New Generation MC, rois des 80’s
Interview

New Generation MC, rois des 80’s

L’histoire du premier groupe de rap français racontée par l’un de ses membres fondateurs.

Photographie : Alain Garnier & Aurore Vinot

Une demi-décennie durant, ils ont pris possession des scènes, dominant un jeu qui ne leur offrait qu’un présent. En 1990, alors que Rapattitude devait les consacrer, le premier groupe de rap français laisse place et projecteurs à ceux que l’histoire retiendra. Éreinté par ce qui éreintera tous les collectifs, cinq ans trop tôt. Voici l’épopée des New Generation MC racontée par Odger aka RMC, son rappeur emblématique.

Naissance d’une aventure

« Avant le rap, il y avait le jazz-rock et le funk pour les mecs de cités. Quand le rap est arrivé, on a pris une grosse claque. Des soirées mêlaient ces trois genres. Il y avait un gros mouvement jazz-rock, beaucoup de danseurs. Et c’est eux qui se sont mis au smurf puis au break. Tout a commencé par la danse. Ceux qui sont restés dans le jazz-rock sont de fait devenus les vieux. Un ou deux disquaires parisiens allaient chercher les disques à New York. J’étais gamin, j’allais écouter des vinyles chez un pote, Double P, qui deviendra plus tard le DJ du groupe. Double P était un grand du quartier, il avait plein d’imports US. C’est lui qui nous a fait découvrir le rap. On était des gamins, on avait treize ou quatorze ans. Il mixait dans des boîtes. Il y avait peu de DJ à l’époque à Paris, donc ils se connaissaient tous : Double P, Sidney, Dee Nasty, Chabin… C’est l’arrivée de la FM qui nous a permis d’écouter autre chose que de la variété française. Carbone 14, Radio 7… La première fois que j’ai vu du rap, c’était « Rapper’s Delight », au journal de 20h. Même s’il y a eu du temps entre « Rapper’s Delight » et le moment où le rap s’est lancé parce que c’était encore considéré comme du disco. Tous les mecs qui achetaient de la P-funk et du jazz-rock se sont mis à acheter aussi les trucs de rap qui arrivaient. Ça ne s’appelait même pas rap à l’époque. C’était le hip-hop tout simplement, ce n’était pas dissocié comme depuis vingt-cinq ans. Tout le monde s’exerçait à chaque discipline et selon tes capacités ou affinités, tu t’orientais vers une discipline. Le hip-hop était la seule manière pour nous d’être valorisés. Ce n’était pas une histoire d’argent, même s’il y en avait déjà un peu. Quand le hip-hop est arrivé, c’était tellement fort que forcément les gens se fréquentaient. Au pire, ils se confrontaient.

Tout le monde était ensemble à l’époque : les danseurs, les graffeurs… Il n’y avait pas encore de rappeurs. Vers 1982, c’était à peine balbutiant. Moi, j’ai commencé à rapper en 1983 ou 1984. Les tout premiers rappaient en « anglais », en yaourt : Gary Gangster Beat et Domy Rapper T. Les premiers à avoir rappé en français sont Jhony Go et Destroy Man. Puis il y a eu Lionel D et ensuite moi. J’ai dû apprendre deux textes de Kurtis Blow par cœur puis je me suis mis à écrire en français. L’engouement vers 1983/1984, c’était surtout via le break. On a tous commencé avec le break, on s’est tous mis par terre. On a fait la première fête de la musique de Jack Lang, les mecs ont attendu jusqu’à cinq heures du matin pour nous voir. On était passés juste après Bambaataa. Toute la banlieue écoutait du rap grâce à Radio 7 puis Radio Nova. On squattait là-bas. Ça changeait le quotidien des gens, ils entendaient autre chose que de la variét’. Les imports US, tu les recevais une fois tous les deux mois et t’étais le roi du pétrole, c’était le jour de gloire. En termes de flow, c’était le début de tout. On n’avait pas de références, on a posé les premières pierres. L’apprentissage musical n’existait pas. Aujourd’hui, n’importe quel mec qui fait du son a des bases musicales construites. Nous, notre formation musicale, c’était : « Putain, il est bon ce vinyle, comment ils ont fait ? » On achetait du matos et on essayait de comprendre. Les musiciens ne faisaient pas de rap en France, c’était du bruit pour eux. Il fallait qu’on fasse tout nous-mêmes.

