Mr Lif
Don’t Look Down
Même si son dernier album, I Heard it Today, date de 2009, on avait perdu de vue Mr. Lif depuis une décennie, c’est-à-dire depuis Mo’ Mega (2006). La sortie de Don’t Look Down est l’occasion de constater que ce qui demeure son LP le plus connu, I Phantom (2003), a été réédité l’année passée aux bons soins de Mello Music, label sur lequel on n’est pas surpris de retrouver le Bostonien. Comme son prédécesseur de 2003, cet opus au titre suggestif se présente comme un album-concept, avec pour trame le récit des hauts et des bas (surtout des bas) de l’existence. Il s’en distingue cependant sur la forme car, contrairement à son prédécesseur, les morceaux ne sont pas entrecoupés de dialogues. De plus, le récit est plus directement personnel que sur I Phantom, qui mettait en scène un personnage. Réchappé d’un grave accident de la route qui l’a éloigné un moment de la scène artistique, éloignement prolongé par l’inondation de son studio quelques années plus tard (!), Jeffrey Haynes parle plus directement de lui-même.
Et pour ce faire, il a renoncé à toute fioriture. Dix titres, trente-six minutes : l’album est court et par conséquent un peu frustrant. Mais Mr. Lif a sans doute bien fait d’aller à l’essentiel en évitant tout remplissage, en un hommage implicite à Illmatic ou Follow the Leader. Ne comportant aucun déchet, l’album est l’occasion de démontrer que le membre des Perceptionists (le groupe est réuni le temps du septième morceau, « Mission Accomplished », et son petit fond blaxploitation) n’a rien perdu de son aisance. Du fast rap (« The Abyss », avec ses cris de loups en arrière-fond et ses scratches) jusqu’au morceau-titre, où l’accord de piano introductif laisse place à une nappe de synthé lui donnant une touche céleste, son rap, rehaussé par une voix aisément reconnaissable, n’est jamais pris en défaut.
À l’exception de ce dernier titre, qui dépasse les cinq minutes, tous les morceaux tournent autour de trois minutes, mais l’ambiance de chacun d’eux est variée, épousant les différents états exprimés, du trente-sixième dessous à la résurrection. Propulsé par le storytelling oppressant de « Pounds of Pressure », sur fond de sirènes, de coups de feu et d’un riff de guitare sans espoir, le disque passe par des moments plus apaisants, comme l’optimiste « A Better day » et ses cordes délicates, refrain chanté à l’appui. Et d’autres plus distordus, en particulier « Whizdom », qui invite Blacastan sous la houlette d’un autre Bostonien perdu de vue, l’irremplaçable Edan, avec un sample que n’aurait pas renié J-Zone. Huit producteurs se partagent le gâteau mais tout tient bien ensemble et rien ne vient gâcher le tableau, même les refrains chantés de « Let Go » et « A Better day ». Breaks, scratches, variations instrumentales, invités triés sur le volet (dont Del sur « World Renown », les deux hommes s’étant déjà croisés notamment sur Deltron 3030) : Don’t Look Down est à la hauteur du reste de la discographie de Mr. Lif. À croire qu’il a écouté Sameer Ahmad lors de notre récente émission : le bon album, c’est celui dans lequel il n’y a plus rien à enlever.
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