Tonedeff : « Les CD sont devenus un truc de niche »
Sur scène, Tonedeff est un MC monté sur ressort, charismatique et précis. En coulisses, c’est un artisan du hip-hop sensible et lucide qui se livre avec une étonnante franchise. Pour nous, il évoque sans détour une carrière prise à la bras le corps avec une passion à toute épreuve, au carrefour de l’ambition et de la résignation.
Abcdr du Son : Tu as parlé de Nouveau Hip-Hop pendant ton concert à Paris, mais tout le monde n’a pas compris ce que tu en disais. Tu peux expliquer ?
Tonedeff : Le Nouveau Hip-Hop est un mouvement initié par le label QN5, qui incite les artistes à ignorer la séparation stéréotypée et néfaste entre « mainstream » et « underground« , et à privilégier la qualité à la quantité. Il les incite aussi à être indépendants dans leurs processus créatifs pour aboutir à des choses nouvelles et uniques. Il incite les DJs à aider la musique à avancer en jouant du Nouveau Hip-Hop et pas seulement les classiques des années 90, ce qui est un ÉNORME problème depuis longtemps. Nous avons défini cinq règles ou « principes » qui, si les artistes y adhérent, aideront la musique à se développer.
N’importe qui peut choisir d’adhérer à cette idée de Nouveau Hip-Hop – ce n’est pas uniquement un truc de QN5. Le mouvement Nouveau Hip-Hop a pour but de donner la parole à ceux d’entre nous qui tiennent encore à la musique et à la culture hip-hop et qui donnent de l’importance à l’intégrité.
A : Archetype, ton album, a quelque chose de marrant. Dans un sens, c’est le prototype de l’album de rap classique : un morceau sur les meufs, un morceau avec tes camarades de battle contre les wack MCs, un morceau sur l’amitié et la trahison…
T : [Il rigole] Ouais…
A : … mais en même temps, il a quelque chose de complètement différent. Grâce à tes productions et tes parties chantées, c’est un album assez unique. C’était ton objectif ?
T : Oui. Mon prochain album sera barré, mais avec Archetype, je ne voulais pas en faire trop, parce que je ne voulais pas effrayer les gens avec ce disque. Je voulais garder certains aspects traditionnels du hip-hop, pour que les gens ouvrent les oreilles et ne se disent pas « Oh, laisse tomber, c’est trop bizarre« . Je voulais garder quelques éléments d’un album de hip-hop classique, traditionnel…
A : Tu t’es senti obligé de le faire ?
T: D’une certaine manière, à l’époque, oui. Rends-toi compte, je sors des disques depuis 1997, et j’ai toujours joué du piano et chanté sur chacun de mes disques. Mes fans le savent, mais les autres disent « Pourquoi il chante, ce mec ? C’est du R’n’B de merde ! » C’en est pas. J’aborde les chansons au piano comme un auteur/interprète, pas comme [il imite un chanteur R’n’B bateau] « Oh chérie, je veux être avec toi… » J’emmerde tout ça ! Je chante à propos de vrais trucs. Le thème d’Archetype était la musicalité. J’étais vraiment énervé quand j’ai entendu pour la première fois The College Dropout, parce que Kanye faisait tous les trucs que je faisais déjà sur mon album ! Mon album était vieux de deux ans, il était terminé. Forcément, quand Archetype est sorti, tout le monde s’est dit « Oh, Kanye fait déjà des trucs avec des cordes et des chœurs »…
A : Pourquoi Archetype n’est pas sorti alors qu’il était fini ?
T : C’est une triste et longue histoire. J’ai pas arrêté de me faire avoir avec des contrats de distribution ou d’artistes. QN5 Music est mon label, mais nous n’avions pas d’argent. Et je n’en avais pas non plus. Pour évoluer dans ce milieu, tu as besoin d’argent. Pour sortir un disque, il te faut au moins $20.000 à $40.000. Point. Si tu n’as pas cet argent, personne ne va entendre ton disque. Et même si tu l’as, ça va être assez compliqué, de manière générale.