New Generation MC, Richy, Sidney, Junior - Freestyle extrait de la dernière émission de Rap Party sur Radio 7 (février 1987)

Au tout début, personne ne voulait passer du rap à la radio. Il n’y avait que Radio 7 qui donnait le micro à des jeunes de banlieue. New Generation MC s’est constitué là-bas, quand Sidney y a commencé son émission. A force d’aller à la radio tout le temps ensemble, on est devenus un groupe. A la base, on était trois : moi, GMB et JMG [NDLR : plus connu sous le nom de Juan Marco et membre ensuite du groupe Too Leust]. Avant ça, je rappais de manière individuelle. GMB puis JMG s’y sont mis très vite ensuite. Et puis on a connecté avec des mecs de Bagneux, dont Human BeatJess aka Eddy Kent [NDLR : ensuite membre de Too Leust et d’Explicit Samouraï], spécialiste en beatbox, et Kayzer T qui faisait des chorégraphies. »

« Personne n’aurait jamais fait venir des rappeurs dans un studio. »

Les rois de la scène

« Il y a des mecs qui déchiraient mais qui ne sont pas restés longtemps sur scène : Iron et Shooz. Les battles, c’était vraiment au tout début du rap, Jhony Go et Destroy en étaient les épouvantails, j’en faisais avant qu’on ne forme les New. Ensuite, il y avait de la compétition entre les groupes sur scène mais pas de vrais battles. C’était à celui qui déchire le plus. Il y a d’abord eu le Bataclan, le vrai, puis la Grange aux Belles, ensuite Chez Roger Boîte Funk et, après, Chez Roger mais au Bobino. Chez Roger, c’était scène ouverte. Il y avait de vrais battles de danse, pas mis en scène, parfois des défis de rap, mais surtout des shows de rap. C’était chaud. Le public pouvait te dégager s’il le voulait. L’atmosphère était « dynamique ». [Rires] A cette époque-là, il y avait d’autres groupes mais je pense que c’était nous LE groupe. Le premier duo, c’était Jhony Go & Destroy Man. Eux étaient très portés sur les battles. Très peu de monde osait les défier. Celui qui improvisait le plus, c’était Lionel. Et puis il y avait nous, le groupe. Les autres étaient soit en train de se faire, soit moins bons ou pas au point. Les mecs sont arrivés les uns derrière les autres. Ça a pris du temps. La old school a mis longtemps à se former. Dès qu’il y avait un nouveau qui déchirait, c’était la sensation.

