Shurik’N : « Sur Où je vis, j’avais voulu tout faire tout seul »
Quatorze ans après Où je vis, l’autre rappeur majeur d’IAM revient avec un nouvel album solo. Une occasion de revenir sur ces deux projets mais aussi sur une multitude de sujets annexes : IAM, Freeman, l’influence new-yorkaise, son travail de réalisateur, l’humour dans le rap et Def Jam France. Rencontre martiale.
Nous sommes le 23 mai, quelques mois se sont écoulés depuis notre rencontre avec Akhenaton. Un moment qui avait un peu plus renforcé notre envie de rencontrer l’autre voix majeure du groupe IAM : Shurik’N. De passage dans la capitale pour assurer la promotion de son nouvel album solo, l’homme se montre fidèle à son image. Affûté, plutôt chaleureux et « sérieux dans ses affaires » comme dirait l’autre. Un café, un verre d’eau, un dictaphone : Shurik’N se découvre peu à peu. À la fois détendu mais aux aguets, il nous confiera au cours des deux heures passées ensemble ne pas aimer être exposé à la lumière. Un paradoxe qu’il dit pleinement assumer et résume assez bien l’ambivalence du personnage. Entre exposition massive et une certaine discrétion. Entre ombre et lumière.
Abcdr Du Son : Ton premier album, Où je vis, est sorti en 1998. Tu viens de lancer, quatorze ans plus tard, une suite. Quelles sont les raisons qui ont amené à sortir cette suite si tard ?
Shurik’N : Quand j’ai commencé à créer le premier album, je savais déjà qu’il n’y aurait pas de suite. Cet album n’était pas fait pour ouvrir une carrière solo. Je ne me projetais vraiment pas dans une carrière seul. C’était une envie ponctuelle ce projet. Une envie artistique de me prouver que je pouvais le faire, réaliser un album entièrement – et seul. Je voulais faire un beau disque, apporter une pierre à l’édifice du hip-hop. Quand j’ai fini de le travailler et qu’il est sorti, je suis tout simplement retourné au sein de la meute.
À l’époque, il n’y avait pas de pression particulière autour de ce premier album. Il n’y avait pas de carrière en jeu. J’avais pu me concentrer sur le plaisir de le faire, son écriture, la programmation. J’avais voulu tout faire tout seul. Je voulais être à la barre partout. Pour les productions, le texte, le visuel. Je fonctionne beaucoup à l’envie, même si parfois je dois en assumer les conséquences. Et l’envie du deuxième est venue très tardivement. Cette envie est revenue dans un autre contexte : sur la route, avec le groupe. Ça donne forcément une couleur différente, plus lumineuse que le premier.
A : Où je vis a beaucoup marqué les esprits, jusqu’à s’imposer comme un album de référence. Est-ce que les retours autour de cet album ont été conformes à tes attentes ?
S : Oh mais ça a largement dépassé mes attentes. Je n’en ai pas eu conscience immédiatement, malgré le bon fonctionnement de l’album à sa sortie. Je m’en suis rendu compte à l’époque de Revoir un printemps. C’est à ce moment-là que j’ai pu voir l’impact qu’il a pu avoir sur plein de générations différentes. Certains qui venaient me voir, pour m’en parler, ne pouvaient pas avoir l’âge de l’écouter quand il est sorti. Il y a eu une forme de transmission. C’est à la fois gratifiant et bluffant. Tu te rends compte que des gens ont vécu des choses à travers tes morceaux. L’album a eu une vie plus longue que je ne pensais. En tant qu’artiste, tu fais un album, tu mets tes tripes dedans et une fois qu’il est sorti, tu n’en es plus maître. Ce sont les gens qui lui insufflent une vie, lui donnent – ou pas – une direction à suivre. C’est le public qui en fait un classique. Ou pas.
A : Ces échos, tu les as eus au travers des concerts ?
S : Avec IAM, à un moment, on a décidé de ne plus s’arrêter de tourner. Avec une moyenne d’un à deux concerts par mois. Pendant cette période, l’immersion complète avec le groupe et le contact avec le public ont fait que l’envie est revenue. Ce constat de l’impact de mon premier album m’a aussi conforté dans l’idée que c’était le bon moment pour en faire un nouveau.