A : Tu as besoin d’autant d’argent pour faire le disque ?
T : Non, non, pour le promouvoir. Tu dois payer les publicitaires, la distribution, l’emplacement dans les magasins, les publicités sur internet et dans les magazines, les rotation radios : tu dois payer pour tout ça ! C’est pour ça que je dis dans ‘Politics’ : « Tout ce que tu vois et entends a été payé« . La plupart des gens ne comprennent pas ça. Il pensent simplement : « Si tu es bon, je t’entendrais à la radio« . Mais ça n’a rien à voir avec ça. Ce n’est qu’une question d’argent – tout ce business. Et à cette époque, en 2003, je n’avais pas d’argent, je n’avais pas les moyens de sortir le disque. J’étais fatigué d’attendre, alors je l’ai plus ou moins sorti sur un label qui a fermé à la seconde où le disque a été dans les bacs. C’est pour ça que, quand je viens à Paris, les gens me disent « Ah bon, tu as sorti un disque !? » [Il soupire, puis sourit] Ils ont uniquement entendu parler de moi sur internet, mais personne n’a l’album, parce qu’il n’a jamais été distribué ici. Les personnes qui suivaient vraiment le truc et qui savaient que l’album arrivait, elles l’ont acheté. Mais le fan hip-hop de base n’a jamais entendu parler de mon album. C’est frustrant.
A : Étant donné que tu es aussi directeur artistique, quelle était ton idée pour la pochette de Archetype ?
T: Je voulais une pochette iconographique. J’ai donc décidé de mettre de côté toute photo pour rendre la pochette aussi minimaliste et iconographique que possible. L’intérieur de livret est bien plus élaboré que la pochette pour cette raison.
Le logo « Tonedeff » est entouré de deux cercles. Le cercle épais, à l’extérieur, représente mon enveloppe extérieure – ma peau / ma personne publique. Le cercle fin, à l’intérieur représente la couche plus fragile de ma personnalité – hésitations, souffrance, émotion et passion. Les deux cercles font le tour complet pour me protéger et protéger mon âme, représentée par le logo, mon intention étant conservée à l’intérieur, symbolisée par le titre. Je suis plutôt content que tu m’aies posé la question, parce que je crois que c’est la première fois que j’explique cette pochette. La plupart des gens pensent que c’est un simple logo.
A : Y a-t-il une chose dont tu es particulièrement fier à propos d’Archetype ?
T : ‘Gathered’ est de loin le moment dont je suis le plus fier. C’est le moment où je me sens vraiment en dehors de la masse des producteurs/rappeurs et où je me trouve dans une nouvelle position en tant qu’artiste. C’est un rêve devenu réalité.
Tous mes projets en tant que Tonedeff ont eu une chanson chantée dessus (comme ‘Homecoming King’, ‘Fast’, ‘Morethanthis’, etc), mais ‘Gathered’ est de loin la plus émouvante. J’ai écrit, joué et produit cette chanson, puis travaillé avec Jennifer Curtis (J-Quartet) pour l’accorder avec les cordes. Pour moi, c’était un gros coup – si l’on considère les choses dans leur ensemble. C’était une approche complètement qu’un rappeur, que beaucoup considèrent comme « underground », ait les couilles d’écouter son cœur pour aller dans une direction que personne n’aurait osé suivre pour un premier album. Et j’ai l’impression que ça a ouvert pas mal de portes à tous ceux pour qui le hip-hop s’étend au-delà des beats et des rimes. Il y a un niveau de rébellion dans cette chanson qui me parle vraiment, et je suis ravi que ceux qui l’entendent le ressentent aussi.
