Kohndo : « Pour moi, pour être fort, pas besoin d’être dur »
Interview

Kohndo : « Pour moi, pour être fort, pas besoin d’être dur »

Lundi 16 Septembre 2002, après ses premiers pas au sein du Coup d’état phonique et de La Cliqua, Kohndo a sorti trois maxis, Prélude à l’Odysée, Jungle Boogie, et J’entends les sirènes. Aujourd’hui, il finalise son premier album solo, intitulé Tout est écrit. Rencontre avec un MC sincère et passionné.

Abcdr : Comment as-tu débuté dans le Hip-Hop ? Directement par le rap ?

Kohndo : Non, en fait j’ai commencé en 1987 par le beat boxing. J’adorais vraiment le beat-boxing, et j’ai commencé en écoutant des trucs comme le ‘Rock it’ de Herbie Hancock, après les trucs comme ‘Break Dance’. Puis, un jour je suis tombé sur les Fat Boys, qui faisaient beaucoup de beat box, et j’étais dingue de ça. J’ai aussi beaucoup écouté Doug E Fresh, puis j’ai chopé Here is the DJ, I am the rapper, l’album de Jazzy Jeff & Fresh Prince. Là, j’étais très intéressé par le scratch, et il y avait tout un vinyl avec du scratch. Après je suis venu au rap, parce que j’aimais aussi les morceaux, et le cousin de l’un de mes meilleurs potes, Egosyst, habitait un étage en dessous de chez moi, et il s’avérait que ce gars c’était Zoxea. Lui et moi on est Béninois, et on se connaissait. Lui m’a fait découvrir des trucs comme Public Enemy et pas mal d’autres choses. Après de là, ça a commencé à s’étendre de plus en plus. Je suis passé au stylo, environ un an après avoir écouté les premiers morceaux d’Eric B. & Rakim. Je voulais rimer parce que je connaissais d’autres personnes qui rimaient, et qui le faisaient bien. Je trouvais que c’était à ma portée, donc je me suis lancé. J’avais pas mal d’imagination, et je me suis mis à écrire.

A : Par quel biais tu-as rejoint La Cliqua ? Via Egosyst donc ?

K : J’ai rejoint La Cliqua via mon groupe d’origine, Le Coup d’État Phonique. Le Coup d’État Phonique regroupait Egoysyt, Lumumba, Raphaël et moi. Nous, on était une filiation de ce qui était à l’époque Sages Po’. On s’était émancipé et on avait commencé à faire le tour des radios. Puis, lors d’une tournée on a rencontré Daddy Lord C et La Cliqua (l’entité La Cliqua à cette époque était pas encore définie). Et il s’est passé une alchimie très forte entre Chimiste, Daddy Lord C et Egosyst. Moi, j’étais plus en retrait. Mais, je comprenais le style de Daddy, et lui le mien. On a du coup commencé à se voir plus souvent, et il s’est avéré qu’il y’avait un mec qui rappait avec le DJ de Daddy Lord C. Ce gars s’appelait Rocca, et il a rejoint le groupe quelques semaines après.

A : On regarde aujourd’hui ces années 1994-95 comme la période dorée du rap français, avec l’émergence de nouveaux talents, parmi lesquels La Cliqua, Time Bomb… quel regard portes-tu aujourd’hui sur cette époque ?

K : Personnellement j’étais beaucoup plus axé rap américain, mais oui, c’était une grande époque ; après en attendant pour moi ça ne devait être que les prémices. Cette période c’était un bon état d’esprit, beaucoup de mélanges, beaucoup de dialogues entre les gens qui étaient dans le rap. On était tellement peu à le faire, qu’on se reconnaissait et les échanges se faisaient plus facilement. Il n’y avait pas encore de carcan imposé, et l’esprit était plus créatif. Oui, j’aimais vraiment bien cette époque. Mais, personnellement, je me réalise beaucoup plus aujourd’hui qu’avant. C’était une étape nécessaire, mais qui était vraiment lié à l’adolescence. Alors qu’aujourd’hui, je suis dans un stade plus adulte de mon art. A cette époque là, je n’avais même pas une vision artistique, j’avais juste un état d’esprit, une énergie. Dans l’ensemble, le quotidien, je préfère mille fois les années 1998.

A : Avec un peu de recul, et au vu du potentiel existant notamment au sein de La Cliqua, on nourrit quand même un peu le regret de ne pas avoir vu sortir un véritable album, avec une équipe au complet…

K : Oui quelque chose qui aurait suivi Conçu pour durer mais je ne sais pas si vous avez remarqué mais le titre « Conçu pour durer », indique que c’est cet album qui a été conçu pour durer, pas La Cliqua, sinon ça aurait conçue. Je ne sais pas si c’était significatif, mais aujourd’hui on va beaucoup m’en parler. Après, oui, on aurait tous aimé donner une suite à Conçu pour durer. Ce EP c’était vraiment un moment de magie. Après, on a été rattrapé la sphère médiatique, et celle des affaires. On a perdu une pureté, on s’est peut-être pris au sérieux, et on a pas développé le style que chacun avait commencé à mettre en place. De Conçu pour Durer à Le Vrai Hip-Hop, il y a eu un vrai changement au niveau du phrasé. Le Vrai Hip Hop pour moi, c’était les bases de beaucoup de morceaux d’aujourd’hui, par rapport à l’approche rythmique, au grain. Au niveau des productions, c’était des trucs assez lourds, y’avait rien à dire, on avait une équipe béton. Par rapport au coté sombre et rue du Hip-Hop, c’est un truc qui a vraiment été ramené avec Le Vrai Hip Hop et les différents albums qui ont suivi, plus que sur Conçu pour durer. Conçu pour durer c’était une démonstration de style, avec ce coté freestyle, car tout était loin d’être calculé.

