A’s, fantôme du marécage, prince des ténèbres
Interview

A’s, fantôme du marécage, prince des ténèbres

Pièce indispensable au puzzle du rap genevois, A’s demeure extrêmement peu connu de ce côté-ci des Alpes. Actif depuis près de vingt ans, figure majeur du collectif Marekage Streetz, il revient en longueur sur son parcours, sa musique, ses goûts et ses références. Et on lit en fond l’espoir que jeunes rappeurs suisses bénéficieront de l’exposition que n’a pas su avoir sa génération.

Photographies : DLN Films & Photography

Abcdrduson : Tu es né en 1984 et as grandi avec le rap. Quels étaient les artistes que tu écoutais ? 

A’s : Quand j’étais petit, mes cousins et les grands frères du quartier écoutaient pas mal de rap. J’écoutais IAM dont mes parents avaient enregistré un live sur M6. Je le regardais en boucle au début des années mille neuf cent quatre-vingt-dix ; puis il y a eu NTM que j’ai découvert plus tard, même si je connaissais de nom. Là je parle vraiment du temps qui précède ce que vous appelez le collège en France. Mais c’est vraiment au milieu des année mille neuf cent quatre-vingt-dix que je me suis mis à écouter beaucoup de rap français, quand est sortie la « b.o » de La Haine notamment. Ça je m’en rappelle.

A : Tu es un énorme bousillé de rap ? 

A’s : Ah ça… Je voulais arrêter à trente ans, je m’étais dit « bon ça suffit », mais je n’y arrive pas. J’ai des cousins en Allemagne qui m’ont fait découvrir Bushido, des cousins en Espagne qui m’ont fait découvrir ce qu’eux font et ce que font un tas de gars là-bas… Une fois je suis tombé sur un truc Bengladi, de la trap, ça tuait ! J’aime bien l’Angleterre aussi, ce qui se passe là-bas en ce moment c’est super chaud.

A : Et aux Etats-Unis, si tu devais choisir une scène au prix de toutes les autres, laquelle serait-ce ? 

A’s : Philadelphie sans hésiter, et North Philly pour être plus précis, même si Beanie est du South. À une époque j’écoutais pas mal M.O.P et Boot Camp Click à Brooklyn, ce qui pouvait s’entendre dans mon rap, mais à côté j’écoutais Freeway, Peedi Crack. Là ces temps-ci je suis dans OBH, Darklo, Ar-Ab tout ça. Vraiment, Philadelphie.

A : Côté rap helvétique, quels sont tes premiers souvenirs ?

A’s : Il y a un groupe qui s’appelle Le Duo, auquel appartenaient Rox et Jonas, qui faisaient partie d’un collectif : Le XIXe Régiment. Ce sont eux qui m’ont donné envie de rapper, mon grand cousin Paul Position faisait partie du collectif aussi. Ce collectif, c’était un peu l’équivalent de Fratra, le collectif de Double Pact. Eux étaient de l’autre côté du Rhône, nous nous sommes sur la rive gauche, eux sur la rive droite. Donc de notre côté c’était plus XIXe Régiment, et en face c’était Double Pact, Les Petits Boss -même si Nega et Loucha venaient eux de Thônex, rive gauche… Personnellement j’écoutais les deux, et aussi le troisième collectif important de la ville, Hors d’atteinte.

A : De ton côté, ton premier groupe est Paintball, c’est cela ? 

A’s : En réalité, mon tout premier groupe était Mélange Opak avec un pote d’enfance : N’Ko. Son grand frère nous faisait des instrus, et nous avions déjà un peu de merchandising, du textile. Pour ce qui est de Paintball, au sein du collectif XIXe Régiment il y avait plusieurs entités, et Mr. White, Dogzy Blue Malone et Mr Green en faisaient partie. Mr Green et moi avons grandi ensemble, puisque l’on habite dans la même rue depuis toujours. On a monté le groupe Paintball et on a choisi nos noms avec les couleurs en référence au jeu du paintball et aussi à Reservoir Dogs, comme on se faisait appeler Les Chiens du Reservoir. Moi c’était Mr. Brown, il y avait Mr. Blue, Mr. White, Mr Green… Ça a commencé avec la mixtape Viagra en 1999, sur laquelle on retrouvait Blue et Green pour le premier morceau de Paintball. Moi, ma première apparition a eu lieu sur une mixtape qui s’appelait Casino, enregistrée en 2000 mais qui je crois n’est sortie qu’en 2004. Mais le déclic a vraiment été la tape G.T.A (Geneva Terrorist Attack)

A : Avec « Le point sur ta tempe » qui a une vraie importance pour vous, c’est cela ?

