Street Fabulous
Interview

Street Fabulous

Machine de production à cinq têtes, l’équipe belge de Street Fabulous s’est imposée en France comme l’un des principaux fournisseurs d’instrumentaux bulldozers du rap. En leur compagnie, nous avons discuté de leurs productions les plus marquantes et retracé leur parcours, entre leurs relations avec les rappeurs hexagonaux et leurs connexions outre-Atlantique.

Abcdr du Son : Comment êtes-vous arrivés à la prod ?

Oz Touch : J’avais déjà un père musicien et un de mes voisins était DJ. A force de squatter chez lui, d’écouter des sons, j’étais initié à la musique. Mais j’ai vraiment commencé à séquencer et programmer des sons vers mes 14-15 ans, je bidouillais. Vers mes 18 ans, j’ai commencé à me professionnaliser, jusqu’à mes 21 ans où j’ai monté la boîte. C’est vraiment devenu instinctif, comme un boulanger qui prépare son pain le matin. Tu te lèves, tu fais du son. Ça c’est fait assez naturellement, j’avais la passion et l’envie, ça a été un vrai déclic.

Amir [anciennement Zeano, ndlr] : J’ai découvert le rap avec le rap français. Je suis un bousillé de rap français. Vers 14-15 ans, j’écoutais tout ce qui se faisait, mais ce qui m’intéressait surtout, c’était la musique plus que les mots. Du coup, j’ai commencé à m’intéresser à tous les compositeurs, que ce soit les Djimi Finger, Sulee B. Wax, MadIzm … Tous ces mecs là m’ont donné envie de faire de la musique. Un jour je me suis dit : « putain comment ils font ces mecs-là ? » C’était vers l’an 2000, Internet commençait vraiment à exploser. J’avais 16 piges. Et j’entendais souvent parler d’un programme, Fruity Loops. J’ai téléchargé et je m’y suis mis, en même temps que je découvrais les producteurs cainris, les Timbaland, tout ça.

One Shot : J’avais un oncle qui écoutait à fond du rap. J’étais très jeune, lui écoutait du NWA. J’ai commencé en rappant avec des potes dans le quartier. Un jour, on a rencontré un mec qui avait un studio, un type de 45 ans qui n’avait rien à voir avec le rap. On lui louait de temps à autres. Quand je suis rentré chez ce mec, j’ai vu le matériel, j’ai commencé à joueur des trucs au synthé, et d’un coup, ça a été naturel. C’était ça que j’allais faire. Et comme je détestais écrire, j’ai vite abandonné [sourire]. Je me suis acheté une Playstation avec MTV Music Generator. Comme mon idole depuis toujours est Dre, je me suis dit que j’allais faire comme lui : mal rapper mais faire de très bons sons [rires]. Sauf que j’ai pas trouvé de Snoop pour me ghostwriter [rires].

Oz : D’ailleurs One Shot est un grand punchlineur ! [rires] Il a filé quelques punchlines à des grands rappeurs, mais on ne dira pas à qui [rires].

Prinzly : Moi aussi j’ai commencé en rappant avec des potes. En fait j’ai commencé à écouter du rap très jeune, j’avais des cousins, des grands frères qui en écoutaient. Mais rapidement c’était plus les prods que les rappeurs qui m’ont intéressé. Quand on a commencé à rapper, c’était sur des faces B. Au bout d’un moment, on en a eu marre et on a cherché à savoir comment faire des prods. Un de mes cousins en faisait, il m’a filé Fruity Loops, j’ai commencé à bidouiller un peu et voilà.

A : Vous êtes tous de Bruxelles ?

Am : Oz Touch, One Shot, Prinzly et moi-même sommes de Bruxelles, Marv’Lous vient d’Anvers.

A : Comment est né Street Fabulous ?

Oz : J’ai fondé la société en 2001. Un an après, j’ai rencontré Amir via un ami commun. Un jour, je me suis dit que souvent, en France et en Belgique en tout cas, les producteurs travaillent seuls, ou quelques fois en tandem. Pourquoi ne pas créer une vraie équipe de producteurs ? J’ai parlé de ça avec Amir, et très vite on a décidé de travailler ensemble. Au début, une troisième personne collaborait avec nous, mais elle nous a quittée quelques années après [Pegguy Tabu, ndlr]. Très vite, suite au succès des placements de prods qu’on a pu avoir, One Shot nous a rejoint, puis Marv’lous, et enfin Prinzly en dernier. C’est parti vraiment sur un coup de tête, comme le nom Street Fabulous, c’est venu comme ça, spontanément.

Am : Tout s’est fait spontanément en général dans tout ce qu’on a pu entreprendre dans les années passées. On a évolué numériquement avec de nouvelles rencontres, pour arriver aux cinq qu’on est aujourd’hui.

One : Et on n’en veut pas de sixième, c’est sûr [rires].

Oz : Ça nous a quand même pris du temps pour trouver l’équilibre, la bonne énergie, la bonne alchimie entre les individus de Street Fab’. Mais ce qu’on a construit c’est quelque chose de très fort, en tout cas pour moi, parce qu’on n’a pas créé la carrière d’un artiste ou d’un compositeur en particulier, mais une marque de fabrique. Pour moi c’était ça le plus important. Bien sûr, aujourd’hui quand des gens appellent Street Fabulous, ils savent qui fait quoi. Mais quand une maison de disque fait appel à nous, ils parlent à Street Fabulous, l’entité en elle-même. C’est ça que l’on voulait, une entité qui nous représente tous les cinq, et que chacun donne le meilleur de lui-même.

Am : Et puis à l’époque où on a commencé, il n’y avait pas de teams comme ça. Il y avait des tandems, comme Kilomaitre, mais pas d’équipes.

Oz : Après, une chose est sûre, c’est une discipline de tous les jours. Je pense que ce qui est fort entre nous c’est le respect du style de chacun, mais en même temps on est très critiques les uns envers les autres.

Am : Le fait qu’on soit cinq est une force. Quand un a un coup de mou, il y en a toujours quatre qui font des sons derrière [Les trois autres acquiescent]. Donc la machine ne s’arrête jamais. C’est ce qui fait que tous les ans on arrive à se placer sur des albums majeurs.

Oz : Tu vois, sans prétention, on en est quasiment à notre soixantième album en France, on a placé plus d’une centaine de tracks. Après, c’est vrai que d’autres ont fait moins et ont réussi à faire des méga tubes.

Am : Le plus dur c’est de durer.

« Quand l’un d’entre nous a un coup de mou, il y en a toujours quatre qui font des sons derrière. Donc la machine ne s’arrête jamais. »

Amir

A : Est-ce qu’à certains moments vous avez senti qu’on vous traitait différemment du fait que vous soyez belges ?

