Manu Key
Interview

Manu Key

Membre illustre du groupe Different Teep, doyen de la Mafia k’1 Fry, directeur artistique de quelques-uns des albums les plus marquants du rap français et ami de longue date du regretté DJ Mehdi, Manu Key a plus de vingt ans de rap dans les pattes. Un parcours unique qu’il a accepté de retracer à nos côtés.

Abcdr Du Son : On te voit souvent comme le grand frère de plusieurs artistes du rap français. Est-ce qu’il y a des gens qui t’ont tendu la main à tes débuts comme tu as pu le faire pour d’autres par la suite ?

Manu Key : J’ai commencé au début des années quatre-vingt-dix à écouter du rap à la maison, notamment sur Radio Nova. A l’époque, j’étais très inspiré par Renaud Séchan qui écrivait des textes fabuleux sur la société, en mêlant dénonciation et vannes. C’est ce qui m’a donné envie d’écrire et j’essayais de recopier ses textes. J’avais un cahier dans lequel je recopiais ses paroles quand ses morceaux passaient à la radio [Sourire].

Vers 91-92, j’ai vraiment commencé à écouter du hip-hop à la maison avec EPMD, Public Enemy… C’est la rencontre avec DJ Mehdi en 1992 qui m’a vraiment lancé. Ensuite, il y a eu la découverte de Illmatic, le premier album de Nas. C’est vraiment un disque qui nous a mis dans l’écriture, dans la construction de thématiques autour des morceaux, dans le son… On avait déjà créé Different Teep mais c’est Illmatic qui nous a donné l’impulsion pour nous organiser plus sérieusement. On était beaucoup plus brouillon avant la sortie de cet album. Ce disque nous a poussé à nous structurer.

A : Comment s’est faite la rencontre avec Mehdi ?

M : Cut Killer m’a dit qu’il connaissait un jeune compositeur qui lui avait envoyé une maquette. On s’est rencontré via son intermédiaire. Mehdi faisait déjà du son chez lui avec son 4 pistes et c’est ce qui nous a permis d’enregistrer nos toutes premières maquettes. C’était nos tout premiers pas dans le rap parce qu’à l’époque on n’avait pas moyen d’aller dans des studios. C’était trop cher et, de toute façon, on ne savait même pas où c’était, comment enregistrer… On n’avait aucune notion de tout ça.

« La sortie d’Illmatic nous a poussé à nous structurer. »

A : Même s’il n’y en avait pas beaucoup, est-ce que les albums de rap français qui sortaient à l’époque pouvaient vous motiver ?

M : A l’époque, il y avait NTM mais c’était déjà beaucoup trop gros pour nous. « Ils enregistrent dans des studios immenses, ils font la première partie de Madonna« … Il n’était pas question que l’on se compare à eux même si on les écoutait. On essayait plutôt de savoir comment ils en étaient arrivé à sortir des disques. En faisant des maquettes, des scènes… On voulait emprunter ce chemin pour se faire connaître.

A : C’est à cette époque là que tu rencontres Mista Flo et Lil Jahson ?

M : C’est en 91. Mista Flo habitait à Orly où il y avait des après-midi dansantes tous les samedi à la MJC. Tout le monde se rencontrait et on savait qui rappait, qui venait de quel quartier… Ça a duré pendant deux ans. A l’époque, je touchais un peu à tout : danse, graffiti, rap…

A : A quel moment se forme le groupe Posse Ideal ?

M : Le Posse Ideal se forme quand on créé Different Teep et qu’on découvre Kery James en 92 qui habitait juste à côté de la MJC. On y était un mercredi en train de répéter et d’écrire nos textes. La salle était fermée quand j’entends frapper. Là, je vois un petit black d’1 mètre 25 avec un calepin dans les mains [Rires]. « Bonjour, j’écris des textes de rap« . On est tous un peu surpris et on lui demande de nous montrer un texte. « Nan, mettez un son et je vais le rapper ». On a mis un instru et il a commencé à débiter ses textes. On lui a dit de venir tous les mercredi et il a répondu présent. Ensuite, on a vu un deuxième jeune, un troisième et on s’est dit que ça serait bien de les mettre ensemble et de former un groupe de petits. A partir de là, ils se sont appelés Ideal et on était tout le temps ensemble.

A : On entend souvent que Kery avait quelque chose de plus que les autres dès le début. Tu l’as senti ?

