Chronique

J-Live
All of the above

Coup d’état/Seven Heads - 2002

1996. J-Live, alors au sein du label indépendant Raw Shack, entame de belle manière une carrière prometteuse avec un premier maxi deux titres Longevity/Braggin’ Writes. Ce dernier morceau rencontre un certain succès et fait rapidement office de carte visite pour cet étudiant en lettres à l’écriture si soignée. La sortie peu après d’un nouveau 12″ Can I get it/Hush the crowd (auquel est venu se greffer un remix de ‘Braggin’ Writes’) assoie un peu plus la réputation de J-Live, et prépare la prochaine sortie d’un premier long format, annoncé prématurément pour l’année suivante. Prématurément car après d’innombrables déboires avec sa maison de disques, un piratage massif et du coup le rajout de deux inédits, le premier album de J-Live, The Best Part, ne sort très officiellement que quatre années plus tard. C’était il y a quelques mois, via le label Seven Heads (à qui on doit déjà le très bon Soon Come de Asheru & Blue Black). Un grand album auquel on apposera sans hésiter l’étiquette de classique-indispensable. Son premier opus enfin disponible dans les bacs de tous les disquaires, J-Live, de son vrai nom Jean Jacques Cadet, lui donne une suite avec « All of the above », nouveau long format, fruit de longues années de réflexion.

La conception musicale de All of the Above s’avère, au contraire de son prédécesseur, l’œuvre d’une équipe de producteurs relativement réduite. Le fidèle DJ Spinna dévoile un panel d’inspirations relativement large, variant sans défaillir la composition et le rythme de ses productions. On passe ainsi sans sourciller du mélodieux ‘Satisfied ?’ au très rythmé ‘3 out of ‘. Joe Money apporte lui aussi sa touche personnelle, toute aussi éclectique. Au petit jeu des comparaisons on pourrait estimer que ‘Like this Anna’ rappelle par instants ‘Swept away’ ou ‘Act too’ (The Roots), quand au très harmonieux ‘One for the griot’ on le croirait directement tiré de « Soon come » (Asheru & Blue Black). J-Live participe lui aussi, à la création musicale de cet album, travail qu’il prolongera au sein de son label Triple Threat Productions. On note aussi, mais de manière plus anecdotique la participation de P. Smoova et Richy Pitch respectivement sur ‘A Charmed life’ et le dépouillé ‘The Lyricist’.

Si la diversité des producteurs confère à cet album une diversité plaisante, on retrouve tout de même une certaine cohérence, une identité musicale assez définie, oscillant entre soul-jazz-funk et bien évidemment quelques spécificités inhérentes au rap. Les guitares sèches, mandolines côtoient ainsi les cuivres, et autres jolies mélodies de piano. Si la partie strictement musicale est déjà enthousiasmante, le emceeing assuré par J-Live tourne à la démonstration. Démonstration de maîtrise et d’assurance microphonique, de finesse et de richesse dans l’expression mais aussi de créativité et de diversité dans les sujets abordés.

‘Satisfied ?’ développe ainsi une réflexion pertinente sur les évènements du 11 Septembre, et plus largement sur la situation politique et sociale américaine « It ain’t right them cops and them firemen died that shit is real tragic,but it damn sure ain’t magic, It won’t make the brutality disappear,it won’t pull equality from behind you ear, it won’t make a difference in a 2 party country, if the President cheats to win another 4 years,and don’t get me wrong, there’s no place I’d rather be, the grass ain’t greener on the other genocide, but tell Huey Freeman don’t forget to mow the lawn, and uproot the weeds, cause I’m not satisfied« . Notre résident de Brooklyn se fait aussi conteur sur ‘One for the griot’, dans la droite lignée des Biz Markie et autres Slick Rick. Son récit à fins multiples mêle à la fois émotion, réalisme et une petite touche comique. Loin des stéréotypes du rappeur gangster-dealer-macho-bagnard (décrit non sans humour sur le premier interlude), J-Live réhabilite le rôle du emcee, prêchant l’éducation et la prise de conscience, toute une philosophie exprimée dans cette rime extraite de ‘How Real it is’ « the illest weapon ain’t your nine boy, it’s your brain ».

On appréciera tout au long de ces vingt-et-un titres la qualité d’écriture de ce professeur de littérature, jouant de multiples métaphores, images et jolies formules tel un poète. ‘Travelling music’ ou encore ‘Nights like this’ brillent avec éclat pour peu qu’on se penche avec un peu d’attention sur ces textes. Court extrait parmi tant d’autres « rain might stop but that doesn’t mean the water’s gone, that’s kind of deep huh? Well this is that sort of song« .

Brillant, intelligent, délié, riche et créatif, J-Live prouve avec ce nouvel opus l’étendu de son talent, incarnant à mon sens ce que le Hip-Hop aurait du toujours être. Souhaitons lui désormais de récolter le respect et la reconnaissance qu’il mérite.

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