A : Tu expliquais avoir mené toute la réalisation artistique de ton premier album, au contraire du second. Pour quelles raisons as-tu adopté une démarche différente ?
S : Sur le premier album, j’avais des choses à me prouver. Ça ne veut pas dire que je n’ai plus rien à me prouver aujourd’hui, mais avec cette même démarche, il y aurait eu une forme de confort un peu malsain. Je me serais un peu endormi sur mes lauriers et je n’aurais pas été amené à pousser mon flow au-delà de ses limites. Le challenge était de m’adresser à d’autres producteurs dont je pouvais aimer le travail. Et à l’intérieur de leur travail, de trouver des morceaux qui me permettent de m’exprimer, tout en gardant mon identité. Il fallait un challenge.
Pour évoluer en matière d’art, il faut une certaine prise de risque. Autant il faut être fidèle à soi-même, autant quatorze ans après je ne pouvais refaire une copie de Où je vis. Ou alors, ça aurait été un constat très dur pour moi. Ça voudrait dire que je n’ai pas évolué pendant quatorze ans. Or, il s’est passé énormément de choses, sur plein d’aspects de ma vie, pendant cette période.
A : Comment as-tu procédé pour créer l’univers musical autour de ce nouvel album ?
S : J’ai écouté plein de sons parce que j’ai une sacrée tripotée de producteurs autour de moi. Et puis j’ai été au feeling, à l’écoute. J’ai un rapport très viscéral à la musique. En général, dès les huit premières mesures, je sais déjà si ça va le faire. Si l’atmosphère est là, si je vais pouvoir écrire dessus. J’applique les mêmes critères qu’avec IAM : les morceaux moyens passent à la trappe. On ne prend que l’excellent.
A : J’ai le souvenir de moments compliqués avec IAM – rapportés au travers d’articles ou vidéos – quand il fallait retirer des morceaux de l’album final. En sachant qu’a priori vous étiez plutôt productifs. Tu étais dans le même état d’esprit en artiste solo ?
S : C’est moins le cas. Déjà parce qu’on est moins de producteurs et d’auteurs. Mais oui, il y en a toujours plus que le nombre au départ. Avec le temps, certains passent forcément à la trappe.
A : Ce nouvel album est marqué par plusieurs thèmes. Dont celui de la paternité. Jusque dans le titre : Tous m’appellent Shu… mais pour toi c’est papa. Finalement, la paternité est un sujet relativement peu mis en avant dans le rap…
S : Les atmosphères et mélodies de morceaux m’ont imposé des thèmes. En sachant qu’on en avait déjà parlé dans Revoir un printemps. C’est un album où l’on parle beaucoup de nous en tant qu’hommes et en tant que pères. Après, on l’avait abordés en tant que groupe mais je ne l’avais jamais fait seul. Ça c’est fait naturellement, ça fait tellement partie de ma vie. Si ça ressort dans cet album, ce n’est pas un truc calculé. C’est un thème comme un autre. Même si d’un point de vue affectif, c’est forcément particulier.
A : Quand on a rencontré Chill, il y a quelques semaines, il nous a un peu parlé de son fils aîné et de la relation qu’il pouvait avoir avec le rap. Ton fils réalise que son père fait partie d’un groupe majeur du rap en France ?
S : Il a onze ans aujourd’hui. Il s’en rend bien compte maintenant. Depuis la période où il a commencé à se poser des premières questions du type « comment il fait papa pour être en même temps dans le salon et dans la TV ? » Après cette courte période où je suis passé pour un magicien talentueux, il a très vite compris qu’il y avait des enregistrements et diffusions en différé. Il est souvent avec moi quand les gens viennent m’interpeller, il en a pris conscience comme ça. Au début ça l’énervait un peu, parce que quand c’est trop fréquent, ça peut briser des moments qu’on partage ensemble. Je fais très attention à ça, je ne veux pas qu’il le subisse.
A : À ce titre, est-ce que tu as des regrets dans les messages que tu as pu faire passer, les morceaux que tu as pu enregistrer ? Un peu comme ce que peut décrire Chill dans « Une journée chez le diable » ?