« Cette musique est tellement importante pour moi. J’ai grandi avec. Je n’ai écoute QUE du hip-hop jusqu’à mes 18 ans. »
A : Que se passe-t-il avec Nas ? Dans ‘Politics’, il y avait une phrase sur lui (« Elitist DJs […] only spin vinyl – « Go get pressed! », but give ’em a Nas exclusive MP3 and they’ll play the shit dead. »). Et je viens de voir une vidéo de CunninLynguists à propos du titre du prochain album de Nas, « Nigger »…
T : [Il rigole] Ce que je disais dans ‘Politics’ concernaient les suceurs de personnes célèbres. Quand je viens les voir avec mon morceau, ils me donnent 55 excuses, comme « Va le faire presser sur vinyle« . Mais dès qu’ils ont un mp3 de Nas ou Jay-Z, ils le jouent toute la journée sans hésitation. Nas était juste un exemple. Et la vidéo de CunninLynguists était une blague ; nous respectons Nas.
A : Ça c’est un truc que j’aime bien avec toi et CunninLynguists : vous vous moquez du hip-hop, mais on sent que vous aimez profondément cette culture. Vous ne donnez pas l’impression d’être juste médisants…
T : Merci ! Cette musique est tellement importante pour moi. J’ai grandi avec. Je n’ai écoute QUE du hip-hop jusqu’à mes 18 ans. Que du hip-hop ! Je faisais du break-dance à l’âge de 7 ans ! [Il sourit] Je me suis ouvert à d’autres genres de musique vers 18 ans, j’ai commencé à écouter des trucs avec du piano, Toris Amos, Radiohead… Je crois que notre amour pour cette musique transpire à travers tout ce que nous faisons : nous sommes le dernier bastion des gars qui viennent de la vraie école. Nous sommes la prochaine évolution… Il y a eu la New School, puis l’époque Lyricist Lounge, et nous sommes ceux d’après. Nous y sommes. La prochaine génération de vrais fans de hip-hop regarde vers nous. Nous sommes dans la bonne position. Et j’en suis fier.
A : Permets-moi d’être critique…
T : Pas de problème, vas-y…
A : OK. Ce que tu dis semble un peu prétentieux… Tu ne vends pas tant de disques que ça, si ?
T: Non, c’est vrai. Je ne vends rien. Pas encore. Mais tu as entendu les gens pendant le concert. Tu les as entendu reprendre tous les morceaux de CunninLynguists. Ils ne vendent pas tant que ça non plus. Atmosphere nous explose en ventes de disques. Mais nous n’avons pas leurs budgets. Nous n’avons pas de telles sommes d’argent.
A : C’est un accomplissement pour QN5 de faire une tournée en Europe !
T : Complètement ! La différence est que QN5 est entièrement auto-produit, on fait tout nous-mêmes. On réserve nous-mêmes nos dates. On presse nous-mêmes nos CD. On fait nous-mêmes les pochettes. Je réalise moi-même mes DVD. Je mets moi-même à jour les sites web.
A : Ça doit être épuisant…
T: C’est putain de fatiguant, mec ! Regarde-moi : je sors de scène, je ne peux plus parler, j’ai un rhume, je vends nos produits. Certains personnes pensent que je prends la grosse tête ou pensent que je suis prétentieux quand je parle de ce que nous avons accompli. Est-ce que ce que je dis est présomptueux ? Non ! Est-ce que c’est ambitieux ? Oui ! Il y a une grande différence… À la fin de journée, je pense que, comme tu le disais, tu peux sentir notre amour et le hip-hop authentique qui émanent de nous. Ça vient du cœur. Personne ne peut dire que c’est prétentieux, parce qu’on ne peut pas nier ce que nous sommes en train de réaliser.
On a fait face à beaucoup d’adversité au fil des ans. Ça se manifeste de manière vraiment subtile. Beaucoup d’artistes et de labels indépendants ne veulent rien à voir avec nous. Personne ne vient vers nous pour faire des morceaux ou des tournées. C’est un peu triste, parce qu’on s’entend plutôt bien avec tout le monde. On est des gars normaux : tu nous vois, on n’est pas relous. Mais lors de certains concerts qu’on a fait avec d’autres artistes, beaucoup d’entre eux essaient de jouer les stars, genre « Putain, t’es qui toi ?! » Beaucoup de gars aiment se la jouer important et se montrer distant s’ils ne peuvent pas t’utiliser pour obtenir quelque chose. Nous ne sommes vraiment pas comme ça.
