G-Side
Interview

G-Side

Les pieds dans le quotidien mais la tête ailleurs, le groupe G-Side multiplie les initiatives et construit l’avenir depuis sa base d’Huntsville, Alabama. Alors que
sort Island, leur deuxième album pour l’année 2011, nous avons discuté avec ST, moitié d’un duo attachant qu’on a très envie de voir réussir.

et Photographie : Ashley

Abcdr Du Son : Comment as-tu rencontré Clova ? 

ST : On se connaît depuis 1997. On devait avoir 12, 13 ans quand on s’est rencontré pour la première fois. On a grandi dans le même quartier, à une rue l’un de l’autre. [NDLR : à Athens, en Alabama]. Je l’ai rencontré au Boys & Girls Club pendant un match de basket. Je crois que c’est son équipe qui a gagné, d’ailleurs. Clova était à fond dans le basket. Moi j’ai toujours été le rappeur, plus ou moins, mais lui c’était un vrai athlète. Au lycée, lui et moi, on faisait de la musique sur des machines de karaoké. On se retrouvait, et on passait la journée sur un morceau. Un jour, je cherchais Clova, et il était introuvable. Quelqu’un m’a dit qu’il était au gymnase, entrain de faire des shoots. J’y suis allé. Il était là, tout seul, à s’entraîner. Je lui ai dit « Hé, tu viens, on va faire un morceau ? » Il m’a répondu « Non, je dois mettre 1000 paniers avant de sortir d’ici. » « Merde, 1000 paniers ? Et t’en es à combien là ? » Il m’a répondu « 80. » Je lui ai dit « OK, je te laisse, je vais écrire un texte. » [rires]

A : Vous aviez les mêmes influences en rap ?

ST : Oui, car tout le rap qui arrivait jusqu’à nous, c’était des trucs genre Master P, Geto Boys. Tout le rap de Houston, Atlanta, le Tennessee… Tout ça, ça circulait jusqu’en Alabama. On n’était pas vraiment branché rap east coast. Peut-être un peu de rap west coast, mais on écoutait principalement du 8-Ball & MJG, UGK, No Limit… C’était notre son de l’époque.

A : Il paraît que dans l’un de tes premiers concerts, tu t’es fait siffler car tu rappais dans le style de Nas alors que tu était devant un public de Houston, très branché screw music…

ST : Oui, c’est vrai. A la mort de ma mère, j’ai du déménager au Texas pour vivre chez ma tante et finir le lycée. Là bas, j’ai commencé à creuser un peu plus le rap. Mon cousin avait une grosse collection de CD. Il m’a dit que si je devais me mettre au rap, il fallait que j’écoute Illmatic et Reasonable Doubt. J’ai donc écouté ces albums, et j’ai enregistré ma première démo. Je l’ai joué sur scène mais personne n’était dans ce délire là au Texas. Tout le monde était à fond sur Mike Jones, Paul Wall, Chamillionaire… Si tu rappais pas comme ces mecs, autant ne pas rapper du tout. Tu rappais en français, c’était pareil ! Donc je me suis fait huer, et j’ai lâché l’affaire direct. Après coup, je me suis dit que je ne rapperais plus jamais de ma vie. Mais ça n’a pas duré longtemps, une journée tout au plus. Au final, ça m’a motivé pour faire de la musique que tout le monde pourrait s’approprier.

A : The One… Cohesive, le dernier album de G-Side, est sorti en début d’année. On y trouve des thèmes récurrents, comme l’ambition de réussir sans gros label, ou de réussir depuis une petite ville comme Huntsville. Est-ce que cet album a été à la hauteur de vos attentes ?

ST : Oui, et il les a même dépassées. Aujourd’hui, je fais de la musique à temps plein. Pendant l’enregistrement de cet album, j’étais dans une étape de transition. J’ai quitté mon job pendant l’enregistrement. Ma fierté, c’était de ne plus avoir à travailler. C’était un truc énorme pour moi, le simple fait de pouvoir vivre de ma musique. C’était une expérience totalement nouvelle. Aujourd’hui, mon entreprise est rentable, je fais des interviews avec des journalistes français, alors tu vois, je ne me plains pas ! L’album a très bien marché. Il nous a emmené à l’étranger à plusieurs reprises, donc ça me va.

A : Quel était ton ancien job ?

ST : J’étais employé de station service. Parfois, quand je m’ennuyais au boulot, j’écrivais un morceau. J’ai mis de l’argent de côté. Quand on a fait l’album Huntsville International, je bossais à temps plein, et j’essayais de rapper à mi-temps. Mais ça ne marchait pas, je savais que je ne pourrais pas passer au niveau supérieur en étant un rappeur à temps partiel. J’ai donc fait des économies et j’ai démissionné. J’ai investi dans une caméra, et j’utilisais mon argent de poche pour tourner des vidéos.