S : Je ne suis qu’humain. Si je devais faire un mea culpa pour toutes les choses que j’ai estimé faire de pas bien, alors là, ça va être très long. Si tu fais référence au morceau « Le Retour du Shit Squad », je suis le seul à ne pas y figurer. Je n’ai pas de regrets particuliers au niveau des paroles que j’ai pu écrire. Mon fils peut déjà comprendre certaines paroles, il y en a d’autres que je lui expliquerai plus tard. On commet tous des erreurs et elles font partie de notre parcours. C’est l’addition des erreurs et des bonnes choses qui font qu’on se retrouve là. C’est aussi parce que j’ai fait quelques mauvais choix que j’ai eu certaines réactions. Je pense qu’il me posera naturellement, en temps voulu, des questions là-dessus. Il connaît l’album par cœur vu qu’à chaque fois qu’on est dans la voiture il me demande de le mettre. Depuis que j’ai commencé à l’écrire, il est en boucle dans la voiture. Moi-même, je me suis auto-saoulé ! [rires]
Mon fils fera ce qu’il veut, tant qu’il est heureux. Après, si je peux lui transmettre mon goût pour l’écriture, c’est quelque chose qui lui sera toujours utile. Au-delà du rap. Mon goût pour la lecture aussi. Pour écrire ce que j’écris aujourd’hui, j’ai dû beaucoup lire, en suivant ma propre démarche. L’école n’a pas su me donner l’envie d’apprendre et de lire. C’est le rap qui m’a donné immédiatement ces envies. J’ai grandi pour, par et à travers le rap. C’est lui qui m’a envoyé à la bibliothèque, qui m’a poussé à lire et à acheter des bouquins. Je voulais bien écrire et avoir des images et métaphores à utiliser en référence.
A : Pour quelles raisons à ton avis l’école n’a pas su te donner un goût pour l’écriture et la lecture ?
S : C’est difficile à dire. Nous sommes dans un pays de lettres, de poésie et d’auteurs. Plus que dans un pays de percussions ou de swing. Mais bizarrement, on ne sait pas transmettre ce goût pour l’écriture et la lecture. En tout cas moi, à mon époque, on n’a pas su le faire.
A : Sortir un album avec IAM et un autre, en solo, sur une structure indépendante, ça doit être un peu le jour et la nuit…
S : IAM c’est une grosse structure. Aujourd’hui, on a une assisse qui fait qu’on a des conditions de travail différentes de celles que je peux avoir aujourd’hui en tant qu’artiste solo indépendant. Pour ce nouvel album, j’ai suivi la même démarche que AKH qui est en indépendant depuis quelques temps.
A : C’était un choix ou une obligation ?
S : C’était à la fois un choix et une obligation. Les premières démarches ont été effectuées très tôt et je n’ai pas eu de réponses satisfaisantes. J’ai continué à avancer et du coup à un moment il fallait trancher. L’indépendance c’est beaucoup plus compliqué, ça demande de passer par d’autres chemins. Et si tous les chemins mènent à Rome, certains sont plus sinueux que d’autres. On aurait aussi pu laisser tomber, sortir une mixtape et basta. Mais comme on l’a toujours dit, s’il faut retourner à la cave faire des mixtapes, on le fera. En tout cas, du rap j’en ferai toujours.
J’ai pris mon temps pour cet album. Au final, son écriture a été étalée sur deux années et demie, trois ans. Les décalages de la fin sont d’avantage dû à des problèmes de samples ou des retards sur le visuel. Une fois la question des majors réglée, on a avancé comme beaucoup d’indés. À trois ou quatre. Être en indépendant, c’est se retrouver beaucoup plus au front. Tu te retrouves avec des problèmes à régler que l’on ne connaissait plus avec IAM.
A : Que s’est-il passé avec la pochette de l’album ?
S : C’est une peinture entièrement faite à la main. Elle n’a pas été retouchée du tout. Je trouvais que ce visuel était plus direct, plus vrai. Il n’y a pas trop d’effets spéciaux, ni de fioritures. À l’image de l’album.
A : As-tu des attentes particulières autour de cet album ?
S : … qu’il plaise. Il plaît a priori déjà pas mal, on a eu des bons retours. Ça se retrouve aussi au travers de la scène. Le concert tourne bien, il dure un peu plus d’une heure et demie et ça passe extrêmement vite. Je suis sur scène avec Saïd qui fait les backs et DJ Daz aux platines. On est sur une approche différente d’un concert d’IAM. Déjà, on est moins nombreux sur scène. Avec des salles plus petites, où l’on est plus libre.