Oz : Au début, c’était un peu [avec un ton dédaigneux] « Ouais, les petits belges, les petits belges … »

One : Je suis arrivé au moment où Amir et Oz avaient déjà ouvert les portes, mais encore à ce moment-là, tu sentais que les mecs te regardaient comme si on venait voler leur gâteau.

Oz : Il y a des gens de l’industrie, des concurrents, qui par l’intermédiaire d’autres personnes ont essayé de nous mettre des bâtons dans les roues. C’était pas des menaces non plus, mais tu sentais certaines gênes vis-à-vis de nous. On l’a accepté, parce que quelque part ça fait partie de la réalité du game.

One : Mais au final, nos sons sont tellement forts que ça suffisait [rires].

Am : Voilà, on n’a jamais répondu en mettant des bâtons dans les roues, on a laissé parler notre musique pour nous.

One : Tu peux nous mettre des bâtons dans les roues, tu ne peux pas nous enlever notre talent.

Am : Il y a même des artistes qui ne nous appréciaient pas trop mais qui prenaient nos sons parce qu’ils étaient bons. C’est le genre de trucs qui nous a bien fait rire.

One [surpris] : Il y a eu des artistes qui ont eu des appréhensions ?

Am : Non, pas des appréhensions… Ils ne nous aimaient pas trop, mais au final ils prenaient nos sons parce qu’ils n’avaient pas d’autres choix ! Ça nous a fait marrer.

One : Et ça nous fait du biff aussi [rires]. Au final même si tu m’aimes pas, je prends quand même !

A : Un exemple peut-être ?

Am : Non, on va pas balancer [rires].

Oz : Au final, ça nous a quand même pris cinq ans pour devenir ce qu’on est, pour imposer notre marque de fabrique. Aujourd’hui, quand on rentre dans une maison de disque, plus personne ne parle de nous comme des belges. On est simplement Street Fabulous, et on fait partie de l’industrie de la musique en France.

A : Comment ça se passe entre vous pour le placement de prods ? Vous prenez des décisions de manière collégiale, ou chacun a son initiative personnelle ?

Am : Non, comme chacun a son propre délire, c’est comme chacun veut.

Oz : C’est pas vrai, c’est moi qui décide tout [rires].

One : En fait, chacun fait son biff. Même s’il y a l’entité Street Fabulous, on a chacun notre son.

Am : Il arrive parfois que tel ou tel artiste demande du One Shot, ou du Prinzly. On travaille tous pour l’équipe.

Oz : La manière dont on a constitué l’entité et le business, c’est une sorte de win-win project entre nous tous. Quoi qu’il se passe, c’est pour nous cinq. Il n’y a pas de compétition négative.

Am : C’est une émulation, on s’inspire mutuellement.

One : Mes plus grands concurrents sont à cette table tu vois [rires].

Oz : La seule chose, c’est qu’en général, on essaie de tout centraliser. J’aime bien m’occuper de préparer des catalogues, pour proposer aux maisons de disques, pour montrer le potentiel. Entre nous c’est fluide, personne ne bluffe personne. Si on sent qu’une prod est fatiguée, on se l’envoie quand même pour avoir l’avis des autres, quitte à ce que les autres la retravaillent derrière.

One : On essaie de fournir à l’artiste l’instru le plus proche du produit fini. Il n’y a pas de : « On va au studio et s’il faut, on gonflera ça ». Ça n’existe pas pour nous.

Lino « Délinquante Musique »

Oz : Lino ! On a fait ça ensemble avec Amir.

One : Gros classique ! [Il fredonne la mélodie des violons]

Am : J’avais fait le beat initial, et on l’avait placé pour Sté, pour son dernier album en date. On l’avait filé à Lino aussi, et il avait grave kiffé. Donc on s’est dit qu’on allait la rebosser un peu. Mais il voulait la même rythmique. Oz avait une idée, il m’a dit : « On garde la rythmique », et est venu avec un sample de violons de malade. C’est comme ça que ce track est apparu sur la B.O. de Banlieue 13. Ça a fait un gros bruit à l’époque, alors qu’on ne s’attendait pas à grand chose, on ne trouvait pas la prod si énorme que ça. Je pense que c’est Lino, la façon dont il est rentré sur le track, qui l’a magnifié.

Oz : Ce morceau avec Lino a été une vraie chance pour nous. Ce morceau et la collaboration avec Dontcha nous ont donné un gros crédit dans la rue. C’est avec ces titres-là que des rappeurs hardcore ont commencé à s’intéresser à notre son. On est arrivé dans ce business avec des singles r’n’b, avec Kayliah, donc personne n’avait vraiment idée qu’on était dans cette catégorie de sons là. Et puis c’était une chouette collaboration, parce que si mes souvenirs sont bons, on était venu en France, on avait réalisé le titre avec lui en studio. On s’était déjà croisé quelques fois en studio, il nous connaissait un peu. Et comme Kayliah était chez Hostile à cette époque, ça a facilité la chose avec Lino. C’est juste un monstre de rappeur, il a marqué au fer la grande époque du rap français.

A : Visiblement ça a bien pris, puisque vous vous êtes aussi retrouvés sur son album avec le morceau « Langage du Coeur ».

Am : Exact, mais ça c’était pas terrible…

Oz : On a déjà été un peu surpris qu’il prenne ce titre là.

Am : Le problème, c’est que le titre est sorti inabouti. Il est sorti avec des pistes en moins, il manquait des samples. Les gens n’ont pas vu ça, mais nous ça nous a un peu cassé.

Oz : Ça aurait pu être mieux, mais ce genre d’accidents fait aussi partie du jeu.

Disiz La Peste « Inspecteur Disiz (Remix) »

Am : Cette version est un remix. L’originale, c’est MadIzm et Sec.Undo je crois.

Oz : On avait rencontré Disiz plusieurs fois avant, on s’était checké en studio. Il est venu, il a écouté des sons, et nous a dit : « J’ai une idée, je vais faire un remix d’Inspecteur Disiz ». Puisqu’on avait déjà écouté la version originale, on s’est dit qu’il fallait que le remix soit plus fort que l’originale. Donc on a mis les bouchées triples !

Am : On voulait que ce soit un vrai remix. Disiz est revenu, et il a reposé son texte. C’était un vrai nouveau morceau.

Oz : Le remix a eu tellement d’impact que la maison de disque a décidé de le mettre dans l’album, mais en plus comme version principale à la place de la version originale, qui s’est retrouvée en bonus. Donc nous ça nous a vachement surpris. Le track a eu une grosse diffusion à la radio. Encore aujourd’hui beaucoup de DJs le jouent. Un mec comme Disiz, c’était un pur bonheur de bosser avec lui, parce que c’est vraiment quelqu’un de cool, qui ne se prend pas la tête. On a vraiment bien déliré. Et c’est un des artistes avec qui on a de très bons souvenirs.

Am : D’ailleurs il revient en force là.

Dontcha « Rap Criminel »

Am : Dontcha c’est la famille !