A : Certains de tes amis sont-ils dans cette situation-là aujourd’hui ?

ST : Oui. L’un de nos artistes, Kristmas, a sorti un album, intitulé W-2 Boy, qui évoque cette situation. Il n’a pas de honte à avoir.

A : Quel conseil tu lui donnerais aujourd’hui ?

ST : Il doit attendre avant de démissionner, car il roule avec nous. Bientôt, il n’aura plus besoin de son boulot. Il n’aura pas à traverser les mêmes galères que nous, il va pouvoir sauter quelques étapes. Dès qu’il démissionne, on l’embauche. Et on s’assurera que tout va bien pour lui. [rires]

A : Qu’est-ce qui distingue votre nouvel album, Island, du précédent ?

ST : Cet album-là, c’est vraiment moi, Clova et les Block Beattaz qui s’amusent à nouveau. Avec notre dernier album, des gens ont trouvé qu’on avait l’air aigri par rapport à l’industrie du disque. Ce n’était pas forcément le cas, mais on avait quand même une vraie frustration. Avec ce nouvel album, on réalise qu’on se trouve sur notre « île », et c’est très bien comme ça. On y est heureux, et le jour où on voudra la quitter, on le fera selon nos propres termes. Personne ne nous forcera à rien. L’album est aussi un peu plus hip-hop, un peu moins rigide dans ses structures de morceaux. Il n’y a pas vraiment de « 16 mesures / refrain / 16 mesures / refrain ».

A : A propos de cette aigreur, dans Cohesive vous faites allusion à un producteur éxécutif qui vous reproche de pas avoir un son assez « Atlanta ». C’était qui, ce type ?

ST : Ha, ce n’est pas une personne en particulier. C’est plutôt une accumulation. Ce mec, c’est le symbole de tous les executives, tous les fans ou tous les détracteurs qui ont pu nous critiquer à un moment ou un autre.

A : Et quelles réponses vous donnez à ces personnes ?

ST : Probablement quelque chose du genre: « Regarde où on est maintenant. Haha, t’as merdé ! » [rires]

« On se trouve sur notre « île », et c’est très bien comme ça. On y est heureux, et le jour où on voudra la quitter, on le fera selon nos propres termes. »

A : Il y a beaucoup de symbolisme dans vos visuels et votre musique. D’où ça vient ?

ST : C’est moi qui ai eu l’idée d’appeler le précédent album The One. Codie G voulait l’appeler Cohesive. Je lui ai dit « Ça colle bien ensemble ». Donc on a appelé l’album The One… Cohesive. On a réalisé que le 1e janvier 2011 approchait. Quel jour meilleur que le 01.01.2011 pour sortir un disque intitulé The One ? Comme ça a bien fonctionné, on s’est dit qu’on devait remettre ça. On a donc profité de l’opportunité de jouer encore avec le chiffre 1, le 11 novembre 2011. C’est toujours le 1, mais puissance 10.

A : Vous avez beaucoup voyagé ces derniers temps. Ça a affecté votre processus créatif ?

ST : Oui, c’est toujours comme ça. Et ça s’entendra. On a toujours parlé de nos vies, même quand on avait un job alimentaire. Alors quand on voyage de ville en ville, de pays en pays, on en parle aussi dans nos morceaux, parce que nos amis qui sont restés à la maison, ils n’auront peut-être jamais la chance de voir ces endroits où nous sommes allés. On se doit de les y emmener.

A : Vous donnez l’impression d’être totalement ouverts sur l’Europe. Peu de rappeurs américains sont comme ça. Comment ça se fait ?

ST : En 2007, j’ai eu une idée. Je me suis dit, pourquoi est-ce qu’on ne prendrait pas ce qu’on fait, et le déposer à la porte des Européens ? J’ai appelé ça la Théorie Inversée des Beatles. Les Beatles sont venus d’Angleterre, et ils ont explosé aux États-Unis. Ça semble marcher dans notre sens, lentement mais surement. Pourtant il n’y a pas plus éloigné de l’Europe que deux types de l’Alabama ! On n’est pas censé être ici ! C’est un énorme choc culturel. Cette découverte des cultures, c’est ça qui rend le truc mortel, autant pour les Européens que pour nous.

A : Que vous ont appris ces expériences en Europe, par rapport à votre vie aux États-Unis ?

ST : Ça nous a appris que le monde n’est pas aussi grand qu’il paraissait avant. Et que tu peux atteindre à peu près tout ce qui est imaginable. J’ai aussi découvert une certaine liberté en Europe du Nord. Les gens sont heureux là-bas, c’est tout le contraire de chez nous. Ça m’a aussi montré que, malgré nos différences, on est tous les mêmes.