A’s : Oui. Ce morceau a vraiment été le point de départ de Marekage Streetz sans qu’on le sache. En fait, à la base avec Berek on a enregistré « Le point sur ta tempe » pour G.T.A, chez un gars qui s’appelait Layone P et qui faisait toutes les prods de la compile à deux ou trois près, et après on a décidé de faire un remix maison chez Looping, que l’on a appelé « Remix du Marekage ». Marekage ça vient de notre quartier Plainpalais-Jonction. Plainpalais vient de plana palusqui veut dire marécage en latin, et la Jonction c’est l’endroit où se rejoignent le Rhône et l’Arve. Marekage streetz, ce sont les rues de Plainpalais-Jonction. Et le nom Marekage Streetz est né grâce à DJ Mesk qui est venu habiter le quartier à un moment et qui a pris « Le point sur ta tempe » et a scratché dessus. Il y a un moment où je dis « natif du marécage » et avec son scratch on entend « natif du marekage streetz » par je ne sais quel tour de magie. À partir de là il a fait le logo, et quand on l’a vu on a trouvé que ça tuait. C’est parti comme ça, tout simplement.

« Marekage Streetz, c’était là avant nous et ce sera là après nous, ce n’est pas nous qui sommes les éléments principaux. »

A : La naissance plus ou moins officielle du collectif intervient un peu plus tard, vers 2006, et vous êtes alors plus d’une dizaine dans le collectif. Comment se crée-t-il ? 

A’s : De notre quartier, aucun projet musical n’avait vraiment émergé. On a pas mal de graffeurs, dont Joule, issu de la Jonction, qui est super connu à travers le monde, mais musicalement peu de choses étaient sorties, pourtant il y avait pas mal de mecs qui rappaient. On se connaissait tous et on s’était toujours dit que l’on aimerait bien sortir un truc, un projet du quartier. Tout s’est fait naturellement, selon les affinités et le feeling. Comme c’est dit par le nom du collectif, l’élément central, c’est notre quartier, tout part de là. C’est pour ça par exemple qu’aujourd’hui Bobby fait partie du collectif… Il a toujours été Marekage Streetz. En gros, Marekage Streetz, c’était là avant nous et ce sera là après nous, ce n’est pas nous qui sommes les éléments principaux. C’est comme dans les mythologies africaines ou scandinaves où la terre est le centre de tout. On peut être un comme trente-six mille.

A : Tu citais Bobby à l’instant. Suite à l’interview qu’il nous a accordée, tu avais fait remarquer qu’il s’était trompé sur un point : les chaussures que vous portiez. Il évoquait des Air Max blanches, or il était important pour toi de préciser qu’il s’agissait de Reebok Classic. Pourquoi ?

A’s : Les Reebok étaient vraiment le socle de départ de notre équipe, la paire que tu vois sur la cover de Une spéciale pour les halls d’Hostile. Ce modèle était super prisé, et ce bien avant la naissance du collectif. Moi, j’étais un gars qui ne portait que du Reebok. Je regardais Passi et j’observais ses Reebok, je voyais Lino je me disais « ah ces Reebok ! » Les Nike air max sont venues un peu après, mais les Reebok, franchement ça avait une importance. C’était les premières chaussures que nous portions.

A : En 2007 vous sortez l’album Comme un poizon dans le Rhône, comment est-ce que vous le sortez et quel effet a-t-il auprès du public et éventuellement de la presse ?

A’s : La sortie de l’album est très locale. Genève compte cinq cent mille habitants, qui n’écoutent pas tous du rap, donc on a commencé par faire cinq-cents exemplaires de Comme un poizon dans le Rhône. En plus, ça coûtait cher et nous n’avions pas de licence pour les droits d’auteurs et tout ça, alors le disque a été fabriqué en France. En ce qui concerne la réception, on a presque été dépassés par les événements. Les cinq-cents exemplaires étaient partis en deux ou trois jours. On s’est retrouvés sur le site bounce2dis à l’époque, ce qui nous a surpris. Un de nos potes venait d’Evry et un peu après la sortie de l’album il y était allé, et il y avait entendu notre son ! Il ne comprenait pas, et nous même on était dépassés. Et n’ayant pas les moyens de communication qui existent aujourd’hui, on n’a pas eu l’occasion de concrétiser tout ce bordel… À côté ça a aussi créé pas mal de jalousie et d’incompréhension.