On avait aussi fait des petites salles avec IAM au moment de la pré-tournée de Saison 5. Ça avait été du pur bonheur, une toute autre atmosphère, avec les plafonds bas, les gens proches, la transpiration qui monte vite. Avec IAM, on tourne pas mal. On doit être peu de groupes aujourd’hui à avoir la chance de tourner toute l’année. À raison de deux concerts par mois en moyenne. En basse saison. On a aussi fait la Thaïlande, Hong-Kong, l’Égypte bien entendu, le Canada, la Suisse, la Pologne et la Belgique. Partout où on a la possibilité d’aller jouer, on essaie d’y aller. On fonctionne beaucoup plus au plaisir aujourd’hui. On a aussi envie d’aller faire des concerts dans des endroits où on n’ira peut-être plus.
On a pu faire ce concert en Thaïlande, à Bangkok, après celui de Hong-Kong. C’était un grand kiff. Il y avait beaucoup d’expatriés en Thaïlande, notamment des français qui n’étaient pas rentrés en France depuis longtemps. Apparemment ça leur a fait très plaisir d’entendre un peu de rap français. Il y avait aussi des locaux, en sachant qu’on a joué avec un groupe de là-bas : Thaitanium. Au final, il devait y avoir 5 000 personnes.
« On peut parler de tout, pas de problème. Même si je n’ai pas le flegme anglais d’AKH. »
A : Musicalement, ton album sonne complètement en dehors des tendances du moment. Tu n’es pas dans les gros synthés et les ambiances pesantes…
S : Déjà, je n’accroche pas particulièrement au son du sud des États-Unis. Je n’aimais pas non plus l’idée d’aller vers un style de musique qui ne me plait pas. Ça aurait contrarié mon écriture et ça n’aurait pas donné de bons résultats. Il faut vraiment que je sois très à l’aise pour écrire sur un son. En plus de ça, compte tenu de tout ce que j’avais pu faire par le passé, il était clair que mon album aurait une connotation assez new-yorkaise.
A : À ce titre-là, tu es très proche des affinités musicales de Chill…
S : Oui, et ça a encore pu se vérifier pendant l’écoute des dernières productions du prochain album d’IAM. Quand on écoute des sons, on choisit d’abord en fonction de nos goûts. Et en général, on tombe d’accord sur le choix de 90% des morceaux.
A : On a l’impression d’assister ces derniers temps à un retour en force des figures marseillaises. Tu sors ton album, Imhotep a lui aussi sorti le sien, Akhenaton a fait We Luv New York. Et le prochain album d’IAM… C’est un hasard du calendrier ?
S : Le projet Ennio Morricone avec IAM, on viendra tous se greffer dessus quand nos récréations respectives seront terminées. Après, oui, c’est un pur hasard de calendrier. Comme tu le sais, mon album devait sortir bien avant. Même chose pour Chill dont le projet avec mon frère est sorti en amont. Du coup, en termes de timings, je suis plus proche d’Imhotep. Il y a une synergie qui va se créer quand on va tous se retrouver. On sortira tous de nos expériences en solo. Il y a une bonne lancée en ce moment, c’est stimulant. On va arriver sur IAM les dents longues. Sabre entre les dents. Et bien affûtés.
A : On a vu que Freeman sortait un nouvel album. Quel regard tu portes sur son départ et ses projets musicaux ?
S : On peut parler de tout, pas de problème. Même si je n’ai pas le flegme anglais d’AKH. J’ai une certaine vision de la question. Dans toutes les familles, même les plus soudées, ces choses-là peuvent arriver. IAM a toujours été très ouvert et chacun a toujours été libre de s’y exprimer. Certains y ont été invités. Fort logiquement. Si Freeman passe à un moment au micro, c’est parce que tout le monde dans le groupe estime qu’il faut lui donner sa chance. L’intégration de Freeman en tant que MC, c’était une question qui ne posait pas. C’est un fait qui mérite d’être souligné. Je ne connais peu de groupes qui invitent un danseur à devenir un vocaliste principal. IAM n’a jamais été figé, les fonctions au sein du groupe non plus. On a franchi le cap tous ensemble. Mais à un moment donné, les chemins peuvent diverger. Il a eu envie de s’exprimer tout seul. À mon avis pas pour les bonnes raisons. Donc quand il décide de prendre sa propre route, on peut juste lui dire bon vent, et merde pour le futur.