« Pour moi, pour être fort, pas besoin d’être dur. »

A : On peut avoir ta version des choses quand à ton départ de La Cliqua ? Rocca était plus qu’amer quand à ton départ, disant qu’Egosyst manquera à la Cliqua, mais que Kohndo, lui, manquera à personne ?

K : Le coté armée, gang, fermé aux autres me gênait, c’était complètement paradoxal, on venait tous de quartiers différents, et on avait un point de ralliement, à savoir La Fourche. On travaillait, on répétait là-bas. Du coté de notre sphère le Coup d’état phonique, il y avait Lunatic, et ce qui est devenu Less du neuf. Tellement de groupes sont passés avec nous, que je me disais que si nous on avait fonctionné comme ça à la base, jamais on se serait rencontrés. Il y avait là un paradoxe qui me gênait. Après je ne voulais pas prendre une identité qui n’était pas la mienne. On me demandait de forcer le trait par rapport au coté énervé et dur. Pour moi, pour être fort, pas besoin d’être dur. Après plus important, quand tu commences à avoir une vie de groupe, tu es en concert, souvent les uns sur les autres, tout ça commence à intégrer ton quotidien. Quand ça a commencé à trop occuper mon quotidien, par rapport à mes fréquentations notamment, ça m’a gêné. Moi, à ce moment là j’étais beaucoup dans un univers de fac, à me pencher sur mes exams. Le fait de pas pouvoir tripper avec mes potes de la fac, les emmener dans mon délire, ça me gênait. Après, dans l’ensemble, c’était un temps qui correspondait à l’adolescence, et tout ça aujourd’hui c’est révolu.

A : Justement, quand tu as quitté La Cliqua, au niveau artistique c’était plus un soulagement, le sentiment que toutes les portes t’étaient désormais ouvertes, ou au contraire plus un point d’interrogation quand à la suite de ta carrière musicale ?

K : Je sais pas – pour moi cette période c’était hier, mais il s’est passé tellement de choses entre temps. Enfin, tout ça c’est le mektoub, c’est la vie, avec ses hauts et ses bas. Personnellement, je sais que j’ai un potentiel, quelque chose en moi, la possibilité de développer plein de styles, et il était temps pour moi de me tester réellement. Dans le même temps, c’était aussi une manière de dire que la vraie force se situe au niveau psychologique pas au niveau des bras. Je pense avoir établi à travers mon parcours des fondements solides. Tout l’apprentissage humain autour de mon départ de la Cliqua m’a de fait libéré, et permis d’avancer. La Cliqua en soi, ce n’était qu’une étape.

A : Quelle vision artistique as-tu aujourd’hui sur ce que peuvent faire Rocca, Daddy Lord C, Raphaël ?

K : Ce sont des gens que j’ai toujours respecté. La puissance de Daddy Lord C, par rapport à tout ce qu’il a écrit, c’est impérissable. Rocca, que ce soit Conçu pour durer, ou son album Entre deux mondes, auquel j’ai beaucoup participé, pour moi ça restera des classiques. Aujourd’hui, je connais pas bien leur boulot, j’ai pas pu réellement suivre leurs évolutions, si ce n’est via des articles et revues de presse que j’ai pu lire à propos d’eux. Mais, au niveau des oreilles, j’ai une manière d’aborder ma musique de façon assez immergée et tournée vers l’outre-atlantique. J’écoute peu de rap français, je suis dans un style loin de ça. Comme on vient de la même base, je ne pouvais pas me permettre d’écouter ce qu’ils faisaient, ne serait-ce que pour ne pas être imprégné, au cas ou. J’ai donc toujours été loin du groupe, à partir du moment où je l’avais quitté.

A : Pourquoi être passé à ton départ de La Cliqua de Doc Odnok à Kohndo ?

K : Avec Egosyst je travaillais en groupe, et à son départ de La Cliqua, il a fallu que je passe à un autre stade, celui du travail seul. Et à cette époque là, je commençais à arriver au début de ma maturité, j’avais 20-21 ans. Je me suis dit : « Kohndo c’est ton prénom, tu vas rapper sous ce pseudonyme ». Doc Odnok, c’était un nom que j’avais depuis que j’avais quinze piges, et j’ai laissé derrière moi tout cet état d’esprit lié à l’adolescence à travers ce personnage de Doc Odnok.

A : Et le morceau « Doc Odnok vs Kohndo » ?

K : oui, ce morceau à tout son sens dans la mesure où pendant ma carrière solo beaucoup de gens m’ont parlé de Conçu pour durer, du flow que je pouvais développer, de l’énergie que je pouvais déployer à travers le personnage de Doc Odnok. Pour moi Doc Odnok, c’est un personnage, un alter ego. Je trouve mon phrasé d’aujourd’hui plus riche, plus efficace que ce que pouvait développer Doc Odnok. Je me suis alors dit qu’il était préférable d’éviter mille discours. J’ai alors pris le style Doc Odnok juste pour montrer que je le maîtrise parfaitement et j’ai pris moi, ce que j’aime faire, et au résultat j’ai confronté. Au résultat, lorsque je réécoute le morceau avec deux ans de recul, je préfère nettement Kohndo. Je trouve que je suis celui que je suis dans la vie, pas quelqu’un de criard, je suis pas un ouf’.

A : Lorsque t’es parti de la Cliqua, Daddy Lord C et Rocca ont embrayé sur des albums solo, toi tu as préféré repartir sur des maxis, c’était par manque de possibilité ou parce que tu ne te sentais pas prêt ? Ou autre chose ?