Jhony Go et Destroy Man faisaient vraiment flipper les gens. Si tu montais contre eux et que tu n’étais pas prêt, tu savais que t’allais te faire fumer. Mais personne ne m’impressionnait parce que quand tu rappes, tu ne conçois pas d’être autre chose que le meilleur. Tu t’en persuades et tu travailles pour. J’apprenais à improviser sur tout et n’importe quoi et je me sentais super fort, quand j’étais derrière le micro, il ne pouvait rien m’arriver. Tu ne peux pas rapper si ce n’est pas pour déchirer. Les gens en bas, ils avaient besoin de te sentir présent sur scène. Chez Roger, on a vu des rappeurs pourris se prendre des chaises. Le public, c’était pas des mecs qui se contentaient de bouger lentement la tête. Il fallait que tu sois prêt, que tu aies du répondant. Il n’y avait pas de « excusez-moi les mecs, je recommence ». En réécoutant aujourd’hui, je me trouverais super pourri mais à l’époque ça ne l’était pas parce qu’il n’y avait pas de références. Les mecs bossaient pour être meilleurs que nous. On a mis un truc en place. Tous les rappeurs se sont forcément basés sur ce qui a été fait avant eux pour faire mieux. Le rap a longtemps été en progrès constant parce que tu veux faire mieux que ta référence. Nous, comme on n’avait pas de références, on l’a créée et les gens ont ensuite fait mieux que nous. Il n’y avait pas meilleurs que nous sur scène à l’époque parce qu’on avait organisé un système de travail efficace. On n’enregistrait pas de morceaux. On s’entraînait. On n’y pensait même pas. Le plus important, c’était de monter sur scène et de déchirer. C’était tellement hors de portée. Personne n’aurait jamais fait venir des rappeurs dans un studio. « Qu’est-ce que c’est que ces mecs qui braillent dans un micro et tournent sur le dos ? » Ce n’était pas du tout perçu comme une pratique artistique. Nous, on savait que ça en était une. Mais sinon, c’était vu comme un phénomène de mode. D’ailleurs, quand il y a eu un trou entre 1986 et 1988, tout le monde disait que le rap était mort. Déjà ! »

New Generation MC & EJM - Freestyle Deenastyle (1988)

Mouvement authentique

« En 1988, comme on était un peu le groupe phare sur Paris, on s’est dit que ce serait bien de rassembler tous les rappeurs de la banlieue sud sous un même nom. On s’est mis en association pour pouvoir occuper la salle Le Chat tous les samedis. Les gens venaient d’eux-mêmes et, ensuite, il y a carrément eu des comités de sélection. Moi, je n’y participais pas, je n’étais pas assez virulent pour ça. [Rires] C’était Sulee B le patron du comité de sélection. Il était sans pitié ! [Rires] Moi, je sortais, je ne pouvais pas supporter. C’était dur. Tu avais un rappeur au milieu d’une petite salle, tout le monde assis en rond autour de lui. C’était bien, tu rentrais, sinon tu dégageais. Les premiers à en faire partie, c’étaient M.I.C., EJM, Les Little, Destinée, Saxo… Nec + Ultra et Melaaz en ont fait partie de façon éclair. Je crois que B.Love aussi, mais je ne peux pas l’affirmer à cent pour cent. Les Little, c’étaient vraiment nos petits. Ils venaient d’ailleurs mais ils se sont greffés chez nous. Ils étaient dans une bonne vibe. Quand ils sortent l’album, ils sont encore avec nous, c’est plus tard qu’ils ont pris leurs distances. Châtillon, c’était un lieu où il se passait quelque chose, donc forcément les gens venaient. On a fait des battles au Chat entre les mecs de la cité et Aktuel Force par exemple. Cut Killer a fait la soirée inaugurale de Mouvement Authentique au théâtre de Châtillon en 1988. A l’époque, c’était le protégé de Dee Nasty. Mouvement Authentique, ça représentait essentiellement Châtillon, Bagneux, Vitry et Ivry. »

