L-I-O Petrodollars, le huitième homme
Alors que les rappeurs de Sexion d’Assaut tentent d’atteindre leur Apogée autoproclamée, le très discret L-I-O Petrodollars, membre fondateur du groupe, trace son chemin. A la fois au sein de la Sexion, et un peu à côté. Interview.
Tony Truand de Ärsenik, Fel de la Fonky Family, Yazid et Mr Kast de NTM (oui oui), Moda ou Hamed Daye du Ministère AMER … beaucoup de groupes phares du rap français ont eu droit à leurs membres fantômes. Partis trop tôt, présents par intermittence ou tout juste autorisés à sourire sur la photo, ces membres sont en général mis de côté quand on retrace la grande aventure de leur formation. C’est franchement dommage. Avec à la fois un œil dans les coulisses et assez de recul pour ne pas vivre le succès frontalement, ces artistes constituent des témoins de choix pour l’Histoire, une fois que la fête est finie.
Sauf que la fête est loin d’être finie pour Sexion d’Assaut. Malgré une gestion hasardeuse de la fameuse polémique de l’automne 2010, le groupe a su rebondir et leur projet En Attendant L’Apogée a généré son lot de singles inévitables et de disques dorés. Les huit membres du groupe reviennent donc pour la confirmation, L’Apogée autoproclamée. Huit ? Oui, car même si seuls sept rappeurs interviennent sur les disques, ils sont bien huit sur les pochettes. Ce membre mystérieux s’appelle L-I-O (« L-I-O Petrodollars, le Saoudien noir » serait plutôt son nom complet). Membre fondateur, il n’était pas dans les parages au moment où le groupe a décollé. Il se rattrape depuis, soit en rappant (occasionnellement) avec son groupe d’origine, soit dans des morceaux solos, dans lesquels il construit, couplet après couplet, un gimmick après l’autre, une identité originale : celle d’un mec ayant grandi à Place Clichy et qui rêve de Dubaï. Avec un pseudo en acronyme qui peut vouloir dire « Lascar Inspiré par L’Oseille » tout comme « Libyen Ivoirien d’Origine », vous comprenez mieux pourquoi on a voulu le rencontrer.
Abcdr Du Son : Ton premier contact avec le rap ?
L.I.O. Petrodollars : Ça vient de mon grand frère. Il avait été fan de Sidney, ensuite ça a été Yo ! MTV Rap, etc. et il m’a mis dedans. Il a aussi été danseur, il a un petit peu rappé au début de La Brigade. Je le voyais ramener des cassettes et des vinyles à la maison. Donc ça m’a marqué. Je me rappelle même que quand j’avais huit ans et que je faisais mes devoirs, lui, il était en train d’écouter le Wu-Tang ! Mais mon premier coup de cœur personnel, ça a été les X-Men. Quand j’ai écouté leur premier album Jeunes, coupables et libres, j’ai pété une quille. Je me suis dit que les mecs étaient trop loin. Ils sortaient des rimes sur des phrases entières, ils surfaient sur le beat…
A : Ça se ressent dans ton flow, je trouve.
L : Les X-Men ça a été mon école de rap ! Même les dissonances sonnaient bien avec eux. Ils savaient jouer des fautes de rythme. Je n’étais pas avec eux donc je ne peux pas être sûr à 100% mais quand je l’écoute, j’ai l’impression qu’ils étaient dans une bulle et qu’ils se sont fait plaisir. On sent que ça a été fait dans un laps de temps très court. Mais ils étaient trop en avance. Quand j’entends aujourd’hui « Ouais les X-Men, ils étaient trop ceci… » Mais bande d’imbéciles, c’est quand ils étaient là qu’il fallait les soutenir ! [rires] Pareil pour Hifi, il était super fort. Quand je l’écoutais, je me disais « il est bon mais il a toujours une phrase qui casse le délire ». Mais en réécoutant, j’ai compris qu’il était très loin. Trop loin pour faire des trucs normaux ou évidents.
A : Et le premier contact avec un mec de la Sexion d’assaut, c’est venu comment ?
L : Le premier que j’ai rencontré, c’était Maska, quand j’avais 11 ans, je crois. Il jouait au ping-pong dans un square, avec un pote. Et puis, quelque temps après, mon cousin m’a dit « Je vais te présenter un gars, avec lui, on s’ennuie jamais ». C’était Barack Adama. Ils étaient dans un collège à Anvers, honnêtement, c’était un des pires de Paname. A l’époque, mon cousin et lui étaient dans un délire ghetto, nerveux etc. Je vois, Adama qui arrive, il checke mon cousin, il me checke et il me dit « Où est-ce qu’il y a des gars chauds par ici ? On va les niquer ! » [rires] Il avait 12 ans je crois. Ah, le Barack Adama d’aujourd’hui, ce n’est pas la même ! Mais on était des gosses à l’époque, on ne pensait même pas au rap.