Après pour ce qui est des épanchements, règlements de compte, affaires privées et autres propos tenus sous JB, Rhum Blanc et Vodka à 55 degrés, ce n’est pas mon problème. Il faut assumer ses choix. Ses échecs et ses réussites. Il ne faut pas systématiquement tout mettre sur le dos des autres. À partir d’un certain âge, ça ne fonctionne plus. Il y a des choses que je ne pardonne pas, ce sont les insultes. On a toujours su se tenir à ce niveau-là, on n’a jamais saisi les perches qui nous ont été tendues. Chacun fait sa route, on n’est pas là pour pourrir la carrière de Freeman. Autant, on peut répondre de façon très posée – comme on l’avait déjà fait avec « Reste underground » – autant il y a des limites à ne pas dépasser. Il y a des problèmes personnels qui doivent être réglés avant de parler de problèmes musicaux. Ces derniers temps, il y a eu assez de virulence et d’insultes. Insulter derrière son écran à des milliers de kilomètres, avec une bouteille de whisky dans le bide, c’est à la portée de tout le monde. Là où le problème se pose, c’est quand les montagnes se croisent.
[Un long silence s’ensuit]
A : Comment tu te situes aujourd’hui dans l’univers du hip-hop ? Est-ce que tu continues à en écouter très régulièrement ?
S : [Immédiatement] Oh oui ! J’ai gardé le fameux réflexe new-yorkais. Comme Chill, j’ai rencontré le hip-hop au travers de New York. Nos premières influences, nos premiers flows nous viennent de cette ville. C’est quelque chose de toujours omniprésent chez nous. Depuis le début, je reste influencé par cette scène et à mon avis ça se ressent dans ma musique, et même notre musique.
Je suis les anciens comme les nouvelles têtes. À partir du moment où je retrouve cette intensité dans le débit, une atmosphère globale qui me parle. Dans mon écoute quotidienne, j’ai ce réflexe d’écoute des disques new-yorkais. Je n’arrive pas à décrocher de là. Pourtant ces dernières années j’ai énormément collaboré avec des artistes français. L’un n’empêche pas l’autre.
A : On dit souvent que le rap est un sport de jeunes. Aujourd’hui, tu ne te sens pas déconnecté de cet univers ?
S : Non, pas du tout. On ne demande pas à Mick Jagger s’il est trop vieux pour débarquer en collants moulants et t-shirt trois fois trop petit pour faire des roulades à moitiés réussies sur le devant de la scène. Je n’ai pas la prétention de dire qu’on est au niveau des Rolling Stones. Mais le rap c’est une vieille musique maintenant. C’est normal que l’on trouve des artistes de nos âges dans cette musique. Ils sont même plus âgés aux États-Unis.
A : Mais la question ce n’est pas forcément l’âge des artistes, plutôt une tendance à parfois tomber dans un certain jeunisme.
S : Je me sens loin de ça. Je continue à faire un rap qui me ressemble. J’ai pleinement conscience que certains de mes propos peuvent passer au-dessus de la tête d’une certaine génération. C’est juste la vie ça. On ne s’est jamais vraiment posé cette question avec IAM. On a toujours rappé ce qu’on était. Si on arrive à avoir un public aussi fidèle, c’est que les gens l’ont compris. Tu vois notre public sur scène, c’est un panel très large de la population. Toutes les couches sociales, tous les âges, toutes les couleurs. Un panel qui nous ressemble bien au final. Sans aucune prétention, on se rend compte qu’on est devenus transgénérationnels. Ça nous confirme aussi que la ligne directrice que l’on a pu prendre au début était la bonne. Si on avait effectué des travers, le public ne nous l’aurait pas pardonné. D’ailleurs, je pense que le public a été plus critique avec nous qu’avec pas mal d’autres groupes. Les gens ont par exemple du mal quand IAM fait des morceaux avec des sonorités électroniques. Ça ne passe pas. On s’en est rendu compte ces derniers temps, notamment sur We luv New York. Même chose avec mon album.
