesse révoltée, en quête de sentiment existentiel. Se sentir exister à travers sa rage, son impertinence, l’abolition des vieilles règles, d’où le film culte, Rebel Without a CauseLa Fureur de vivre en français –, objet incontournable pour comprendre la jeunesse outre-Atlantique, la complexité de son identité, tout comme son potentiel mercantile. Jeunesse comme passe-droit artistique. Insouciance comme valeur intrinsèquement plus tangible que la prise de recul. Comme si l’instant prévalait naturellement sur la réflexion. Agir puis réfléchir. L’important n’est plus l’atterrissage, mais le décollage. DAY69. 6ix9ine.

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1 commentaire

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  • L'engin,

    Décevant au vu de l’engouement crée autour du personnage. Des titres très courts qui laissent une impression de vide. Le pire : les featurings qui ne fonctionnent pas, on ne ressent aucun alliage entre les couplets.