Escobar Macson et Despo Rutti
Samedi 11 octobre 2008, CCO de Villeurbanne, « il va pleuvoir des hommes comme le 11 Septembre ». La tête d’affiche s’appelle Daddy Mory, la soirée « Afrotantik ». En loges, du narguilé. Autour, dix gars, dont les deux MC qui ont plié le show. L’un est une armoire, l’autre est tout sauf cintré. Escobar Macson, Despo Rutti, qu’avez-vous dans le ventre ? Rencontre freestyle avec deux “gorilles dans la ZUP”.
Abcdrduson : Un truc qui me frappe chez tous les deux, c’est une sorte de détachement par rapport à…
Despo Rutti : … au fait que nous sommes durs envers notre pays ?
A : Oui, mais pas que. Il y a aussi une forme de distance par rapport au milieu du rap. Toi Esco, nous avions échangés quelques mails à l’époque, tu disais que ton objectif était de sortir ton album et qu’ensuite tu passerais à autre chose…
Escobar Macson : Ouais… On verra, hein.
A : Ah… Tu as évolué de ce côté-là ?
EM : Non non, c’est toujours la même position. Quand je dis que je sors l’album et qu’ensuite je m’arrête, ça dépend vraiment de l’évolution mais… L’album, c’est la finalité, vraiment. Après, je m’en fous. Si ça se passe bien, peut-être que je ressortirai quelque chose histoire de repartir comme [il semble chercher la punchline de chez punchline]… un beau champion de boxe avec sa ceinture.
A : Partir sur une victoire, c’est ça ?
EM : C’est ça.
A : Et toi, Despo, ton objectif ?
DR : L’objectif est différent. Lui, Esco, a eu plus tôt l’opportunité d’être exposé. Il a aussi plus vécu que moi les déceptions du rap.
A : Ça fait dix ans que tu es dedans, Esco, c’est ça ?
EM : Environ, oui.
DR : Lui et moi, nous sommes presque de la même génération de MC, à deux ans près…
A : Tu as quel âge, Despo ?
DR : Vingt-six.
A : Et toi tu as vingt-huit, Esco, c’est ça ?
EM : Eh ouais… [A l’attention de Despo] Faut m’appeler Tonton, hein…
DR : Voilà c’est ça… Lui il a vécu plus de trucs par rapport à son âge, tout ça… Pour ma part, j’estime qu’il y a des trucs qui nous appartiennent là-dedans. Nous ne partirons pas tant que nous n’aurons pas récupéré ce que le monde du rap nous doit
A : C’est-à-dire ?
DR : Le rap nous appartient à nous, mecs des quartiers. Il n’appartient pas à Laurent Bouneau ou à je ne sais qui. Le rap nous appartient à nous, les activistes. Si on se casse, on leur laisse… Si notre fils écoute notre rap, plus tard, il n’osera pas dire “ouais c’est le rap de mon daron”, non. Car ce rap sera méprisé par Untel ou Untel qui ne connaît rien de la rue, du quartier… Des mecs qui ne connaissent rien de nos ambitions, du rêve africain, tout ça, tu vois… Le rap c’est un vrai truc qui a poussé, qui s’est fait dans les années quatre-vingt avec les Renois qui chassaient les skins et caetera, et caetera. Seulement eux ils se sont perdus dans leurs guerres. Ils ont commencé à s’en prendre entre eux, Renois contre Renois, Rebeus contre Rebeus, plus personne ne savait dans quel sens ça tirait… Aujourd’hui je pense que c’est le moment où jamais de se réunir – même si je ne crois pas trop à l’unification, tu vois.
A : Se réunir… par la musique ?
DR : Par la musique, oui, même si c’est comme dans tout : tu ne peux pas être d’accord avec tout le monde sur tout. Malcolm X, si ça se trouve, je n’aurais pas été d’accord avec tout ce qu’il a dit. C’est comme Kémi Séba, tout ça… Il y a des trucs vrais, il y a des trucs moins vrais. Au bout d’un moment, une personne peut arrêter de te suivre juste pour un truc qui la dérange… Je pense qu’il y a des messages à faire passer pour communiquer avec un minimum de personnes, éveiller les consciences, donner ta philosophie des choses. C’est pas le truc où demain tu vas réunir deux cent mille personnes dans la rue pour un concert de rap, nanani nanana. Ça n’existe pas, ça…
EM : C’est fini, ça.
DR : C’est faux, tout ça.
EM : Ici ce ne sont pas les années soixante-dix, pas Mai-68…
DR : Voilà… Tu vois ma vision ne diffère pas trop de celle d’Esco. Tous les jours, moi, le game me saoule. Tous les jours j’ai envie d’arrêter. Ça casse les couilles de parler à des gens qui ne te comprennent pas.
A : Toi aussi, Esco, à ce que j’ai compris…
EM : Haaa…
DR [le coupe] : Lui il a pas un casse-couilles comme ça à ses côtés [riresave…
EM : Ha ha ha.
DR : [montrant un backeur venu fumer le narguilé sur le canapé juste à côté d’Esco] : Il essaie de le tirer doucement vers le label, mais [rires]… Tu vois le mec il vient s’asseoir à côté de lui, il lui met une épaule, comme ça il va signer bientôt chez nous [Esco se marre]. Quand il viendra toquer à ma porte tu pourras plus arrêter de rapper, gros. C’est mort ! [rires]
EM [sérieux] : Le label c’est Soldat sans grades. Moi je suis rap colonel seigneur de guerre.
A : …
DR : Voilà, il y a ça qui diverge mais sinon nous sommes les mêmes personnes…
« J’ai pas encore lâché tout ce qu’il y avait dans la vessie. »
A : D’ailleurs sur la République Démocratique du Congo… Toi Despo t’es arrivé en France à dix ans, c’est ça ?
DR : Ouais, vers dix piges, par là.
A : Et toi Esco, tu m’avais dit que tu étais né en France…
EM : Je suis né en France, oui, et de temps en temps je vais à Kin pour me ressourcer. C’est très important dans la vie d’un être humain de connaître d’où il vient, ses origines. Je le dis dans la plupart de mes textes, RDC, Zaïre…
A : “Je dis Zaïre pas RDC car dans mon bâtiment ça veut dire rez-de-chaussée…”
EM [il sourit] : Oui, et tout ça même si apparemment j’ai pas la tête qui va avec. Un Zaïrois – paraît-il – c’est sensé être une grosse tête avec une peau décolorée, un pantalon Hugo Boss qui monte jusqu’aux tétons, n’est-ce pas… Alors qu’en fait un Zaïrois non, c’est pas ça. Un Zaïrois, c’est un gars comme Despo et moi. Un type un petit peu mignon, tout ça [rires des collègues], à peau pas claire. Un type normal, quoi.
A : Et toi Despo, tu y retournes parfois ?
DR : Je n’y suis jamais retourné.
EM : Il est wanted, lui [sourire].
A : Et vous êtes de quel coin, en RDC ?
EM : Moi je suis de la capitale. Toi t’es d’où, Despo ?
DR : Bandal. C’est un quartier populaire de Kinshasa, le quartier des artistes d’où sont sortis les Werrason et tout ça.
A : Et donc vous suivez toujours ce qui s’y passe ?
DR : Bien sûr. Mais pour être honnête avec toi, c’est dur. C’est dur pour le cœur.
A : C’est-à-dire ?
DR : Tu vois, parfois il y a de l’espoir, des élections… Et puis ça commence à se tirer dessus… Un des deux candidats s’enfuit, il est en cavale en Espagne… Tu te dis que le pays allait changer et l’autre se retrouve en cavale en Espagne…
A : Tu parles de Jean-Pierre Bemba ?
EM : Oui.
DR : Et tu vois l’autre qui est président provisoire depuis quatre ans, depuis pfff… En 2008 ! On n’a plus envie…
EM : D’autant que nous savons très bien qui tire les ficelles.
DR : C’est qui ça ?
EM : Qui tire les ficelles ? Ce sont les Cainris, c’est tout.
DR : Peut-être que ce sont les Cainris, mais s’ils tirent les ficelles c’est aussi parce que les mecs sur place ils les leur ont laissé tirer, ces ficelles, hein !
EM : Voilà. Les mecs ils donnent leur fion…
DR : Parce que c’est pas tous les peuples qui se laissent mettre à l’amende comme ça, hein ! Ah ouais moi je suis dur avec la communauté afro…
A : Justement Despo il y a une phrase qui m’intrigue dans un de tes morceaux. C’est quand tu dis : “Les Noirs saignent du cul jusqu’en 2005.” Pourquoi cette date de 2005 ?
DR : Ça c’était par rapport à l’Opération Licorne en Côte-d’Ivoire.
A : Ah oui, fin 2004, les tirs sur Bouaké et les représailles éclair de Yamoussoukro…
DR : Voilà c’est ça. L’aviation ivoirienne avait tiré une bastos [9 morts et 37 blessés chez les militaires français, quand même, NDLR] et derrière l’ensemble des forces aériennes ivoiriennes a été neutralisée en représailles. Quatre avions détruits pour une bastos. Par l’armée française, sur le territoire ivoirien ! C’est quoi ce bordel ?… Ça tu vois ce sont des trucs qui ne passent pas… C’est comme ici tu vois les mecs “Ouais, j’suis fier d’être noir, j’suis fier d’être ci, nanani nanana…” Mais tu ne peux pas être fier ! Tu peux être fier d’être une personne respectable, d’être quelqu’un qui s’occupe de sa famille, qui essaye de s’en sortir dans la vie, qui a des idées, etc. Mais tu ne peux pas être fier d’être noir, dans ce contexte ! Être fier d’être noir, c’est quoi ? C’est être fier des dictateurs ? C’est être fier d’appartenir à un continent dont le tiers des habitants sera bientôt atteint du sida ? Le tiers !… Tu ne peux pas être fier de ça.