A : Un autre point qui a été pas mal critiqué chez IAM, c’est l’humour porté sur certains morceaux. Comment vous-avez vécu ces critiques ?
S : On a toujours fait des morceaux avec un peu d’humour. « Attentat », « Attentat II », « Elle donne son corps avant son nom », « Donne-moi le micro ». On a toujours mis un morceau comme ça dans nos albums. C’est tout simplement parce qu’on est comme ça dans la vie. On a plein de discussions, sur plein de thèmes, mais la plupart du temps, sur la route, on raconte beaucoup de conneries. C’est du grand n’importe quoi, on dirait des gamins en colo ! On a toujours assumé ce côté-là. Le mal aurait été de faire l’inverse. D’avoir des idées, des envies… et finalement ne pas vouloir le faire parce que ça ne correspondrait pas à l’image qu’on voudrait donner. On rappe ce qu’on est. Si un jour on est d’une humeur à raconter des conneries, tu vas avoir un morceau dans cet esprit.
L’humour n’a jamais été un souci pour nous. Rien à foutre des critiques à ce niveau-là. Pour reprendre un truc qui a fait beaucoup parler : l’émission de Dechavanne avec les ballons. On nous avait dit, surtout le noyau du hip-hop d’ici : « mais c’est quoi ces bouffons qui font les cons et sautent avec des ballons ? » Mais il faut savoir qu’on est arrivés à 14h00 pour faire des balances et l’émission était à 19h00. On avait fini à 14h30. Du coup, un quart d’heure plus tard, on avait tous un ballon et on sautait dans les couloirs. Dès qu’on a vu les ballons, on savait que ça allait partir en couilles. On a passé une partie de l’après-midi à sauter avec les ballons dans les studios. Pourquoi on aurait dû s’arrêter ? Parce qu’à un moment donné quelqu’un disait « action, ça tourne » ? Du coup, il aurait fallu mettre les ballons de côté et faire comme ça ? [NDLR : il prend une pose un peu menaçante, bras croisés] On était juste naturel, mais le rap n’était pas apte à l’accepter. Quand tu vois les réactions sur « Coupe le cake », tu te dis que les gens n’ont pas compris ce morceau. On a toujours revendiqué la partie humoristique de nos personnalités.
« Je n’aime pas être trop exposé à la lumière. Ce qui est grand paradoxe par rapport au métier que je peux faire. »
A : Est-ce que l’imposant patrimoine musical d’IAM peut devenir un poids au moment de sortir un nouveau projet comme celui-ci ? Être toujours comparé à ses propres classiques, c’est pesant ?
S : Je n’ai pas eu particulièrement le poids d’IAM sur les épaules pour ce projet. J’ai eu celui du premier album, Où je vis . Et c’est flatteur quelque part. Ça veut dire que tu as fait des classiques. Faire un album et le voir porter aussi longtemps dans le cœur des gens, c’est à la fois beau et bluffant. Si celui-ci n’a ne serait-ce qu’un cinquième de la durée de vie du précédent, je serai heureux. Mais à vrai dire je suis déjà heureux : l’album est sorti et il me plaît. Le reste c’est de la littérature.
A : Où en est le groupe IAM aujourd’hui ?
S : Il est éparpillé par monts et par vaux, vacant à différentes occupations. Mais on ne va pas tarder à se replacer dans les starting-blocks pour sortir ce nouvel album. On espère respecter le délai de début 2013. On garde le concept avec Ennio Morricone, il signore. Mais qui dit rap dit sample. Qui dit sample dit clearance. Qui dit clearance dit pertes de temps et exagérations.
A : IAM a récemment signé chez Def Jam France. Quel est pour vous l’attrait de cette signature ?
