Moïse The Dude
Attitude de branleur et mentalité de stakhanoviste, Moïse The Dude est une curiosité dans le rap français. Le temps de 10 questions, on a essayé d’en savoir un peu plus sur le Jeff Bridges français.
Abcdrduson : Avant d’être Moïse The Dude, tu faisais partie du Bhale Bacce Crew. Un groupe qu’on peut qualifier “d’engagé” et dont la musique était radicalement différente de celle que tu proposes aujourd’hui.
Moïse : C’était complètement différent. Si j’évolue en solo aujourd’hui, c’est justement parce que j’avais envie de faire autre chose. Ceci dit, cette aventure de groupe, qui a quasiment duré dix ans pour moi, était vraiment cool. Je devais avoir dix-sept ans quand on a commencé sérieusement à s’y mettre… J’en ai trente-deux maintenant donc ça fait un bout de chemin. On a fait plein de concerts, cinq albums auto-produits… Et tout ça entre potes. Ce sont d’ailleurs toujours mes potes même si on ne fait plus de musique ensemble. Le terme d’engagé ne veut pas dire grand chose mais, en effet, c’était ce qu’on peut appeler “un groupe à message”, avec des textes que beaucoup qualifieraient de “conscients”. C’était l’ADN du groupe… Après, est-ce que les gens sont engagés dans la vie ? C’est encore autre chose [Rire]. En prenant un peu d’âge, je me suis dégagé de la vision manichéenne que je pouvais avoir du monde à l’époque. Et surtout, j’ai réalisé que c’était très dur de refaire le monde en trois minutes.
A : Qui sont les rappeurs dans cette veine qui t’ont influencé ?
M : Je vais te citer les grands classiques : NTM, IAM, La Rumeur… Ce rap français traditionnel et à message a été super important pour moi. Ce sont mes premiers chocs rapologiques. Plus tard, il y a eu la vague des TTC, Klub des Loosers, La Caution… Tout à coup, je me suis rendu compte qu’il y avait aussi un autre rap qui était possible. Dix ans plus tôt, je pense que j’aurais été le versant “à message” de cette scène-là [Sourire]. Je vais dire un truc idiot mais le simple fait d’être un rappeur blanc n’était pas aussi banal qu’aujourd’hui à l’époque. Il y a plein de gens qui ont été regroupés sous cette bannière alors qu’ils n’avaient rien d’autre en commun que leur couleur de peau. Aujourd’hui, j’ai digéré toutes ces influences et je peux me sentir aussi proche d’un Fuzati que d’un Seno.
A : Qu’est-ce qui t’a permis de t’émanciper de tes influences premières ?
M : Je me suis mis à écouter de la musique différente et ça m’a fait réaliser qu’on pouvait faire du rap autrement. En plus de cette scène alternative, il y a tout le rap du sud des Etats-Unis que j’ai pris de plein fouet et découvert sur le tard. Je me souviens très bien comment ça a commencé : j’étais allé acheter le Certified de David Banner en vinyle chez Urban Records. Je ne connaissais pas trop, je demande aux mecs de me faire écouter, il le joue à fond dans le magasin, j’étais là et me disais “putain, j’en veux”. Malgré cela, j’ai mis du temps à rentrer dans cet album parce qu’il comportait des sonorités auxquelles on n’était pas du tout habitués. Petit à petit, je suis rentré dedans et c’est ce qui m’a vraiment fait kiffer.
A : Entre le groupe et ton aventure solo, tu as sorti deux projets communs avec Cosmar, Homemade et 30. Comment les regardes-tu rétrospectivement ?
M : Cosmar vient aussi du collectif Bhale Bacce Crew et on avait tous les deux envie de faire autre chose. On a trouvé un vrai terrain d’entente musical et il y avait vraiment la fougue de l’émancipation. Après, on a vraiment sorti les projets à l’arrache et 30 n’était même pas masterisé par exemple. Fondamentalement, c’est une erreur. Il y avait de bonnes idées mais le rendu ne leur rend pas justice. Même sur la communication et la promo, j’ai appris beaucoup plus sur mon premier EP que sur ces projets. Je crois que c’était surtout une étape pour arriver en solo.
A : Tu as sorti deux projets solos en l’espace d’un an. Quelle continuité vois-tu entre les deux EP’s ?