A : A propos du sida, il y avait eu une histoire il y a quelques années lors d’une campagne de distribution de préservatifs dans des villages d’Afrique de l’Ouest. A la fin, les villageois avaient constaté que toutes les capotes distribuées étaient percées…
DR : Oui, voilà ! D’ailleurs je dis ça dans un de mes derniers morceaux : “Des fois j’aimerais être Rebeu juste pour faire plus peur que pitié”…
A : Exact. Tiens d’ailleurs ce serait bien que vous disiez un mot tous les deux sur la crudité de certaines de vos métaphores…
DR : Disons qu’au niveau du public, moi ce serait interdit aux moins de 16 ans et Esco aux moins de 18 ans, voire aux moins de 19 ans – inventons une catégorie !
EM : C’est faux, c’est faux, objection !
DR : Non mais… Après les rimes d’Esco c’est comme les miennes : faut réussir à comprendre pourquoi ces mots-là à ce moment-là, pourquoi les mecs vont aussi loin. En fait tout ça c’est propre aux Renois. Il y a beaucoup d’images, de dièse…
A : Oui mais entre s’exprimer comme ça dans le privé et le mettre sur le disque, il y avait jusqu’à il y a peu une sorte de palier qui est en train d’être franchi…
DR : Voilà ! Nous, nous nous exprimons de la même manière dans les deux cas.
EM : Non, c’est pas ça. En fait l’être humain, il est têtu, tu vois…
A : C’est-à-dire ?
EM : Pour relater un peu les faits… Tu as la religion juive – première religion, officiellement – qui s’est mise en place… L’être humain n’a pas compris… Dieu lui a envoyé Jésus Christ… L’être humain l’a buté… Il n’avait toujours pas compris… Dieu s’est dit “bon, un peu plus de fermeté” : il a envoyé la religion musulmane… Et jusqu’à aujourd’hui encore, personne n’a rien compris… Tout ça pour dire quoi ? Tout ça pour dire que les gens, comment il faut leur parler ? Il faut leur parler sèchement. Quand tu dis à quelqu’un : “s’il te plaît, va me chercher le paquet de cigarettes qui est sur la table, là…” Le gars, il est là, il est en train de chahuter, il ne bougera pas… Mais si je le prends par le col et que je lui dis : “arrête de jouer au con, là, tu commences à m’énerver. Va plutôt me chercher le paquet de cigarettes là-bas ou je t’en colle une”, le mec va être directement interpelé par ce que je dis. C’est pas plus compliqué que ça. C’est triste, mais c’est comme ça.
A : Mais où s’arrête la surenchère, à ce moment-là ?
EM : Jusqu’où ça va monter dans la surenchère ? Il faut juste savoir peser les mots. Ce n’est pas non plus de la violence gratuite, un film coréen où ça tire partout, non. Je ne suis pas partisan de tous ces rappeurs qui se lèvent le matin en disant “ouais j’suis hardcore, et nique ta mère ici, et nique ta mère par là”. Ça pour moi c’est purement gratuit et il n’y a pas de message… Maintenant soyons clairs : la vulgarité, ça fait partie de tout le monde. Que ce soit Bush, que ce soit Chirac… Chirac, il pouvait tout aussi bien dire à sa femme Bernadette “tu me casses les couilles” et enchaîner cinq minutes après avec un discours télévisé dans un français soutenu.
A : Tu es donc raccord entre ton parler de tous les jours et celui sur disque…
EM : Voilà. Faut pas faire dans la demi-mesure ou dans la dentelle et venir tricoter. Il faut appeler un chien un chien et une pute une pute. La compréhension, à ce moment-là, elle est directe. Que l’auditeur vienne du quartier ou d’un milieu plus bourgeois, quand tu lui parles avec ce langage-là, il comprend directement.
DR : Et si t’es pas content…
EM : Après, si tu n’es pas content, eh bien tu envoies un recommandé à Sarkozy… En tout cas moi c’est comme ça que j’envisage les choses.
A : S’agissant de l’angle, vous avez deux approches complètement différentes. Toi Despo tu n’hésites pas à aborder des blessures intimes liées à l’enfance ou aux déceptions sentimentales (“Pour avoir une amoureuse fallait être blond ”, “Voir tout le collège en Air Max sauf toi, ça fait trop mal”), tandis que toi Esco tu sembles plus pudique de ce côté-là (“J’suis prêt à t’ouvrir les veines sur mon pull pour être sûr qu’il est rouge”)…
EM : Oui et non. Tout dépend des thèmes, en fait. Là pour le moment, les projets que j’ai amenés sur le tapis, ce ne sont pas des albums – je n’aime pas le mot “street-album” – mais plutôt des pré-albums. C’est quoi la différence entre un pré-album et un album ? Un pré-album, selon moi, c’est juste pour lâcher des punchlines. Que les mecs découvrent qui est Escobar d’un point de vue technicité.
A : Une sorte de bande-annonce, quoi…
EM : Voilà. Maintenant, quand on va venir avec l’album, il y aura des thèmes plus profonds et là les auditeurs pourront découvrir un autre Escobar.
A : Un virage que tu amorces d’ailleurs sur le dernier titre de “Vendetta”, ‘Lettre anonyme’…
EM : Exactement. ‘Lettre anonyme’, à la base, est un morceau qui devait se trouver sur l’album L’Esprit du clan. Mais j’ai décidé de le balourder maintenant pour que les auditeurs aient une petite idée de ce qui risque d’arriver.
A : Et pourquoi maintenant ?
EM : Parce que j’ai eu quelques commentaires, que ce soit sur Internet ou de mecs face à face, qui me disaient : “Ouais, regarde, tu fais trop de freestyles et d’egotrips” J’entends aussi des mecs qui parlent par derrière : “Ouais lui il tient pas sur un album, il va raconter toujours la même chose…” ‘Lettre anonyme’, c’est juste une petite goutte d’urine, tu vois. J’ai pas encore lâché tout ce qu’il y avait dans la vessie.
A : As-tu déjà enregistré beaucoup de morceaux de l’album “L’esprit du clan” ?
EM : L’album est quasiment terminé. Mais étant donné ce que j’ai vécu, d’où je venais d’un point de vue label – comme je te le disais à l’époque par mail, j’ai dû effacer certaines choses du tableau -, je dois refaire les fondations. Mais l’album lui, est pratiquement terminé. A deux ou trois morceaux près.
A : Et certains de ces morceaux avaient-ils vocation à figurer dans ton projet précédent, “Du berceau à la tombe” ?
DR [hilare] : Aïe. Sujet sensible, garçon…
EM : Non c’est pas un sujet sensible. A ce niveau ce n’est plus de la sensibilité, c’est de l’anesthésie. Je t’explique [il détache chaque syllabe] : ‘Du berceau à la tombe’, c’est le titre qu’a donné à un de mes morceaux un espèce d’escroc appelé Laurent Geraldo. Ce soit-disant monsieur a voulu sortir derrière mon dos tout ce que j’avais enregistré chez 45 Scientific. Un de ces morceaux s’intitulait ‘Du berceau la tombe’ et je l’avais fait avec Lalcko… Le mec, il n’est pas allé chercher plus loin. ‘Du berceau à la tombe’ ? Hop, hop, hop, ce sera le titre de l’album… Donc que les choses soient dites : l’album “ Du berceau à la tombe n’existe pas, c’est virtuel.
A : Pas de titres fantômes datant de cette époque, donc ?
EM : Non. Le titre de l’album n’a jamais changé. Il est et restera L’esprit du clan.
A : Et toi Despo, niveau album ?
DR : Moi c’est pareil. Je compte balancer peut-être un neuf titres avant l’album. Enfin c’est pas sûr encore, je me tâte…
EM : Allez, dis-nous tout, bordel…
DR : On a besoin d’aller tester ce qu’on vaut au niveau bankable chez les Fnac. J’ai pas envie que ce soit une mafia qui vienne me dire un jour : “Ouais vous vous valez ci, vous valez ça…” Le public et nous avons toujours tout fait tout seuls. Il y a eu des concerts et des tournées, les sous sortaient de nos poches et de celles du public, c’est tout. Nous avons toujours tout fait tout seuls et là nous abordons l’étape de la commercialisation… Il nous faut aller tâter le terrain car tu dois bien savoir que les majors priment sur les indés pour tout ce qui est accès aux points de distribution… Il faut arrêter cette manie de se lamenter, de se dire “c’est des bâtards, etc.”, il faut prendre les choses en main… Aujourd’hui j’ai un buzz, j’ai travaillé, la question que je me pose c’est : est-ce que ça vaut le coup de balancer l’album à la flotte maintenant, avec le risque qu’il y ait maxi 300 personnes qui l’écoutent ? S’il peut y avoir un peu plus que 300 personnes, ce serait mieux, non ? Donc c’est tout ça le travail en fait : tâter le terrain pour chiffrer à peu près, se faire une idée, un ordre de grandeur… Tu sais, quand les majors sont venues nous voir pour négocier, nous leur avons dit : “Vous, vous mettez 100 000 € sur le clip d’un de vos artistes, et si celui-ci n’est pas diffusé par LA radio, ça tourne à l’échec commercial… Nous, nous réussissons à faire notre buzz tout seuls, sans sortir d’album…”
EM : Sans sortir 100 000 €, surtout.