A : J’ai hésité entre celui-là et « La Rue C’est Bang Bang ».

One : Quel son, « La Rue C’est Bang Bang » ! Encore maintenant je l’écoute ! [Prinzly acquiesce]

Am : Si Dontcha revient et nous demande de bosser avec lui sur un nouvel album, ce sera oui direct !

Oz : Dontcha, c’est un ami d’enfance. On s’est connu assez jeunes, mais on n’était pas très potes au début. On ne peut pas dire qu’il y avait une concurrence entre nous, mais on se vannait énormément. Il me charriait beaucoup, et moi j’étais trop susceptible à cette époque [rires]. Avec le temps, on grandit, et on s’est revu avant que les choses ne prennent formes avec Street Fab’, et en écoutant mes sons il m’a dit : « Je suis chaud pour qu’on bosse ensemble ». De là, on a fait notre premier enregistrement, qui était « La Rue C’est Bang Bang », puis tous ses autres tracks qui ont marqué la grosse cote de Dontcha.

On avait prévu de faire tout un album avec lui, mais malheureusement de son côté il y a eu les aléas de la vie, des complications qui ont fait que ça n’a pas pu se faire. Mais comme Amir disait, c’est vraiment un pote, s’il revient et nous demandait de bosser avec lui, ce serait oui d’office.

Am : Et il a choqué beaucoup de gens, avec les morceaux dont on a parlé, mais aussi « Reste Trankil ». Parce qu’encore aujourd’hui, il y a encore des gens qui me demandent quand Dontcha revient. Et il est arrivé avec des gros clips, en tant qu’indépendant, il y en avait pas beaucoup qui faisaient ça.

A : Justement, puisque vous étiez proches de Dontcha, et que vous aviez produit la grosse majorité de son street album État Brut, ça ne vous a jamais intéressé de faire de Street Fabulous un label et de développer, produire un artiste entièrement ?

[petite hésitation]

Am : Honnêtement, ça ne nous a pas trop intéressé, déjà parce qu’on n’a jamais trouvé le mec avec qui on s’est dit : « On va mettre des billes sur lui ».

Oz : C’est vrai et faux, parce que des artistes qu’on kiffait avec qui on bossait, comme Dontcha, avaient aussi déjà une structure derrière eux.

Am : Non mais je parle en règle générale, des petits jeunes qui venaient vers nous… On s’est surtout rendu compte au fur et à mesure que produire un artiste c’est…

One : C’est les travaux d’Hercule.

Am : C’est vraiment quitte ou double.

Oz : En plus les artistes sont souvent ingrats [rires]. Pas tous évidemment. Mais c’est très difficile de prendre un artiste, de le gérer psychologiquement, de construire sa carrière.

Am : C’est un vrai métier. Ce qu’a fait Dawala avec la Sexion, respect. Ça demande du temps et une vraie implication. Et ça ne nous a pas plus intéressé que ça.

Oz : Nous ce qui nous intéresse, c’est vraiment la musique. En tant que businessman, ce qui m’intéresse, c’est plus de signer des nouveaux compositeurs. Et au final, c’est ce qu’on a fait : nous cinq, on est signé sur Street Fab’.

Joeystarr « Métèque »

Am : Comment ça s’est fait ça déjà ?

Oz : C’était au moment où on a eu l’opportunité de signer sur un label d’éditions. On a deux personnes, dont je peux citer les noms, Benjamin Ifrah et Franck Boga, qui à l’époque étaient deux jeunes éditeurs, et qui ont construit ouvertement la discographie de Street Fabulous.

Am : Tous deux formaient le label Deadline, sous lequel on avait signé en co-édition avec Because à l’époque.

Oz : En fait, je me suis investi moi personnellement dans le côté artistique, parce qu’on s’est dit qu’il fallait limiter les intermédiaires entre nous et les artistes. Donc je gère tout ce qui est business artistique, et avec eux, ensemble, on a monté Street Fab’. Ils connaissaient déjà du monde, et nous ont aidé pour les placements de nos prods.

One : Ils ont été notre rampe de lancement quoi.

Oz : Exactement. On s’est rencontré dans une maison de disque, lors d’une discussion. Je leur ai simplement dit : « Vous êtes jeunes et travaillez en maison de disques, vous connaissez les gens et les artistes directement. Montez une boîte d’édition, on a la matière, bossons ensemble ! »

Am : Benny travaillait à l’époque pour Lickshot, qui était aussi la boîte de management de Joeystarr. Ce qui fait que le jour où Joey a commencé à bosser sur son album, il nous a proposé d’envoyer des sons. Du coup on en a eu pas mal sur son album, dont ce morceau, qu’il a également clippé.

A : C’était de vous l’idée du clin d’oeil à Moustaki ?

Am : Pas du tout, c’était l’idée d’un DJ qui trainait avec NTM dont j’ai oublié le nom, c’est lui a scratché la voix de Moustaki. Le sample que j’ai utilisé, c’était un truc dans Matrix [Rob D, « Clubbed To Death »], mais en fait je ne l’ai su que bien après, parce que cette boucle, je l’avais en fait entendu dans une pub sur MTV. Il y avait un mec qui jouait au basket, et on entendait cette musique derrière, c’est ce que j’ai samplé. Et d’ailleurs t’entends les crissements des baskets dans le sample.

One : T’avais pas fait exprès de garder ces bruits ?

Am : Non même pas, c’est surtout que je ne savais pas où trouver l’original, donc j’ai enregistré direct de la télé. Et c’est après seulement qu’on m’a dit que ça venait de Matrix.

Oz : Par contre, ne dis pas que ça va vient de Matrix, on va avoir des problèmes ! [rires]

Am : On s’en fout ! [sourire]

Sefyu « En noir et blanc »

Am : Très bon morceau, le beat était fulgurant [sourire]. Mais c’est compliqué pour nous d’en parler, puisqu’il a été fait par un ancien membre de Street Fab’ qui ne fait plus partie du groupe aujourd’hui.

A : Vous êtes surtout connus pour vos compositions, assez peu pour être des gros sampleurs. Ça doit être une de vos rares prods avec un sample aussi flagrant. Vous vous positionnez comment par rapport au sampling ?

Am : A l’époque, on samplait beaucoup, surtout moi, je ne faisais que ça. Ce qui fait que je lui ai donné l’envie [désignant Oz]. Je lui filais les samples déjà découpés ! [rires] Mais au fur et à mesure, on nous a bien fait comprendre que ça coutait cher !

Oz : Parfois, dès qu’on commençait à bosser avec un artiste, la maison de disque nous disait : « Pas de samples ! »

Am : Quand tu commençais à bosser un sample et qu’au final on te disait que le compositeur d’origine voulait septante [soixante-dix en Belgique, ndlr] pour-cent du bordel, plus de la thune, tu te dis que ça ne vaut pas le coup.