M : Oui parce que Kery était quelqu’un de super fort à l’école quand il était jeune et il lisait beaucoup de bouquins. Son père était instruit et l’a poussé à s’intéresser à ça. Kery était déjà en avance par rapport à ça et tous ses textes étaient déjà très engagés. Ça nous étonnait et on se demandait si c’était vraiment lui qui écrivait ses textes ! [Sourire] On se disait qu’il était vraiment au-dessus.

Pour le tester et être sûr qu’il était bien l’auteur de ses textes, on lui disait de revenir la semaine d’après avec un texte fini sur un thème précis… Et il revenait avec son texte ! Il était trop fort, il ne fallait pas le lâcher.

A : A l’époque, il y avait un côté très « rap parisien » et vous étiez du Val-de-Marne. Comment avez-vous réussi à faire parler de vous à l’extérieur de votre département ?

M : La radio, les concerts… On a fait les festivals qui se tenaient à Porte de la Villette et Ideal J avait également fait la première partie de NTM au Palais des Sports. A partir de là, le public a commencé à s’élargir et on a eu de la demande à Paris mais également en province.

A : Est-ce que tu peux nous refaire l’histoire de la structure Alariana ?

M : C’est une structure qui est apparue en 1995. Tout ce qui a été fait de 1992 à 1995 se faisait via une association que l’on avait montée avec Mehdi. C’était le moyen de recevoir des subventions pour enregistrer des maquettes et aller en studio et c’est grâce à ça qu’on a pu faire La route est longue, le premier maxi de Rohff « Appelle-moi Rohff », le premier maxi de Karlito, le premier EP de 113 Ni barreaux ni frontières en collaboration avec Alariana. Ca s’est fait via l’oncle de Mehdi à l’époque qui avait une plus grosse structure. A partir du moment où on a décidé de sortir des disques à l’échelle nationale, il fallait que l’on passe par une plus grosse structure et l’association ne suffisait plus. On leur a fait confiance et on entretient une relation familiale depuis une quinzaine d’années.

A : Tu fais un peu figure de doyen au sein de la Mafia k’1 Fry. Quel est le rappeur qui t’a le plus impressionné ? 

M : Un peu tout le monde. La progression de Dry a été fulgurante, Kery a toujours sorti des textes de malade, Karlito est arrivé en 94 avec une nouvelle façon d’écrire et de parler… Chacun avait son style et l’a peaufiné au fil des années. On découvrait au fur et à mesure des qualités nouvelles chez tous les rappeurs.

La progression de Dry a été assez impressionnante. Le premier truc qu’il a posé c’était sur mon album Manu Key en 1998. Il faisait seulement un refrain et les gens ont vraiment aimé. « Qui c’est le mec qui fait le refrain ? J’aime bien sa voix« . Ensuite, il a fait Intouchables et, à force de beaucoup écrire, il a perfectionné son style. Il a trouvé une identité et, aujourd’hui, c’est un rappeur aussi côté que Kery qui découpe quand il fait un featuring, qui a une voix reconnaissable, un vrai flow, des thèmes diversifiés… Il a même réussi à faire des morceaux avec Gims et à passer à la radio. Il est vraiment reconnu comme un rappeur de premier plan.

A : Il y a un documentaire sorti récemment sur Kery dans lequel on te voit comme le mentor d’Ideal J. Quel regard portes-tu sur ces années-là ?

M : Ce sont des souvenirs fous parce qu’on a commencé par faire des maquettes dans une chambre avec Mehdi, on est allé à Tikaret pour avoir des enregistrements plus propres pour démarcher les maisons de disques alors que tout le monde nous fermait la porte au bout de cinq minutes de rendez-vous… Alors, faire la tournée Ideal J avec tous les potes et remplir des salles de concert, c’était incroyable. On arrivait à mettre de l’argent de côté pour louer un car, investir dans le décor de la scène… C’était magique et sans prise de tête. On avait réussi à organiser une bonne quinzaine de concerts de quartier dans l’année en téléphonant aux MJC. Généralement, les MJC acceptaient parce qu’on avait déjà sorti un disque.

On s’en foutait qu’il y ait 200 personnes dans la salle. On voulait juste rapper et on a vraiment monté cette tournée nous-même.

A : Par la suite, tu as assuré la direction artistique de certains des plus gros succès du rap français. C’est à ce moment que tu t’es découvert cette fibre ?