DR : Oui. Tu vois, nous avons quatre clips indépendants… Je suis régulièrement invité sur des projets qui valent le coup, sans qu’il y ait une major derrière ou un espèce de fantasme que se font des mecs dans la rue quand ils te croisent et qu’ils te disent : “Ouais, je suis sûr que t’as signé chez Tel ou Tel, ouais je suis sûr que c’est frais pour toi…” Moi je suis dans la même boîte, le statut c’est 7 500 € – c’est ça hein ?… Ouais, allez, 7 620 si tu veux…
EM : Virgule soixante-quatre cents, pour être tout à fait précis [sourire].
DR : Si tu veux… Enfin tout ça pour te dire que là se situe le travail que nous nous sommes obligés à faire. C’est pas le leur. Eux ils peuvent s’arrêter de te soutenir, comme ils ont arrêté de soutenir Lino – scandaleux !
EM : Ouais.
DR : Scandaleux ! Lui [il montre Esco] c’est pareil : scandaleux ! Même s’il était pas en major, c’étaient des gens qui fonctionnaient comme des majors, au final…
EM : Rectifions le tir : j’ai arrêté de les soutenir, attention. C’est pas eux qui m’ont soutenu… Eh ouais ma gueule.A : Qui plus est, votre génération – notre génération, aussi, quelque part – doit en plus intégrer un paramètre que n’avait pas la génération précédente : Internet.
DR : C’est clair. Je ne l’ai jamais négligé, moi, le Net. J’ai vite compris que ça devenait une puissance.
A : Une puissance à double tranchant : d’un côté le téléchargement, de l’autre la possibilité de créer du buzz…
DR : Tu sais, tu peux pas mettre un keuf derrière tous les ordinateurs de France. Les gens, ils vont télécharger. Les gens n’ont plus d’argent, mais les gens ils veulent continuer à se tenir au courant…
A : Ça rejoint ce qu’un forumeur de l’Abcdr citait d’une interview de Salif : “Je vais te dire quoi ? Vends de la drogue, défonce les bâtards, tue des flics mais, s’il-te-plaît, ne télécharge pas mon album ? Faut arrêter…”
EM : C’est ça. Tout est bon et tout est nocif en même temps.
DR : Le Net, c’est un nouveau média. Aujourd’hui avec cinq cent $, tu peux tourner un clip vite fait et le mettre sur Dailymotion. Avec une bonne mailing liste, en quatre mois t’as dix mille personnes qui auront vu ton clip. Ce n’est tout de même pas négligeable ! Avant tu pouvais tourner des clips à l’arrache sur des K7 mais au final c’était pour qui ? Au maximum cinquante gars du quartier voyaient le clip et basta… Le Net n’est vraiment pas un média négligeable, d’autant que le CD est amené à disparaître d’ici quelques années. Le Net, pour nous artistes, c’est le futur. Même un Jay-Z sortira ses prochains albums en mode mp3.
A : S’agissant des clips, justement, quel est votre fil directeur ?
DR : Il y a un clip chacun où nous avons des similitudes : ‘Rimes et tragédies’ pour Esco et ‘Trafic de stéréotypes’ pour moi. C’est à la fois très sombre et en même temps tu vois que nous sommes des Zaïrois tous les deux : il y a du vert, du rouge, du bleu, ça crie, ça parle fort, ça truque…
A : OK mais visuellement, vous recherchez quoi dans vos clips respectifs ? Dans ‘Intronçonneuse’, Esco, il y a Lalcko et un autre gars en arrière-plan qui sont en train de savater un type ligoté à une chaise, puis toi tu viens le tronçonner en fumant un cigare…
DR : Ouais il était dur, celui-là…
A : C’est quoi, le projet ? Quelles sont vos influences, sur ce plan-là ?
EM : Mes influences ? Moi je vais là où personne ne veut aller. Là où les gens ont peur d’aller.
DR : J’aurais dû le dire avant lui, ça ! [rires]
EM : C’est vrai que Despo et moi, quelque part, nos univers se rejoignent. Le contenu des clips est différent, mais l’idée, c’est la même. Toi Despo, tu soulèves des vérité gênantes. Moi, je viens avec un concept autre, voilà.
DR : C’est que t’as toujours pas compris. T’es un con ! [rires]
EM : Salopard [rires]. Bref, quitte à me répéter, je fais pas dans la dentelle. Je suis explicite. J’aime que les images soient raccordées au texte. Que tu sois sourd, muet ou n’importe quel autre handicap, quand tu vois le clip, même si tu n’écoutes pas les paroles, tu comprends. Le but, c’est qu’il y ait un lien… Après j’entends “ouais, t’es gore”, tout ça… Déjà, donne-moi la définition de gore. Il y a des clips, si c’est un Cainri qui les fait, tout le monde va fermer son cul. Ici, tout le monde est en mode bling-bling-yes-crunk-music, bientôt nous allons arriver à un rap tecktonik ou je sais pas quoi… Moi je ne suis pas la tendance. Chacun prend les trucs qu’il veut ! Vous voulez tous aller à Bordeaux ? OK, mais moi je veux aller à Mexico, alors laissez-moi aller à Mexico. Je ne suis pas obligé de fonctionner comme tout le monde ! Alors forcément ensuite, t’es pointé du doigt, tu suscites des critiques. Moi je m’en fous. La musique je la fais d’abord pour moi et ensuite pour les autres. Je fais ce que je veux et ce qui me plaît. Et ce qui me plaît, c’est ce que tu vois.
A : C’est pareil au niveau des prods ?
DR : Je crois que surtout c’est une question de philosophie de vie. Que les gens nous suivent ou pas, ce n’est pas le problème. L’important est de parvenir à exprimer ce qui nous touche. Tu vois, j’ai aujourd’hui 26 ans et je suis convaincu qu’il y a des sujets sur lesquels les hommes ne pourront jamais s’entendre. En revanche, je suis persuadé de pouvoir apporter une forme de subjectivité, un regard différent sur les quartiers, sur le gouvernement, sur l’esclavage… Sur le monde ! Quand je dis “Les colons embrassent mon cul mais mes ancêtres n’avaient qu’à pas se laisser mettre à l’amende, un point c’est tout !”, t’as des mecs que ça choque. Moi je dis non : il y en a marre d’être un peuple de victimes. C’est pareil aujourd’hui : c’est pas parce que tu es blond que tu es respecté, c’est parce que t’as du cash ! A force de courir derrière un truc qui t’a été volé, en demandant “rends-le moi s’il te plaît” et, dès que tu passes un peu à la télé, tu veux qu’on reconnaisse que c’était un crime contre l’humanité… On s’en bat les couilles de ça ! On est là pour prendre de l’oseille, OK ? On a compris qu’on n’allait pas remettre ce que nos ancêtres ont vécu – mais que nous-mêmes nous n’avons pas vraiment vécu – sur le dos des petits Français qui ontvingt, vingt-cinq ans aujourd’hui et qui n’ont jamais été colons. C’est stupide ! Tu peux pas faire ça ! C’est trop tard. La guerre, elle a déjà été perdue. A présent nous sommes dans une autre réalité.
Pourquoi des mecs quittent le Zaïre ou le Sénégal pour venir en France ? Parce qu’ils savent qu’ici ils peuvent faire un peu plus de cash. Surtout, tu peux aider ta famille là-bas, ça c’est en n°1. Après, nous, quand on arrive ici, on a le rêve africain. Pourquoi ? Parce qu’à côté de nous il y a des riches. C’est ça qui est dur dans les quartiers : quand tu sors de ton petit fief, là où le gouvernement nous a jeté il y a trente ou quarante ans… Quand tu sors de là, que tu vas en centre-ville, tu vois quoi ? Tu vois les belles voitures, tu vois les enfants bien habillés… C’est un traumatisme, hein ! C’est un traumatisme de voir des gens en blouson Schott à 600 balles alors que toi, quand tu finis pas ton morceau de poulet à la maison, tu te prends des baffes parce que le daron il s’est pété le dos… Et tu sais que ça risque de rester comme ça, que toute ta vie tu risques de le voir sortir comme ça, le daron, à cinq heures du matin… Toute ta vie tu risques de le voir rentrer le soir fatigué, il a même pas le temps de se poser pour t’expliquer les cours… Ça, tout ça, c’est nos vies et nous sommes obligés de vivre avec ça. Et ça c’est dur, tu vois…
J’ai un morceau dans mon album qui s’appelle ‘L’avocat du diable’. Quand nos anges bougent, je suis l’avocat du diable parce qu’il ne nous reste plus rien. Nous ne sommes plus protégés, juste livrés à nous mêmes… C’est-à-dire que si dehors, tu veux qu’une fille mignonne se retourne sur ton passage parce que t’es beau et que t’es bien habillé, c’est malheureux à dire mais tu vas devoir dans ta vie faire des trucs pas bien. Et on l’a pas voulu, ça ! On a eu une éducation, tu sais. On fume des clopes, on fume du shit, on parle fort, tout ça, mais au départ nous avons tous eu une éducation. Le truc c’est qu’au bout d’un moment tu te rends compte qu’être poli avec des gens qui ne te respectent pas, ça n’amène rien. Si ça n’est que demain tu te feras marcher dessus avec encore plus de force, avec des baskets encore plus sales.
EM : Avec des Rangers !
DR : Voilà, c’est ça qui va t’arriver. L’alternative, c’est l’insurrection, la rébellion économique.