One : Même moi, artistiquement, quand je bosse à partir d’un sample, j’ai l’impression d’être cloisonné… J’arrive plus à respirer ! [rires]

Oz : Après, c’est vrai qu’il nous est arrivé de bosser sur des samples, mais en passant par un vrai travail de décorticage quoi. De transformer le sample de telle manière à ne plus savoir d’où ça vient, en créant une nouvelle mélodie. Donc, plus rien à déclarer.

Am : Dans l’album Dans Ma Bulle de Diam’s, on avait fait deux sons : « Big Up », et « Me Revoilà ». On a eu un problème avec « Me Revoilà », parce qu’il y avait un sample : « L’été Sera Chaud » de Eric Charden. Au dernier moment, quand l’album devait être bouclé, l’équipe de réalisation de l’album de Diam’s a du rejouer tout le sample. Ce que tu entends sur l’album, c’est rejoué. Je crois que l’interprète original demandait l’intégralité du bordel. Je n’ai du écouter qu’une fois cette version rejouée, et c’était médiocre. Ça avait perdu tout son charme.

Mac Tyer « So »

Oz : C’est moi ça. Ce son était un des premiers un peu trap music qu’on a fait. La personne qui m’a vraiment influencé de ce côté là c’est One Shot. A force d’écouter des trucs avec lui, et même de faire quelques prods ensemble…

One : Comme « Ne Me Parle Pas de Rue » [De Mac Tyer, avec Booba en featuring, ndlr] par exemple.

Oz : Voilà. C’était l’époque où Young Jeezy cartonnait vraiment, et je commençais à bien accrocher à ces ambiances là. Et donc un jour j’ai commencé à jouer la mélodie [One Shot la fredonne], et taper ce délire. Mais encore une fois, super déçu du mix dans l’album, parce que l’instru original qu’on a fait sonne dix fois mieux qu’elle sort sur l’album. La performance de So est bonne, le refrain est bien… D’ailleurs il est parti d’une idée à moi, j’avais fredonné quelque chose pour le refrain, un gimmick. Il a pris le risque de faire ce morceau là. Je pense que c’était juste trop tôt.

One : Je pense que Mac Tyer n’était peut-être pas la bonne personne pour faire un morceau comme ça. Pour les gens, Mac Tyer, c’est Tandem.

Oz : Le choc entre ce son et ce qu’il faisait avec Tandem était trop grand.

One : Tandem, à cette époque, ils cartonnaient tellement, avec « 93 Hardcore » et tout ce délire, que les gens attendaient de So un album de Tandem. Il s’est essayé trop vite à un autre style.

Am : Personnellement, j’ai trouvé que c’était un album mortel [Prinzly approuve]. Oser venir avec ce délire là, respect.

One : Ouais, carrément. Ça a pêché peut-être sur le choix des singles je pense. Après « 9.3. Tu Peux Pas Teste » et « So », j’aurais remis une douille à la place de « Petit Frère, Petite Soeur ».

A : Pour revenir sur ce que disais Oz concernant le refrain, ça vous arrive souvent de guider un artiste sur la manière d’aborder un instru, de poser un refrain ?

Am : Ça dépend de l’artiste. Dès fois tu viens avec un refrain, et les mecs n’en veulent pas, ils veulent que ça soit leur propre idée.

Oz : Avec Dontcha, on a beaucoup travaillé comme ça par exemple. Je venais avec des refrains, et on en discutait beaucoup.

One : C’est une grosse différence entre les cainris et nous. Les cainris bossent beaucoup avec les producteurs sur ces choses là, comme ils ont conçu le beat, ils savent quelle direction prendre.

Booba « Garcimore »

Tous : Olala !

P : C’est un classique celle-là !

One : C’est la première fois qu’on se retrouvait en studio avec Booba. On est descendu en France avec Oz, il était en train de mixer Autopsie 2. La tape était finie. On est arrivé à 23 heures, Booba était assis dans un coin, de l’autre côté il y avait la clique, Mala, Animalsons, tout ça. Booba, super poli, nous dit « Allez-y, asseyez-vous là ». On s’assoit avec Oz, on ouvre son Mac et commence à préparer une liste d’instrus à graver. Oz, qui kiffait grave « Garcimore », me dit : « Celle-là, on la met en premier ».

Booba nous dit alors qu’ils sont en train de finir le mixage d’Autopsie 2, et que le lendemain ça part au mastering. Là je me dis : « Putain, on a tapé 300 kilomètres, à une heure près c’est niqué, faudra attendre le prochain album, et peut-être que d’ici là il changera d’avis ». Peu après, il nous demande : « Vous avez fini de graver le CD ? ». Oz s’assoit à la console avec lui… Je m’en rappellerai toujours : Oz était assis sur la droite, Booba au milieu, et moi j’étais à gauche debout. Booba prend la télécommande, appuie sur play… Les violons commencent, et quand la grosse nappe de synthé part, il se lève, bondit de sa chaise qui vole à l’autre bout de la pièce, tous les autres arrêtent de parler. Il dit : « Qui a fait ça ? ». Moi j’étais devant lui, tout gêné : « Ba heu c’est moi ». Il fait : Putain, mais c’est moi ça ! [rires]. « C’est moi ! », il me dit. Il devenait fou. Il se met à zapper les autres sons. Il kiffe d’autres beats, mais revient à chaque fois sur « Garcimore ».

Oz : Pour l’anecdote, on a placé « Game Over » ce même soir.

One : Finalement, on chille bien deux ou trois heures au studio. On dit à Kop : « Bon, on va y aller ». Il nous répond : « Vous allez à l’hôtel ? » « Non non, on retourne en Belgique. » « Quoi, vous êtes venus jusqu’ici pour juste me faire écouter un son ? » On part donc, et le temps qu’on fasse le voyage, au moment où Oz arrive devant chez moi, il reçoit un message de Kop [surnom de Booba, ndlr] lui disant que « Garcimore » est plié et se trouvera sur Autopsie 2. C’était mortel : on était sur le premier morceau de la tape, qui était en plus le premier extrait, livré avec l’instru.

Am : Et ensuite il s’est retrouvé sur l’album 0.9.

One : D’ailleurs, c’était une surprise pour moi, parce que je kiffe cet instru, mais pour moi, il n’a rien d’exceptionnel. J’étais vraiment surpris du retour des gens dessus.

P : Moi, j’avais toujours fait des prods de cet esprit, trap, et la première fois que je l’ai entendu, j’étais super content, je me suis dit : « Ça y est, quelqu’un d’autre le fait ». J’avais 17 ou 18 ans, je n’étais pas encore officiellement dans le son, je me sentais moins seul [sourire].

One : Le problème des producteurs en France c’est qu’ils n’osent pas. Ils attendent qu’un ait le courage de faire quelque chose de nouveau pour se lâcher. Aujourd’hui, ça fait du bien de voir La Fouine s’éclater avec Gun Roulette et Hall F.