A : Vous n’avez toujours pas eu l’opportunité de venir jouer en France ?

ST : Toujours pas ! Alors que Paris est la ville de mes rêves…

A : Il vient d’y avoir le festival Pitchfork à Paris…

ST : Ha mec, on crevait d’envie d’y participer !

A : Vous étiez dans l’édition US, vous auriez du être dans l’édition française.

ST : Je suis d’accord. Je suis putain de d’accord !

A : Aucun rappeur n’a été programmé au final.

ST : Wow, je ne savais pas ça. Ils auraient carrément pu nous prendre !

A : Revenons à vous. C’est impossible de dissocier G-Side, le groupe, de la production des Block Beattaz. Quelle genre d’alchimie vous avez avec eux ?

ST : Ce sont des frères. G-Side, c’est ST, Clova, CT et Mali Boi. C’est le produit. C’est ce que les gens veulent. On travaille ensemble depuis 2004, de manière quasi-exclusive. Ils font des sons pour d’autres artistes, mais quand on bosse ensemble, on construit tout en partant de zéro. Ils sont notre son. Les Block Beattaz, c’est G-Side. CP est même notre DJ.

A : Clova et toi, vous êtes très terre-à-terre, tandis que la production Block Beattaz a la tête dans les étoiles. Ça rappelle un peu la Dungeon Family. C’est une grosse influence pour vous ?

ST : Vrai. Ce n’est pas tant une influence, mais comme eux, nous voulons créer notre propre voie au lieu de reproduire ce qu’ont fait les gens qui nous ont précédés. On veut repousser les limites et emmener les auditeurs vers quelque chose de nouveau.

A : J’ai appris qu’une collaboration G-Side / CunninLynguists était prévue… 

ST : Oh mec, tu sais quoi ? Ils ont le morceau. Kno a les couplets. Ça ne dépend que de lui pour que ça sorte. Je pense qu’il attend le bon moment.

A : Vous avez beaucoup de points communs. Eux aussi sont ignorés par certains, et adulés par d’autres…

ST : Exact. Je ne les connaissais pas avant que des bloggeurs nous comparent à eux. Je suis allé écouter leur musique et ça m’a frappé de voir la proximité qu’ils ont avec nous. Musicalement et qualitativement. Ils ont un produit de haute qualité, mais certaines personnes n’ont pas la considération qu’ils devraient avoir pour eux.

A : Tu les as déjà rencontrés ?

ST : Pas encore. Kno et moi, on a juste discuté quelques fois sur Twitter.

A : Ce qui est appréciable dans la musique de G-Side, c’est que vous semblez vraiment stupéfaits par toutes les choses que le rap vous a permis d’accomplir. Quels sont tes meilleurs souvenirs de tout ça ?

ST : Mon meilleur souvenir, jusqu’à présent, c’est quand j’ai fêté mon 26e anniversaire sur scène, en Norvège. C’était il y a quelques semaines, le 28 octobre. Le meilleur moment de ma vie.

A : Ce week-end [NDLR : l’interview a eu lieu le vendredi 4 novembre], vous participez au Fun Fun Fun Fest au Texas, aux côtés de Public Enemy, Odd Future, Del Tha Funky Homosapiens… Vous avez rencontré des gens cools dans les milieux rap ou indie, dans le cadre de ces festivals ?

ST : Pas vraiment. La personne la plus cool que j’ai rencontré, c’est peut-être Stalley. Il est signé chez Maybach Music, on a fait le morceau « Gettin’ It » ensemble. Le mec est venu à Huntsville pour enregistrer, c’était vraiment mortel. Il est très cool et très humble. Yelawolf est un pote aussi, on se suit depuis pas mal d’années. J’ai aussi rencontré Freddie Gibbs au festival South By Southwest. Je suis un grand fan.

A : Quand tu vois l’un de tes pairs, comme Stalley, qui signe sur une grosse machine comme le label de Rick Ross, tu te dis que tu pourrais faire la même chose ?

ST : Si les chiffres sont à la hauteur, oui, mais on n’irait probablement pas sur un label avec autant d’artistes signés. On préfère bâtir notre propre machine.

« On vit dans une époque perchée. C’est logique que la musique y ressemble. »

A : Vous venez de sortir deux albums en une petite année. C’est quoi la suite ?

ST : On va sortir les albums de nos artistes : S.L.A.S.H., qui défonce. Elle était sur le morceau « Came Up ». Bentley, qui sortira son album Intelligent Hoodlum. Il y aussi un nouvel album de Kristmas en préparation, et il y aura un nouveau G-Side en été, pour sûr. On va continuer de bosser et ne rien lâcher.