A : Dans tes textes, Despo, tu évoques souvent ce côté victime consentante du continent africain…
DR : Déjà il y a un truc qu’il faut tout de suite remettre au clair : avant que les Européens viennent piller et massacrer, il y avait déjà des problèmes entre les Africains. Il y avait déjà des guerres, des massacres… C’est pas l’Européen qui a importé ça…
EM : Je ne suis pas tout à fait d’accord avec toi.
DR : Attends, laisse-moi finir. T’avais des gens d’une tribu qui se revendaient des gens d’une autre tribu. C’étaient pas des frères, c’étaient des ennemis !… Le monde est comme ça. Il y a eu ça en France aussi, au temps des rois, etc. Il y a eu ça partout. Le truc c’est que nous nous n’étions pas préparés…
EM : C’était pas le même niveau, Despo.
DR : Fallait être prêts !
EM : Dire qu’il y a eu des “massacres”, c’est un grand mot, tu vois. Moi j’ai lu des trucs, pas forcément écrits par des Blancs, où il était expliqué qu’à l’époque de l’empire du Congo, c’est-à-dire donc avant l’arrivée des Blancs, il y avait les actuels RDC, Angola, les frères du Congo-Brazza, une partie du Cameroun, le Gabon, la Centrafrique. Dans cet empire les gens vivaient de manière prospère. Il y avait des lois, un mode de vie, une monnaie, des valeurs, du respect… Tout ce qui a suivi est une forme de perversion.
DR : Il n’y a aucun continent, aucun peuple qui n’a pas les mains sales. Ça n’existe pas.
EM : Bien sûr. Maintenant il y a mains sales et mains sales. T’as les mains sales du gars qui a touché par terre et t’as les mains sales du mécano qui a fait une vidange. Et à l’heure actuelle, nous sommes plus près des mains sales du mécano qui a fait la vidange.
DR : On s’est fait serrer, on s’est fait piétiner… Peut-être que c’était pas assez fort ? Faut l’accepter, ça ! On s’est fait couillonner parce qu’on n’était pas assez forts, point. Où étions-nous pendant qu’eux ils inventaient la poudre à canon ? On était avec nos danses, nos traditions ?
EM : Non ! Mais bien sûr que nous… Tu vois, je ne suis pas tout à fait d’accord avec toi par rapport à ça.
DR : Le Renoi il est fêtard ! Le Renoi n’aime pas faire la guerre ! Le Renoi n’aime pas mourir…
EM : Ce n’est pas vrai… Le Renoi n’aime pas la guerre.
DR : Le Renoi n’aime pas mourir ! Le Rebeu, lui, il s’en bat les couilles. Pose un pied chez lui et tu vas voir…
EM : Ça je suis d’accord avec toi.
DR : Mais oui !
EM : Ça j’adore.
DR : Le Renoi il lui faut des petites meufs, une p’tite musique en fond sonore dans un motel, pépère… Parce que nous sommes comme ça ! Nous n’aimons pas les problèmes, nous aimons quand c’est tranquille, quand c’est pépère… C’est pour ça que nous nous sommes fait baiser parce que nous, on ne voit le mal nulle part !
« Les gens n’ont plus d’argent, mais les gens ils veulent continuer à se tenir au courant… »
A : Et tu penses que la génération actuelle qui vit en Occident mais qui est consciente de tout ça a un devoir par rapport à ça ?
EM : Oui et non. Il y a surtout beaucoup d’hypocrisie par rapport à ça.
DR : “Ouais moi quand j’aurais cinquante piges, je vais retourner au bled…” C’est bien : quand t’auras cinquante piges, t’auras cinq cent dollars de retraite et t’auras plus de forces pour lever des briques et construire une école… C’est bien.
A : C’est une hypocrisie ou une désillusion, alors ?
DR : C’est une hypocrisie parce que tout le monde le sait très bien. T’as le mec qui dit “ouais l’Afrique, moi, nanani nanana…” Pourquoi il lève pas son cul pour aller là-bas et essayer de monter une société ? Parce qu’il a peur de ses propres frères !… J’en connais de ma propre famille qui sont partis investir là-bas dans des trucs qui éclatent tout le monde, et puis… Les gars, faut savoir ce qu’on veut ! Quand on dit “nous les Africains on est solidaires, on est truc, tout ça, c’est vous les bâtards qui nous avez divisés”, à un moment faut arrêter !
EM : Tu te fous de ma gueule ou quoi ?
DR : Non, non, non ! Les présidents acceptent ça ! Ils acceptent ! Ou ils sont contraints – ça nous le savons tous qu’ils risquent de se faire buter s’ils se rebellent -, ou ils acceptent… Quand tu as la vie de millions de compatriotes entre tes mains et que t’as un bouffon qui vient te dire “ouais moi je suis la super-puissance, etc., etc.”, il faut avoir conscience de la vie des marmots qui comptent sur toi, des mères de famille qui comptent sur toi, des mecs qui vont travailler dans les champs pour trois fois rien et qui comptent sur toi… Et toi tu acceptes pour un biffeton ? Pour un poste ? C’est pas celui qui vient te mettre la rotte-ca qui est une de-mer ! Lui, il est très intelligent. La seule merde dans l’histoire, c’est toi.
A : C’est ce que tu dis à la fin de ‘Self-défense’ avec le passage sur Kabila : “Tu veux faire du droit ? Tu veux être diplômé de l’ENA pour aller délivrer ton pays plus tard ? Renoi, je te le déconseille : entre les coups d’Etat et les pillages, on va te faire sauter la cervelle à la Kabila. Conclusion : pense qu’à ta gueule, mène tes propres guerres, nique la terre entière.”
DR : Exactement. Je parle du mec qui fait toute sa vie ici avec des espèces d’illusions. Quand il rentre au pays, au début, il est accueilli comme un prince. Mais au bout de six mois ? Au bout de six mois , son biff, là, son pouvoir d’achat, il redevient comme celui des autres. Et là tu découvres leur vrai visage. Les mêmes mecs qui venaient toquer à ta porte, là, tu découvres leur vrai visage. Et là tu te rends compte que tu es comme eux. Que tu n’as rien de plus qu’eux. Demande ! Demande aux Renois et aux Rebeus qui se font expulser après être partis de chez eux en disant “ouais moi je vais vers la France, vers l’argent, vers les Blancs, c’est frais là-bas, tu verras, je reviendrai avec des trucs…” Quand ces mecs-là reviennent sans rien, saucissonnés comme ça – t’as vu comment on les saucissonne comme des antilopes quand ils reviennent ? -, t’as vu comment les types en face, ses soit-disant frères, t’as vu comment ils les accueillent ? Ils ont plus le même regard. Y’a même pas besoin de mots là-dedans, c’est juste entre frères et frères. Enfin, quand je dis “frères”, c’est entre guillemets.
EM : Il y a clairement un boulot à faire, des mentalités à changer. Et ça va être chaud.
DR : Il y a une immense hypocrisie par rapport à ça. Parce que le quotidien là-bas, il est pas vivable… C’est plus possible : les profs ne sont pas payés, il y a des grèves qui durent toute l’année…
A : Même l’armée…
DR : Bien sûr ! C’est pour ça que les soldats de Mobutu ont fui ! Attends mais le mec il les paie pas, qu’est-ce qu’ils vont aller se mettre en slip pour lui ?… Regarde ici : va demander aux mecs des quartiers de lever leur cul pour aller porter l’uniforme de leur pays natal, qu’est-ce qu’ils vont te dire ? Ils vont te dire “OK, mais entre les raids et les couvre-feu, est-ce qu’on reçoit un bif, est-ce qu’on est bien logé, est-ce qu’on prend soin de nos familles, est-ce qu’il y a une assurance pour les militaires ?” C’est pas la même.
A : D’autant qu’actuellement au Kivu, par exemple, il y a un décalage monstre entre la discipline de l’armée régulière congolaise, mal voire pas payée et qui s’enfuit aux premiers coups de feu, et celle des hommes de l’ancienne armée rwandaise du président Habyarimana, désormais passés côté congolais mais autrement entraînée et disciplinée…
DR : Bien sûr ! Nous avons beau jeter la pierre aux Américains, je suis désolé mais ce ne sont pas eux qui tiennent les machettes, hein ! Ce sont des Noirs qui tiennent les machettes.
A : Huit cent mille à un million de morts au Rwanda entre avril et juillet 1994, entre quatre et cinq millions de morts au Congo depuis 1996, combats et épidémies confondus…
DR : Là encore il y a une hypocrisie autour de ça. Si tu es capable d’accepter au bout d’un moment qu’on ne te respecte pas, et d’arriver à soixante-cinq piges avec ça… Nous on essaie ! C’est dur mais on essaie.
A : Y compris par la musique ?
DR : Ouais… La musique nous permet surtout de relativiser. Tu dis des trucs que tu vas dire devant une assemblée au bas d’une tour, sauf que sur disque tu as la possibilité que ça tombe dans les oreilles d’un petit qui va à l’école. Quand il entend “faut arrêter de se plaindre, arrêter de pleurer, etc.”, il va peut-être réfléchir…
A : Esco, tu as cette approche-là, toi aussi ?
EM : Est-ce que t’as le choix ? T’es obligé. Y’a un taf de fourmi, un taf de longue haleine à fournir, parce que les mentalités ne se changent pas comme ça…
A : Elles se changent comment ?