Je m’en fous si Common a vendu un million de disques, je viendrais vers lui en lui disant « Hey, comment ça va ? » Je suis un grand fan. Je n’ai pas peur de l’admettre, je suis un grand fan de plein d’artistes, tout comme les autres gars de QN5 le sont. Nous respectons cette culture, et si tu le fais, tu dois respecter les artistes qui t’ont influencé.
A : En te voyant sur scène avec CunninLynguists, j’avais l’impression que tu les admirais, eux aussi…
T : Oh que oui ! Ils ont sorti 4 albums et 2 mixtapes en 7 ans. Ces 4 albums sont incroyables. Je suis le plus grand fan de CunninLynguists, et je l’ai toujours été. Je suis fan de tous les artistes du label. Je suis celui qui a choisi chacun d’entre eux, un par un. Je suis fan de PackFM, je suis fan de Substantial, je suis fan de tout le monde… Je suis fan des producteurs : Domingo, Elite… Quand je vois CunninLynguists, je trouve que ce qu’ils font est magnifique. De plus en plus de gens s’y intéressent, on peut faire ces concerts, nous venons à Paris et on joue à guichets fermés… C’est comme dans un rêve. Je leur souhaite le meilleur succès.
A : Kno trouve toujours ces incroyables samples vocaux avec beaucoup de sens. Comme sur ‘Loyal’, sur ton album : « I love you in a place, where there’s no space and time »…
T : En fait, cette chanson était un remix. L’instru originale était produite par Domingo, et c’était plus un hit de rue. J’ai trouvé que ça ne collait pas avec le reste de l’album, donc j’ai demandé à Kno de le remixer. Il est très fort pour trouver des samples. Il a trouvé celui-là après que j’ai écrit le texte, et ça colle parfaitement. Quand j’ai entendu cette version, je me suis dit : « C’est ce qu’il faut pour l’album« . Ce mec est trop fort.
A : On dirait que ses samples amènent un autre niveau de lecture aux chansons…
T : Tout à fait. Kno est doué pour assembler des samples riches, mélancoliques. Les mélodies qu’il trouve sont tellement magnifiques. Il envoie des instru aux autres rappeurs, et beaucoup d’entre eux ne savent pas quoi en faire. Ils ont tendance à débiter vénèr dessus, mais ses instrus te forcent à être créatif. Elles te forcent à écrire avec ton cœur, à dire quelque chose de vrai. Et ces gars semblent avoir du mal à le faire.
A : Où en est le projet Chico & The Man ?
T : Je suis en train d’écrire. Pour ceux qui ne sont pas au courant, Chico & The Man est un projet à deux, entre Kno et moi. Kno produit toutes les instrus, et j’écris tous les textes. On vise 2008 : avec un peu d’espoir, ça sortira à la fin de l’année. Rien n’est sûr, mais c’est ce qu’on vise. C’est définitivement le truc le plus dur sur lequel j’ai jamais travaillé.
A : Pourquoi ?
T : À cause du l’idée de départ – ça va passer au-dessus de la tête de beaucoup de monde, mais ceux qui vont capter vont être sur le cul. Ça va être quelque chose de dément, c’est tout ce que je compte en dire. Je mets toute ma thune dans ce disque. Je veux que les gens sachent que ce projet arrive. Quand il va sortir, je veux qu’absolument tout le monde l’entende. Je suis tellement confiant dans ce disque que je pense que ça va être phénoménal et que les gens doivent l’entendre. C’est pourquoi nous voulons autant investir dedans.
A : A Piece of Strangeétait un album concept, et il a été plutôt bien reçu. C’est bon signe pour Chico & The man ?