M : Ça m’a toujours plu d’assister à la naissance d’un morceau. Par exemple, quand Mehdi a fait l’instru des « Princes de la Ville », j’ai voulu le proposer à 113 et voir s’ils allaient rapper dessus. Au départ, l’instru n’était pas aussi rapide et c’est moi qui lui ai demandé de l’accélérer : « Accélère, accélère, on va voir s’ils vont réussir à rapper dessus » [Sourire]. Ils ont réussi et on connaît l’histoire du morceau.

A chaque fois que je me retrouvais avec Mehdi, on proposait pas mal d’idées et quand les membres de la Mafia nous suivaient, ça donnait une vraie richesse aux morceaux. Je me suis rendu compte que j’étais à l’aise dans ce rôle et j’ai voulu apporter ma patte à certains albums.

A : Comment tu t’es retrouvé à le faire sur Le cactus de Sibérie ?

M : Je connais Oxmo depuis ses débuts dans le rap. Il était venu me voir en me disant qu’il écrivait et qu’il avait un style décalé. J’avais trouvé ça mortel. Ensuite, il a fait son chemin et sorti son premier album qui reste un super classique. A partir du moment où je connais bien la personne, je suis capable d’analyser ses limites et de lui proposer certaines idées : « tu devrais parler de ça, ce couplet doit rester basique, ici tu devrais faire un refrain un peu chanté… » On essaye de créer l’atmosphère autour du morceau.

« Parfois, ma vision ne se portera pas sur l’ensemble de l’album parce que les artistes peuvent avoir des idées bien arrêtées sur certains titres. »

A : « Pour ceux » est l’un des clips les plus marquants du rap français et a souvent été copié. Est-ce que tu peux revenir sur l’approche que vous avez adoptée ?

M : C’est venu complètement par hasard et ça s’est fait en 24 heures. En fait, on cherchait à clipper un morceau mais on ne savait pas encore lequel. On décortiquait tous les morceaux en se demandant lequel nous représenterait le mieux, celui sur lequel on était assez nombreux… On s’est dit que, finalement, on s’en foutait de Skyrock et des radios et qu’il ne fallait pas faire un choix en fonction d’eux. Comme tout le monde posait dessus, on décide de prendre « Pour ceux ». Ensuite, on s’est posé une question : qui était capable de clipper ça et qu’est-ce qu’on pourrait faire avec cette vidéo ?

Un jour, je me ballade sur Internet et, à cette époque, Kourtrajmé avait un petit buzz. Ils faisaient des trucs un peu fous et, en cherchant qui se cachait derrière tout ça, je tombe sur Romain Gavras. J’aimais bien le côté décalé et Oxmo avait son numéro parce qu’il trainait souvent avec ces mecs. On l’appelle et on va le voir chez lui à Montreuil. On lui explique qu’on aimerait faire quelque chose dans l’esprit Kourtrajmé, garder le côté décalé. Il écoute le morceau et nous dit immédiatement qu’il y a un truc dingue à faire. Il nous dit qu’il veut en discuter avec son collègue. C’était le mercredi.

« Romain voulait presque que les gens poussent le cameraman mais on lui a dit de ne pas dire ça sinon ça aurait pu mal se finir. »
On y retourne le jeudi et il a trouvé une idée : « Voilà, j’ai un truc mais il va falloir assumer grave ». Il veut nous faire rapper tout nu dans la rue ou quoi ? [Rires] Finalement, il nous explique qu’il veut filmer la vie du quartier à l’état pur. C’est à dire montrer le bordel, les motos, les keufs, les pitbulls… « Ok, mais tu vas faire ça comment ? » « C’est à vous de rassembler tout le monde et nous on vient filmer. On peut tourner dès que vous êtes prêts » « Ok, c’est faisable. On est jeudi, on tourne samedi. » On a passé des coups de fil pour que Orly-Choisy-Vitry se rassemble. Kourtajmé est venu le samedi midi et le clip a démarré comme ça. Il n’y avait pratiquement pas de synopsis mais ils avaient des idées précises sur 2-3 mecs. Ils voyaient OGB dans un grec, ils avaient imaginé une scène de fou avec Demon One… Romain avait un pote dresseur de chiens et on est allé à soixante bornes pour tourner la scène de Demon One avec les chiens. Pour le reste, l’idée était d’être super naturel. Romain voulait presque que les gens poussent le cameraman mais on lui a dit de ne pas dire ça sinon ça aurait pu mal se finir [Sourire]. En tout cas, ils voulaient vraiment faire quelque chose de dingue.