K : J’estime qu’il y avait à ce moment là tout à construire, et ça je le savais. A partir de là, quand tu as tout à construire, il faut établir des bases solides. J’y suis donc allé par étapes. Et les artistes que j’aime aux États-Unis, des gars comme Nas, Common, ont toujours eu cette démarche de faire d’abord le maxi pour faire ses preuves, découvrir ton public, montrer tes différentes facettes, puis après l’album en tant que consécration de ces étapes-là. En même temps, j’ai toujours travaillé sur un album, j’ai toujours démarché pour, et si on m’avait donné la possibilité d’en faire un, je l’aurai fait. Mais, sincèrement, aujourd’hui, avec le recul, je trouve que c’est très bien comme ça.

A : A travers ces trois maxis, on peut voir un reflet d’influences relativement larges, notamment dans la production, tu avais cette volonté d’apporter un peu de variété dans les sons et ta façon de rapper ? 

K : Notre démarche au sein de La Cliqua, c’était de montrer qu’on était vraiment dans un art, qu’on pouvait décliner à l’infini au niveau des phrasés et des productions. J’ai eu la chance de produire très jeune, et de côtoyer des gens comme Logilo, Lumumba, Chimiste, Zoxea, Egosyst ; et je suis riche de tout ça. La démarche qui m’a toujours habité c’était de montrer une certaine diversité. Mais, réellement, mes maxis, ont quand même un axe, et ils ont balisé le terrain. Le premier maxi, Prélude à l’odyssée, avait pour objectif de travailler sur la puissance du verbe. Il y avait dessus un titre comme ‘Mon nom en autographe’, produit par Lumumba, avec une volonté de mettre en place une ambiance posée, laissant de la place pour les mots. Puis Jungle Boogie, qui laissait plus de place à l’énergie, tout en comportant beaucoup de sens. Il y avait à la fois le fond et la forme. Un morceau comme ‘J’entends les sirènes’ était peut-être plus axé sur la forme, avec ce coté live. Jungle Boogie est définitivement le maxi qui me représente le plus. Aujourd’hui, cet album définit vraiment mon univers instrumental.

A : En parallèle de ces maxis, tu as fait pas mal d’apparitions sur albums, compilations et mixtapes, entre autres Extralarge, la tape du MIB, La fin du Monde – c’était une façon de montrer au public que tu étais toujours là ?

K : Non, sans être vantard, c’est juste que je suis extrêmement sollicité. Mon téléphone sonne souvent pour des mixtapes. Je réponds parfois présent, mais je me désintéresse de plus en plus de la mixtape car ça a peu de répercussions quand tu es un artiste qui est déjà fait. Généralement, le temps qui t’es imparti fait que tu n’as pas le temps de développer quelque chose. J’ai plus l’impression que la mixtape c’est un acte social que tu fais pour quelqu’un que tu connais pas. Tu aides quelqu’un à avancer, c’est marrant au départ, mais à la longue ça a peu d’intérêt.

A : Est-ce que tu vois les featurings sur les albums (NAP, Koma, Kenzo notamment) de la même façon ?

K : Oui, alors là il faut replacer les choses dans leur contexte. C’était une époque où j’avais encore cette image de La Cliqua, mais je voulais vraiment tourner la page, être Kohndo. J’ai eu pas mal de sollicitations, et toujours aimé l’échange, j’ai donc répondu présent. Mais, aujourd’hui pour moi les featurings n’ont d’intérêt, que s’il y a un véritable échange humainement parlant. A l’heure actuelle, les featurings à tout va, ça n’a plus d’intérêt. Depuis deux-trois ans j’ai arrêté les featurings et les mixtapes, j’en ai fait juste une ou deux fois par an.

A : Par rapport aux featurings que tu as pu faire, tu en as fait plusieurs avec Rocé (sur Extralarge, Le Réveil, sur l’album de Kent-Zo), ce n’était pas que des coïncidences, il y avait une réelle affinité avec lui ?

K : C’est assez drôle, puisque avec Rocé, il ne s’agissait justement que de coïncidences, qui doivent quelque part avoir leur sens. Quand Rocé avait créé son premier titre, « Ma face en première page », il l’a amené à Arsenal. Et il s’est avéré que le mec qui gérait Chronowax par la suite, m’a dit « écoute ce gars là, il aime vraiment bien ce que tu fais, et vous avez l’air d’être dans le même état d’esprit. » Et quand il m’a dit ça, en l’espace de deux ans, on s’est retrouvé à être invité aux mêmes endroits.

« J’ai eu la chance de faire mon chemin musicalement, et j’ai toujours eu une ouverture d’esprit par rapport à plein de styles musicaux différents ; que ce soit le Jazz, la Soul, le Rock, la musique électronique m’intéresse aussi, la House un peu aussi. »

A : Ces trois maxis constituaient donc diverses expériences, c’était un passage nécessaire avant le grand saut de l’album ?

K : C’est ce que j’appelle mon DESS de Hip-Hop, 5 années durant lesquelles je devais atteindre tous les objectifs que je m’étais fixé, au niveau du phrasé, au niveau textuel, musical et technique. Mais aussi savoir comment fonctionne le marché, déposer ses disques dans les bacs, acquérir une autonomie, commencer aussi à travailler mon image, savoir qui je suis, pourquoi je rappe. Il fallait s’interroger et développer tout ces points en profondeur. Voilà, donc pourquoi cinq années.

A : Toutes ces expériences, ce n’était pas quelque chose que tu voulais développer avec ton premier album, tu voulais que tout ça soit acquis avant de le sortir.

K : Oui, exactement. Je voulais que mon premier album soit un chef d’oeuvre, une pièce. Le premier album de Nas, Illmatic, c’est un bijou, Pete Rock & C.L Smooth, le EP, même chose. Bref, toute la ligne de conduite de l’artiste est défini avec un premier album, et c’est fondamental pour moi. Je me devais tout acquérir avant, sinon j’aurai regretté des choses, et je ne voulais pas ça.

A : On retrouve au sein de ton album une unité musicale, posé, avec des relents de soul, de jazz, c’est le style dans lequel tu te sens le plus proche aujourd’hui ?