T : Absolument. Je pense que ce qu’ils ont fait de bien sur A piece of strange, c’est que chaque chanson était indépendante. Tu prends n’importe quelle chanson en dehors de A piece of strange, et c’est juste une chanson, même si elles ont toutes un lien au sein de l’album. Voilà pourquoi c’est si fort. On aimerait quelque chose de similaire sur Chico & The Man, mais cet album aura une singularité qu’aucun de nous deux n’a su trouver sur nos projets respectifs.
A : Est-ce que tu sens une pression, du fait de poser sur des instrus de Kno ?
T : La seule pression que je ressens est celle que je me mets moi-même. Je me défonce certainement plus vu ce que le projet représente pour moi. De tous les producteurs de QN5, je pense que son style de production me convient le mieux quand je veux m’épancher. Son travail résonne en moi. On a une oreille similaire. J’ai l’impression que ce disque ne pouvait qu’exister.
Maintenant, des gens ont dit « Ça y est, maintenant ça va être tranquille pour toi, tu vas rapper sur des instrus de Kno« , mais j’ai rappé sur bien plus d’instrus de Kno que les quelques morceaux présents sur les albums de CunninLynguists. Je suis suffisamment à l’aise dans son univers pour pouvoir y prendre des risques. On fait le disque que nous voulions faire, donc nous n’avons pas beaucoup d’inquiétude sur le fait d’être à la hauteur de que les gens attendent.
A : Sur « Archetype », Kno produit un seul morceau…
T : Il n’a fait qu’une instru parce que, depuis le départ, je ne voulais pas d’un album produit par de multiples producteurs. Et ça vient du fait qu’Archetype est mon enfant. Je sais mieux que quiconque comment je veux que ma musique sonne. Parfois, j’ai besoin de faire appel aux talents des autres pour arrive à ce que je recherche. Kno a trouvé la solution parfaite pour ce morceau, et ça a fini sur l’album parce que c’est ce qui fonctionnait le mieux dans ce contexte.
« Je ne veux pas être connu uniquement pour mon rap-rapide. Je veux que les gens écoutent ce que j’écris. »
A: Tu es un fan de Tori Amos mais tu n’as pas adoré un ses derniers albums, « The Beekeeper »… Voilà ce que tu en disais sur le forum QN5 :
« Je ne veux pas manquer de respect à cette femme, parce qu’elle a été une énorme influence dans ma vie et sur le plan de la musique, mais elle devrait vraiment travailler avec des producteurs extérieurs pour son prochain projet. Depuis qu’elle a pris les rênes de la production sur « Boys for Pele », le potentiel de ses albums a beaucoup varié. Son talent d’auteur est toujours impeccable, mais elle a besoin que quelqu’un lui dise « Non, ces batteries font penser à une chanson de Jimmy Buffet ».
Et ça fait plusieurs fois qu’elle le fait, au détriment des albums qu’elle crée. En aucune manière elle n’est un MAUVAIS producteur. « Choirgirl » et « Scarlett’s Walk » sont des albums incroyables. Elle SAIT faire de la musique… c’est juste que certains des trucs qu’elle fait donnent l’impression qu’elle « essaie » d’être « moderne » et que ça ne colle pas à ses chansons.
Je veux dire… Pourquoi ne pas travailler avec Nigel Goorich ou Pierre Marchand ? Ce n’est pas comme si elle n’en avait pas la possibilité »
A : Dans un sens, est-ce que tu ne lui adresses pas exactement les mêmes critiques que ceux qui pensent que tu devrais laisser d’autres personnes produire ton album ?
T : Pour commencer – je ne suis pas Tori Amos. Elle fait exactement ce qu’elle veut faire… et c’est précisément pour ça que j’adore sa musique. Que je préfère les productions de Nigel Goodrich ou de Pierre Marchand ne veut pas dire qu’elle doit le penser aussi. Je suis suffisamment fan pour respecter ce qu’elle fait – car au final, j’ai quand même acheté l’album, ainsi que le suivant, et je continue à acheter des places pour ses concerts. J’ai le droit d’avoir une opinion comme tout un chacun.