S : Le nom Def Jam évoque déjà plein de bons souvenirs. Ensuite, on va travailler avec quelqu’un qu’on connait déjà [NDLR : Benjamin Chulvanij]. Il est assez cash avec nous pour qu’on ne pinaille pas pour des conneries. Et c’est une très bonne chose. On est un groupe qui travaille avec des conditions de contrat qui ne se font plus aujourd’hui. Notre contrat date d’il y a quelques temps maintenant. On ne retrouvera plus des conditions contractuelles comme ça vu que l’industrie musicale a bien changé. Donc cet album-là, on va bien le kiffer. On est au début du projet d’album, on a eu des autorisations de Morricone. On projette d’aller à sa rencontre. En sachant que chacune de ses B.O sont chez des éditeurs différents, des éditeurs de musiques de films. Des éditeurs cinéma qui ont une autre conception de la musique.
A : La vie de ton comparse Akhenaton est ultra-documentée. Et plus encore depuis la sortie de La Face B. Tu es plus en retrait, tu n’as jamais eu envie de dévoiler d’avantage ton parcours, tes envies ?
S : C’est mon caractère qui veut ça. Je n’aime pas être trop exposé à la lumière. Ce qui est un grand paradoxe par rapport au métier que je peux faire. Je suis quelqu’un qui parle peu, je me place plutôt en observateur. C’était déjà comme ça avant le rap. Parler de moi, je n’aime pas particulièrement ça. J’aime l’écrire et le rapper. Si je veux laisser une trace, je veux qu’elle soit musicale.
A : On a l’impression qu’Akhenaton joue parfois les paratonnerres pour le groupe. Le ressens-tu ainsi ?
S : Ce rôle, il s’est imposé de fait. Déjà, six personnes à inviter en plateau c’est très compliqué. On a beaucoup rencontré ce problème au début d’IAM. C’est une place qu’il a occupé naturellement, aussi à une époque où la promotion nous intéressait moins. Il n’y a jamais eu de problèmes de hiérarchie ou d’égo entre nous là-dessus. De toute façon, on est trop adultes pour ça.
A : Tu as sorti en 2000 La Garde, un album avec ton frère Faf LaRage. Avec le recul, sortir un album aussi exposé avec son frère, c’est une expérience assez exceptionnelle. Quel regard tu portes aujourd’hui sur ce projet ?
S : On s’est bien éclatés à le faire cet album. J’ai souvenir du clip où on était parti deux-trois jours en décor naturel, avec des chevaux, des banquets, des cochons qui rôtissent ! [rires] On s’est fait super plaisir. Et on a bien rigolé pour le faire. À l’époque de cet album, on était beaucoup dans le concept. L’album a bien fonctionné, la durée de travail était relativement courte. Et faire un disque avec son frère ce n’est pas quelque chose de commun. Rien que pour ce plaisir-là, ça valait le coup.
A : Tu as réalisé l’album de Saïd, De Swing et de Soul sorti sur 361 records. Tu peux nous expliquer quel a été ton rôle exact sur ce projet ?
S : J’ai composé les musiques, écrit toutes les paroles et les mélodies. En sachant qu’on a fait tout le travail en amont ensemble. Le travail sur la sortie, c’était 361 Records. On travaille en ce moment sur le second. Saïd est sur la route avec moi, on avance progressivement ensemble.
J’aime avoir un bon feeling avec les gens avec lesquels je peux travailler, ça me permet d’aller beaucoup plus loin. Et c’est le cas avec Saïd. Ponctuellement, il se peut que j’aille travailler et écrire pour d’autres. Je l’ai déjà fait pour Déborah et Mayrina Chebel. J’aime bien écrire et globalement il n’y a pas d’auteur dans le rap. Enfin… Dans notre vision du rap, le rappeur a écrit ce qu’il rappe. C’est différent dans la chanson. Les interprètes n’ont pas de problème avec ça. L’important pour eux ça reste de bien se l’approprier. Et le morceau n’existe pas s’il n’y a pas une bonne appropriation et interprétation. Ces deux rôles sont complètement interdépendants.
A : Si tu devais retenir un morceau de ta discographie, ce serait lequel ? Et pourquoi ?
S : [Immédiatement] « Demain c’est loin ». J’aime l’intensité de ce morceau, quatre minutes, sans refrain. Du hors-format. Je trouve aussi que c’est un des morceaux qu’on a le mieux écrit. C’est un des morceaux qui a le plus marqué les gens. « Petit frère » a aussi beaucoup marqué le public, « Femme seule » et « Sachet blanc » également. On a eu la chance d’avoir plusieurs morceaux comme ça qui ont fixé des repères.
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