A : Ce qui est intéressant avec vous, c’est que vous n’êtes pas un groupe de banlieusards. Et Place Clichy, c’est un quartier très ouvert, avec beaucoup de passage…
L : La force de Paris, c’est qu’il y a des coins populaires juste à côté de quartier plus chics, les enfants se mélangent à l’école et on est obligés d’être plus ouverts. A un moment, j’ai un peu vécu en banlieue et j’ai tout de suite senti la différence. Tu es obligé d’attendre ton bus une demi-heure, c’est compliqué pour sortir, pour rentrer, et si tu restes chez toi, tout ce que tu va voir, c’est l’immeuble d’en face ! Alors qu’à Paris, les ambiances changent toutes les quatre rues. C’est pour ça que je considère que c’est une chance pour moi d’avoir grandi à Paris. Ça me tient à cœur de représenter ces contrastes, le côté cosmopolite. C’est ce que je dis dans le morceau « 75 Ghetto Chic », Paris c’est « la classe dans la crasse, comme les sapeurs à Château Rouge ».
« Si tu connais l’histoire du groupe, tu as entendu parler de moi. »
A : Et le rap justement, c’est venu quand ?
L : Maska, Adama, Lefa et un mec qui s’appelait LKX rappaient de leur côté dans un crew nommé Assonance. Moi j’avais un groupe de mon côté qui s’appelait Sexion Enfant Sauvage mais ça n’a pas duré alors on s’est réuni et j’ai intégré leur groupe. Et je me souviens, un dimanche, Adama est venu me voir et m’a dit « Il y a plein de MC’s dans le quartier, faisons un crew ». Et c’était mon rêve à l’époque parce que j’avais grandi avec la référence du Wu-Tang en tête. Donc j’ai proposé le nom Sexion d’Assaut pour le collectif. A partir de là, c’était parti, on faisait des grosses sessions freestyles dans la chambre de Maska ! Ça transpirait, on était plein mais il y avait déjà une vraie ferveur. Même des gens d’autres quartiers nous rejoignaient. Après, tout le monde n’était pas aussi sérieux mais nous, on y croyait déjà à fond.
A : Mais à votre époque, le studio ce n’était pas aussi accessible qu’aujourd’hui. Vous faisiez comment pour enregistrer ?
L : Le premier morceau que j’ai fait, c’était sur ça ! [il désigne mon dictaphone à cassettes] Donc ça rappelle des souvenirs. Mais Adama était toujours motivé pour trouver des endroits où enregistrer. On a enregistré dans la loge d’un gardien d’immeuble. On débarquait chez lui, on était plein. On avait 16 ans, je crois. Mais notre enthousiasme était communicatif et on réussissait souvent à convaincre des gens pour qu’ils nous filent un coup de main. C’est pour ça que, d’un certain côté, le succès énorme d’aujourd’hui me surprend, bien sûr, mais pas tant que ça. Enfin, bref, à l’époque, on connaissait déjà Troisième Prototype : JR O Chrome, Maître Gims et un mec qui s’appelait Makan. Ils faisaient déjà partie du collectif Sexion d’Assaut. Un peu plus tard, quand je suis parti aux Etats-Unis, Assonance et Troisième Prototype ont plus ou moins fusionné.
A : T’avais déjà le délire « Saoudien noir », « Ivoirien de Libye », etc. au début ?
L : Non à la base, je m’appelais Kelkal, comme Khaled Kelkal [rires] Ensuite, je me suis appelé Mesrine, mais quand Black Mesrimes est entré dans le groupe, on s’est dit que ça faisait un peu beaucoup ! Ensuite, ça a été Satanas parce qu’à 20 ans, j’avais toujours une sale idée en tête. Non, non, Petrodollars c’est venu aux États-Unis, où je suis resté trois ans. C’est là où j’ai découvert le capitalisme !
A : T’es parti dans quel contexte là-bas ?