M : J’ai posé les bases d’un personnage avec le premier. Comme je dis dans le morceau “Russe Blanc”, ce personnage se résume par l’attitude “cool et arrogant”. C’est de l’egotrip mais pas en mode flambe, plutôt quelque chose du style “je suis au-dessus de tout ça, je fais mon truc et je vous emmerde.” Je suis un peu à côté du game. Sur le deuxième, on est dans le même délire mais avec une évolution puisque j’ai “musclé mon jeu” [Sourire]. C’était volontaire. Je voulais conserver la même attitude, le même propos mais avec une forme un peu plus sombre et dure.
A : Au-délà de The Big Lebowski, est-ce que tu as d’autres personnages de références ?
M : Le yakuza dans Sonatine de Kitano, parce que c’est un solitaire très mélancolique qui est complètement sur le départ. J’aime les personnages qui sont à deux doigts de tourner une page sans que l’on sache si l’issue va être heureuse ou malheureuse. Du coup, le personnage de De Niro dans Heat me touche beaucoup aussi, Carlito dans L’Impasse… Ce sont des personnages qui ont envie d’être libre mais qui n’y arrivent pas. Je parlais d’anti-manichéisme tout à l’heure et on est dedans avec ces personnages.
A : “Le succès m’a dit “à plus tard””. Est-ce que tu crois au succès ?
M : Si on reparle du Bhale Bacce Crew, on était dans un fonctionnement semi-professionnel. On était trop nombreux pour en vivre mais on a eu la possibilité de signer, il aurait pu se passer quelque chose… Mais ça n’a jamais été notre volonté. Je suis de l’école de l’indépendance pure et je suis encore dans cette logique. Je bosse à côté et ça me donne une grande liberté quand je fais de la musique. Ceci dit, plus j’ai des auditeurs, mieux je me porte. Je ne veux pas me fixer de limites tout en étant conscient que je fais plutôt du rap de niche. En réalité, je veux juste continuer à faire du son et faire en sorte qu’il soit écouté au maximum. Faire des concerts, des collaborations avec d’autres rappeurs, ça m’intéresse… Le problème, c’est que j’ai une vie à côté, que je fais déjà tout moi-même et cette configuration a ses limites. Après, j’essaye de viser plus gros à chaque projet.
A : Tu distilles beaucoup de références dans tes morceaux. Est-ce qu’il y a des artistes qui t’ont influencé dans cette manière de faire ?
M : C’est quelque chose qui me vient naturellement. Après, je pense que les premiers rappeurs qui faisaient ça m’ont indirectement influencé. Par exemple, Doc Gyneco faisait beaucoup de name-dropping et il y a une période où ça me faisait marrer. D’ailleurs, Gyneco est vraiment quelqu’un que j’ai beaucoup écouté, notamment parce qu’il était à mi-chemin entre un truc un peu pop et un truc de caillera. C’était hyper intéressant. Je m’éloigne de la question mais au rayon influences, il y a tous les rappeurs de Houston qui ont été essentiels. Ce sont des gens qui m’ont appris à ralentir mon flow, à prendre beaucoup plus mon temps au micro.
A : Si tu as autant ralenti ton flow, c’était pour coller à ton personnage ?
M : C’est ça. Le pire, c’est que je ne peux plus du tout rapper comme je le faisais il y a dix ans. Des fois, j’aimerais bien balancer des textes hyper “techniques” sur du 90 BPM mais je n’y arrive plus. C’est impossible pour moi de retourner en arrière maintenant. J’ai eu un moment de frayeur parce que je voulais être polyvalent et jouer sur tous les tableaux… Mais ça n’est plus possible [Sourire].
A : Comment est-ce que le Moïse de 2004 regarderait celui d’aujourd’hui ?
M : Je ne sais pas… Je pense qu’il aurait un regard un peu curieux… Il serait clairement étonné, ouais. Aujourd’hui, je fais une musique que je connaissais même pas à l’époque… Et que je pouvais même conspuer parfois ! On ne connaissait pas donc on était assez traditionalistes.
Ce qui est fou avec le rap c’est que ça évolue tout le temps, ça se recyle en permanence… C’est une musique écolo [Rire]. Si tu kiffes cette culture, tu es obligé de suivre et de t’ouvrir à ce qui se passe.
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