EM : Prenons un exemple… Je roule sans ceinture et je fais un petit carton. Je me prends le volant dans le front. Je vais être traumatisé pendant une semaine ou deux, mais ça ne m’empêchera pas de recommencer à rouler par la suite, avec ou sans ceinture… J’ai un collègue, ses trois ou quatre amis d’enfance ont tous le cancer suite à la fumette – lui aussi il est dedans. Y’en a deux qui sont décédés, y’en a un qui est en phase terminale, il en peut plus, tu vois. Il a dit “J’arrête”. Il a arrêté une semaine, mais il a repris aussitôt. Tu vois ce que je veux dire ?… Donc comme je te le disais, il y a un taf de fond à faire. Le rap, c’est un moyen parmi tant d’autres de véhiculer des informations et de motiver les têtes, à notre échelle.
A : Mais n’y a-t-il pas ce risque récurrent de ne prêcher que des convaincus, au final ?
DR : Moi en tout cas ce n’est pas le cas. Aucun de mes morceaux ne fait l’unanimité, et je crois que ça c’est bien.
EM : Pareil.
DR : Au bout d’un moment, quand tu fais l’unanimité, quelque part il y a de l’opportunisme, quelque part il y a une carotte. Or ce n’est pas ce que je veux. Si tout le monde avait kiffé mes morceaux du premier coup, je me serai senti un peu faux cul, tu vois. Tu peux vouloir que tout le monde aille dans ton sens, mais si tu es vrai, sincère, ce n’est pas possible… Je ne suis pas sûr d’avoir les bonnes réponses, mais je pense que je pose les bonnes questions, celles qui font réfléchir. Même si ce que je pense, au final, n’engage que moi.
A : C’est aussi ce que pense la majorité des MC, non ?
DR : C’est vrai qu’aujourd’hui c’est plus groupé. Nous pensons tous à peu près de la même manière, et ça aussi à terme c’est pas possible…
EM : Les phénomènes de mode, c’est toujours la même chose… Je l’ai dit, je le redis, et je continuerai à le dire : au jour d’aujourd’hui tout le monde est lo-bo-to-mi-sé. T’appuies sur l’estomac des gens, y’a une bûche qui sort. Ce sont tous des robots. Ce sont des moutons, des chèvres et des brebis. Je l’ai déjà dit : le rap game, là, c’est un pâturage. Ce sont tous des moutons, voilà… A la base, le rap, c’était quoi ? C’étaient des revendications. T’avais aussi le côté festif, l’égotrip qui permettait de découvrir le rappeur et sa technicité à travers des métaphores, mais maintenant… Alors moi, dans tout ça, je vais faire mon truc. Ça va plaire, je vais vendre tant. Tu vas sur Ifop, tu vois que je suis classé je-sais-pas-combien, c’est bon : tous les trous du cul, là, ils vont faire la même chose que moi… Ils n’ont strictement rien à foutre de la thématique, de l’engagement.
DR : Ça c’est ouf, hein. Ça c’est ouf…
EM : Maintenant, au jour d’aujourd’hui – même si le mot “au jour d’aujourd’hui”, c’est pas très français concrètement, mais on s’en fout -, [Il détache chaque mots]tout le monde-fait-comme-tout le monde. Booba il va faire un machin, il va vendre tant, l’autre il va faire pareil, tu vois… Ça paie pas, ça. Ça paie pas. C’est pour ça que j’aime ce que Despo fait, j’aime ce que je fais, parce que nous faisons ce que nous aimons faire et que nous ne faisons pas comme tout le monde.
A : Il y a un côté artisanal, dans la démarche…
DR : C’est très très très artisanal. Faut pas être un suiveur. C’est pas le suiveur de la bande qui fera ça.
A : A ce propos, avez-vous entendu parler de cette récente campagne de T-shirt marqués “Le rap c’était mieux en avant” ?
EM : Ah non.
DR : Ouais mais je suis pas forcément d’accord avec ça, cette vieille nostalgie à deux balles. Le rap aujourd’hui, c’est nous, c’est notre génération, donc au nom de quoi notre génération serait moins bien que celles d’avant ? Parce qu’on ne tourne pas sur la tête ? Parce qu’on ne fait pas de graff ? Parce qu’on ne met pas de baggies larges ? C’est nous qui faisons le rap aujourd’hui. C’est notre génération. Ceux qui ont déjà quatre ou cinq disques d’or, ils ont déjà prouvé.
EM : Ils ont déjà prouvé… Ils ont déjà bien mangé, ouais !
DR : Des mecs comme NTM ou Zoxea, ça ne parle pas à la génération 87. Ils ne les connaissent pas. Eux c’est Seth Gueko, Escobar Macson, Sefyu, Despo Roots, Médine, etc. C’est nous aujourd’hui leurs références en rap hardcore, revendicatif. Ce ne sont plus ceux d’avant. Aujourd’hui ceux d’avant, leurs plus grands défenseurs, paradoxalement, ça sera nous. C’est nous qui allons les défendre parce que dans notre jeunesse à nous, eux ils nous ont parlé. Et même si certains sont partis en couille, tu ne craches pas sur ton passé.
EM : La différence aussi avec le “rap d’avant”, entre guillemets, c’est qu’eux, ils étaient combien ? Maintenant nous nous sommes combien ? Ça sature, hein ? Quand tu sors du lot, faut être content.
A : Est-ce qu’au fond tout ça ne pose pas aussi la question, entre guillemets, de la “limite d’âge” du discours hip-hop ? C’est-à-dire qu’il y a des colères à un certain âge, et avec les années ces colères se tassent, avec la vie de famille, les responsabilités… Non ?
DR : C’est une question de vécu. T’as des keumés comme moi, ils ont vingt-six piges, ils ont déjà vécu deux fiançailles, ils ont vécu avec des feumeus, tout ça. C’est comme si j’étais vieux, c’est pour ça que j’ai plus mes cheveux ! J’ai vécu trop de trucs trop tôt, et dans ces cas-là tu changes plus vite, c’est normal… Mais ce n’est pas pour autant qu’à trente piges j’arrêterai de dire des gros mots… Tu vois ce soir il y avait mon petit cousin qui voulait venir… T’as vu tous les gros mots que je dis ? T’as vu tous les “Fils de pute”, les machins que j’envoie ? Toutes ces colères, je suis censé lui cacher ? Eh bien non, parce que c’est ça la vie. Je lui montre que c’est ça la vie. Faut pas mentir. Je ne suis pas parfait mais j’essaie d’en faire quelque chose de bien. Toutes les vérités sont bonnes à dire.
A : Toi t’es d’accord avec ça, Esco ?
EM : Oui, je rejoins ce que dit Despo. Maintenant tu as parlé de limite d’âge…
A : Entre guillemets… Dans le sens où avec les années les colères ne sont peut-être plus les mêmes…
EM : C’est vrai qu’en grandissant tu acquiers une certaine sagesse. Mais au fond de toi, tu restes le même. T’as des rappeurs de quarante balais qui sont toujours en bas du bâtiment. Pour eux rien n’a changé. La rage, comme je l’ai dit dans un morceau, c’est comme le sida : quand tu l’as eu une fois, c’est mort. Et à moins qu’il y ait un super chèque royal qui vienne s’introduire dans mes trois comptes, là, Caisse d’Épargne, Société Générale et Crédit Lyonnais – où il faut que je mette un peu de gent-ar, d’ailleurs -, franchement je ne vois pas ce qui va me faire arrêter de dire “nique ta mère” et autres amabilités.
A : C’est quoi l’origine de vos pseudos ? Toi Despo, un collègue me suggérait que ça avait peut-être quelque chose à voir avec la série “Hartley cœur à vif”, où il y avait paraît-il un certain D’Espo…
EM : Haaaaannnnn…
DR : Non non non, tu vas couper cette partie-là [fou-rire de hyènes d’Esco et de l’assistance, qui en tombent presque du canapé]. Ça me dit quelque chose, cette série. C’était pas une série australienne ?
EM : Ouais, ça passait sur la Deux, crr crr crr [il est plié en deux].
DR [progressivement sérieux] : Non, vraiment rien à voir. Despo ça a commencé avec l’alcool, la Despé, parce qu’un soir je m’étais tué jusqu’au coma éthylique. Et comme moi je mélange toujours les alcools quand je bois, et que le dernier truc que j’ai vu dans ma main c’était une Despé… Après c’est devenu un dossier. Coma éthylique à la Despé, putain ! Despé, Despé ! Mais bon, Despé ça ne sonnait pas à mon oreille, ça faisait tasspé. Du coup j’ai rajouté un “o” et j’ai gardé ce blaze parce que ce mot faisait partie de ma vie, j’ai frôlé la mort avec ça. Et puis despotique : “je m’en bats les couilles de ce que vous pensez”, c’est moi, ça…
A : Et Rutti ?
DR : Despo c’est le côté sombre et Rutti c’est quelque chose de plus classieux. Cerrutti, Gucci… La juxtaposition des deux me convenait bien. Je suis capable de m’éclater en descendant dans le Sud puis de m’enfermer trois semaines dans mon appart à mon retour, sans voir personne, puis je pète un câble, je ressors, et ainsi de suite… Despo Rutti, c’est le paradoxe entre ces deux humeurs.
A : Et toi Esco ?
EM : Escobar, c’est venu à mes débuts. Je me cherchais un nom pour rapper. Je faisais des rimes genre “je bicrave ceci comme, je bicrave cela comme”, et j’ai un pote, Abdoulaye, qui se foutait de ma gueule, il m’a dit : “Ho t’es Escobar, toi, tu bicraves des rimes, tu bicraves tout”. Et puis il me cassait les couilles comme ça tous les jours : “Ouais Escobar, Escobar”. Du coup c’est resté… Quant à Macson, c’est tout simplement lié au fait que mon prénom c’est Mac et que dans le ghetto on m’a surnommé comme ça.
