Akhenaton
Sol Invictus
1995. Métèque et mat subjugue une partie du public français et érige Akhenaton en figure mythique du rap hexagonal.
2001. La Cosca a remplacé Côté Obscur. Chill a entre-temps multiplié les casquettes, les apparitions et les projets, en solo ou avec IAM, tout en maintenant une relative réussite commerciale et artistique. Annonçant son second album, ‘A.K.H.’ est la première mauvaise nouvelle : sorti un mois avant l’album, le triple single condense tout ce que l’on aurait pu redouter. Featurings marchandés, égotrip incompréhensible, remix commerciaux… L’impatience se fait soudainement moins grande.
Si la présence des membres de Napalm – Coloquinte, Sako, Lyricist – et des producteurs de Al-Khemya – Hal, Akos, Ralph – se justifie aisément, les noms de Dadou, Lino ou Fabi entretiennent le doute quant aux orientations artistiques. Néanmoins, le premier titre résonne étrangement familier et rassurant. De fait, décidé à ne pas susciter de comparaison avec son travail sur l’album précédent, Akhenaton ressuscite l’ambiance de Métèque et mat, pour mieux l’enterrer. Faut-il considérer que ‘Paese’ en est la chanson cachée le concluant ? Toujours est-il que l’intro, qui commence après ce morceau, est explicitement une genèse en forme de bilan.
Sol Invictus n’est donc pas une suite, aucune ambiguïté là-dessus. Le changement le plus évident est le flow, point névralgique de chaque morceau. Multipliant tons et intentions diverses, le débit du MC est ici mis en avant, après avoir été longtemps confiné au rôle de support vocal par défaut. Pour autant, il sonne parfois faux et travaillé, ce qui gêne par moments : ‘C’est ça mon frère’ en est le meilleur exemple. Par contre, certains morceaux sont de vraies preuves de flow maîtrisé : ‘Horizon vertical’ ou ‘Une impression’ flirtent du côté des prouesses accomplies sur « Comme un aimant » ou « Extralarge ». La disparité de niveau et de style laisse tout de même perplexe.
Et celle-ci se retrouve dans le travail de production. En choisissant de se faire remplacer, sur sept titres, par les différents membres de son pool de producteurs, Akhenaton voulait probablement élargir le spectre musical final sans nuire à la couleur de l’album. Objectif atteint, puisque chaque instru est titulaire d’une personnalité bien propre tout en appartenant à un ensemble aisément reconnaissable. Electrocypher et Comme un aimant annonçaient manifestement des influences profondément ancrées : l’electro et la soul règnent tour à tour en maître sur la totalité des morceaux. L’avant-gardisme n’est pas présent, mais la qualité n’en demeure pas moins éclatante. Très fluides, les instrus demeurent simples, jouant parfois sur de minutieuses variations de boucles. Les beats electro sont denses et rapides (‘Une impression’, ‘Sol Invictus’, ‘L ‘assassin au SM’), mais sans que cela soit au détriment des morceaux lents (‘Mon texte, le savon’, ‘Chaque jour’, ‘Entrer dans la légende’). Dans un style intermédiaire, ‘Horizon vertical’ dispose d’une excellente instru, étonnamment proche de certains sons de L’école du micro d’argent. Même s’il s’agit du point fort de l’album, les écoutes successives confirment le sentiment que la production globale inspirait de premier abord : la cohésion n’est en fait que factice. Est-ce l’effet collatéral de la volonté de créer un univers ayant une identité commune ? Le résultat d’ensemble est en tous cas poussif, et les enchaînements maladroits et bancals.
