Moontroop
The Dirty Something
En 2013, Moontroop sortait Triple Star Tape. Et le monde n’était pas prêt pour le projet, à moins que ce ne soit l’inverse. Trop complexe, inégal, assez décousu, ce premier long format du collectif avait un peu déçu, là où les morceaux annonciateurs du disque avaient pourtant réussi à créer une vraie attente. Il aura donc fallu quatre années au crew pour se remettre en ordre de marche. Ses contours apparaissent moins flous que par le passé : les Belges Rob Really et A.C. sont toujours au micro mais la production est confiée cette fois à un seul homme, l’Allemand Q-Cut, là où elle était partagée entre plusieurs beatmakers sur Triple Star Tape. Plus d’homogénéité côté musique donc, ce qui permet à Moontroop de frapper là où on l’attendait déjà il y a quatre ans, avec un album dense, cohérent et étrange.
Le morceau « The Dirty Something », qui donne donc son titre au projet, arrive dès la seconde piste et donne le ton de ce qui va suivre. Les bruits bizarres, les effets sur les voix, les scratches nerveux se cumulent à des nappes sonores inquiétantes. La dose d’expérimentation est suffisante pour sortir des sentiers battus mais pas non plus excessive au point que le résultat ne devienne inécoutable. Un subtil équilibre qui rappelle que sans maîtrise, la créativité n’est rien elle non plus. Une certaine linéarité ajoute au climat menaçant de l’album, nourri également par des extraits de vieux films de science-fiction. Par moment, les ambiances étouffantes pratiquées par des boute-en-train états-uniens comme $ha Hef ou Da$h ne sont pas si loin (« A Call from Dr. Gonzo », « Black Klad »). La tension ne retombe légèrement que lors du mélancolique « The Edge » ou sur « Sellers Market », récit sur le business de la fumette un peu plus animé que le reste du disque.
« Un album déconseillé aux claustrophobes mais vivement recommandé aux autres. »
Côté rap, Rob Really et A.C. s’expriment en anglais et se répartissent les rôles selon un schéma bien connu : le premier est le virtuose, le second le cogneur. Redman, Method Man. Eric Sermon, Parrish Smith. Terrence Hill, Bud Spencer. On tend un peu plus l’oreille quand le couplet de Rob arrive, mais A.C. n’a rien d’un faire-valoir et s’offre même un solo efficace avec « Czar Shit » et ses batteries tempêtantes. Aucun invité au micro, surtout pas, ça aurait pu donner un peu d’air frais. Les prestations des DJs, Hypercutz et Courtasock, sont en revanche appréciables (et même un peu trop rares), piochant dans les lyrics de Breeze Brewin’ (Juggaknots), Big Jus ou El-P.
Le communiqué de presse affiche d’ailleurs clairement les références de l’équipe : « Fans of Fondle’em, Definitive Jux and of course Company Flow take note: this record is one for you. » Néanmoins, The Dirty Something n’a rien d’un énième projet dégoulinant de nostalgie, où l’adoration d’El-P se substituerait à celle, plus fréquente, de DJ Premier, J-Dilla ou Pete Rock. Il s’agit d’un disque actuel, se suffisant à lui-même, et pas d’une version actualisée de The Cold Vein. L’œuvre de Cannibal Ox et celle de Moontroop ont bien en commun l’influence de la science-fiction. Mais là où un El-P emphatique nous emmenait en ballade dans un monde futuriste et glacial, Moontroop aurait plutôt mis en musique un sequel d’Alien qui raconterait les déboires d’une équipe coincée au fin fond de l’univers, se pensant en proie à une menace qui ne se matérialisera au final jamais, ou trop tard. Le Désert des Tartares version spatiale en quelque sorte. Un album déconseillé aux claustrophobes mais vivement recommandé aux autres.
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