A : Cette année vous avez sorti une mixtape pour fêter les dix ans de Comme un poizon dans le Rhône. Cela laisse supposer qu’il est toujours dans les mémoires, et en y regardant de près, il est effectivement considéré comme un classique suisse. On t’en parle souvent ? 

A’s : Des gens de moins de vingt-cinq ans me disent qu’ils ont grandi avec ce CD, c’est fou. Quand je sortais plus de chez moi, on m’en parlait tous les jours, et actuellement, chaque semaine on m’en parle. Ce n’est pas croyable…

A : Comment vous arriviez à vous organiser collectivement en étant si nombreux ? 

A’s : C’était compliqué mais il y avait Looping qui coordonnait le tout. Il gérait tout ce bordel : les vidéos, les sessions d’enregistrement, tout. On enregistrait chez lui -et également chez White-, il est comme le personnage de L’Agence tous risques, à fond dans les trucs électroniques et il avait le matériel. Ce que l’on s’était dit c’était que ceux qui sont là posent sur le morceau que l’on fait, on ne pose pas chacun de son côté pour assembler à la fin. Le morceau est fait et le lendemain on passe à autre chose. C’était plus simple comme ça.

«  Je suis un gars qui traîne tout seul, je sors tout le temps la nuit, je porte des habits sombres, et des fois j’apparais, je disparais. »

A : Pour ta part, depuis 2008 tu as sorti une quinzaine de projets. Pourquoi une telle productivité ? 

A’s : Au début j’avais vachement de peine à faire un morceau seul, c’est pour ça que sur le premier album du collectif il n’y en a pas. Le déclic m’est venu quand j’ai arrêté de boire et de fumer. On dit que les artistes sont plus inspirés quand ils sont défoncés… Pas moi. Quand j’ai arrêté ça a été un putain de déclic, on dirait que j’avais trop de trucs qui étaient bloqués dans le cerveau avant et qui devaient sortir.

A : Parmi cette multitude de projets, les deux tiers au moins sont disponibles gratuitement, ou à prix libre tout du moins. Pourquoi ce choix ? 

A’s : Pour la plupart de ces projets, il n’y a même pas de clip qui les accompagnent… C’est vraiment la musique, donc si tu veux écouter, écoute ! C’était une phase de transition, ou de reconstruction, je ne sais pas trop comment dire ça… Je n’avais pas trop envie de me prendre la tête avec l’organisation des sorties et ces choses-là, mais je voulais quand même sortir de la musique. Puis des gens me parlaient de ce que je faisais, donc ça me poussait à le faire.

A : Ta première mixtape, Sale ¼ d’heure compte une quantité hallucinante de featurings et aussi des morceaux solos de proches à toi. Tu considérais alors le rap comme une aventure collective ?

A’s : Exactement, et puis comme nous on vient d’une époque où ça coutait cher de sortir des projets, d’enregistrer des cassettes, on n’a pas bénéficié d’une grande exposition étant jeunes. C’est pour ça que tu peux voir pas mal de kids sur nos projets, des mecs qui ont la vingtaine maintenant. C’était important pour nous de les inviter parce qu’ils ont toujours été là, derrière nous. Je trouve que la musique reste quelque chose de collectif, à partager.

A : Pour rester sur Sale ¼ d’heure, le mix et le mastering heurtent l’oreille, les conditions n’étaient pas propices à un rendu plus propre ?

A’s : [Rires] C’est vrai ! À cette époque je travaillais dans un quartier qui s’appelle Les Libellules, et là-bas j’animais un atelier rap pour les petits, dans un local mis à disposition par un pote qui nous enregistrait, et lui me laissait aussi les clés pour que je fasse mes trucs tout seul. Cette mixtape devait initialement s’appeler ¼ de lune, mais vu que j’étais dans une période vraiment pas au top, le titre s’est transformé en Sale ¼ d’heure, et le mix retranscrit tout à fait cette ambiance de merde qu’il y avait alors. On a essayé de sauver ça comme on pouvait mais… Laisse tomber ! [Rires]

A : De cette tape se dégage une ambiance crasseuse, sombre et sale… C’est aussi à ce moment que la formulation « New crack city » fait son apparition dans ta bouche, pour ensuite devenir un élément central de ta musique. Genève a été endommagé à ce moment par ce truc, votre quartier a changé ? 