Maintenant, est-ce que je devrais laisser ma place à d’autres producteurs pour mes albums ? Et si je le faisais… à qui ? Tonedeff ne peut pas juste prendre son téléphone et appeler Dr. Dre ou Timbaland pour des instrus – et même s’il le pouvait, il ne pourrait pas les payer. La plupart des figures musicales que les gens admirent a) sont difficiles à atteindre b) coûtent de l’argent que je n’ai pas et c) ne me conviendront peut-être pas en tant qu’artiste. Je n’ai jamais payé pour une instru de ma vie. Les producteurs avec lesquels je travaille déjà comprennent ce que j’essaye de faire en tant qu’artiste et me donnent la liberté créative qui va me permettre de faire avancer le projet dans son ensemble.
Aujourd’hui, j’ai l’impression que je suis un producteur parfaitement capable de faire n’importe quelle genre de musique. Je rappe, chante, joue du piano, j’ai produit pour la moitié de l’underground de New-York… Certains trucs sur Archetype sont de vrais tours de force, et les gens ne s’en sont pas rendus compte. On m’a beaucoup critiqué là-dessus, parce que je n’avais pas d’instrus de Dilla et que je ne travaillais pas avec Premier ou Alchemist : hey, je suis désolé ! [Il rigole] C’est ma musique. Si tu n’aimes pas, va te faire foutre. Je le fais pour moi. Je suis très fier des chansons que j’ai faites pour Archetype.
Je ne crois pas que d’autres producteurs soient capables de faire ce que j’ai fait sur ce disque. Il y avait des métriques différentes, des montées au milieu des chansons, des ruptures, des parties entières de piano et de cordes. Personne ne faisait ça en 2004. Et le disque était déjà vieux de 2 ans quand il est sorti. Il était fini, mais a attendu 2 ans pour sortir. C’est pour ça que pour le prochain album solo de Tonedeff, ça sera essentiellement moi, avec peut-être juste une pincée des producteurs QN5. Exactement comme sur Archetype, mais en allant beaucoup plus loin. Quand j’ai fini Archetype, j’étais en avance. Quand il est sorti après 2 ans, j’étais encore un petit peu en avance. Mais quand je sortirais mon prochain disque, je vais faire quelque chose de tellement incroyable que personne ne va rien comprendre pendant 5 ans. Les gens vont passer à côté. Ils le font toujours. Mais quand ils comprendront au bout de 5 ans, ils vont se dire « Putain, c’est hallucinant. Je suis passé à côté ».
Tu sais, les gens ont mis du temps à m’accorder du crédit en tant que producteur parce que je n’ai pas encore franchi le cap dans l’opinion publique où c’est « cool » de balancer mon nom dans un top-10. Il y a un paquet d’hypocrisie de la part de la presse. Je ne peux pas lister le nombre de chroniques que j’ai lues où les gens disaient qu’ils n’aimaient pas ma production/mon chant et qui pourtant citaient ‘Porcelain’ ou ‘Gathered’ comme leur chanson préférée de l’album. Les gens ont tendance à être des moutons – particulièrement les critiques – et je n’attends de personne une tape d’encouragement sur l’épaule parce que je fais quelque chose de nouveau et que je tente des choses. Personne n’a envie d’être le mouton noir dans une profession qui cultive l’uniformité.
C’est aussi pour ça que j’ai sorti Deffinitions Vol. 1 (Instrumental) – pour que les gens puissent laisser tomber l’idée que « Tonedeff est juste un rappeur » et reconnaissent que je suis parfaitement capable de produire aussi. C’est un peu « Hey… j’ai rassemblé un incroyable pool de talents, construit un label à partir de rien, géré la production exécutive de quelques albums qui ont reçu un succès critique et réussi à sortir quelques chansons qui ne ressemblent à rien de ce qui existent ailleurs. « Can I get some love ? » [Il rigole]
A : J’ai lu que tu avais un jour hésité à change ton nom de scène pour prendre celui de Nickels, mais que tu as finalement décidé de ne l’utiliser que pour tes productions hors hip-hop. Où peut-on entendre les productions de Nickels ?