K : Ah, aujourd’hui, c’est mon style. J’ai eu la chance de faire mon chemin musicalement, et j’ai toujours eu une ouverture d’esprit par rapport à plein de styles musicaux différents ; que ce soit le Jazz, la Soul, le Rock, spécialement le Rock expérimental des années 70, la musique électronique m’intéresse aussi, la House un peu aussi. Avec tout ça, j’aurai pu me perdre rapidement, mais avant j’avais bien défini mes préférences musicales. Je suis vraiment tombé amoureux de la Soul il y a huit ans environ, j’ai aussi pris le temps de bien comprendre le Jazz, des artistes comme John Coltrane. John Coltrane et son approche de la phrase musical m’a beaucoup plus influencé que Miles davis – quoi que Kind of blue – Davis, Coltrane, Cannonball Adderley, Bill evans- live et studio tournent en boucle chez moi, de même que My favourite thing. En comprenant leur travail, j’ai appris à me définir. Quand tu te prétends artiste, musicien, tu te dois de savoir où tu vas. Comme on dit, le mauvais musicien se contente de faire ce qu’il a déjà entendu, le musicien moyen arrive parfois à créer à partir de rien, et le bon musicien sait à l’avance où il va. Moi je savais où j’allais, et dès lors je voulais que ce soit le testament de ce que je suis, ce que j’aime. J’ai cherché à atteindre la pureté. Je ne voulais pas faire de morceaux équivoques, laissant la place au doute, donc, oui, cet album est très homogène.

A : C’est pour ça qu’il n’y a qu’un seul featuring au sein de l’album ? Parce que tu n’avais pas besoin d’aller chercher autre part, parce que tu savais à l’avance ce que tu voulais sur ton album ?

K : Non, en fait il y a deux façons d’aborder le featuring. Soit il existe une connivence, ce que j’ai avec pas mal d’artistes, et à ce moment là, c’est une façon de se rejoindre. J’ai des connivences avec pas mal de gens, mais ça n’aurait pas été mon album. De plus, pour moi il est plus simple de travailler tout seul. Dans un second temps, j’estime qu’un featuring dois apporter une chose qui n’existait pas, et j’ai estimé qu’à chacun de mes morceaux, d’un point de vue textuel et technique, j’ai abordé tout le temps quelque chose de différent. Dans le simple domaine de l’accapella, si tu n’écoutes que le phrasé et les thèmes abordés, aucun morceau n’est pareil. Je n’ai donc pas eu besoin d’apporter une diversité, si ce n’est la voix de Speko qui apporte une fraîcheur à ‘La chute’.

A : Justement par rapport à l’accapella, j’avais lu que tu essayais que même l’acapella comporte une certaine musicalité, est-ce que cette musicalité vient du texte ou du flow ?

K : Pour moi, la musicalité vient purement et simplement du flow. C’est de la métrique, du rythme. Et le rythme ça s’acquiert avec le solfège, c’est de la simple technique. J’ai eu la chance de connaître ces outils, et de les maîtriser. Réellement, ma technique ne sert qu’à habiller ma pensée. Certains m’ont classé parmi les techniciens, alors que je n’en suis pas un, je ne suis pas dans la catégorie des Redman, Busta Rhymes, Method Man. Je suis plus dans la catégorie des gens qui développent des écrits, mais il fallait aussi que ma technique soit révélatrice, et en accord avec ma manière de penser.

A : Less du Neuf a une conception tout à fait inverse, pour eux le flow doit être le plus proche possible du parlé.

K : Oui, mais c’est très fort. J’apprécie beaucoup Less du Neuf parce que c’est un groupe qui a une démarche, qu’ils peuvent t’expliquer. Eux, considèrent que le mot, le coté grammatical du français, a toute la musique nécessaire pour swinguer sur un instru. Pour moi, c’est intéressant dans le domaine de l’acapella, mais d’un point de vue métrique tu ne peux pas placer plus d’un certain nombre de mots dans une mesure, tu dois placer tes respirations. Bref, je considère qu’il faut travailler l’esprit musical, tout comme on va travailler une mélodie dans la chanson. Après, ce sont deux conceptions différentes, mais qui se valent l’une et l’autre. Après, c’est la manière de mettre en forme le tout qui importe, et qui fait notre valeur.

A : Comment tu abordes le travail de producteur, en comparaison avec les modèles que tu peux avoir dans le genre, où ça se fait plus au feeling, dans un esprit personnel ?

K : C’est assez récent cette idée de se rapporter à des producteurs références. Moi, quand j’avais quinze ans, je touchais au sampler, un S-1000 en MJC, puis du 950, de la MPC 3000, et quand nous on faisait du son, on voulait uniquement faire du rap qui sonne comme on aimait. Moi, je suis resté dans cet état d’esprit. J’aborde personnellement le rôle de producteur avec beaucoup de distance. Mon but en la matière, est d’atteindre un niveau de production équivalent à celui que je peux avoir derrière un micro.

A : Je faisais cette référence directe aux producteurs, parce que je sais que tu t’intéresses à une scène indépendante Américaine avec des atmosphères très fortes, et des producteurs atypiques, je pense notamment à El-P, ou J-Zone ?

K : C’est une scène que j’ai découvert il y a environ un an et demi, parce que comme tu le sais, j’écris dans un magazine. Je comprends la démarche des ces gens, même si elle demeure loin de ma conception musicale. Ça rejoint ce que je disais en terme de phrasé, l’important en musique est d’avoir une démarche. J’ai personnellement une démarche musicale que j’essaie d’affiner. Je ne sais pas encore quel son exactement peut me définir, mais j’y travaille beaucoup.

A : Tu ne penses pas que seuls les initiés pourront percevoir les différents flows que tu as pu avoir sur ton album ?