A’s : Notre quartier a été totalement transformé. Il y a toujours eu beaucoup de drogues… Dans les années quatre-vingt les seringues traînaient par terre, après il y a eu une accalmie et à partir de 2009, 2010, c’est devenu vraiment dégueulasse. Tout simplement dégueulasse. À la base les problèmes de drogues dures apparents touchaient plutôt la rive droite, mais maintenant c’est vraiment dans notre quartier. À partir de cinq heures et demie en hiver, quand la nuit commence à tomber, tu vois des renois qui bicravent la dope partout, des crackés partout… C’est dégueulasse.

A : C’est un sujet que tu abordes dans ta musique, et tu sembles te situer entre la fuite et la repentance…

A’s : Comme beaucoup de gens ayant eu des histoires de rue, tu essaies de ne plus y être mais quelque part t’es toujours dedans en fait. Là, je suis au cœur du réacteur en ce moment même. Je suis toujours là…

A : Après Sale ¼ d’heure tu sors Fantom’As à New Crack City. Fantom’As, c’était simplement pour le jeu de mots, où il y a une identification particulière ?

A’s : On m’appelle souvent comme ça, je suis un gars qui traîne tout seul, je sors tout le temps la nuit, je porte des habits sombres. Puis des fois j’apparais, je disparais, les gens ne comprennent pas. Pour ce qui est de Fantomas, au départ je ne connaissais que le personnage de Louis de Funès et ensuite j’ai découvert les livres de Pierre Souvestre et Marcel Allain, que j’ai trop kiffés.

A : Nous reviendrons dessus. En 2010, lorsque tu sors cette mixtape, quel est ton état d’esprit dans le rap , quelle est ta situation et quelles sont tes envies ?

A’s : C’est un moment où j’étais vraiment en perte de vitesse dans ma vie personnelle, mais j’ai réussi à résoudre deux gros problèmes que j’avais : j’ai arrêté de boire et de fumer. Et à ce moment je rencontre Weedman de LS Records, sans qui je n’aurais rien fait ! Ce gars a été un putain de moteur, je ne le remercierai jamais assez.

« Je n’écris pas beaucoup, je suis tout le temps dehors et je regarde tout ce qui se passe, alors peut-être que j’écris sans écrire. »

A : En 2012 tu franchis le cap du vrai solo avec la sortie de l’album Les Mondes engloutis, qui ne compte pas de featuring.

A’s : Ce qui est paradoxal c’est qu’à la base je voulais des feats. Mais mon pote Mr. Bil m’a dit « gros, fais-ça tout seul ! » Peut-être que lui-même voyait que j’avais besoin d’exprimer un truc, je ne sais pas… Ce n’était pas une façon de me dire « débrouille-toi », c’était vraiment dans le sens « il faut que tu sortes un truc solo. » De là, j’ai fait ce CD, et c’était parti.

A : Depuis tu as été inarrêtable, avec une dizaine d’EP’s qui sont sortis.

A’s : Après ce CD je voulais m’arrêter… J’avais vingt-huit ans, et j’ai grandi avec le rap, à une époque où les mecs disaient toujours en interview qu’à trente piges ce serait fini. C’était comme des footballeurs, à trente ans ta carrière est morte, tu arrêtes… Mais va dire à un saxophoniste d’arrêter la musique à cet âge-là ! C’est mort, tu ne peux pas. Quand tu kiffes, ce n’est pas possible. C’était plus fort que moi, j’ai dit que j’arrêtais mais j’ai vite compris que je ne pouvais pas.

A : Parlons un peu de ton écriture. Elle a quelque chose de très référencée, comme si chaque film vu, chaque série, chaque chanteuse écoutée, le moindre événement peut se retrouver dans une ligne à toi. Ceci laisse penser que tu écris quotidiennement, est-ce le cas ?

A’s : En fait, je n’écris pas beaucoup. Par contre, je suis tout le temps dehors et je regarde tout ce qui se passe. Mon pote Bil a des références vachement plus pointues, lui écrit à mort, il a des textes et des textes et des textes. Ce n’est pas mon cas, mais peut-être que j’écris sans écrire, comme je suis dehors en permanence… Par contre c’est vrai que j’ai beaucoup de références, au point que mes potes m’appellent A’s la Référence ! [Rires] J’aime bien trouver des petits trucs que personne ne connaît.