T: J’utilise le pseudo Nickels de temps en temps, mais uniquement en tant que membre unique d’un projet annexe appelé KGK (Krush Groove Kaleidescope). À chaque fois que je fais de la drum & bass, de la house ou des remixes pour des artistes pop, c’est sous la bannière KGK. J’ai même réalisé un album entier de drum & bass, mais je ne l’ai jamais sorti dans son intégralité. Je le ferais peut-être. En attendant, tu peux éventuellement trouver quelques trucs en ligne, mais ça sera dur. Cherche le remix drum & bass de ‘Nowhere’ de Fisher, quelques trucs électro-pop de Melissa Prezioso, et des remixes J-pop drum & bass de Sakura Diaries, des Anime Toonz.
A : À propos de production, est-ce que ce n’est pas difficile pour les producteurs d’avoir affaire à ton flow ?
T : [Il rigole] En fait, je défie les producteurs. D’habitude, les producteurs veulent te donner uniquement les hits. Moi, je leur dis : « Mec, je peux faire N’IMPORTE QUOI. Donne-moi le truc le plus ouf que tu as. Si tu veux être audacieux avec ta musique, donne-la moi. Si tu veux faire du 7/8, ou du 6/8, ou, je sais pas, même du 2/5, amène-le moi. » C’est un défi pour moi, j’adore ça en tant qu’auteur. C’est important pour moi de faire avancer le hip-hop. Je fais du rap depuis si longtemps : si je n’ai pas de défi, je m’ennuie. Donc je dis aux producteurs : « Vas-y, cogne ! Balance-moi tes trucs les plus dingues ! »
A : Ça t’embête d’être catalogué comme un rappeur-rapide ?
T : Oui. Je ne le fais que parce que ça impressionne les gens qui ne me connaissent pas.
A : C’est la seule raison ?
T : Oui, je n’ai aucune raison d’être le rappeur le plus rapide de la Terre. Je suis chanceux de pouvoir l’être. Je m’entraîne, parce que je veux le faire bien et pas à moitié.
Ça arrive souvent que des gens s’enflamment sur un mec genre « Donc c’est lui le rappeur le plus rapide ! » Mais quand tu écoutes le gars en question, il ne raconte rien. Je lance un défi à tous ceux qui disent « Oh, Tonedeff ne fait que rapper vite » : ralentissez mon son et écoutez les textes, vous serez surpris de découvrir qu’il y a pas mal de phases de textes et de flow là-dedans. Je ne veux pas être connu comme Rebel XD. Je ne veux pas être connu uniquement pour mon rap-rapide. Je veux que les gens écoutent ce que j’écris. C’est plus important pour moi que les gens me connaissent pour mes textes que pour ma rapidité, parce que je travaille vraiment ce que j’écris, et j’essaye de toucher les gens.
On a fait une chanson intitulée ‘No hope’, à propos d’un ami des CunninLynguists qui est mort. Il a été tué dans un cambriolage. Je ne connaissais pas personnellement le gars, mais j’ai écrit cette chanson parce que je comprenais leur douleur.
Je voulais écrire cette chanson du point de vue d’un quelqu’un qui connaissait cette personne. Je suis fier de ce que j’ai écrit, parce que le frère de ce gars m’a écrit « Ça m’a vraiment touché. C’est quelque chose dont j’avais vraiment besoin à ce moment-là. Merci de l’avoir écrit. » Voilà ce dont je parle : le hip-hop, c’est tellement plus que « Allez tous vous faire foutre !« . Je veux combiner la technique et le message. Je veux être incroyable techniquement et dire de vraies choses. J’aimerais que les gens s’intéressent surtout à ça.
A : As-tu peur de n’avoir un jour plus rien à dire ?
T : Bien sûr que non. Le monde est un endroit vaste. Il y a toujours quelque chose à dire – surtout dans un genre qui s’auto-limite à parler de 6 sujets différents en boucle. C’est ça la beauté du hip-hop. Ça reste une forme d’art relativement nouvelle – il y a tellement de place pour s’étendre et innover que ce n’est même pas marrant.