Au grand dam des aficionados du Parrain marseillais, les réserves précédentes ne sont que minimes face au désastre textuel que constitue Sol Invictus. Évidement, a priori, de mauvaises paroles d’Akhenaton valent mieux que la majorité des écrits moyens. Mais l’hypocrisie atteint des de tels sommets avec ‘C’est ça mon frère’ que l’affirmation se fait vacillante. « Je voudrais dédier ce morceau à tous les MC’s, Dj’s, breakers, graffiti-artistes qui ont envie d’avancer sans marcher sur la tête des autres, dans la plus pure mentalité du hip hop. Quant au reste, opportunistes ou multifaces, racailleux du dimanche ou putes à ragots, voilà ce qu’ils racontent… ». Et Chill d’enchaîner avec l’énumération des critiques les plus ridicules qui lui ont été adressées. Entendre une légende du rap français répondre en guise de justification : « Qu’est-ce que tu connais de ma vie pour parler ? Strictement rien. Au fait, range le calibre que tu as à la ceinture, p’tit crétin, y a un coup qui va partir seul dans les couilles » est tout simplement surréaliste.
Personne n’aurait cru Booba s’il avait clamé qu’il ignorait que la violence était à la mode lorsque ‘Le crime paie’ est sorti. Pourtant, Akhenaton croit faire acte d’anticonformisme en claironnant : « Si dire des conneries est à la mode, laisse-moi être démodé« , feignant de ne pas avoir remarqué l’actuelle déferlante consciente en France, annoncée par celle des States – avec dix ans d’avance ? Après, forcément, l’auto-attribution du diplôme de « premier MC en France à écrire sur la rue vraiment » (‘Intro’), les souvenirs naïfs (‘Quand ça s’disperse’) les clichés sur l’Italie (‘Paese’) ou le rôle démagogue de père inquiet (‘Le Fiston’) passent pour des bourdes prévisibles. Les invités se plient d’ailleurs pour la plupart à la médiocrité de leur hôte : Lino réussit le tour de force de n’articuler distinctement aucun mot sur ‘Teknishun’, Dadou massacre ‘Nuits à Médine’, tandis Lyricist distille un mauvais refrain. Le A fait pâle figure sur son featuring crédité, mais compense en introduisant et concluant avec dignité ‘Entrer dans la légende’. Reste les sous-utilisés Sako et Bruizza : n’ayant pas eu droit à un couplet, il n’en reste pas moins qu’ils offrent les meilleures performances.
Heureusement, quelques perles émergent du lot, dont ‘Horizon vertical’ est la plus évidente : « L’histoire, c’est un cercle, on revient à l’origine pour contempler toujours les mêmes qui s’enfilent. A l’heure du sans-fil, passer deux heures pour rien se dire, se déchirer avec sa copine« . Mais ‘Mes traits précis’, ‘Une impression’ ou ‘Mon texte, le savon’ tirent sobrement leur épingle du jeu, à grand renfort de simplicité et d’humilité (« Et vois la pression qui augmente dans ce nouveau système : précision diabolique aussi rare que j’ai dit « Je t’aime ». Mon rap s’ancre dans la réalité, sous-estimés mes écrits perçus comme l’encre des cancres. »). On y perçoit une volonté d’unification du hip hop (les récentes déclarations amicales concernant Joey Starr ou l’apparition dans le clip de Kery James en sont d’autres indices), formulée indirectement par une description corrosive des institutions rétives à l’évolution du mouvement : « Isolés, ils nous maintiennent la tête sous l’eau, et s’offre à nous une autre vision du concret. Ils pensent « Tant mieux tant que ces cons créent« , convaincus qu’on craint, friands de secrets, et les rumeurs vont bon train. Technique efficace en vérité, ils nous enragent, ils harnachent. Hip hop : nouvelle nation apache. Bon sang, c’est quoi ça : un arabe à la télé ? Ils répondent « C’est tôt ». Quarante ans de retour au ghetto. »
Au final, Sol Invictus est un album extrêmement décevant pour le leader d’IAM : dans sa tentative d’adéquation parfaite à son époque, Akhenaton s’éloigne de l’intemporalité qui caractérisait « Métèque et mat ». Si telle était la finalité recherchée, la réussite est totale. Peut-être que ceux qui le découvrent avec un oeil vierge tomberont sous le charme de ce nouvel opus. Dans le cas contraire, Akhenaton sera obligé de revenir à son art d’antan. Pour notre plus grand bonheur.
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