Georgio et Angelo, alliance parfaite
Le premier vient du hip hop, le second a travaillé dans l’ombre de Christine & The Queens : vu comme ça, Georgio et Angelo Foley n’avaient rien en commun. Réunis, ils ont pourtant donné naissance à Hera, un disque pop et ambitieux qui ressemble bien à leurs auteurs : deux potes aux goûts bien plus larges qu’on pourrait le croire. Rencontre en terrasse.
Il est onze heures du matin lorsque l’on débarque à la Rotonde. Dans le froid ensoleillé de l’Est parisien, Georgio et Angelo Foley ont démarré leur discussion depuis un bon moment. Il faut dire que les deux garçons n’ont pas réellement besoin de journaliste pour ce genre de choses : Hera, deuxième album de Georgio, est né de leur amitié. Avant d’aller s’attabler à un café pour discuter du disque, les deux musiciens passent par la case photo et se mettent à poser au milieu de la place de la Rotonde. Au moment où Georgio se retrouve seul face à l’objectif, Angelo le chambre planqué derrière comme un pote de cour d’école. Si l’on pourrait trouver ce détail anodin, il en révèle beaucoup sur leur travail en studio : plutôt que de seulement “utiliser” les compétences d’un producteur, Georgio est allé chercher une personnalité. Celle d’Angelo, qui, en partant de quelques verres et de parties sur FIFA, l’a ensuite amené à réaliser un disque entier.
Guitares, sonorités électroniques, chœurs… la première écoute de Héra peut surprendre : Georgio aurait-il renié ses origines ? Direct, le duo balaye l’idée d’un revers de main : “On n’a pas fait un disque de pop avec du rap par dessus” affirment-ils. La couleur générale de Hera s’éloigne pourtant bien des codes habituels du hip hop pour y amener des guitares et des claviers tout droit sortis d’un groupe de pop ou d’electro. “Depuis quelques temps, le rap m’excite moins qu’avant en tant qu’auditeur, et j’écoute plein d’autres choses. Par exemple, j’ai pris une grosse baffe avec le premier album de Alt-J, un groupe que j’ai découvert un peu en retard” explique ainsi Georgio en sirotant son café. Les sonorités pop mélancoliques du groupe britannique n’ont effectivement pas grand-chose à voir avec les sons froids et très durs auxquels Georgio nous avait habitués par le passé.
En apparence. Car si l’on se souviendra du premier album de Georgio comme d’un disque rap foncièrement sombre (il ne s’appelait pas Bleu Noir pour rien), il ne faut pas non plus oublier que le garçon s’était à l’époque aussi rapproché des guitares du groupe Fauve, qui lui avait fait l’honneur d’être le seul invité de son disque. “J’avais aussi fait un morceau avec un quatuor à cordes sur Bleu Noir, donc je savais que l’association entre instruments et rap marchait. C’était vraiment quelque chose qui me trottait dans la tête” appuie le jeune rappeur. Le déclic va alors survenir en écoutant le dernier album de Grand Corps Malade : tandis qu’il lance le premier morceau de l’album, Georgio tique sur la production. “Le disque démarrait avec un morceau vachement rap, mais avec un piano et des vrais instruments à la production. Directement je me suis dit : « mais putain qui a fait ça?!’ ».