Am : Oui mais à l’époque, peu de personnes écoutaient du Young Jeezy comme aujourd’hui.

One : Moi j’ai connu Cash Money quand ils produisaient des mixtapes, Master P… J’étais toujours été dans cette musique de fou là, du sud. Je me souviens que je proposais des prods de ce style à des français, bien avant « Garcimore », et les mecs me disaient : « Non, ça fait trop cainri ». On ne comprenait pas : Ça veut dire quoi trop cainri ? C’est du rap mec ! En tant que belge, je n’ai jamais compris !

Am : Et c’est marrant maintenant, ils veulent tous du Lex Luger ! Mais ils savent pas rapper comme Waka Flocka [rires].

One : Le nombre de fois où des mecs sont venus me voir en me disant : « J’veux un son à la 2Pac. » « Ok, sort moi un flow à la Biggie [rires] ». Si tu viens chez moi, c’est pour avoir un son à moi, pas quelque chose sur commande. Tu vas pas à Mc Do demander un Fish comme au Quick ! Si tu vas chez Hall F ou chez Kilomaître, c’est parce que tu cherches leur couleur.

Oz : Tu vas pas chez Kilomaître non plus pour demander un son à la Street Fab [rires].

Am : Garde la celle-là pour ton interview [rires].

Booba « Pourvu Qu’elles M’aiment »

Oz : Ça c’est une histoire de ouf !

P : Personne n’aurait eu les couilles de proposer ça à Booba !

Oz : C’était pour 0.9. Pour l’album, on avait déjà quatre prods. Je comptais partir à Miami, Booba s’était déjà installé là-bas à ce moment là. Il m’a dit qu’il comptait tout finaliser là-bas. D’ailleurs, c’est moi qui l’ai mis en contact avec la personne qui a mixé son album, Jimmy Douglas, un ingénieur du son de renom aux Etats-Unis. Donc je l’ai rejoint là-bas, on a chillé, on a bu des verres, on a été faire du sport sur la plage, pépère [sourire]. Un jour on est en bagnole, il me demande : « T’as du son, t’as des trucs à me faire écouter ? » Pour moi, l’album est fini. Donc je mets un CD d’instrus, il écoute, un, deux tracks, « Ça j’aime bien, ça aussi »… Et on tombe sur cette prod là. Il me dit : « Je l’aime bien celle-là ! » Mais pour moi, je pense qu’il dit ça comme ça, pour quelqu’un d’autre. Je lui réponds qu’elle est libre, il n’a qu’à garder le CD et écouter ça à son aise. Et là il me répond : « Non, mais c’est pour moi ! » [rires]. « Comment ça c’est pour toi ? » « J’kiffe, je crois que je vais tenter un truc dessus ». Je lui dis : « Ok, ça m’étonne, mais je suis curieux de voir ce que tu vas faire avec ».

C’est marrant parce que ça s’est vraiment passé comme pour Aziz [One Shot, ndlr] pour « Garcimore » : Booba est un artiste qui écrit vraiment sur le feeling du moment. Il faut vraiment que ça lui parle. Mais dès qu’il est motivé, c’est très rapide. Il me dépose à l’hôtel, je dors, et à 5 heures du matin mon téléphone vibre. Il m’envoie un message me disant : « Ça y est mec, j’ai fini. » « T’as fini quoi ? » « Le morceau que je t’ai piqué dans la bagnole ! » « Sérieux ? » « Ouais, là j’suis en train de chercher le refrain. » Une heure après, mon téléphone revibre : « Ça y est, j’ai trouvé le refrain. » « Vraiment ? » « Ouais, j’ai été aux chiottes pisser un coup et le refrain m’est venu » [rire général]. J’étais mort de rire en lisant ça, je me suis dit « Putain, c’est un tueur. » Le lendemain, on booke un studio, toujours à Miami, et on boucle le morceau, le dernier pour l’album. J’ai fait 10.000 km pour placer la dernière prod pour l’album [rires].

One : L’album 0.9 a beaucoup été critiqué, mais – et c’est pas parce qu’on a le plus de prods dessus hein [sourire] – pour moi, c’est un de mes albums préférés de Booba, dans la sonorité, la diversité du son. Il y a des prods de Therapy, « 0.9 », tout ça, c’est ouf. « Izi Monnaie », c’est une pluie de punchlines !

Am : C’est un de mes morceaux préférés de Booba.

One : Pour moi l’erreur était dans le choix des singles. Je pense qu’il aurait dû sortir « Game Over » ou « Izi Monnaie » en premier, parce qu’on est en France. Il faut calmer les gens, leur donner des coups. Après ça, il aurait pu se permettre n’importe quel autre single. Venir avec « Illégal », comme ça, avec « J’me lave la bite à l’eau bénite » tout ça, les gens n’étaient pas prêts. L’album a vendu quand-même après, mais ça n’a pas été un succès immédiat.

Oz : Le truc, c’est qu’on est passé à côté d’un clip pour « R.A.S. » ou « Pourvu Qu’elles M’aiment ».

One : J’aurais kiffé voir un clip de « Pourvu Qu’elles M’aiment ».

Oz : Son premier concert pour 0.9 c’était au Canada. Sa manager m’avait appelé, elle s’occupe aussi de nous, elle m’a juste dit : « Écoute ». J’entendais toute la salle, que des voix de meufs chanter « Pourvu Qu’elles M’aiment ».

One : C’est un hit en puissance. Ça aurait même pu passer sur NRJ je pense.

Oz : Quand je l’ai composé, je me suis beaucoup inspiré de l’univers d’Indochine. Pour te dire, même quand il a fait le refrain, je me suis dit qu’il fallait essayer d’avoir le chanteur d’Indochine [Nicolas Sirkis, ndlr]. Bon, bien sûr c’était trop compliqué comme délire, mais l’inspiration vient de là.

Am : Beaucoup nous ont dit : « C’est un sample ? C’est Mylène Farmer ? »

A : Booba a l’air plutôt chaud pour tenter un truc pop quand-même. L’année dernière, il nous disait qu’il se verrait bien faire un featuring avec Superbus.

Oz : C’est marrant, j’ai eu l’opportunité de rentrer en contact avec Jennifer, la chanteuse du groupe. On a pu avoir des a capellas du groupe pour faire des remixes. Si tu me demandes mon avis, ça n’engage que moi, je trouvais le résultat mortel. Elle n’a pas aimé, c’est les goûts et les couleurs… Tant pis !

Despo Rutti « Dangeroots »

Tous sauf Oz : C’est Oz ça !

A : Dans les crédits, c’est pourtant précisé Oz et Zeano [Amir]. Ça arrive parfois que certains d’entre vous soient co-crédités.

