88-Keys
Adam’s Case Files
88-Keys pourrait prendre sa retraite aujourd’hui, il partirait l’esprit tranquille. Le discret producteur n’a pas rejoint un pool de confection sonore première classe comme Hi-Tek, il n’a pas encore le buzz grandissant d’un Black Milk, mais il a un classique intemporel à son tableau de chasse : ‘Thieves in the night’, sur l’album Black Star de Talib Kweli et Mos Def. Le genre de Graal que tout producteur inspiré par A Tribe Called Quest ou The Pharcyde contemplerait avec l’œil humide. Natif de New-York, 88-Keys s’est fait discret pendant une décennie qui a vu son univers sonore retrouver la cote – merci Kanye West – tout en restant plébiscité par une niche d’auditeurs restreinte mais fidèle.
Adam’s Case Files est la mixtape qui annonce son premier album The Death of Adam, prévu pour octobre. Un disque-concept dont 88-Keys précise le pitch en ces termes : « Ca raconte l’histoire d’Adam, il représente l’homme dans sa quête du sexe opposé. Plus précisément, hum… Ca parle du pouvoir de la femme… Et de son vagin. La quête du minou mène l’homme à sa perte. A partir de là, les gens vont vouloir acheter l’album. » On imagine déjà le sticker : « Le disque dont le rap avait besoin« .
Avant d’être conteur (il se met au rap pour cet album), 88-Keys est d’abord l’un de ces producteurs qui aiment dépoussiérer leurs vinyles, pas tant pour les découper en tranches et les injecter dans leurs machines, mais tout simplement pour les partager avec l’auditeur. Presque systématiquement, sur chaque titre, le producteur prend le temps de dévoiler son matériau sonore avant de le faire hoqueter sur des rythmiques claudicantes. Sur un album, le procédé serait vite redondant, mais dans le cadre de cette mixtape, sa méthode donne l’occasion de visualiser les détours créatifs qu’il emprunte pour transformer une vieille chanson triste en production efficace (‘True feelings’). J-Dilla aurait de quoi être fier.
Reste le concept. En choisissant une thématique aussi glissante, 88-Keys met ses invités en difficulté. Sa technique de composition oblige les MC’s à se retrouver face à face avec les chansons samplées, fatalement romantiques. Du coup, chaque invité de la mixtape – beaucoup de seconds couteaux (Serius Jones, Grafh), un espoir hype (Kid Cudi), quelques amis (Mr Bentley) – se retrouve obligé de composer avec les fragments instrumentaux pour trouver un angle d’attaque. Pas évident. A ce jeu, Guilty Simpson choisit de régler ses comptes avec la gente féminine et croque la pomme à pleines dents : « Say I’m sensitive to what you feel, but what’s the last time I had a home-cooked meal ? Keep it real, I hate to shout, why take you out when I can take your mouth ?« .
« La quête du minou mène l’homme à sa perte. »
88-Keys fait partie des disciples les plus doués d’une école de production artisanale et respectueuse de ses influences. Il partage avec son mentor J-Dilla le goût des samples improbables et des petits ratés rythmiques. En tant que petite mixtape d’un jour, Adam’s Case Files est plutôt bien ficelée, et séduit par son approche brouillonne et ludique des échantillons sonores. En prélude à un album-concept sur « le pouvoir du vagin », elle est à la fois curieuse et un brin inquiétante quant à la direction artistique du projet. Rendez-vous au mois d’octobre pour la suite de l’histoire.
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