L : C’est ma daronne, paix à son âme, qui m’a conseillé d’aller là-bas. Je venais d’avoir mon bac et elle m’a dit que c’était une chance pour moi, que je pourrais mieux m’épanouir. Je l’ai écoutée et je suis parti, un peu à contrecoeur je dois dire. J’ai passé quelques mois avec mon père, qui vivait là-bas, mais ça ne s’est pas super bien passé. Au bout de quelques mois, je suis parti seul à New York. J’ai commencé à me débrouiller, à travailler, à payer un loyer. J’ai fait de tout : j’ai livré des journaux, j’ai été caissier à Starbucks, j’ai bossé dans une sorte de boulangerie, j’ai même vendu des CDs gravés ! C’était à Jamaica Queens, le quartier de 50 Cent. Là bas, des mecs comme Papoose ou DJ Whoo Kid passaient eux-mêmes déposer leurs mixtapes dans les magasins. Les mecs se bougeaient, ça me plaisait. Il y avait cet état d’esprit : « Si tu veux réussir, donne-toi les moyens », qui m’a inspiré. Et puis rien que la place du hip-hop dans la société, c’était impressionnant. New York, c’est une ville hip-hop ! J’ai vu des mecs à Wall Street qui marchaient comme des B-Boys. Je me rappelle à la sortie de « Buy You a Drink » de T-Pain, j’étais dans un magasin. Eh bien, tous les vendeurs dansaient et chantaient sur le son, carrément devant les clients. Et c’était normal ! Après, je n’idéalise pas, il y a aussi des aspects sombres, beaucoup de misère, des gens en mauvaise santé. Là bas, comme dit Mokless, Doctor House, il n’accepte pas la carte Vitale. Mais ça c’est encore autre chose.
A : Et tu suivais quand même l’évolution de la Sexion d’Assaut, à l’époque ?
L : On se captait sur MSN, ils m’envoyaient les liens des clips « Histoire pire que vraie », « Anti Teknonik ». J’étais content. Quand j’ai vu le clip, j’ai trouvé ça neuf, super accrocheur. J’étais fier.
A : Tu es revenu vers 2008, donc. C’était par rapport au buzz de la Sexion ?
L : Non, Sexion a peut-être un peu joué mais je suis surtout revenu parce que je voulais revenir en France. Ça me manquait.
A : En 2009, Sexion d’Assaut sort donc L’Écrasement de tête, sur lequel tu n’apparais pas. Tu es en revanche présent sur un titre de L’École des points vitaux. Et ce que je trouve sain avec votre groupe, c’est que la notion de travail est très présente dans votre discours. Dans une interview à l’époque, tu disais même que tu devais refaire tes preuves pour mériter ta place. Comme si la crédibilité et la loyauté ne faisaient pas tout.
L : Certes, l’amitié ça compte. Parce que s’il n’y avait pas de loyauté entre nous, je ne serais pas là en ce moment. Peut-être que si ça avait été un autre cas de figure, avec un autre groupe, on n’aurait plus entendu parler de moi. Je serais complètement en solo à me débrouiller. Mais oui, le travail c’est très important, il n’y a que ça qui paie. Il y a eu des moments dans ma vie, où je rappais moins. Je restais six mois sans écrire un couplet et je peux te dire que quand je m’y remettais, j’avais du mal. A l’opposé, plus je pratique, plus mon écriture s’enrichit. Et ce que je me dis, c’est que tous les grands, c’est des grands travailleurs. Quelqu’un de très talentueux mais qui n’exploite pas ce don, il ne va rien devenir.
A : « Gâcher son talent, c’est mourir un peu… » comme dit Lino…
L : Il a tout dit ! Et par rapport à Sexion d’Assaut, oui, c’est à moi de leur proposer des couplets, des morceaux, et de fournir un travail pour montrer que je mérite ma place.
A : Mais ta position est quand même très ambiguë. Tu apparais sur les pochettes mais tu ne rappes quasiment pas sur les disques, tu n’es pas non plus en tournée avec eux… Tu définis comment ta place dans le groupe ?
L : Je dirais que je suis un des membres fondateurs. Quelqu’un qui ne connaît que « Wati By Night » et « Désolé », il ne me connaît pas. Mais si tu connais l’histoire du groupe, tu as entendu parler de moi. Et le fait de me faire apparaître sur les visuels, dans les clips, c’est une manière pour les membres du groupe de me montrer leur loyauté. [il réfléchit] On va appeler un chat un chat, au sein de Sexion d’Assaut, aujourd’hui, c’est comme s’il y avait sept membres et demi ; je suis beaucoup plus en retrait que les autres. Mais je vais être plus présent à l’avenir : j’apparais à deux reprises sur L’Apogée et je vais être en tournée avec eux. En même temps, c’est compliqué car j’ai vraiment pris l’habitude d’évoluer en solo. Et ma carrière solo est devenue très importante pour moi.
« On va appeler un chat un chat, au sein de Sexion d’Assaut, aujourd’hui, c’est comme s’il y avait sept membres et demi. »
A : Dans Les chroniques du 75 volume 2, Lefa dit que tu es quelqu’un qui parle assez peu de ses problèmes. Ça se ressent avec ta mixtape This Is The Remix. A part le morceau « Tu me Connais », tu te livres assez peu.
L : On peut dire que je suis grande gueule mais je n’aime pas me livrer. J’estime que tout le monde a ses soucis et, quitte à faire du rap, je préfère distraire les gens. Mais ce que je dis dans « Tu me connais » sur l’individualisme, la loyauté etc., ça me vient de mon expérience aux États-Unis où j’ai vraiment été livré à moi-même et où j’ai vécu des trucs qui m’ont endurci.