A l’époque, on n’avait pas encore signé chez Sony mais on était en pourparlers. On avait convoqué Nicolas Nardone en studio pour l’écoute de l’album et la vision du clip. Il écoute l’album pendant une heure et à la fin nous fait une tête du style « wow, il est dur le truc quand même » [Sourire]. On l’amène dans la salle de projection pour lui diffuser le clip. A la fin, il applaudit et dit « je signe ». Il était convaincu que ça allait tout péter.

D’ailleurs, c’est lui qui a eu l’idée de faire des milliers de copies de ce clip sur VHS et de les envoyer à toutes les MJC de France. De notre côté, on avait pris pas mal d’exemplaires pour nous qu’on avait distribués dans nos quartiers. Deux semaines après, tout le monde parlait du clip et de la sortie de l’album.

« Romain voulait presque que les gens poussent le cameraman mais on lui a dit de ne pas dire ça sinon ça aurait pu mal se finir. »

A : Vous avez conscience d’avoir crée une mode avec ce clip ?

M : Oui dont « 93 Hardcore » qui était plus ou moins réussi… En tout cas, on a toujours considéré que « Pour ceux » était le clip le plus fort. Après, certains sont partis dans la surenchère en tirant sur les gens mais on savait qu’on avait fait le truc en premier. Je suis très fier de ça parce que ça a servi de buzz à Romain Gavras. Je suis fier de pouvoir dire que ce clip a propulsé la personne qui tourne des clips pour Jay-z et Kanye West aujourd’hui.

A : A une époque, il y avait une alchimie particulière avec Dany Dan et cette folle rumeur d’un album en commun…

M : [Sourire] Elle existe toujours cette rumeur d’ailleurs ! On s’est revu il y a un petit mois dans le cadre de l’album Magic que je suis en train de faire et on en a reparlé. C’est quelque chose qui peut se faire très vite et il faut juste trouver le temps. A l’époque de « Gravé sur tes shoes », c’était nouveau de voir des mecs de deux groupes différents collaborer pour un titre. On en était vraiment à nos débuts et on n’a jamais trouvé le temps pour se poser dessus. J’étais un peu dégouté qu’il l’ait fait avec Ol’Kainry 5-6 ans après mais on s’en reparle dès fois et on sait qu’on peut le faire en trois semaines de temps. Aujourd’hui, ils ont retrouvé un second souffle avec les Sages Po donc il sera assez pris… Mais l’idée n’est pas enterrée [Sourire].

A : Au rang de tes grandes collaborations, il y avait aussi le morceau « Quai 54 » qui réunissait du beau monde.

M : Je suis fan de basket depuis vingt-cinq ans et j’avais envie de regrouper des gens que j’aimais bien pour parler du sport qu’on aimait et non pas de rue. L’idée était de parler de ce sport qui nous fait vibrer. Tout le monde est venu et a posé des couplets terribles.
Aujourd’hui, je suis énormément la NBA et je suis également coach de basket donc je suis encore à fond dedans. C’est ma passion.

A : Tu parlais de l’album Magic en hommage à DJ Mehdi. Est-ce que tu peux nous en dire quelques mots ?

M : C’est un projet qu’on a commencé depuis deux mois et c’est quelque chose qui me tient à coeur parce que je sais que Mehdi l’aurait fait pour moi. C’est un projet qu’on se doit de bien réaliser et qui doit d’être à la hauteur de Mehdi. C’était quelqu’un que tout le monde respectait musicalement et on se doit de faire un bel album… Parce que c’était quelqu’un qui aimait vraiment la musique. Si on sort quelque chose de moyen, ça va le desservir et on n’en parlera même pas comme d’un hommage. Les invités seront des gens que Mehdi connaissait, qui ont eu l’occasion de travailler avec lui et qui veulent lui rendre hommage.

On a commencé à enregistrer avec des gens comme Rocé, les Sages Poètes, IAM, le Rat Luciano… Ils ont tous répondu présents et on avance doucement sur la suite. Il y aura Rocca, Wallen, des gens du monde de l’électro avec Justice, A-Trak, Chroméo… Sans compter la Mafia et Kery bien évidemment. Il s’agit vraiment de rendre hommage à quelqu’un qu’on a perdu trop vite, qui a apporté beaucoup de choses à la musique et qui était la raison du succès de certains albums.

A : Comment est-ce que sa redirection vers le monde de l’électro avait été vécue au sein de la Mafia k’1 fry ?