Lui, c’est Angelo. Et il se trouve face à nous. Les cheveux blonds peroxydés et un grand sourire aux lèvres, le jeune homme déroule son CV : homme de l’ombre en studio, il a produit de jeunes artistes français pop-électroniques comme Yanis, Marvin Jouno, Jeremie Whistler, et, surtout, Christine & The Queens qu’il a accompagné lors de ses premiers morceaux. Et depuis qu’il a entendu ce fameux morceau de Grand Corps Malade, Georgio aimerait mettre un visage sur le nom d’Angelo : après quelques mails échangés, les deux garçons se rencontrent alors pour discuter musique autour d’un café. Le courant passe directement : “On a passé une ou deux soirées à se raconter toutes nos vies et on est devenus potes direct. Quand tu as envie de faire un album avec quelqu’un, tu as besoin de savoir avec qui tu roules, encore plus pour moi comme ma musique est très personnelle. Et on a eu la chance de super bien s’entendre” confirme Georgio sous le regard approbateur de son acolyte. Les deux garçons décident alors de composer et d’enregistrer le deuxième album de Georgio en… une semaine. “Ça ne m’arrive vraiment jamais, c’est très rare ! s’exclame Angelo Foley en se marrant. On s’est quand même vraiment bien entendus pour bosser aussi vite !”. En se basant sur quelques maquettes, le duo compose et enregistre les treize titres de Héra tous les jours enfermé dans le studio d’Angelo : “On se rejoignait à onze heures du matin, et on bossait sur les morceaux jusqu’à ce que nos cerveaux ne soient plus efficaces, il n’y avait pas de limite de temps” continue le producteur. En s’enfermant en studio comme le ferait un groupe de rock, Georgio réalise son souhait : ne pas faire un disque de rap comme les autres. “Pour ce disque, je voulais avoir un vrai son d’ensemble. Et j’avais aussi envie de m’amuser en studio, fonctionner différemment de mes habitudes, c’est à dire avec un beatmaker. Là, Angelo avait ses instruments, il commençait à proposer un truc à la guitare, je réagissais, après on allait bidouiller un synthé… J’avais vraiment envie qu’il y ait un échange, une rencontre”.
Comme il le confirme, Angelo n’est pas un enfant du rap à la base. Et cela se répercute sur leur collaboration : “Au moment de cerner les envies de Georgio pour le disque, j’étais très étonné parce qu’il ne m’envoyait pas de rap, que des trucs chelous de pop ou d’electro du fin fond de l’Internet” s’amuse-t-il. “En vrai on ne parlait jamais de rap, c’était même une règle : dès qu’on partait sur de la musique trop rap en studio, on s’arrêtait tout de suite”. Cette exigence, elle vient de Georgio lui-même. Après avoir sorti un premier disque assez classique dans la forme, le Parisien souhaitait prendre des risques : “J’ai fait beaucoup de boom-bap par le passé, et je ne me reconnais pas du tout dans toutes les productions US actuelles, estime-t-il. Du coup j’avais envie de n’utiliser aucun sample et de créer ma propre musique”. De ce parti-pris va naître Héra, un disque de 13 titres bel et bien hip hop : car malgré les guitares, les notes electro et les refrains chantés, on reste frappé par la rage qui habite encore le jeune rappeur dans ses textes amers, mais aussi plus optimistes depuis peu.
À voir le sourire qu’il affiche en terrasse, on peut en effet affirmer que Georgio va bien. En tout cas, le jeune garçon angoissé de son EP Soleil d’Hiver a trouvé un moyen de remonter la pente. Malgré des textes où il se met à nu, le rappeur reste plutôt pudique en évoquant sa vie privée : “Bleu Noir était très dur, et je ne voulais pas que les gens croient que je suis déprimé parce que ce n’est pas le cas. J’avais un sentiment d’urgence à sortir quelque chose de nouveau, plus en phase avec ma vie actuelle, et c’est pour ça que mon deuxième album est arrivé aussi vite”. La musique y est pour beaucoup : “Plein de bonnes choses sont arrivées avec mon premier album, je suis parti en tournée, j’ai rencontré plein de gens, j’ai gagné plus d’argent… et puis il y a la vie et sa magie de l’imprévu” sourit-il.
Voilà une heure que l’on enchaîne les cafés avec les deux garçons, et l’on enrage de ne pas trouver un seul point de dissonance entre eux. On essaye alors de leur faire cracher le morceau. Y a-t-il un sujet sur lequel ils ne seraient pas d’accord ? “On va être très chiants dans notre réponse !” sourit Angelo. Les goûts musicaux peut-être ? Angelo Foley pense au groupe anglais des Last Shadow Puppets. “Ah oui c’est vrai tu m’as fait écouter et j’aimais pas au début” se rappelle Georgio. Il sourit, un air coupable sur le visage : ”Mais entre-temps je me suis mis le premier album et en fait ça défonce !”. “Ah l’enculé ! charrie Angelo. Tu vois, y’a rien… c’est triste limite”. On laisse tomber la musique. Le sport alors? “On a regardé ensemble Espagne-Italie quand on était en studio cet été”. Ah? “J’étais pour l’Espagne et lui pour l’Italie”. Les deux explosent de rire : “Mais à la fin, on ne savait même plus pour quelle équipe on était !”. Comme une évidence.
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