A : Et ta mixtape This Is The Remix, ça s’est présenté comment, alors ? Et pourquoi as-tu eu l’idée de le mettre en vente dans les épiceries de Place Clichy ?
L : Je tenais à sortir un projet par moi-même, pour me prouver quelque chose. Je n’avais pas de label, il n’y avait pas de distribution classique. C’était vraiment vendu de la main à la main et à la Wati-Boutique, le magasin du label. L’idée de le vendre dans les épiceries de Place Clichy, c’était par rapport à ce que j’avais vu aux États-Unis. Je trouvais que c’était novateur, que c’était une bonne exposition pour moi et pour le projet. En plus, la pochette était originale. La boîte, c’est une boîte de Dakatine, un des ingrédients du mafé.
A : En traînant dans le quartier, je n’avais pas beaucoup vu tes CDs.
L : Je m’étais un peu emballé on va dire ! J’en ai déposé une première fois dans plusieurs épiceries du quartier mais je n’ai pas fait de suivi. L’idée était bonne mais pour que ça marche vraiment, il aurait fallu repasser régulièrement, s’assurer que les épiciers mettent bien le CD en avant, en redéposer etc. Je me suis rendu compte que ça représentait un travail énorme, que je ne pouvais pas assurer seul. Mais je suis quand même content, j’ai réussi à en écouler presque trois mille et je sens que je peux passer à la vitesse supérieure. Là, je suis énormément concentré sur mon prochain projet qui s’appellera Vive l’Afrance et qui sortira chez Wati-B. Ce sera un projet officiel et qui sera dans les Carrefour, Virgin etc.
A : Et à part Sexion d’Assaut et Wati-B, aujourd’hui, de qui se compose ton entourage ?
L : Il y a tout les gens qui m’épaulent et que j’appelle la Pétrocorp. Il y a le groupe Urgence, Skriber qui est un ancien membre de la Sexion d’Assaut et qui avance en solo. On a fait pas mal de choses ensemble, dont le « Ghetto Tour de France », qui était une sorte de tournée improvisée. On prévenait les gens via Twitter, Facebook, on débarquait dans la ville, on mettait le son dans la caisse et… on rappait ! C’était dehors, en mode sauvage. Et ça a marché ! A Brest, on était 70 personnes et à Lille on était presque cent cinquante ! Les flics ont débarqué, ont dispersé les gens… Dieu merci, personne n’a été blessé mais ça a été un gros truc. Le lendemain, il y avait même un article là-dessus dans le 20 Minutes local. C’est des très bons souvenirs. A l’avenir, j’aimerais continuer à aller à la rencontre du public, avec des délires spontanés comme ça. On verra.
A : Puisqu’on parle de buzz, l’autre morceau qui m’a marqué, c’est le coup de gueule « Nique le rap ». C’est bizarre, vu que tu es quand même associé au plus gros groupe du moment. On peut se demander pourquoi tu râles.
L : Je vois ce que tu veux dire, mais je voulais parler de tout un état d’esprit qui m’énerve. Ici quand des rappeurs essaient de sortir des genres, d’essayer des choses, tu as des pseudo-puristes de 13 ans qui ont juste écouté un album d’IAM et qui viennent lui faire la morale ! C’est une vérité, va voir les commentaires sur YouTube ! [rires] Tu as aussi des rappeurs français qui pompent allégrement les artistes US avec six mois de décalage, sans que le public réagisse. On est en France, un pays qui a son identité, à Paris une ville qui a une identité… On a tout ce qu’il faut pour se construire des repères, qu’on dise : « Le rap français, c’est ça ».
A : Ton prochain projet s’intitulera Vive l’Afrance. Au-delà du rap, et par rapport à ton parcours, tu te sens comment ici ?
L : Le cul entre deux chaises. Mais si tu me demandes, bien sûr que je suis Français. Je suis extrêmement fier de mes racines ivoiriennes, mais quand tu m’entends parler, j’ai un accent français, je suis allé à l’école française, j’ai une mentalité française. Ça va au-delà des apparences ou de la couleur de peau. Et Vive l’Afrance, le titre de mon prochain projet, c’est un peu le moyen de revendiquer cette identité mixte. Le titre peut paraître provocateur à certains mais il y a tout un concept. Je bosse beaucoup dessus, ça me tient vachement à cœur. Et je vais tout faire pour que ça marche.
A : Plus tôt, on parlait du Wu-Tang. Quand j’ai dit à quelques potes que j’allais te rencontrer, je t’ai présenté comme le « Cappadonna de Sexion d’Assaut ». C’est une définition que tu prends comment ?
L : Oh merde. Ta comparaison avec le Wu-Tang, elle me fait presque pleurer ! [rires] Mais je trouve ça juste. Ça me va.
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