« Je suis un mélange de Mobb Deep, Serge Gainsbourg et Koffi Olomidé. »
Despo Rutti
A : A un moment, tu as inversé Macson et Escobar, car sur l’album d’Ali en 2005 tu étais crédité sous Macson Escobar ?
EM : Oui je voulais que ça fasse nom et prénom, c’est tout.
A : Et jusqu’où va l’identification à Escobar ? Dans Résurrection, il y a de nombreux extraits de documentaires le concernant…
DR : C’est vrai que quand tu regardes le personnage de Pablo Escobar, le vrai, le mec il est complètement baisé. Le mec s’est quand même construit sa propre prison…
A : Tu ne comptes pas finir abattu sur un toit, Esco ?
EM : Avec une balle dans l’oreille ? Non… Je ne finirai pas sur un toit avec une balle dans l’oreille… Bon et puis Escobar c’est aussi par rapport à d’autres choses dont je ne peux pas parler ici, m’enfin la version que je viens de te donner est suffisante [sourire].
A : Et au niveau des influences respectives… Despo, tu disais dans un morceau : “Ce flow c’est Dieu, je venais d’entrer en 4ème quand il m’a possédé.”
EM : Hé hé hé hé.
DR [rigolard] : Il m’a valu des ennemis, celui-là. “Il a dit Dieu ! Le bâtard, il se prend pour Dieu…” Tu sais, comme dit Ophélie Winter, “Dieu il guide mes pas” [rires]. C’est Dieu qui me fait sortir le souffle, c’est pas moi.
A : Et niveau influences ? Il y a quelque chose du Prodigy de ces dernières années qui se dégage d’un clip comme ‘Laisse-moi dans mon bunker’…
DR : Ouais, Mobb Deep. Je suis un mélange de Mobb Deep, Serge Gainsbourg et Koffi Olomidé. Mobb Deep, c’est la référence…
EM : C’est clair, nous avons tous baigné dedans.
DR : Gainsbourg, c’est parce que c’est la France. Si je dois parler aux Français, il n’y a personne qui ressemble plus à ma façon de me foutre de ma gueule et de celle de la personne d’en face qui ne comprend rien à ma vie ni à ce que je veux. Gainsbourg, il s’en battait les couilles, il déchire le billet, il parle des impôts en disant “allez vous faire enculer”. C’est social ! C’est un personnage que la France a créé… Quant à Koffi Olomidé, c’est parce que entre quatre et neuf piges j’ai grandi dans un bar. Ma chambre était située à l’arrière-cour du Scorpion, le bar de ma daronne. J’ai vu le péché, le vice, les prostituées qui passent en scred, les bagarres, les coups de bouteilles, les histoires de tromperies, d’adultères. Des fois ça se réglait là, les femmes venaient avec des schlass… J’ai vécu ça. J’ai vu tout ça, j’avais même pas dix piges. Après, quand tu grandis, plus rien ne te choque. En principe à cet âge un enfant joue tranquillement avec ses camarades. Moi je voyais tout ça.
A : C’était à Kinshasa ?
DR : Non, à Brazzaville, parce que ma daronne voyageait beaucoup. Elle était célibataire, elle bossait, elle faisait son cash… C’est un exemple pour moi, ma daronne. Ce devrait être un exemple pour beaucoup de femmes africaines qui se perdent. Elle s’est retrouvée seule, elle a pris ses marmots et son courage, et elle a monté ses business. Elle a fait son oseille, elle a ouvert un bar ici, un bar là. Quand elle a vu que ça commençait à devenir chaud, qu’il y avait des coups d’Etat qui se préparaient, elle a envoyé ses fils un par un. “Partez là-bas, c’est mieux, moi je reste ici”.
A : Partir… Chez des oncles ?
DR : Non, je suis venu chez mon daron ici. Après il y a des trucs plus personnels dans lesquels j’ai pas forcément envie de rentrer, mais ces deux personnes-là, c’est moi. J’ai un daron qui s’est cassé et moi ma vie avec les femmes, c’est ça. Quand je me regarde dans la glace, j’arrive même pas à en vouloir à mon daron : je fais autant le con que lui. Reconnaître des trucs comme aç pour un enfant du divorce, si ça s’appelle pas de la lucidité, je sais pas c’est quoi. Ça veut dire que dans tous mes textes après, ce sont des trucs qui m’ont touché. C’est tout ça qui fait que je suis Despo.
A : Cela me fait penser à une œuvre marquante sortie l’hiver dernier. Avez-vous eu l’occasion cette année d’écouter l’album “Hôtel Impala”, de Baloji ?
DR : Baloji ?
EM : C’est un Belge lui, non ?
A : Oui, ex-Starflam.
EM : Oui, j’ai dû écouter un ou deux morceaux, notamment un long morceau.
A : « Tout ceci ne nous rendra pas le Congo » ?
EM : Oui, c’est ça, j’ai vu le clip, oui.
DR : Oui moi aussi, maintenant que tu me dis le titre… Après, son histoire à lui ne reflète pas forcément celle que tout le monde vit…
A : Pour en revenir aux influences… Toi Esco, à tes débuts en 1998, il y a clairement un côté Oxmo dans ta façon de poser, non ?
EM : Ouais… C’était surtout lié au timbre de voix. Je rappais comme je parlais. J’avais 18 ans, c’était la phase de mutation de la voix… Et puis ma pomme d’Adam est devenue une pastèque d’Adam. La basse s’est développée et du coup les gens ont arrêté de me casser les couilles avec cette histoire d’Oxmo Puccino… Maintenant avec le recul, en écoutant, ça y ressemblait mais ça n’avait rien à voir dans la diction.
DR : Oui et puis Oxmo c’est quand même un bon rappeur…
EM : Effectivement, cette comparaison était toute à mon honneur. Etre comparé à un gars qui a apporté non pas une pierre mais, sur un bâtiment de dix étages, il en a ramené deux-trois – ce fameux bâtiment du hip-hop où il y a beaucoup de gens qui se la racontent pour rien, mais bon, ça c’est encore une autre histoire… Mes influences ?
DR : Mobb Deep, Capone-N-Noreaga, Rakim, Michael Jackson, Heltah Skeltah…
EM : Avant même d’arriver à Mobb Deep ou Michael Jackson, moi c’était Snoop… Je suis parti aux States en 1992 et Snoop et toute l’équipe de Death Row ils m’ont mis une de ces claques de choc ! Si tu veux j’ai connu Snoop avant son fameux Doggystyle.
A : Tu étais parti sur la côte Ouest ?
EM : Oui, j’étais en Californie, à Los Angeles… Par la suite ça a été Mobb Deep pour le côté vraiment hardcore, sombre de chez sombre. Dans l’équipe Drive by, nous appelons ça la “sombritude“. Mobb Deep, Infamous Mob… Après effectivement, comme nous exerçons un rap francton, la référence à Despo c’est Gainsbourg, moi c’est Renaud. Il y a une influence de ce gars-là, le Renaud qui pousse des coups de gueule et qui dit ce qu’il a à dire comme il a envie de le dire.
DR : Renaud c’est un gars qui est capable de dire “fils de pute” dans un texte. C’est un rappeur, lui.
EM : Bien sûr. Il est respecté de tous les rappeurs.
DR : Quand tu vois Gainsbourg, c’est pareil, on dirait une interview de Jay-Z.
EM : Il s’en bat les couilles, Gainsbourg.
DR : Il est sur son trône.
veux qu’on arrête de se mentir. Y’a des vérités qui existent, il ne faut pas se cacher. Bien sûr quand ton enfant naît tu ne va pas lui dire “fiston, dans cinquante ans tu seras dans un trou avec des vers de terre”. Tu lui caches ça. Tu vas plutôt lui souhaiter une bonne vie, même si toi-même tu sais déjà que les lendemains peuvent être difficiles. Ce sont là les quelques vérités que tu peux à la rigueur ne pas dire. Mais le reste…
A : Dans ‘Self défense’, justement, tu t’auto-décris comme étant “Dieudonné en plus foncé”…
DR : Oui ça c’est surtout par rapport à son combat sur la sous-médiatisation de sa communauté, qui se trouve aussi être la mienne. Mais ce combat finalement englobe toutes les communautés. “Je suis pas antisémite, juste un peu trop amer, un peu jaloux des traitements de faveur. En fait sans respect le gent-ar il a pas de saveur” : là je m’adresse à tous les Renois qui sont passés de l’autre côté. Ceux qui ont réussi grâce au soutien des gens de leur quartier et qui, une fois de l’autre côté, oublient d’où ils viennent. La plupart des gens réagissent comme ça, c’est humain. Ils arrivent dans un endroit nouveau où il y a de belles femmes, de belles voitures : ils peuvent enfin vivre la vie dont ils ont rêvé ! Ils sont accrochés à ça… Qui sait si ça ne me serait pas arrivé à moi aussi si par exemple j’avais vendu quatre cent mille exemplaires des Sirènes du charbon ? Je serais pété de biff, j’aurais un statut de rappeur confirmé, des invitations télé, la Légion d’honneur… Est-ce qu’avec tout ça je serais encore la même personne ? Je ne sais pas. Ça, il n’y a que Dieu qui le sait… Mais moi ce que je veux dire, c’est ça : ce qui arrive aux minorités, elles l’ont un peu voulu…
Nous avons quand même pris l’avion pour venir dans un pays dont nous savons que les habitants ne nous aiment pas ! A quoi on s’attend ? A quoi tu t’attends ? A chougner “oui, vous nous avez fait ci, vous nous avez pris ça” ? Non ! Quelqu’un de déterminé, il vient, il fait tout péter : “oui, vivons tous ensemble, parce que chez moi c’est plus possible”. Les gens viennent ici, vivent ici et retournent mourir là-bas. Et vivre ici c’est quoi ? Ils encaissent des coups pendant toute leur vie. Des crachats, des insultes racistes, des coups visibles et des coups moins visibles. Ils les acceptent, ils prennent leur argent, ils l’envoient au pays, ils construisent, ils construisent et au final ils disent quoi ? “Allez vous faire enculer, moi je me casse chez moi…” C’est quelle vie, ça ? C’est une existence, ça ? Moi je peux pas accepter ça. Je peux pas dire que c’est uniquement de la faute de la colonisation. Nous y sommes aussi pour quelque chose.
