The Big Payback : 40 ans de business hip-hop
En près de 700 pages, The Big Payback raconte 40 ans de business hip-hop, ses génies, ses arnaqueurs et ses outsiders, de l’époque Sugarhill jusqu’aux jackpots de Jay-Z et 50 Cent. Entretien avec Dan Charnas, l’auteur de ce pavé passionnant et indispensable.
Abcdr Du Son : Comment est née l’idée d’écrire ce livre, The Big Payback ?
Dan Charnas : Ça remonte à 1999. Le livre est né d’une idée d’article que je voulais écrire sur la première génération des entrepreneurs du rap : ces jeunes Blancs issus des banlieues résidentielles de New York qui avaient réussi à l’époque du disco mais qui se sont se retrouvés à produire du rap. Je voulais appeler l’article « Last Night A DJ Saved My Business ». Je n’ai pu vendre le sujet à aucun magazine – de Vibe à XXL, personne n’en voulait. J’ai donc mis l’idée de côté pendant quelques années. Puis en 2005, quand Jeff Chang a sorti Can’t Stop Won’t Stop, ce livre merveilleux qui a bousculé tous les repères existants, j’ai commencé à imaginer un concept plus large : pourquoi ne pas raconter l’histoire entière du business, vu que personne ne l’avait jamais fait ?
A : Vous apparaissez à plusieurs reprises dans le livre, sous la mention « L’auteur ». Quelle est votre histoire avec le rap ?
D : Pour faire court : je suis né à Manhattan, mais j’ai grandi dans un environnement de black music (R&B, funk, soul) dans la banlieue du Maryland. Le rap n’était alors qu’une partie de mon paysage. Mais quand je suis entré à la fac de Boston à la fin des années 80, il est devenu évident pour moi que l’impact créatif et culturel du hip-hop était la chose la plus importante et la plus excitante qui se passait dans la culture américaine. J’étais prêt à tout faire pour être de l’aventure, et j’ai tout fait : j’ai écrit des articles sur le hip-hop dans le journal de la fac, j’ai rédigé ma thèse sur le hip-hop et après avoir décroché mon diplôme, je suis allé travailler au service courrier du label fondateur Profile Records. Je préparais des enveloppes, je répondais au téléphone, j’écoutais des démos, j’écrivais des bios, j’appelais les DJ’s… J’ai également commencé à écrire des sujets de couverture pour un tout petit magazine appelé The Source. Ça a marqué le début de ma carrière, et ça m’a permis par la suite de décrocher un poste de responsable hip-hop auprès de Rick Rubin, dans son label American Recordings au début des années 90.
A : The Big Payback couvre 40 ans d’histoire sur près de 700 pages. Comment avez-vous organisé votre travail ?
D : J’ai commencé en 2007, j’étais alors étudiant à l’École de Journalisme de Columbia, dans le cadre du fameux séminaire sur l’écriture littéraire animé par le Professeur Sam Freedman. J’ai rédigé la note d’intention et le premier chapitre là-bas, j’ai aussi décroché une bourse Pulitzer qui m’a bien aidé. J’ai ensuite vendu le livre aux éditions Penguin, puis je me suis débrouillé pour faire mes interviews pendant plus d’un an avant d’entrer en fonction comme rédacteur en chef chez InteractiveOne, la plus grande entreprise de média au monde détenue par des Noirs. J’ai écrit la majorité du livre en bossant à plein temps, ça m’a coûté de nombreuses fins de soirées à la bibliothèque et pas mal de nuits blanches.
A : Parmi toutes les personnes que vous avez interviewées pour le livre, qui vous a fait la plus forte impression ?
D : Des gens comme Chris Lighty, Ann Carli, Rob Stone, Darryl Cobbin et Wendy Day [respectivement : fondateur de Violator Management, directrice artistique chez Jive Records, créateur de la campagne « Obey Your Thirst » de Sprite, vétéran du marketing hip-hop et créatrice de la Rap Coalition – entre autres choses, NDLR] – tous ces gens m’ont surpris par l’étendue de leur connaissance et l’étendue des choses qu’ils avaient accomplies.
A : Quelle est la chose la plus dingue que vous avez découvert pendant vos recherches ?
D : Un bon exemple serait toutes ces fausses histoires sur le Grand Méchant Suge Knight, co-fondateur de Death Row Records : alors comme ça ce n’est pas lui qui a payé la caution de Tupac ? Il n’a pas non plus arraché à Vanilla Ice ses droits d’édition ? Mais la chose la plus dingue à son sujet, je l’ai apprise une fois le livre terminé : on m’a dit qu’il y avait quelqu’un, à l’époque, qui était capable d’intimider Suge Knight au point de le faire pleurer de peur.
A : Et c’était qui ??
D : Je ne peux pas en dire plus car je ne tiens l’information que d’une seule source, qui a demandé à ne pas être citée. Je peux cependant préciser que la personne en question ne travaillait pas dans l’industrie du disque.
A : Suge Knight est justement l’une des rares personnes que vous n’avez pas interviewées. Y a-t-il une raison particulière à son absence ?