K : Pour moi, c’est la même chose que le style en prose. Je considère que mon rap est adressé aux adultes. Quand je mets mon disque en fond et quelqu’un de plus de 25 ans l’écoute, il me dit souvent : « ah, c’est bien ça ». Pourquoi ? parce qu’il est porté par une musicalité. Autre point, c’est aussi parce que les gens écoutent ce que je dis, et comprennent. Mon flow agit donc exactement comme je le voulais, à savoir comme un vecteur pour mes mots.

A : Pour rentrer plus dans l’aspect textuel de ton album, j’ai trouvé la rime suivante particulièrement symbolique « Le rap ça va plus loin c’est une expression, ça libère de mon corps le poids des frustrations », tu perçois aussi le rap en tant que thérapie ? 

K : Ahhhh…j’aime bien quand on comprend ! [rires] Aujourd’hui, il y a plein de gens qui se battent pour se faire entendre à tous les niveaux, partout au travail, à l’école, face à ton patron, tes parents. Quand tu es sur scène, finalement c’est le seul endroit ou personne viendra te couper la parole, pour peu que tu sois bon. La scène est un endroit extrêmement libérateur, où tu transmets quelque chose, tu t’exprimes et tu as une réaction immédiate. Pour moi, qui suis quelqu’un qui a du beaucoup lutter pour se faire entendre, le rap, le mic, la scène et sortir des disques, c’est une manière de pouvoir réellement lutter contre tout ça.

A : L’échange avec le public est fondamental…

K : ….Complètement, on est dans une période où on manque de communication. Quand on va exprimer une pensée, que quelqu’un n’est pas d’accord, il va te mettre un poing sur la gueule, ça c’est pas normal. Comme je le dis dans ‘La Partition’, c’est parce qu’on joue tout seul, on prend pas la peine d’écouter. Si moi je n’écoute pas bien ta question, je ne peux pas bien y répondre. A un autre niveau, si le dialogue entre les décisionnaires et le peuple était plus instauré, on irait plus loin, plus vite. J’ai vraiment besoin de cette échange avec le public, c’est pour ça que j’existe.

A : J’avais lu sur Forumhiphop.com, que tu espérais qu’Internet soit un lieu d’échange.

K : Je suis encore mitigé sur l’Internet. J’ai eu des désillusions, mais en attendant c’est vrai que j’ai réussi à établir de vrais contacts avec des gens. En fait, quand tu n’es pas dans une relation artiste-public ça se passe beaucoup mieux. Ça te permet d’échanger des idées, des opinions, ou de mettre à d’autres personnes de découvrir de nouvelles musiques. Après, j’ai vu sur certains sites des microcosmes, et des gens qui empruntaient des personnalités derrière leur clavier qui n’étaient pas la leur, et ça me gène ça. Mais, il y a des choses à faire sur Internet.

« L’émotion d’une musique, c’est mon catalyseur c’est elle qui m’inspire. J’ai besoin de ressentir les choses. »

A : Dans ‘Loin des halls’, on a un message d’espoir au refrain, malgré la noirceur des couplets. En revanche, tu es beaucoup plus défaitiste dans ‘Trop de haine’. Ce sont deux constats contradictoires ou au contraire deux visions complémentaires ?

K : En fait, ‘Loin des Halls’, est un texte qui m’a été inspiré en arrivant dans le quartier où j’ai passé mon adolescence Le Pont de Sèvres à Boulogne. C’était il y 3 ans de ça je rentrais de studio, il était 3 heures du mat’, et en bas de mon immeuble, il y avait un mec que je connaissais qui avant de faire du rap était un sportif talentueux. Entre temps il s’était mis au rap, il était rentré dans le trip shit, alcool, et racaille attitude. Il arrêtait pas de répéter « c’est la merde mon frère heureusement on a le rap pour s’en sortir. » Le mec avait un père qui bossait pour un organisme du type O.N.U et il avait toujours eu la vie facile et sous prétexte qu’il habitait dans un HLM il se mettait dans un faux délire. Je me suis donc mis à réfléchir sur ce qu’était la vie de quartier en essayant de faire la synthèse entre ses défauts et ses qualités. Les couplets sont très nuancés. Je dis « parfois c’est comme la jungle » et non « c’est la jungle ». Un peu plus loin je dis « y’a pas un jour qui passe sans que le quartier soit un brasier » mais je nuance le propos en expliquant que le conditionnement dans lequel nous nous mettons y joue un grand rôle. Les médias et le rap aussi y participent aussi « tu sais ce qu’il y a les mille et comptes le disent , les disques en parlent et chaque jour les scènes se multiplient ». Et puis tout à la fin du premier couplet je conclus par « y’a pas que la merde, je veux que nos vies recréent une osmose ». C’est à dire que j’aimerais qu’on recrée une unité. Qu’on se serre les coudes pour changer ensemble l’environnement qui nous conditionne.

Je dépeins le quartier comme un endroit difficile qui forge le caractère, comme un lieu empli de paradoxe, où les jeunes pètent les plombs mais s’y plaisent parce que ça donne un statut d’homme plus ou moins fort. Je décris le quartier comme un endroit où s’étend le fossé des générations, où les conflits entre les jeunes et les forces de l’ordre sont fréquent sans qu’aucun d’entre nous ne réfléchisse profondément au pourquoi du comment. Pour finir je pense que le quartier est un endroit truffé de bon délires comme les soirées d’été où l’on est dehors à écouter du son dans les caisses et où on se marre entre potes sans faire chier personne.