One : C’est simple en fait : parfois, on s’envoie des sessions. L’un commence quelque chose, « Tiens j’ai l’impression que j’ai un truc grave, mais je bute. Essaie, et tu me le renvoies ! »

Am : La première fois qu’on a rencontré Despo, c’était à Because. Moi, je ne savais même pas qui c’était. Je voyais un petit mec avec une boucle d’oreille, je me demandais qui c’était [sourire]. Je crois que Oz l’avait déjà rencontré une fois [Oz aquiesce]. Il nous a salués, et c’est parti de là.

Oz : Bête de rappeur, bête de personnage, bête de personne. C’est un super gars.

Am : En fait moi j’étais passé à côté de son premier gros morceau, « Arrêtez ». Je ne comprenais pas pourquoi on kiffait ce mec. Pour moi, il ne rappait pas dans les temps. Mais tout le monde m’en parlait tellement que j’ai réécouté, et là j’ai pris une claque. J’ai dit à Oz : « Faut qu’on bosse avec lui ». Et ça tombe bien, il voulait des prods de nous aussi. Donc il est venu lui-même directement à Bruxelles, et c’est comme ça que sont sortis « Dangeroots », « Convictions Suicidaires », et « Rédemption ».

Oz : Il m’a surtout scotché avec « Convictions Suicidaires ». Son interprétation m’a retourné le cerveau. C’est Amir qui a fait ce son. A la base, je trouvais la prod énorme, et derrière, la performance artistique de Despo, l’écriture, le fond, les messages comme ceux de son speech de fin… C’est fou. Les gens qui connaissent l’industrie ont tout de suite compris de quoi il parlait.

Am : Au départ, il avait juste posé un couplet chez Oz, et juste ce qu’il avait fait, on se le passait en boucle. Du coup on lui disait : « Quand est-ce que tu termines ce son ? » Et lorsqu’il a enfin terminé, on s’est pris une grosse claque.

One : L’album entier est incroyable. Il n’y a pas une track que je passe.

Oz : Ce qu’on a fait sur cet album est vraiment représentatif de notre travail, parce qu’on n’a pas seulement produit ces morceaux, mais on les a enregistré, réalisé et mixé. C’est quelque chose qui me peine en France : on ne nous laisse pas souvent la réalisation de nos morceaux. Surtout le mixage, je suis un mixeur, j’ai eu l’opportunité de mixer quelques titres, et je suis relativement fier du travail que j’ai fait. Vu le nombre de nos instrus qui ont été détruits, saccagés par des ingés sons… [Tous acquiescent]. Ça fait mal au coeur. Après c’est comme ça, t’apprends à vivre avec.

Am : Si les gens au final kiffent quand même, tant mieux. Mais c’est frustrant. Les tracks dont nous avons été les plus contents, c’était ceux que Oz a mixé, comme « Inspecteur Disiz » par exemple.

Despo Rutti - « Rédemption »

A : Ça a pris trois ou quatre ans pour que l’on comprenne vos styles à chacun, et là avec ce genre de prods, vous avez brouillé les pistes. [rires]

One : Je suis revenu à mes premiers amours, la west side [sourire]. J’ai juste voulu faire quelque chose de plus… musical.

Am : En fait c’est un track sur lequel a flashé Despo. Il voulait un truc calme dans ce style.

One : Il m’a dit : « T’as pas un truc posé ? » Je me suis dit : « Si je lui fais écouter ça il va se foutre de ma gueule. Il va prendre ça pour de la musique de gondole à Venise. » [rires]

Oz : J’aime beaucoup cette prod, je trouve qu’elle permet une respiratrion dans l’album.

One : Ce qu’il a écrit dessus m’a touché de ouf.

Fred The Godson « Daddy Gettin’ Money »

Oz : J’ai rencontré Fred en 2005, grâce au célèbre DJ Clark Kent. Il s’occupait à l’époque d’un groupe, qui s’appelait FDNY, dont Fred faisait partie. On avait placé la quasi-totalité des prods de leur album. Lui démarchait l’album, et la plupart des retours des gens étaient bloqués sur Fred. Je crois qu’avec le temps, du fait de l’impatience de certains membres du groupe, ça a splitté. Je suis resté en contact et devenu ami avec l’un des membres du groupe qui s’appelait William Million. Un jour, il m’a appelé en me disant : « Tu te rappelles de Fred ? Penche-toi sur son cas, il lance sa carrière en solo, des grands rappeurs et des maisons de disque s’y intéressent ». On a envoyé des prods, de là est sorti un premier single, « So Crazy », qui a tourné l’année dernière presque non-stop pendant trois ou quatre mois sur les plus grosses radios new yorkaises…

Am : Sur une prod que t’as fait en 2005 en plus ! [rires]

Oz : Il cherchait un nouveau truc un peu frais. Prinzly m’avait fait écouter cette prod, et j’avais eu un déclic en l’entendant, et j’ai dit à Amir : « Cette prod est faite pour Fred ». Dès que je vais leur faire écouter ça, ils vont péter un câble ! J’ai envoyé, et ils ont effectivement pété un câble ! Ça a quand même pris un bon mois avant qu’on ait un retour, et finalement ils nous ont appris que Diddy allait poser le refrain.

Am : C’est ça qui a pris du temps [rires].

Oz : Le plan était déjà fait, parce que la personne qui s’occupe de Fred, Sean Prez, est le directeur marketing de Bad Boy. Donc ça s’est fait assez spontanément. Quelques temps plus tard, j’ai juste eu à appeler Prinzly pour lui dire : « Ton track a été choisi par Fred, et en plus c’est Diddy qui pose le refrain ».

A : Ça t’a fait quel effet Prinzly ?

P : [D’un ton assez modeste] C’était génial ! J’ai pété les plombs.

Am : Putain les jeunes sont vite blasés ! [rires]

P : Non j’étais super fier, parce que du coup j’ai été le premier belge et un des premiers européens à avoir une prod sur laquelle Diddy pose.

A : Surtout que je l’ai pas trouvé évidente pour un américain, parce qu’elle m’a fait penser à de la musique électronique du nord de l’Europe.

P : Oui, c’est ce qu’on m’a dit et que j’ai beaucoup lu. Ce qui fait que beaucoup m’ont dit qu’elle était originale, qu’elle était un peu spéciale, que ce n’était pas un truc qu’ils entendaient tous les jours.

Oz : C’est vrai que la prod sort du lot. Le challenge, c’était ça. On s’est dit que ça ne servait à rien d’aller chez les cainris et de leur proposer quelque chose qu’ils entendent déjà. Et d’ailleurs pour le remix avec Meek Mill et Cory Gunz, on a laissé à Prinzly l’opportunité de se parfaire suite à la première version, ce qui est super difficile.

Am : Au départ, ils voulaient faire le remix sur la même prod, mais on s’est dit que c’était ridicule. Surtout que c’est ce qui s’était passé sur « So Crazy » et « Too Fat », et on a lu beaucoup de commentaires où les gens trouvaient ça ennuyeux. On fait du son, c’est notre job, autant faire un vrai remix.