M : Au départ, certains ne comprenaient pas mais, en ce qui me concerne, j’avais immédiatement compris ce choix. Mehdi a commencé à faire des sons en 92 et, à l’époque où il a quitté le hip-hop, il y avait déjà fait tout ce qu’il avait à y faire. Il a été à l’origine du gros succès de 113, il a fait des sons pour Ideal J, pour Intouchables, pour IAM, pour Passi, pour la FF, il a fait des remixs… En 2000, il avait fait le tour de la question et c’était aussi le moment pour lui de rencontrer d’autres personnes qui allaient l’influencer. Il est toujours resté dans le rythme du hip-hop mais il cherchait seulement à trouver d’autres sonorités.

Il m’avait dit qu’il voulait se retirer du hip-hop et faire autre chose. Il commençait à apprendre à jouer de la guitare, il commençait à changer de machines… Il y a aussi eu un tournant au début des années 2000 dans le rap qui lui a fait perdre de l’intérêt pour ce mouvement. Il voulait juste faire de la bonne musique sans se soucier du passage radio. Il était en recherche de naturel : monter sur scène, jouer des sons, prendre son pied, partir en tournée. C’est ce qu’il a retrouvé dans l’électro. Il adorait les voyages, il a pu partir aux États-Unis, au Japon, en Australie… Il s’est éclaté via la musique. Dans l’électro, il a retrouvé le côté naturel et sans prise de tête de nos débuts dans le rap. Les gens l’appelaient pour le booker en lui disant “il y a tel budget sur ton compte et vous vous en arrangez comme vous voulez”. Avec ce budget, ils réservaient les avions, les chambres d’hôtel sans que ça ne crée jamais d’embrouille.

« Dans l’électro, Mehdi avait retrouvé le côté naturel et sans prise de tête de nos débuts dans le rap. »

Il a toujours été très ouvert musicalement et il a insufflé sa culture hip-hop et ses influences dans l’électro qu’il a proposé. Il a fait son chemin jusqu’à en devenir reconnu internationalement. Sur la fin, on ne s’était même pas rendu compte que Mehdi était devenu mondialement connu !

A : Récemment, Gaspard de Justice nous disait que c’était très compliqué de faire découvrir un morceau à Mehdi tant c’était un boulimique de sons. Il a toujours été comme ça ? 

M : Déjà, son père était un grand collectionneur de disques de soul et de funk et a inculqué ça à Mehdi. Très jeune, Mehdi s’est intéressé aux samples et à la rythmique. En plus, il est devenu rapidement bilingue et a eu l’occasion de voyager ce qui lui a permis d’accroître sa connaissance musicale. C’est vrai que ça a toujours été compliqué de lui faire découvrir un morceau [Sourire]. Il était calé en hip-hop, il était calé en soul et il s’est demandé comment ça se faisait que les gens aimaient autant l’électro… C’est comme ça qu’il est rentré dedans.

A : Tu avais écrit certains couplets sur Le combat continue, Zoxea t’avais déjà écrit certains textes également… C’est quelque chose que l’on voit rarement dans le rap où les rappeurs sont souvent assez protecteurs vis-à-vis de leurs textes. Comment est-ce ça se passait ?

M : Ça se faisait assez naturellement. Parfois, tu vas arriver aux limites de tes capacités sur un morceau : tu n’as pas de refrain, tu ne sais pas comment construire ton morceau… C’est à ce moment-là que tu dois collaborer. Comme je te le disais, j’avais déjà cette fibre de DA donc j’ai toujours aimé donner mon avis. Parfois Kery invitait Corona sur un morceau et, à l’époque, l’écriture n’était pas son fort. Du coup, je l’invitais à l’appart et je lui écrivais son texte. C’était aussi le cas pour Rocco, Mokobé ou Mista Flo. Je savais quel flow devait sortir sur quel morceau et comment faire en sorte que le morceau leur convienne en fonction de leurs possibilités.

De la même manière, j’arrive à me rendre compte quand j’arrive à une certaine limite. C’est pour ça que je faisais appel à Zox ou à Rocé aujourd’hui sur certains morceaux. Je sais qu’il y a des gens que je côtoie depuis des années qui écrivent très bien et je n’ai pas de problème à les appeler pour qu’ils me donnent un coup de main.

A : Rocé est également quelqu’un que tu avais chaperonné puisqu’il avait un solo sur l’album La rime urbaine de Different Teep.