EM : Mais bien sûr ! La différence entre les Juifs et les Noirs, c’est quoi ? C’est que les Juifs, ils pleurent en te la mettant, alors que les Renois ils pleurent tout court.
DR : Non mais les Juifs, faut reconnaître… Ils ont subi un génocide…
EM : Ils ont subi un génocide, et nous aussi.
DR : Nous sommes d’accord. Mais nous, l’indépendance, on l’a eue quand ? Regarde eux et nous par rapport aux dates. Il n’y a pas énormément d’années entre la date de création d’Israël et celle de notre indépendance. Et pour eux c’était dur parce qu’ils n’avaient pas de pays, à la base. Nous à la base nous avions un pays.
EM : Je suis d’accord avec toi mais…
DR : Aujourd’hui ils sont devenus forts : il ont un pays, un drapeau, une des meilleures armées, des mecs bien placés dans les postes stratégiques, des millionnaires, des milliardaires… Les mecs peuvent se permettre de faire la misère aux autres parce qu’ils en viennent eux-mêmes et qu’ils ont réussi à se construire malgré ça. Nous, par contre…
EM : Oui mais la question qu’il faut se poser c’est : pourquoi ? L’indépendance du Zaïre, c’est quand ? 1960. Israël a été créé en 1948, reconnu par certains, pas reconnu par d’autres. Il y a d’autres pays d’Afrique noire dont la date d’indépendance se rapproche de la date de création d’Israël…
DR : Non, non !
EM : Mais le truc c’est quoi ?
DR : Continue, continue…
EM : C’est que nous, nous sommes partis avec un handicap…
DR : Lequel ?
EM : Celui de ne pas pouvoir se fondre dans la masse.
DR : Ha ha ha !
EM : Nous, nous ne pouvons pas nous fondre dans la masse. Eh oui !… Je prends un exemple : Christophe Lambert – j’invente, hein…
DR : Même pas Lévy ?
EM : Lévy c’est trop parlant, c’est les Dupont de chez les Juifs… Christophe Lambert, donc. Il fait ses études, poussé par les autres frères feuj – c’est ça qui est bien, c’est que eux ils sont comme ça [il crochète ses doigts ensemble pour mimer le côté soudé]…
DR : Oui mais pourquoi pour réussir sur Terre faut-il se fondre dans la masse blanche ? Pourquoi ?
EM : Tu sais très bien qu’on ne nous aime pas, ma gueule !
DR : Non non non ! A l’époque du CFA, la Côte d’Ivoire faisait rêver des pays européens, frère !
EM : Ouais. Il fut même un temps où le franc congolais était plus lourd que le dollar. On dit quoi ?
DR : A l’époque on parlait en zaïres : “passe-moi deux zaïres, cinq cent zaïres”… Les bases de l’humiliation d’un pays, c’est ça. Dès lors que tu reviens en arrière, tu prends du retard, des siècles de retard… Quand tu veux revenir au niveau où les autres se sont à peu près stabilisés, tu t’aperçois qu’ils ont construit, qu’ils ont des armées… Aujourd’hui aucun pays d’Afrique ne peut se lever et aller en Israël pour mettre une quelconque pression. Aucun ! Ils ne peuvent pas !… Peut-être à la rigueur juste après l’Indépendance, ils auraient pu…
EM : Fondus dans la masse, ma gueule.
DR : Non ! T’as la fameuse phrase de Malcolm X où il disait que pour être respecté il fallait ressembler aux Blancs, avoir un comportement européen, etc. Ces complexes, c’est nous-mêmes qui les avons créés.
A : Pour rebondir sur ces réflexions sur l’appui de la communauté et le relier à vos parcours d’artiste, je voudrais poser une dernière question : pensez-vous qu’il est possible aujourd’hui de faire bouger les choses seul, ou l’artiste comme tout homme est-il en quelque chose prisonnier du groupe qui l’a porté ?
DR : Ah… Là-dessus je crois qu’Esco est aussi fataliste que moi… Seul je crois que n’aurais pas l’envie de continuer car le monde du rap me dégoûte, en vrai. Artistiquement, j’essaie de faire un maximum de choses tout seul. C’est juste au niveau relationnel que c’est compliqué. Heureusement qu’il y a Koko, mon manager, parce qu’autrement… Au fond, moins je côtoie de gens de ce milieu, mieux je me porte.
EM : Ecoute… Si nous, les Noirs, nous étions aussi soudés que les Juifs – dans tous les domaines ! -, eh bien les autres peuples auraient plus de considération envers nous. Comme je le dis dans le morceau intitulé ‘L’esprit du clan’ issu de l’album à venir qui portera le même nom : “le respect naît de la crainte”. On peut dire et faire ce qu’on veut mais seul rien n’est possible et c’est encore mieux si la main est, dans un premier temps, tendue par nos semblables. Mais ça risque d’être très difficile car les mentalités sont dures à changer, alors… Très franchement je préfère évoluer avec mon équipe mais pour le reste je préfère laisser le temps faire les choses. Les siècles d’esclavage ont formaté les esprits. Ils ont laissé place à quelque chose de terriblement plus insidieux : le manque de confiance en nous.
« Je rappais comme je parlais. J’avais 18 ans, c’était la phase de mutation de la voix… Et puis ma pomme d’Adam est devenue une pastèque d’Adam. »
Escobar Macson
A : Dix-sept ans après sa mort, il n’en est pas redescendu…
DR : Voilà. Il y a des gens comme Balavoine, ils avaient une voix gentille, etc. Gainsbourg c’était une caillera.
EM : Renaud n’en parlons pas. Un blouson noir à mobylette. Tu vois ce que je veux dire ?
A : Alors j’ai une question singulière à vous poser. C’est par rapport au morceau ‘360° angle mort’ de Despo, quand tu dis : “Dans ma folie je peux te l’avouer : si j’étais gouaire je serai facho, regarde comment on fout le zbeul”. En poussant le retournement de perspective à l’extrême, je te pose la question à l’envers : si tu étais blanc et que tu vivais en RDC, tu rapperais sur quels thèmes ?
DR : [Il répète la question à voix haute en articulant chaque syllabe] Si j’étais blanc en RDC je rapperais sur quels thèmes ? Putain la question…
EM : Elle est bien cette question.
DR : C’est une punchline, ouais ! Alors si j’étais blanc en RDC… [il réfléchit] Si j’avais des couilles grosses comme des boules de pétanque, je rapperais : “Ouais on vous a tous mis à l’amende, bande de petits bouffons” [tout le monde se marre].
A : Et tu penses que ça passerait ?
DR : Non ça ne serait pas passé. J’aurais pris des briques, des pneus enflammés autour de la taille comme les militaires de Mobutu.
EM : T’aurais été traité comme un voleur… Au bled, quand tu cries “au voleur”, t’as toute la rue qui te saute dessus, tu te prends des coups de fer à repasser.
DR : Mais je préfère être un enculé officiel qu’un bâtard déguisé.
A : Tu peux développer ?
DR : Je préfère vivre en Angleterre ou aux États-Unis avec le Ku-Klux Klan qui te dit “on vous aime pas”, plutôt qu’avec les faux-culs d’ici. Tu viens, tu bosses, tu prends ton biff et tire-toi. Je veux pas connaître ta culture. On parle argent. On parle biff. Tu prends ton argent et à la fin du mois tu paies ton loyer, tu fais vivre ta famille, l’important c’est que la société tourne… Et puis comme ça tu toucheras pas à ma femme, hé hé… Chacun sa motivation !
A : Ça rejoint ce que disait Ekoué dans ‘Nom, prénom, identité’ : “Je préfère encore la franchise du Front national”.
DR : C’est sûr. Le Front national a le mérite de le dire ouvertement. Ici, ta boulangère si ça se trouve c’est une nazie, mais quand elle te voit elle joue la comédie… Je préfère quand même des gens qui me le disent en face. Tu vois, aujourd’hui il y a des mecs qui me le disent cash. Il y a trois ou quatre piges en arrière, j’aurais démarré et ça serait parti en couille. Aujourd’hui je prends les choses différemment. Je me dis : “il l’a dit, et ça il faut du courage”.
A : Par rapport à quoi ? Aux retours sur ton travail ?