A : Tu peux me parler de Codie G, votre manager ? Il a l’air vraiment central dans tout ce qu’entreprend le groupe.

ST : C’est le meneur de jeu. Il distribue la balle. On l’appelle Codie G Socrate. A la seconde où il est devenu notre manager, il s’est démené pour nous. C’était pas un type de l’industrie à la base. Il était dans l’armée, il est revenu d’Irak, il n’avait pas de boulot. Son premier job, une fois qu’il est revenu à la maison, ça a été manager de G-Side. Il s’est mis d’aplomb et il nous a mis d’aplomb en même temps. C’est notre cœur.

A : Votre nouveau studio à Huntsville va s’appeller aussi Island ?

ST : A priori non. Notre studio s’appelait Speed Of Sound. C’était un grand batiment de 1700 m². C’était très chouette mais on l’a fermé. On va construire d’autres locaux au cœur de Huntsville. Il y aura environ huit studios, et 45 entreprises qui y travailleront. Tout ça dans le même bâtiment. Ça va être une belle démonstration d’unité pour Huntsville. J’espère pouvoir dire qu’on y produira la meilleure des musiques à Huntsville.

A : Une Motown Huntsville ?

ST : C’est exactement ce qu’on veut atteindre. On va repartir sur les routes pendant quelques mois, et dès le début de l’année prochaine, on attaque la construction. Le coût de la vie est assez bas à Huntsville, donc on va pouvoir avoir une belle infrastructure.

A : Je trouve que G-Side a beaucoup de points communs avec tous ces nouveaux artistes comme Young L, Asap Rocky, Clams Casino ou même Drake. Des artistes qui cultivent des atmosphères très spatiales et planantes. Vous vous trouvez une proximité avec ces gens-là, ou c’est juste moi ?

ST : Je ne sais pas. Comme je disais, on se contente de faire notre truc. Il appartient à l’auditeur d’interpréter tout ça. Si tu penses qu’on est proche de ces gens, c’est cool, c’est ton opinion. Je n’écoute pas vraiment la musique des autres. Je suis tellement immergé dans Slow Motion Soundz et la musique d’Huntsville… On fait les choses comme on les ressent, c’est tout. J’aimerais bien faire un morceau avec Asap Rocky. Je l’ai écouté pour la première fois il y a quelques jours, je le trouve super fort. Je pense aussi que ces ambiances sont une évolution naturelle du hip-hop. Aujourd’hui, on a des iPad, des iPhones, du chat vidéo, plein de trucs dingues. On vit dans une époque perchée. C’est logique que la musique y ressemble.

A : Tu écoutes quoi en ce moment ?

ST : D’abord, les classiques. J’ai à peu près tous les albums de Scarface et Jay-Z. Côté nouveautés, j’aime bien Dom Kennedy, et je suis fan de Gibbs. Qui d’autre ? Curren$y ! Il défonce. Sinon… Il n’y a rien qui me vient sur l’instant. Des trucs d’Huntsville : des gars comme Mic Strange, un groupe du coin qui s’appelle GIA, des jeunes de la génération d’après, O3, et Zilla, très très fort… Voilà ce que j’écoute le plus.

A : Simple curiosité : quel est ton album préféré de Jay-Z ?

ST : Si je devais en choisir un, ce serait American Gangster. Le son de cet album, sa cohésion… Selon moi, c’est son album le mieux construit. J’aurais du mal à te dire mon morceau préféré de Jay-Z. Peut-être un Top de quelques morceaux. Voyons voir… « Beach Chair ». J’adore ce morceau. « Lost Ones » aussi. « Marcy son, ain’t nothing nice » [« Where I’m from »]. Et aussi ce morceau de Reasonable Doubt, comment il s’appelait ? Ça faisait « We feel like we have everything to gain, nothing to lose »… Ha merde, impossible de me rappeler le titre [« Can I live »].

A : Clova aura été le grand absent de cette interview. Que peux-tu dire à son sujet ?

ST : [rires] Ha mec. Clova. C’est mon frère. Tu m’as demandé tout à l’heure si je connais des gens qui étaient dans cette situation entre rap et travail, et bien c’est ce qu’il vit en ce moment. Il a une famille à nourrir, il ne peut pas rapper à temps plein, alors il tient un salon de coiffure pour hommes. De temps en temps, il doit y aller, couper des cheveux et ramener un peu d’argent. C’est ce qu’il doit faire en ce moment même, d’ailleurs. J’ai une équipe vidéo de Vice Magazine avec moi. Juste après cette interview, je vais les amener à son salon. Je vais devoir interrompre la coupe qu’il sera entrain de faire pour le transformer en rappeur, pendant une seconde.

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