Révolution sample

« On avait une trentaine de titres, facile. On écrivait tout le temps… Au tout début, ce n’était que de la boîte à rythmes. Ensuite, on a découvert le sample comme tout le monde. Faster Jay est arrivé tard dans le groupe, à l’époque de Rapattitude. C’est lui qui a introduit le sample dans le groupe. On touchait bien en boîte à rythmes et quand le sample est arrivé vers 1989, on a eu beaucoup de mal à s’y faire. On était très bons en programmation de boîte à rythmes et on était tellement fiers de ce qu’on faisait qu’on n’a pas pris le train du sample. On a failli se faire défoncer scéniquement en Suisse. Un groupe suisse est arrivé avec des samples, ça sonnait ricain d’office. Il y avait beaucoup de soirées en Suisse, tous les Parisiens allaient là-bas. C’est ce jour-là qu’on s’est dit qu’il fallait se mettre au sample, qu’on a pris conscience du changement de direction. Mais entre prendre conscience et s’y mettre… Alors qu’on l’avait la banque de samples, notre DJ avait tout ce qu’il faut. Mais c’est vrai qu’on n’a pas pris le train tout de suite et ça a créé pas mal de tensions. Le sample a été un vrai changement mais autant on y adhérait pour le son ricain, autant on ne l’imaginait pas vraiment se greffer au rap français. On s’inspirait des Etats-Unis mais on ne copiait pas. La copie des Américains est venue par le sample, et c’est ça qui nous a fait chier. Les mecs samplaient carrément les skeuds des rappeurs américains, on avait l’impression de perdre notre identité. Le son était dix fois meilleur, c’est clair, mais c’était pas nous. J’écoutais beaucoup de son à cette époque-là, donc quand je me suis mis au sample, j’essayais d’en trouver que je n’avais jamais entendu ailleurs. Quand tu écris ton texte de rap, tu le crées, donc on ne comprenait pas que ce ne soit pas pareil pour la musique. Les gars samplaient des beats complets… A côté, il y avait des groupes qui arrivaient comme nous on était arrivés quatre ans plus tôt. Nous, on avait déjà donné le savoir-faire aux autres mais on n’a pas su profiter de l’énergie de ces nouveaux groupes. »

« De Buretel hésitait entre deux groupes : nous et IAM. »

New Generation MC - « Toutes les mêmes »

Rapattitude, rap lassitude

« Au moment de l’enregistrement de Rapattitude, scéniquement, on était encore un groupe phare. Même si au niveau du buzz et du relationnel, on n’avait pas le réseau. Nous, on représentait le sud de Paris mais la plupart des graffeurs et breakers étaient au nord par exemple. Ce n’est même pas qu’on a été pris sur Rapattitude, tout le monde nous voulait encore à cette époque-là. D’ailleurs, tout le monde était persuadé, nous les premiers, que Rapattitude allait en partie être porté par les New. On était l’un des fers de lance. Mais comme, mentalement, on n’y était plus, ça s’est ressenti dans notre investissement. Le groupe s’est fini quand on a enregistré. Le morceau sur Rapattitude est le seul à avoir été pressé. On est arrivés trop tôt, on était un peu fatigués au moment où il fallait exploser. On n’était déjà plus d’accord sur rien, on a bâclé le morceau. A cette époque, on devait signer chez Virgin. De Buretel hésitait entre deux groupes : nous et IAM. Au moment où nous devions le convaincre, on s’est dit : « Bon, on ne va pas y aller tous, on va y aller à deux ». Mais on n’a pas arrêté de se prendre la tête devant lui, donc il a compris que le groupe était mort. Mais il avait vraiment hésité. Il me l’a dit plus tard, vu qu’il m’a signé en tant qu’auteur, tout seul. J’écrivais notamment pour Saliha. Outre cette histoire, on avait quelques différends humains qui ont fait que le groupe a cessé d’exister. A l’époque, il n’y avait pas de réseaux de disques, donc on n’était vraiment qu’un groupe de scène en fait. On était les meilleurs dans ça mais on ne savait faire que ça et c’est ce qui a fait la différence avec les groupes qui arrivaient. Dès qu’on allait en studio, c’était compliqué parce qu’on n’avait pas de repères. Rapattitude, c’était la vraie première expérience en studio. On faisait des maquettes chez nous avec un petit 8 pistes avant ça. On a eu l’opportunité de sortir un disque quand le groupe était en train de mourir en fait. Le groupe a explosé au moment où on aurait dû signer. Akhenaton était à New York et les autres à Marseille à cette époque, il me semble. Je ne les connaissais pas, c’est De Buretel qui m’en a parlé sans les nommer : « Ouais, j’ai des gars là… » Et c’est après que j’ai compris que c’était eux. Il a vu que nous étions en fin de vie alors qu’IAM était en pleine croissance. »

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