Oz : L’ironie c’est que les derniers à avoir découvert le remix, c’est Meek Mill et Cory Gunz, puisqu’ils avaient posé à la base sur l’instru original. Moi, ce qui m’a le plus surpris, c’est la vitesse à laquelle le remix à tourner à la radio et sur le net aux States.

A : Ça vous a ouvert de nouvelles portes aux Etats-Unis ?

Am : Notre nom commence à tourner. C’était le but quelque part : on a travaillé avec un peu tout le monde en France, on a fait le tour. Aux Etats-Unis, on a voulu tenter les gros poissons, c’était vers 2005… On s’est rendu compte que c’était pas si facile que ça. Donc on s’est dit autant misé sur des mecs qui ne sont pas encore très connus.

Oz : Les producteurs européens commencent à percer doucement aux Etats-Unis. Je connais un autre producteur belge qui a posé une prod sur une mixtape de Wiz Khalifa par exemple. Le truc, c’est que nous, ce qu’on propose aux cainris est différent de ce qu’on propose en France.

Am : Je ne vois pas qui aurait pu prendre ces deux prods pour Fred en France.

One : Ça aurait pu, mais seulement une fois qu’un cainri l’aurait fait.

Oz : Il faut un peu se formater au marché français. A un moment on se disait : « On va faire évoluer le truc ». On a eu des gros débats avec des artistes, « Non il faut essayer de faire ça, ça … » Mais à la fin on s’est dit que c’était peine perdue. En France, il faut donner aux gens ce qu’ils ont envie d’entendre.

One : Ça fait aussi partie de la culture du pays. En Belgique, on est très inspirés par les anglo-saxons. On n’a jamais écouté du Brassens ou des trucs comme ça. Il n’y a pas de musique belge comme il y a de la musique française. Il n’y a pas un mouvement musical belge comme en France, comme il y a de la pop française.

Oz : C’est vrai. Chez nous, il y a peu de développement d’artistes ou d’un genre, on est plus dans un système de distribution, entre l’Angleterre, les Pays-Bas, la France…

Am : Depuis un ou deux ans, on commence vraiment à apprécier ce qu’on fait en France. Les artistes avec qui on bosse maintenant sont beaucoup plus ouverts.

One : Ils sont arrivés à une certaine maturité artistique.

Am : Quand t’entends « Garcimore » de Booba, ça m’éclate, quand t’entends « Fouiny Gamos » de La Fouine, c’est cainri à mort. Les mecs ont compris. La Fouine a compris notre délire et s’est dit : « Allez, on y va ». C’est pour ça qu’on a fait neuf prods dans son album aussi. Le mec a compris.

Oz : Ça a un peu changé la donne. Quand t’entends le « Thug Life » de Kery James qu’a produit One Shot, et qui a un peu relancé la carrière de Kery James, c’est pas peu de le dire quoi [rires].

Am : T’as réussi à la placer celle-là [rires].

La Fouine feat. Nessbeal Banlieue Sale Music

Tous : C’est Marv’lous !

Am : C’est monsieur zicos du groupe. Un génie, une vraie oreille musicale.

One : C’est un vrai musicien, autodidacte comme nous tous, mais lui sait vraiment vraiment jouer. Il chante aussi, des fois il fait des refrains sur des tracks qu’il produit.

Am : C’est comme ça qu’on a connu Laouni, non ?

Oz : Oui c’est ça, avec Capitale du Crime 2 … [Il se reprend] Ha non, il y a eu « De L’Or » avant, sur Mes Repères ! Produit aussi par Marv’lous. En fait on est arrivé à la fin de l’album, il a kiffé plein de prods, mais n’a pu garder que « De L’Or ». Mais à ce moment là, il m’a dit : « On reste en contact, pour mon prochain album je veux que vous soyez les producteurs principaux, vous êtes prioritaires ». Tout s’est passé spontanément avec lui. C’est un artiste avec qui on a une très bonne vibe. C’est pas quelqu’un de prise de tête : quand il n’aime pas, il te le dit tout de suite ; dès qu’il aime, il se met derrière le micro et il enregistre. Avec lui, il n’y a pas de « C’est cainri », bazar.

One : Ou de « Mets moi ça à gauche », et puis plus de nouvelles.

Oz : Suite à ce que Marv’lous avait fait pour « De L’Or », il voulait une prod dans cette continuité pour Capitale du Crime 2. Ce qui a été fait pour « Banlieue Sale ».

La Fouine « Fouiny Gamos »

[Prinzly lève discrètement la main, Oz danse façon Atlanta sur sa chaise.]

One : La trap music en force !

P : En fait, Oz et Amir étaient en studio avec La Fouine, je n’étais pas au courant. J’appelle Oz, il me dit qu’ils sont en train de bosser avec lui. « Pour combien de temps ? » « Je sais pas. » « Ok, je vous fait une prod. » Je fais la prod, je leur ai envoie, et une heure après, La Fouine avait posé.

Oz : J’oublierai jamais : j’étais assis dans un fauteuil, concentré, mais assez content, vu qu’on avait déjà quelques douilles dans l’album. La Fouine était là aussi, plutôt relax, c’était un moment détente. Il n’y avait pas de lumières, pas trop de son, les ingés sons bossaient de leur côté. Je reçois le beat de Prinzly, et je dis à Laouni : « Ecoute mec, je crois que j’ai une douille pour toi là. » [Prinzly rit] ». « Sérieux ? Fait écouter. » Je lui passe le casque de mon Mac, et – je le connais par coeur – il fait cette grimace là [il imite un genre de mean mug, les trois autres se marrent]. Mwa, ça m’enjaille ! [rires]. Je le connais par coeur, je sais quand il kiffe quelque chose.

Am : Et il a honoré la prod. Tout le monde ne peut pas poser là-dessus, mais il a plié le truc.

Oz : C’est important souvent de savoir qui peut mettre en valeur un track. Là en l’occurence, je ne voyais que deux rappeurs qui pouvaient honorer cette prod.

One : C’est ça qui est fort avec La Fouine : il peut poser sur ça comme jouer avec une guitare sur scène.

Oz : J’aime beaucoup de morceaux sur son album, mais de nos prods à nous, c’est celle que j’écoute le plus souvent [Amir acquiesce]. Et pour moi elle est aussi importante parce que c’est également le premier projet officiel sur lequel a été crédité Prinzly, c’est également lui qui a signé le premier single avec Rohff [« Passe Leur Le Salam », ndlr]. C’était une étape important pour lui [Prinzly acquiesce], c’était une belle manière pour nous de lui dire : « Bienvenue dans le game mon vieux » [rires].

A : Dans le délire, ça m’a fait penser à du Lex Luger sans en être une pale copie pour autant.

One : Je ne trouve pas que ça sonne comme du Lex Luger !

Am : Non, mais c’est un délire trap quand même !