Ma vision du quartier n’est donc pas pessimiste. Au fond, n’importe quel mec qui a une vision à long terme, a envie de sortir du délire cité (qui n’est d’ailleurs pas la vie de quartier). Tu vois, quand je pense au Pont de Sèvres je remarque que la plupart des mecs de ma génération et de celle d’avant l’avait déjà compris. Je trouve que les grands de mon quartier ont été des bons exemples. Dans ‘Trop de haine’ ce n’est pas le quartier qui est dépeint c’est la psychologie du mec de quartier. Tu rentres dans une situation. Tu es dans ma tête et tu comprends comment à partir d’un rien les embrouilles fusent. J’y décris tout ce qui a conditionnés nos réflexes d’agressivité et la manière dont la tension monte d’un cran à chaque seconde. Le texte fini avec un mec assommé sur le sol avec en tête, la haine, la vengeance, le dégoût, mais aussi la joie d’être encore en vie. Y’a plein de questions qui reste en suspens. Cette histoire est basé sur un fait réel. Et si je suis là pour en parler c’est que les histoires ne finissent pas toujours mal. Donc ma vision est réaliste mais pas cynique. Nous sommes certes le produit de notre environnement mais pas uniquement.

A : Les instrus que tu choisis, surtout ceux de Jee 2 Tuluz, comportent beaucoup d’émotion : c’est voulu ou inconscient ?

K : Je ne suis pas une machine sur laquelle tu appuies et qui sort un texte en alliant des techniques et des mots. L’émotion d’une musique est mon catalyseur c’est elle qui m’inspire. J’ai besoin de ressentir les choses. C’est la raison pour laquelle je ne suis pas excellent en freestyle, là où la plupart des DJ t’envoient des beats froids à la Premier ou à la M Boogie. De même, il m’est impossible d’arriver à lâcher un truc puissant sur des instrus à la Anti Pop Consortium, Cannibal Ox et compagnie. J’ai besoin de ressentir mes influences et de retrouver une musicalité et une harmonie. En plus j’ai besoin de me retrouver dans les musiques que font des concepteurs comme Jee, Yvon ou Stix. J’aime bien que les gars pensent à moi quand ils créent leurs instrus. En général, je pars de l’instru pour écrire et non l’inverse. Dans les cas de ‘J’arrive phat’ et ‘Amour et peine’, les deux morceaux de Jee, ça tenait plutôt du concours de circonstance. C’est une heure avant que Jee reparte sur Toulouse, je les ai trouvé en fouillant dans ses zip. Selon Jee, ces deux morceaux n’étaient pas au niveau. T’imagines ceux qu’il considère comme au niveau alors… Il me fallait une atmosphère particulière et ces deux musiques les avaient et paf, deux bombes. C’est pour tout ces hasards que cet album s’appelle aussi Tout est écrit. Tous mes titres ont une histoire c’est qui fait le charme de cet album personnellement.

A : L’analogie entre la vie et la musique, dans ‘La partition’, n’est pas un peu naïve ?

K : Je tique toujours sur certains adjectifs. Je pense que mon album offre une analyse assez fine des événements et des situations pour que le mot naïf puisse ne pas être utilisé pour me définir. Nous sommes dans une période où le pessimisme et le cynisme règnent en maîtres: « J’crois que ce monde est plein d’gimmick, plein de cynique, plein de faux qui nous nique, plein de cons qui nous dictent c’qu’on doit faire ici… » Je ne compare pas bêtement, la vie à la musique. Ce texte n’est qu’une métaphore filé où la musique est synonyme d’unité, de respect et d’harmonie. En gros nous sommes un grand ensemble symphonique dans lequel chacun de nous n’a pas la même perception du chef d’orchestre. Certain l’appelleront Dieu, d’autre l’appelleront l’intérêt commun. Dans cette ensemble nous sommes tous des musiciens ayant pour but d’accorder nos partitions, c’est à dire nos vies les unes aux autres, c’est ce qui fait la société. Et le bordel général vient du fait que tous nous souhaitons être des solistes. Quand t’y penses, un orchestre n’est qu’une société à petite échelle la comparaison apparaît donc claire.

Il n’y a pas que la métaphore qui a son intérêt. Il y a des phrases beaucoup plus puissante que celle que tu as cité précédemment par exemple, « les mecs se calibrent et dans leurs tête ne sont même pas libre. Ils pensent être fort mais sans le stress ils pourraient même pas vivre ». En gros, je reviens à l’idée que j’évoquais dans Loin des halls selon laquelle nous sommes conditionnés par l’égoïsme, la violence, l’angoisse de la pauvreté, le cynisme.Non, définitivement, ce texte est profond. Il n’a rien de naïf. Il fait partie des textes que j’ai écrit avec mes viscères.

A : L’instru de ‘J’arrive phat’ donne l’impression d’une armée qui avance lentement mais sûrement. Rapper posément un texte égotrip, c’est la preuve ultime de la maîtrise de ton flow ?

K : Aaah ! Tu me plais quand tu captes tout ça ! J’aimerais que chaque auditeur puisse comprendre toutes ces subtilités. Ouais, c’est vraiment ce que j’appelle la puissance dans sa quintessence! [rires]. Tu vois, on qualifie de puissants tous ces rappeurs qui braillent sans savoir ce qu’il font. Attention, j’aime bien les gueulards, j’en étais un à une époque, mais ils doivent être à la hauteur de MOP ou Onyx. Leurs techniques de rap sont irréprochables. Mon style est un peu comme le Jet Kundo. C’est ça, du Jet Kohndo !

Mon style cherche la grâce et l’efficacité, il n’y a pas de fioritures. C’est un peu comme ces breakers ou ces gymnastes que tu vois faire leurs mouvements, plus c’est maîtrisé et plus ça paraît facile. Mais si tu tentes ne serait-ce que de refaire ce qu’il font, tu te rends compte de la complexité du geste. C’est d’ailleurs l’unique égotrip de l’album ce qui le met bien en valeur. J’adore ce côté du rap quand on en use avec parcimonie. Quant au terme « d’armée », il me rappelle de mauvais souvenirs, tu sais… J’ai plutôt envie de parler d’une équipe et c’est vrai que nous avançons lentement mais sûrement. Comme dit le dicton « le meilleur se bâtît dans le silence ».