DR : Pas vraiment. Mon travail, tout le monde peut le comprendre, même si j’ai des morceaux qu’il faut écouter plusieurs fois pour saisir certains trucs. Escobar pareil… Moi comment j’ai kiffé Escobar ? C’est par rapport à la phase “tu vas quitter ce monde comme t’es venu : sale, en hurlant et arraché à la femme que t’aime”. Si avec ça tu vois pas le lien avec ta naissance, le moment où tu es arraché à ta mère, et le moment de ta mort où tu laisses ta femme et tes gosses… Quelqu’un qui ne voit pas le lien entre ces deux extrémités, il ne peut pas comprendre Escobar. Ça va être dur pour lui, mesquine…
A : Et toi Esco, justement, par rapport à la phase de Despo, si t’étais gouaire, tu serais facho ?
EM : Si j’étais gouaire, est-ce que je serais facho ?… [Il réfléchit longuement] Mmmh… Difficile à dire… Je serais mi-facho, mi-tolérant. Pourquoi ? Parce que je sais où est la réalité des choses.
DR : Regarde Esco, si les Libanais se mettaient à violer toutes les Zaïroises, à arracher les daronnes, comment on réagirait, nous les Zaïrois ?
EM : Il y aurait une sérieuse petite guérilla où les gens les chasseraient à coups de… De toute façon, ça s’est déjà produit. A l’Indépendance, les mecs couraient avec leurs valises jusqu’à l’aéroport, ma gueule, et encore certains n’avaient même pas de valises !
DR : L’hypocrisie tue toutes les relations humaines.
EM : Pour en revenir à ta question, Antho, je pense que je serais un peu facho. En même temps, je sais pourquoi le Renoi il est comme ça. Je sais que le Renoi y est pour quelque chose. Je serais donc facho du fait qu’il n’est pas possible de nier ce qu’il se passe…
DR : Tu sais mon album s’intitule Les funérailles des tabous, pourquoi ? Parce que je veux qu’on arrête de se mentir. Y’a des vérités qui existent, il ne faut pas se cacher. Bien sûr quand ton enfant naît tu ne va pas lui dire “fiston, dans cinquante ans tu seras dans un trou avec des vers de terre”. Tu lui caches ça. Tu vas plutôt lui souhaiter une bonne vie, même si toi-même tu sais déjà que les lendemains peuvent être difficiles. Ce sont là les quelques vérités que tu peux à la rigueur ne pas dire. Mais le reste…
A : Dans ‘Self défense’, justement, tu t’auto-décris comme étant “Dieudonné en plus foncé”…
DR : Oui ça c’est surtout par rapport à son combat sur la sous-médiatisation de sa communauté, qui se trouve aussi être la mienne. Mais ce combat finalement englobe toutes les communautés. “Je suis pas antisémite, juste un peu trop amer, un peu jaloux des traitements de faveur. En fait sans respect le gent-ar il a pas de saveur” : là je m’adresse à tous les Renois qui sont passés de l’autre côté. Ceux qui ont réussi grâce au soutien des gens de leur quartier et qui, une fois de l’autre côté, oublient d’où ils viennent. La plupart des gens réagissent comme ça, c’est humain. Ils arrivent dans un endroit nouveau où il y a de belles femmes, de belles voitures : ils peuvent enfin vivre la vie dont ils ont rêvé ! Ils sont accrochés à ça… Qui sait si ça ne me serait pas arrivé à moi aussi si par exemple j’avais vendu quatre cent mille exemplaires des Sirènes du charbon ? Je serais pété de biff, j’aurais un statut de rappeur confirmé, des invitations télé, la Légion d’honneur… Est-ce qu’avec tout ça je serais encore la même personne ? Je ne sais pas. Ça, il n’y a que Dieu qui le sait… Mais moi ce que je veux dire, c’est ça : ce qui arrive aux minorités, elles l’ont un peu voulu…
Nous avons quand même pris l’avion pour venir dans un pays dont nous savons que les habitants ne nous aiment pas ! A quoi on s’attend ? A quoi tu t’attends ? A chouiner “oui, vous nous avez fait ci, vous nous avez pris ça” ? Non ! Quelqu’un de déterminé, il vient, il fait tout péter : “oui, vivons tous ensemble, parce que chez moi c’est plus possible”. Les gens viennent ici, vivent ici et retournent mourir là-bas. Et vivre ici c’est quoi ? Ils encaissent des coups pendant toute leur vie. Des crachats, des insultes racistes, des coups visibles et des coups moins visibles. Ils les acceptent, ils prennent leur argent, ils l’envoient au pays, ils construisent, ils construisent et au final ils disent quoi ? “Allez vous faire enculer, moi je me casse chez moi…” C’est quelle vie, ça ? C’est une existence, ça ? Moi je peux pas accepter ça. Je peux pas dire que c’est uniquement de la faute de la colonisation. Nous y sommes aussi pour quelque chose.
EM : Mais bien sûr ! La différence entre les Juifs et les Noirs, c’est quoi ? C’est que les Juifs, ils pleurent en te la mettant, alors que les Renois ils pleurent tout court.
DR : Non mais les Juifs, faut reconnaître… Ils ont subi un génocide…
EM : Ils ont subi un génocide, et nous aussi.
DR : Nous sommes d’accord. Mais nous, l’indépendance, on l’a eue quand ? Regarde eux et nous par rapport aux dates. Il n’y a pas énormément d’années entre la date de création d’Israël et celle de notre indépendance. Et pour eux c’était dur parce qu’ils n’avaient pas de pays, à la base. Nous à la base nous avions un pays.
EM : Je suis d’accord avec toi mais…
DR : Aujourd’hui ils sont devenus forts : il ont un pays, un drapeau, une des meilleures armées, des mecs bien placés dans les postes stratégiques, des millionnaires, des milliardaires… Les mecs peuvent se permettre de faire la misère aux autres parce qu’ils en viennent eux-mêmes et qu’ils ont réussi à se construire malgré ça. Nous, par contre…
EM : Oui mais la question qu’il faut se poser c’est : pourquoi ? L’indépendance du Zaïre, c’est quand ? 1960. Israël a été créé en 1948, reconnu par certains, pas reconnu par d’autres. Il y a d’autres pays d’Afrique noire dont la date d’indépendance se rapproche de la date de création d’Israël…
DR : Non, non !
EM : Mais le truc c’est quoi ?
DR : Continue, continue…
EM : C’est que nous, nous sommes partis avec un handicap…
DR : Lequel ?
EM : Celui de ne pas pouvoir se fondre dans la masse.
DR : Ha ha ha !
EM : Nous, nous ne pouvons pas nous fondre dans la masse. Eh oui !… Je prends un exemple : Christophe Lambert – j’invente, hein…
DR : Même pas Lévy ?
EM : Lévy c’est trop parlant, c’est les Dupont de chez les Juifs… Christophe Lambert, donc. Il fait ses études, poussé par les autres frères feuj – c’est ça qui est bien, c’est que eux ils sont comme ça [il crochète ses doigts ensemble pour mimer le côté soudé]…
DR : Oui mais pourquoi pour réussir sur Terre faut-il se fondre dans la masse blanche ? Pourquoi ?
EM : Tu sais très bien qu’on ne nous aime pas, ma gueule !
DR : Non non non ! A l’époque du CFA, la Côte d’Ivoire faisait rêver des pays européens, frère !
EM : Ouais. Il fut même un temps où le franc congolais était plus lourd que le dollar. On dit quoi ?
DR : A l’époque on parlait en zaïres : “passe-moi deux zaïres, cinq cent zaïres”… Les bases de l’humiliation d’un pays, c’est ça. Dès lors que tu reviens en arrière, tu prends du retard, des siècles de retard… Quand tu veux revenir au niveau où les autres se sont à peu près stabilisés, tu t’aperçois qu’ils ont construit, qu’ils ont des armées… Aujourd’hui aucun pays d’Afrique ne peut se lever et aller en Israël pour mettre une quelconque pression. Aucun ! Ils ne peuvent pas !… Peut-être à la rigueur juste après l’Indépendance, ils auraient pu…
EM : Fondus dans la masse, ma gueule.
DR : Non ! T’as la fameuse phrase de Malcolm X où il disait que pour être respecté il fallait ressembler aux Blancs, avoir un comportement européen, etc. Ces complexes, c’est nous-mêmes qui les avons créés.
A : Pour rebondir sur ces réflexions sur l’appui de la communauté et le relier à vos parcours d’artiste, je voudrais poser une dernière question : pensez-vous qu’il est possible aujourd’hui de faire bouger les choses seul, ou l’artiste comme tout homme est-il en quelque chose prisonnier du groupe qui l’a porté ?
DR : Ah… Là-dessus je crois qu’Esco est aussi fataliste que moi… Seul je crois que n’aurais pas l’envie de continuer car le monde du rap me dégoûte, en vrai. Artistiquement, j’essaie de faire un maximum de choses tout seul. C’est juste au niveau relationnel que c’est compliqué. Heureusement qu’il y a Koko, mon manager, parce qu’autrement… Au fond, moins je côtoie de gens de ce milieu, mieux je me porte.
EM : Écoute… Si nous, les Noirs, nous étions aussi soudés que les Juifs – dans tous les domaines ! -, eh bien les autres peuples auraient plus de considération envers nous. Comme je le dis dans le morceau intitulé ‘L’esprit du clan’ issu de l’album à venir qui portera le même nom : “le respect naît de la crainte”. On peut dire et faire ce qu’on veut mais seul rien n’est possible et c’est encore mieux si la main est, dans un premier temps, tendue par nos semblables. Mais ça risque d’être très difficile car les mentalités sont dures à changer, alors… Très franchement je préfère évoluer avec mon équipe mais pour le reste je préfère laisser le temps faire les choses. Les siècles d’esclavage ont formaté les esprits. Ils ont laissé place à quelque chose de terriblement plus insidieux : le manque de confiance en nous.
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