A : À partir de 2012, tu rappes de plus en plus au passé, et tu sembles puiser ton inspiration davantage dans tes souvenirs. « Système hexalite » est le meilleur exemple. Tu partages ce constat ?

A’s : Tout à fait. Je ne sais pas si une extension de mémoire a poussé… On parlait des Reebok tout à l’heure, en fait j’ai arrêté d’en mettre au moment où j’ai arrêté de bédave. Ça correspond à ce moment. C’était un stop avec le passé, pour pouvoir le regarder et essayer d’avancer. Il est clair que « Système hexalite » est le meilleur exemple, ce n’est pas la première fois qu’on me le dit.

A : Parlons un peu de tes références. Il y a une grosse place dédiée aux mythologies, et à toutes les œuvres fondatrices, y compris celles qui le sont pour la génération 80’s via le cinéma. 

A’s : Totalement ! Quand j’étais petit, mon père avait plein de cassettes vidéo de tous ces films sur la mythologie grecque. Le Choc des Titans je l’ai regardé des millions de fois par exemple. Et puis moi, je suis un grand fan de mythologie scandinave, je ne sais pas d’où c’est venu mais j’adore ça depuis petit. C’est clair que ça se retrouve inlassablement dans mon écriture. Après il y a aussi les séries comme The Wire, les films comme Fresh, comme Usual Suspects

A : Ton prochain EP s’intitule Le Royaume d’Asgard par exemple.

A’s : Dans Saint Seiya, c’est une parenthèse qui ne se retrouve que dans l’anime et dans les OAV. À la base ça renvoie à la mythologie scandinave et c’est une partie que j’ai trop kiffé. Il y a les sept étoiles, ce chiffre ayant une signification particulière pour moi, avec le quatorze. Ils sont le jour et la nuit. Tout ça est relié, c’est-à-dire que le Royaume d’Asgard est un monde de glace, où tu t’en sors par toi-même. Récemment, j’ai retrouvé l’intégrale de Thorgal, je me suis remis à fond dedans aussi. [Le tome 32 de la série s’intitule La Bataille d’Asgard, NDLR]

A : Il n’est pas courant d’entendre un rappeur faire référence à cette bande dessinée ! 

A’s : Je suis à fond ! Je les ai retrouvés la semaine dernière, j’en suis au tome 23 là ! Je vais aller jusqu’au 35, je kiffe trop. Puis L’Enfant des étoiles, ça rejoint d’autres trucs personnels…

A : Une autre référence est Le Prince des Ténèbres, est-ce un clin d’œil au film de Carpenter ?

A’s : Alors non, du tout, en fait ça vient de mon prénom. A’s n’est que le verlan de mon prénom, un prénom un peu bizarre qui est Sa. Ce prénom, Sa, vient de la Constellation d’Orion et du mythe d’Osiris, le Prince des Ténèbres. Avant même que je sache tout ça un jour par mon père, on me surnommait Prince des Ténèbres vu que je suis un gars de la nuit.

A : Inévitablement, nous devons évoquer Fantom’As, avec des titres comme « Le fiacre de nuit », qui renvoie à la série de romans Fantomas. Ce sont des livres que tu as beaucoup lus aussi ?

A’s : Ah ouais ! Il y a des tomes contenant je ne sais plus combien de romans chacun, et je crois que je les ai tous. Là j’ai fait une petite pause, mais j’ai lu les quatre premiers tomes… Enfin « tome » ce sont des livres de mille pages, des gros machins ! [Rires] Je kiffe le personnage en lui-même. En fait, comme à peu près tout le monde je pense, j’ai découvert via De Funès, ce qui est une approche super comique. Mais après, j’ai connu l’original avec tout le délire de la Belle Époque, le Paris du début XXe… Ces livres, ils les ont écrits dans l’urgence tellement ils avaient de succès, et c’est incroyable de se dire qu’ils ont décortiqué comme ça le Paris de l’époque, avec une telle précision. Puis il y a un mélange particulier de romantisme et de réalisme. Ça me fait penser à un The Wire avant The Wire. Un The Wire à la sauce européenne avec les troubles d’alors.

« En Suisse romande, il y a pendant longtemps eu un complexe d’infériorité par rapport au rap français, une espèce de peur.  »

A : Dans un autre registre, tu cites Dragon Ball régulièrement. 