« Je suis un peu déçu de voir combien les gens ont toujours besoin de mettre une façade pour se protéger. »

A : Tu vas faire de la scène avant de sortir ton album dans les bacs, c’est une démarche alternative, atypique dans le rap, pourquoi ce choix ? 

K : J’estime que mon premier juge sera mon public, si le morceau parle de lui-même, alors j’aurai gagné. Mes morceaux je les aurai testé, ils auront une dimension. Et au delà de ça, je considère que mon album est un message, et il prend du coup toute sa valeur une fois diffusé. Je sais que quand j’ai fait ‘La Partition’ au Batofar, il s’est passé quelque chose. J’ai vu des gars d’1m90, presque la larme à l’oeil, et des moments comme celui-ci valent 100 disques d’or. La scène, c’est aussi rencontrer des gens, voir ton public, aussi varié soit-il, qui vient te voir. Rien n’est plus beau.

A : Qu’est-ce que tu as de prévu pour l’instant au niveau des concerts ? Tu as déjà des dates ? Tu as l’intention de faire les concerts en solo ?

K : Je serais le 8 Octobre au Batofar, avec Insight et Octobre Rouge. Dans l’absolu je vois la scène avec un DJ et un MC. Mais je pense que ma musique prendra tout son sens quand je serai au sein d’une formation type The Roots avec un DJ en plus, c’est quelque chose que j’aimerais beaucoup.

A : Dans un des morceaux de l’album, tu dis « moi et mes gars on est la crème, et quand le micro on manipule, c’est pour être maître », qui sont aujourd’hui les personnes autour de toi ?

K : Ahhh, ça me fait vraiment plaisir d’entendre ça ! Nan ça me fait plaisir, parce qu’il faut que je rende à César ce qui appartient à César. Aujourd’hui, on me voit beaucoup comme un artiste solo, mais il y a des gens derrière.

Tout d’abord, il y a toute l’équipe de production. Commençons par Yvon. Yvon, il est dans des atmosphères à la Spinna, sans avoir jamais écouter Spinna, c’est moi qui lui ai fait découvrir. Il est dans des ambiances très planantes, mystiques, tu l’écoutes et tu te laisses emporter. Si ses atmosphère sont légères, ses beat sont lourds. Yvon c’est ‘La Partition’, ‘Paris son âme’, ‘Trop de haine’. Stix lui est plus brut, dans l’esprit d’un Joey Chavez, Peanut Butter Wolf. Il est aussi influencé par un DJ Premier ou un Pete Rock, mais tout en conservant sa personnalité, et en y apposant sa touche Jazz, Rock, Weather Report… Le troisième producteur, Jee2Tuluz, c’est vraiment celui que je connais depuis le plus longtemps, il était déjà là sur Jungle Boogie. Il avait fait le morceau ‘Dos au mur’, avec une ambiance très Funk. Jee c’est vraiment celui qui me connaît le mieux, il sait vraiment être à mon écoute. Il a tellement de palettes, et son propre toucher. La texture de son son est toujours très clean, mais aussi très lourd, en place. Il a fait ‘Amour et Peine’, et ‘J’arrive Phat’. Il est très Soul music, dans des ambiances presque Rythm & Blues. Jee2Tuluz, c’est vraiment mon assoc’, si demain j’étais flemmard, et si je voulais faire un hit, je l’appellerai et je l’aurai mon hit. [rires]

Après au niveau des Emcees, il y a Specko la fine pointe. Il est originaire de Clichy, et bosse souvent avec DJ Authentik, qui est lui aussi un élément important de mon travail, même s’il n’apparaît pas sur mon album. J’ai tellement essayé de viser au plus juste, que le scratch n’a pas eu la place qu’il aurait mérité au sein de mon album. Mais pour mettre un scratch, il faut l’avoir bien pensé avant, pour que ça prenne une réelle couleur à la fin. Je travaille aussi avec DJ Hitch, alternativement. Avec Specko la pointe, on partage le même background musical. On s’échange beaucoup de disques. Quand on rappe ensemble, il y a une véritable alchimie, même si on aborde pas le phrasé de la même manière. Il est plus rigide que moi, mais aussi bien plus efficace, avec un grain de voix hallucinant, et un coté nasillard fort. Enfin, Gas, qui lui est originaire de Lyon, ancien de l’écurie Medina, et qui mène aujourd’hui une carrière solo. Avec tous ces gens on forme une vraie équipe.

A : Depuis le début de l’interview, je suis étonné de voir combien Kohndo l’homme peut être similaire à Kohndo le rappeur. Tu développes une vision très personnelle et à la fois très intimiste, tu te livres beaucoup dans ton album, c’est quelque chose d’assez rare aujourd’hui. C’est une démarche que tu aurais aimé voir de la part de plus de rappeurs ?

K : Je suis un peu déçu de voir combien les gens ont toujours besoin de mettre une façade pour se protéger. Quand j’ai décidé d’être Kohndo, et plus Doc Odnok, j’ai décidé d’être moi-même, et de ne plus jouer un rôle. On est pas nombreux à pouvoir s’exprimer artistiquement parlant, sortir c’est difficile. Je laisse une trace avec cet album, et si demain je dois disparaître, je pourrai me dire que cet album c’est moi, pas quelqu’un d’autre. Cet album, je ne pourrai pas le regretter, j’ai été trop sincère pour ça. J’ai retiré tout ce qui pouvait être équivoque, je suis donc content qu’on ressente ça, c’est ce que je voulais, car pour moi il n’y a pas d’intérêt à être quelqu’un d’autre. Ce serait vivre dans le mensonge, et je refuse de vivre dans le mensonge. Il est grand temps d’avancer dans la vérité et avec dignité. Cet album, si demain je dois disparaître, sera le gage de cette dignité.