One : Oui, mais je ne suis pas d’accord, il y a une vraie injustice ! J’écoutais ça il y a dix ans. Les albums de Master P, il n’y a que ça ! Les roulements de hi-hats, moi j’ai toujours connu ça ! Lex Luger, sa particularité pour moi, c’est son changement d’octave.

A : Shawty Redd le faisait souvent ça avant lui.

Prinzly [avec un grand sourire] : Voilà, je le dis tout le temps ça !

One : C’est vrai… Ça confirme ce que je pense : Lex, c’est pas un génie, juste un bon beatmaker.

Oz : Mais là en l’occurence, c’est vrai qu’il y a un délire trap.

La Fouine - « Débuter en bas »

One Shot : Tu m’attendais encore ailleurs hein ? [rires] Ce son m’est venu en écoutant un son de T.I. et Mary J. Blige, un truc avec des accords bien lourds et une rythmique soutenue [« Remember Me », sur la réédition de Paper Trail en 2009, ndlr]. J’étais sûrement un peu triste aussi ce jour là [sourire].

Oz : Un chèque qui est arrivé en retard [rires].

Am : La Fouine est venu au studio chez nous, il nous a dit : « Je vais monter directement à la source ». On a entamé une grosse session d’écoute. Comme on le voit dans l’une de ses vidéos, on lui passe plein de sons, et il bloque sur celui-là.

One : Il passe même un terrible son, un truc de fou. J’ai compris au final que ce jour-là, Laouni cherchait quelque chose de simple finalement. L’instru qui tue de Youssef, ça aurait été trop compliqué pour lui, parce que La Fouine, c’est du rap simple, faut que ce soit une mélodie accrocheuse, qui parle directement aux gens.

Am : Exactement. C’est pour ça qu’il a bloqué sur cette prod, il a enregistré directement, sans écrire.

La Fouine - « Bafana Bafana »

[Réactions positives de tous]

A : Ça va faire beaucoup de La Fouine, mais je me sentais un peu obligé de vous jouer celle-là.

Am : L’instru le plus frappé de 2011.

Oz : Ça s’est passé bêtement : je me suis levé un matin, avec en tête un truc que m’a dit Laouni : « Il me faut un banger. »

Am : A ce moment là, on était vraiment en mode La Fouine. On s’est dit : « On va se mettre à fond sur son album, le mec est chaud pour bosser avec nous. »

Oz : J’ai un gros kif pour les voix africaines, les trucs de tribus, de chants zoulous. J’ai trouvé cette boucle avec ces voix qui faisaient déjà beaucoup, dont j’ai construit la rythmique autour. Une fois terminé je lui dit : « Je crois que j’ai un truc de ouf ». Je l’avais fait en Belgique, mais on lui a fait écouter à Banlieue Sale avec One Shot. Il écoute le son, saute comme un fou, et nous dit : « J’ai une idée de déglingos, j’vais appeler ce son « Bafana Bafana » ». Et en plus, on a kiffé la performance des autres artistes sur le remix. Mais c’est vrai que c’est vraiment une production atypique. Les retours des gens m’ont vraiment surpris, ils adorent ce son ! J’ai peut-être pas le même recul, j’aime bien cette prod, mais je m’attendais pas à ce que les gens kiffent autant.

Am : L’effet de « Bafana Bafana », c’est aussi le concours qu’il y a eu autour, puisque celui qui a posé le mieux sur le morceau va se retrouver sur Capitale du Crime 3. Les artistes lâchent pas assez d’instrus pour les jeunes. Et du coup, cette prod a été l’une de celles sur laquelle les mecs ont le plus posé cette année. Tu tapes « Bafana Bafana » sur YouTube, tu vas trouver plein de remixes.

One : C’est ce qui manque au rap français depuis quelques années, cette notion de partage, d’amusement.

Oz : La Fouine sait très bien le faire ça, le côté entertainment.

One : Un rappeur, c’est un vendeur de CDs. Les mecs ont 32 ans, ils rappent sur leur cité avec les mêmes gimmicks qu’avant. Mec, t’as signé un contrat pour vendre des disques ! Le discours, tout ça, c’est des conneries. J’aime pas le mot rap conscient à la base. On fait juste de la musique. Je lisais l’autre jour : « Ouais, Rohff il y a dix ans disait Fuck la techno, aujourd’hui il en fait ». Heureusement qu’il change, c’était il y a dix ans ! Je ne dis pas qu’il faut absolument faire du Flo Rida, mais les mecs se prennent trop au sérieux.

Am : Les rappeurs français doivent plus travailler l’image, il faut vendre un univers.

One : C’est la crise. Les gens taffent dur, sont dans la merde. Pour qu’ils mettent dix balles sur ton disque, t’as intérêt à bien les persuader, et pas les saouler avec tes problèmes ! Ils en ont plus que toi ! Les mecs veulent s’enjailler sur des sons comme « Bafana Bafana », sauter en concert ! Les mecs sortent que La Fouine dit des conneries, mais il a jamais prétendu le contraire, c’est du second degré. Avec « VNTM.com », il te dit pas d’aller niquer ta mère en vrai ! [rires]

Oz : On doit vendre du plaisir quelque part !

Soprano « Kamarades »

Am : On avait déjà fait un morceau pour lui, avec Vitaa [« Pas Cette Fois », sur Puisqu’il Faut Vivre, en 2007, ndlr]. Mais c’était pas pareil, on n’était pas avec lui en studio. Mais là, Soprano voulait absolument une prod de Street Fab pour son projet.

Oz : Pour celui-là, on est descendu à Marseille avec Amir. Je suis très proche de son manager, en tant qu’ami. Soprano voulait quelque chose de différent. On a écouté un petit peu de tout, et il a bloqué sur cette prod. J’suis particulièrement ravi du résultat de ce morceau là, parce que je trouve que ça sonne différent de tout ce qu’il y a sur son album. C’est un track rap, mais à la fois mainstream qui entre dans un univers un peu à la « Black & Yellow ». Donc voilà, on a tout réalisé à Marseille avec One Shot, d’ailleurs c’est la première fois qu’on mixait tous les deux un track.

A : Finalement vous mixez tous plus ou moins aujourd’hui ?

One : On est un peu geek, on bidouille tous un peu.

Oz : En fait, très souvent avec nos prods aujourd’hui, on les sort déjà mixé. Celles de Prinzly par exemple, elles sortent sans qu’on ait presque rien à toucher.

One : Du fait qu’on soit autodidacte, on n’a pas vraiment de règles, on ne fait pas de la musique académiquement. Je suis sur qu’un vrai ingé me dirait : « Attention tu vas dans le rouge ». J’en ai rien à foutre ! [sourire]

Prinzly : Tant que ça sonne à mon oreille, je garde comme ça.

One Shot : La musique c’est de la vibe, pas des mathématiques.

Bonus Spotify : découvrez notre playlist spéciale Street Fabulous

Fermer les commentaires

3 commentaires

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*