M : C’est quelqu’un qui bougeait avec nous lorsqu’il était très jeune et j’ai toujours aimé son écriture qui se rapprochait parfois de la poésie. J’avais dit aux autres qu’il y avait un mec super fort avec un morceau intitulé « Respect » et qu’il fallait le faire découvrir aux gens. Mehdi a proposé de le mettre dans l’album et on l’a invité au studio un jour. Il connaissait son texte par coeur et on avait bouclé le titre en une heure.

Depuis, il a fait du chemin et a gagné un vrai public. Je suis allé le voir à son concert à la Bellevilloise et j’étais choqué parce que tout le monde connaissait ses paroles par coeur et passait un super moment… Il fait ses albums dans son coin avec son équipe et réussit proprement à vivre de sa passion.

« Le succès ne nous a jamais affecté parce que c’est quelque chose qui vient avec le travail.  »

A : Quel regard portes-tu sur la génération actuelle et notamment sur les jeunes rappeurs du 94 ?

M : J’écoute de tout, que ça vienne du 94 ou d’ailleurs. Que ça passe en radio ou que ça reste underground, je vais écouter les morceaux. De la même manière que ces jeunes nous écoutaient à l’époque, je les écoute avec intérêt aujourd’hui. Il y a des trucs que j’aime et d’autres que j’aime moins… J’essaye de garder dans un coin de ma tête les personnes que j’apprécie.

Globalement, je trouve que ça met un peu moins de temps à se mettre en place qu’avant et que c’est un peu moins riche dans la forme. Je pense qu’il y avait plus de recherche avant dans les textes et dans le fond.

A : Tu es de ceux qui pensent que le rap c’était mieux avant ?

M : Non, pas du tout parce que c’est un cycle. Il y a une jeunesse qui nous a écouté et qui prend la relève mais elle n’est pas forcément moins talentueuse. Et puis la question de savoir si c’était mieux avant ne se pose pas puisque nous, les rappeurs d’avant, sommes toujours là. Si c’était mieux avant, tu arrêtes une bonne fois pour toutes et part avec tes souvenirs.

A : Est-ce qu’il y a des jeunes rappeurs avec qui tu aimerais collaborer ou qui t’ont particulièrement plu ?

M : [Il hésite] Dans les nouveaux rappeurs, je n’ai encore rien trouvé qui m’ait réellement frappé. C’est pour ça que je dis que ça met un peu plus de temps à se mettre en place. A l’époque, quand les X-Men sortaient un morceau, on prenait immédiatement une gifle.

A : On a souvent vu la Mafia comme un collectif un peu à part qui ne voulait pas se mélanger. Comment est-ce que vous regardiez les mecs de Time Bomb à l’époque ?

M : On les écoutait et on appréciait parce que c’était complètement différent de ce qu’on pouvait faire. Tant que ça ne se ressemble pas, c’est cool. On n’allait pas apprécier des mecs qui rappaient comme nous mais, là, il y avait des flows et des textes novateurs.

Aujourd’hui, on a du mal à se prendre des gifles dès la première écoute…[Il hésite] La dernière gifle doit remonter à la première fois que j’avais écouté Youssoupha avec « Éternel recommencement ». En remontant un peu plus loin, il y avait le Rat Luciano. Récemment, j’ai vu de bonnes choses mais rien ne m’a impressionné.

A : Il y a plusieurs carrières au sein de la Mafia k’1 Fry avec des trajectoires différentes. Est-ce que le succès de certains a pu affecter les relations entre vous ?

M : Le succès ne nous a jamais affecté parce que c’est quelque chose qui vient avec le travail. 113 avait travaillé et avait sa bonne étoile donc ça a fonctionné, Kery a toujours persévéré et on savait que son talent finirait par payer… Ça n’a jamais gêné qui que ce soit et, aujourd’hui, les gens sont encore là.

Après, il y a parfois eu des problèmes d’égo à gérer mais c’est logique dans les relations humaines. Je ne pense pas que ça vienne d’une forme de jalousie de certains membres. Sinon, on se serait tiré une balle dans le pied.

A : Concernant ton actualité, est-ce qu’il y aura autre chose hormis Magic ?

M : Il y aura la réédition de Manuscrit à la rentrée avec deux inédits dessus qui ont été faits il y a un moment mais qui me plaisent encore aujourd’hui. Ensuite, il y aura vraiment Magic qui va prendre du temps et qui se peaufinera petit à petit. On prévoit une sortie début 2013.

Fermer les commentaires

1 commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*