A : Je ne sais pas si c’est lié, mais il faut que tu m’expliques la phrase suivante, quand tu dis « ma dernière vision sera un chauve armé d’un gun, si le diable a une gueule coupable, d’autres ont la même sans blague ». C’est une allusion à Booba ?

K : Si j’ai fait cette allusion, c’est déjà parce que j’aime bien ce que fait Booba. Cette phrase là m’avait bien marqué. Et aujourd’hui Booba représente quelque chose, le rap hardcore, et c’est absolument nécessaire qu’il soit présent. Car si lui n’est pas présent, moi je n’ai pas non plus de raison d’être. Ce sont deux visions du rap, et deux visions de la vie et du monde. Il montre une réalité dans laquelle des milliers de personnes se retrouvent. Moi, je voulais insister là-dessus, afin de dire que si cette vision très négative, bien que réaliste, existe, moi je peux montrer une autre réalité. Cette phrase est juste là pour attirer l’attention, mais elle n’est pas personnelle. J’ai partagé un bout d’existence avec Booba et c’est quelqu’un que j’apprécie, même chose pour Ali, on a été au lycée ensemble. Après le discours de Lunatic a son impact, et j’ai le droit moi aussi de vouloir avoir mon impact. J’oeuvre pour les miens, mais d’une autre façon.

A : Le discours que tu tiens là, est quelque part à contre-courant des tendances actuelles.

K : Finalement, le plus hardcore des deux discours c’est le mien. C’est beaucoup plus difficile d’être nuancé, en disant que le monde dans lequel on vit a aussi sa part de lumière, que d’affirmer que tout est sombre. C’est lutter contre la masse. Là où Booba va réellement exprimer sa pensée, d’autres ne vont faire qu’emprunter ce discours pour avoir accès à une popularité, là où d’autres personnes sont convaincues, au point d’en adopter le mode de vie. Quand t’es convaincu d’une chose, je ne peux pas te faire de reproches de ce pourquoi tu es convaincu, moi je m’oppose en disant que je suis de toute façon convaincu du contraire. Mon but de toute manière n’est pas d’être populaire, j’aurais aimé l’être, mais à l’heure qu’il est, je préfère cent fois le peu public que j’ai à 300 000 personnes qui m’adulent. Mon but c’est de dire ce que je pense. Encore une fois pouvoir s’exprimer c’est une vraie chance. J’ai des cousins au Bénin et au Togo qui ne peuvent pas tout le temps s’exprimer, donc quand on a cette chance, on se doit de bien l’utiliser.

« En France, plus tu vas être dans la norme, plus tu vas être dans la continuité, plus on va t’aduler. »

A : Ta démarche se situe à contre-courant, est-ce que tu le ressens ça dans les relations que tu peux avoir avec les maisons de disque, les radios, les magazines ?

K : Oui, enfin pas au niveau de la presse, ça doit être le rapport à l’écrit qui fait que tu réfléchis plus sur les choses. Le coté journalistique t’oblige à t’interroger plus sur le fond des choses. Dans les faits, je sais que je suis complètement à contre-courant du seul grand média de diffusion musical. Ils ont opté pour certains codes, ramener le Hip-Hop sur les pistes de danse, c’est un point de vue que je défendais il y a encore cinq ans, mais aujourd’hui ce n’est plus ma pensée. Après, chacun sait ce qu’il a à faire. Dans les maisons de disque, ce qui me gène c’est le contrôle excessif de personnes qui ne connaissent pas notre musique, et la musique en général. Depuis vingt ans, les gens voient la musique comme un produit de consommation, pas comme un art. Moi j’en veux à ces gens qui te mettent de coté simplement parce que tu ne vois pas les choses de la même façon qu’eux. Aux États-Unis, il y a une autre vision des choses, les gens vont chercher la nouveauté. En France, plus tu vas être dans la norme, plus tu vas être dans la continuité, plus on va t’aduler. Pareil, en France, si tu pompes le style de quelqu’un, et que tu le fais bien, on va bien t’aimer. Je comprends pas ça. Aux États-Unis, tu fais ça on te jette.

A : J’avais lu quelque part que tu envisageais de rapper jusqu’à 40 ans, c’est quelque chose d’assez rare. Si beaucoup se voient produire jusqu’à un age plus avancé, rapper non.

K : Tout ça c’est lié à une vision technique des choses. A partir du moment où tu comprends que ton art se décline à l’infini, que tu peux créer, toujours inventer, il n’y a pas de barrières. Je n’ai pas pour ambition de plaire à la masse, je veux juste être honnête, et ça je peux le faire toute ma vie. Donc, pourquoi m’arrêter ?

A : Le titre de ton album, « Tout est écrit », on peut l’interpréter de plusieurs façons différentes, notamment comme la fin de quelque chose ?

K : Le titre « Tout est écrit » c’était avant tout pour dire que si tu veux comprendre mon univers, tu peux juste lire les paroles présentes dans le livret. Il y a plusieurs degrés de lecture, mais dans le sens premier tu réussis à bien saisir. En seconde lecture, « Tout est écrit », c’était à une référence à toutes les péripéties qui ont pu se passer. C’est le destin qui fait que tu rencontres les bonnes personnes, et que les choses se concrétisent. Enfin en troisième lecture, celle que tu as pu avoir, on peut oui peut-être considérer que c’est la fin d’une étape, avant la suite.

A : Quelque chose à rajouter ?

K : Je suis vraiment honoré de pouvoir apporter ma pierre à l’édifice du rap en tant que soliste. Et j’espère que les lecteurs de votre magazine ainsi que les personnes de tout horizons auront la possibilité de le découvrir et peut-être de placer Tout est écrit au rang des albums références du hip-hop hexagonal. Peace à tous ceux qui partage une vision positive. Peace à ma Heartclick.

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