A’s : On est la génération Club Dorothée comme disait Mac Kregor ! Dragon Ball ZSaint SeiyaKen le Survivant, tous les dessins animés de l’époque… Albator aussi j’adorais… Les Mondes engloutisLes Cités d’or… En même temps ça rejoint tous les autres films que je voyais, sur les mythes fondateurs. Mine de rien, ces trucs sont quand même axés sur des références précises, malgré le caractère fantastique.

A : Et l’anneau des Nibelungen, de quoi s’agit-il ?

A’s : Ça vient de la mythologie scandinave. Pour faire simple, on retrouve cela dans Saint Seiya époque Asgard. La Princesse Hilda de Polaris a un cœur bon et tombe sur un anneau qui la possède totalement. Cela renvoie à un mythe scandinave qui veut qu’il existe un anneau rendant complètement fou celui qui le mettra. Il n’aura plus que des envies de destruction. Et dans ma musique, l’anneau des Nibelungen c’est la rue.

A : Aujourd’hui quelques artistes suisses plus jeunes que toi –Di Meh, Slim-K, Makala etc.- bénéficient d’une petite visibilité, est-ce que tu sens qu’une brèche s’ouvre ? Pas forcément pour toi, mais pour cette nouvelle génération.  

A’s : Oui, clairement. Ces petits bénéficient des plateformes actuelles, mais surtout ils charbonnent de fou ! Ils travaillent depuis longtemps, ils se bougent, ils ont leur propre délire… Le fait de tomber sur mille sites français qui parlent d’eux, c’est magnifique. Il y a quelques temps alors que j’étais à Paris, j’ai croisé Di-Meh à Châtelet par hasard, il était comme à la maison. Les gens le saluent, lui m’a amené au magasin Benibla à Barbès, il était chez lui ! J’étais trop jeune pour m’en souvenir mais j’ai l’impression que leur impact est un peu le même que celui des Petits Boss quand ils étaient avec Arsenal et La Cliqua, toutes proportions gardées.

A : Cette année un showcase de Di-Meh et Slim-K au Gibus a été annulé à la dernière minute, puis relocalisé en urgence au Nouveau Casino. Alors qu’ils n’y étaient pas annoncés, ils ont parait-il retourné la salle, et les retours ont été unanimes sur ce qu’il se passait autour d’eux ce soir-la.

A’s : Ça ne m’étonne pas du tout ! Autant nous à Genève on a su créer une émulation à notre époque avec les moyens du bord, mais eux c’est vraiment impressionnant, ce qu’ils font à leur époque avec leurs moyens. Et j’espère qu’après eux, il y en aura d’autres encore ! À leurs concerts ça saute dans tous les sens, les petits sont fous. Même le style qu’ils ramènent… Nous on ne comprend pas, on est de la génération qui rigolait de Steve Urkel, on ne voulait pas être sapés comme ça, et eux sont dans un délire totalement autre, honnêtement ça me fait kiffer. Je suis content pour eux !

A : En sortant ce nouvel EP, peut-on se dire que tu as « arrêté d’avoir envie d’arrêter » le rap ?

A’s : Ah oui c’est fini, j’en suis revenu ! Rien que faire cette interview, c’était un objectif que j’avais à la base, sans savoir que l’on allait parler ensemble, mais juste en voyant comment les nouvelles plateformes ont pu élargir l’horizon pour le rap helvétique. En Suisse romande, il y a pendant longtemps eu un complexe d’infériorité par rapport au rap français. On était dans une période où le rap était très porté sur la rue, et beaucoup de gens n’osaient pas raconter ce qu’ils vivaient ici, même si c’était la même chose qu’en France en fin de compte. Je ne sais pas trop pourquoi, il y avait une espèce de peur. Nous avons quelque part été la première génération à assumer totalement ce que l’on fabriquait et à le raconter. C’est aussi pour ça que des gens se sont reconnus en nous. Et aujourd’hui, parler sur l’Abcdr c’est déjà avoir rempli un objectif que j’avais : gagner en visibilité au niveau francophone. J’espère que ça va continuer comme ça et je prépare la suite. Je suis sur un autre projet qui s’appellera Les toiles perdues, avec un autre label, Batmobb label. C’est un pôle qui s’occupent à la fois d’artistes rap et de sportifs. Le projet sera un trois titres, un hors-série comme The Lost Canvas dans Les Chevaliers du Zodiaque ! Il y aura Eloquence sur le projet, projet qui a été enregistré à Paris aux studios de la Seine.

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