D : Il y a quelques personnes que je n’ai pas pu approcher, certaines dont il était difficile de retrouver la trace. Mais pour la plupart, c’était des gens pour qui il m’aurait fallu trop de temps avant d’obtenir une interview. Suge en faisait partie. J’ai donc mis la priorité sur d’autres personnes, d’autant que son histoire a déjà été largement documentée, contrairement à quelqu’un comme Atron Gregory [NDLR : qui embaucha Tupac comme danseur du groupe Digital Underground en 1990]. Au final, Suge n’est qu’une personnalité de transition dans le business : il n’a pas inventé un nouveau modèle économique, et il n’a pas non plus été capable de maintenir le succès de son entreprise pendant plus de cinq ans.
« On m’a dit qu’il y avait quelqu’un, à l’époque, qui était capable d’intimider Suge Knight au point de le faire pleurer de peur. »
A : L’un des personnages principaux de The Big Payback est aussi l’un de vos mentors : Rick Rubin. C’était difficile d’écrire sur lui ?
D : Ce n’était pas difficile d’écrire sur Rick, même si j’avais toujours en tête qu’il fallait que j’adopte un point de vue neutre au sujet d’un homme avec qui et pour qui j’avais travaillé pendant plusieurs années. Ce qui a été difficile, c’est de décrocher un rendez-vous avec lui, mais le seul fait qu’il ait bien voulu me recevoir en dit long, vu son emploi du temps. C’était même assez flatteur.
A : Quels sont vos plus grands souvenirs de votre collaboration avec une personnalité aussi légendaire ?
D : Je pourrais écrire un autre livre entier sur le sujet. Il y a quand même une histoire particulière qui est plus ou moins liée au bouquin : un soir, j’ai retrouvé Rick en studio. Je lui ai dit « Hé Rick, je viens de voir que Tougher Than Leather (le film qu’il avait réalisé pour Run-DMC) est passé sur Channel 11 hier soir. » Il s’est retourné, et il m’a regardé dans les yeux puis il a dit, dans un murmure digne d’une conspiration : « Qu’est-ce que c’est embarrassant. »
A : Jay-Z ne vous a pas autorisé à l’interviewer pour ce livre, à une époque où sa stratégie médiatique est plus puissante que jamais. Qu’est-ce que ça vous inspire ? Et à votre avis : jusqu’où Jay-Z va-t-il aller ?
D : Jay-Z n’accomplit que ce qui servira le mieux les intérêts de Jay-Z. Et c’est une chose que je conçois totalement. Je savais dès le départ que j’avais peu de chance de pouvoir l’interviewer, mais je pense avoir réussi à bien enquêter autour de lui. Jay-Z a désormais le monde entre ses mains. Jusqu’où ira-t-il ? Aussi loin que son argent le mènera !
A : Votre livre décrit bien comment l’art et le commerce ont toujours été entremêlés dans le rap. Pourtant, à ce jour, il y a toujours cette idée persistante d’un rap « bon » opposé à un rap « maléfique » dans l’esprit du public. Vous espérez réconcilier les deux camps avec The Big Payback ?
D : [Rires] Je ne suis pas naïf au point de croire que mon livre va provoquer autre chose que de nouveaux débats sans fin ! Mais ceci dit, tu as raison, je ne vois pas la commercialisation du rap comme un mal inhérent. Certes, il y a des choses néfastes qui peuvent arriver à cause de cette commercialisation, mais aussi des choses incroyables, comme le fait que toi et moi soyons entrain de parler, en 2011, d’une chose qui s’appelle le hip-hop. Et si ce soi-disant « bon » rap est arrivé aux oreilles de ses fans, c’est bien parce que des gens l’ont mis sur le marché.
A : The Big Payback est une mine d’anecdotes incroyables. Vous dites pourtant que vous avez du couper au montage un tas d’autres histoires. Avec le recul, quelle est l’histoire que vous auriez aimé inclure dans le livre mais que vous avez finalement du retirer ?
D : J’aurais beaucoup aimé inclure l’histoire de l’album de Black Sheep qui a bien failli ne jamais sortir. Les histoires sur les guerres du sample, sur MC Serch, 3rd Bass et la question blanche dans le rap. Et j’aurais aussi aimé parler un peu plus des problèmes autour des textes et de la violence, qui continuent d’infester le hip-hop au 21e siècle.
A : Jusqu’ici, le livre a-t-il été bien accueilli dans les milieux concernés ? Vous avez eu des retours de gens comme Jimmy Iovine ou Lyor Cohen ?
D : Jusqu’ici, tout va bien. Un livre comme ça peut difficilement plaire à tout le monde. La plupart du temps, les mécontents sont ceux qui se sont sentis mis à l’écart. Et je n’ai eu aucun retour de la part de Lyor et Jimmy, mais ce n’est pas comme si je m’attendais à un signe de leur part.
A : Le livre se termine sur les années 2007-2009, surnommées les années du « cash out ». Ça correspond à la fin d’une époque, où est-ce que la plus grosse des cagnottes reste à venir pour le hip-hop ?
D : L’une des choses que le hip-hop n’a pas produit au cours des dernières années, c’est une nouvelle vague de magnats. Kanye et Lil Wayne, ce sont des artistes, pas des bâtisseurs d’empire. Je pense que si de nouveaux grands entrepreneurs font leur apparition, ils viendront de zones marginales, hors du mainstream. Mais où et quand ? Dieu seul le sait.
John » Sonny » franzece
Le gars qui intimidait suge .. et on le comprend