« Toutes les autres musiques ont des partitions, le hip-hop devrait en avoir aussi. »
A : Tu as créé une écriture de partition pour flow. À quoi sert-il ?
T : Cette écriture de partition pour flow est pour les MCs. Quand tu écris, tu dépasses parfois une mesure, il y a trop de mots. De cette façon, tu peux indiquer le rythme que tu as en tête. Donc quand je le relis, je me souviens exactement de comment je l’ai écrit.
A : Utilises-tu cette écriture régulièrement ?
T : Je l’utilise depuis que je rappe. Je crois qu’ICON the Mic King a commencé à l’utiliser à un moment. Je ne sais pas si c’est encore le cas. Peut-être que quelques gars sur le net l’utilisent, mais je ne crois pas que ça ait pris plus que ça.
A : C’était ton objectif ?
T : Oui, je veux que les gens l’utilisent. Je pense que c’est important, en tant que forme d’art, d’avoir des partitions. C’est de la musique. Toutes les autres musiques ont des partitions, le hip-hop devrait en avoir aussi. Le scratch a des partitions, aujourd’hui. Je me suis dit que je pouvais développer un système pour l’écriture, parce que personne ne l’a encore fait…
A : Tu préfères écrire en silence plutôt qu’en écoutant une instru. Est-ce que cette habitude te donne plus de liberté pour ton flow ?
T : Peut-être. Je n’y avais jamais réfléchi comme ça. De manière générale, je ne peux tout simplement pas réfléchir avec de la musique en fond, parce que mon oreille de producteur ne me permets pas de ne pas vouloir décomposer chaque élément. Je serais déconcentré par la dissection du son et incapable de me focaliser sur les mots. Tout ce dont j’ai besoin, c’est d’écouter une minute de l’instru ; ensuite, je l’ai en tête pour écrire.
A : u attaches beaucoup d’importance à l’orthographe de ton nom – Tonedeff – au point de l’épeler sur scène et demander à la foule de le répéter ! D’où ça vient ?
T : [Il rigole] Hahaha. Bien joué. Mes purs fans (les Auralarians) sauraient te répondre, car ils m’ont vu bataillé avec ça pendant des années.
Pour faire simple, après des années à faire de la musique, c’est devenu progressivement frustrant de voir comment les gens orthographient mal mon nom. Sur des flyers, sur des websites, sur des disques, merde – même mes anciens labels l’ont fait (bonjour Yosumi !). Tu pourrais penser que quelque chose d’aussi simple que « Tonedeff » est facile à retenir. Mais noooooooooooooon. J’ai vu Ton Def, Tone Deff, Tonedef, Tone-Def, etc. Ca a commencé à être insultant – en tant que baromètre de la conscience des gens. Je sais que quelqu’un qui se trompe sur mon nom n’a pas la moindre idée de ce que je fais en tant qu’artiste. Les VRAIS fans ne se tromperaient pas. Ceux qui connaissent l’orthographe correcte ont tout mon respect.
En plus, j’ai vu plein de gens se tromper aussi sur des extraits, sur des vidéos Youtube, sur Myspace, etc. Donc il a fallu que je l’impose – comme une marque. Voilà pourquoi je l’enfonce dans la tête des gens. Pour qu’il n’y ait aucune confusion possible.
A : Pendant que tu faisais ta tournée en Europe, tu as écrit un article à propos d’un concert décevant à Cologne…
T : Je fais des concerts depuis longtemps : tu vas en avoir un qui foire de temps en temps. La nuit d’avant, c’était complètement fou ! La nuit d’après, je nageais au-dessus de la foule ! Mais à Cologne, l’esprit n’y était pas… Je n’y peux rien. Parfois, le public ne te donne pas ta chance. Peut-être qu’ils ne vont pas aimer mon t-shirt… Peut-être qu’ils ne vont pas aimer ma gueule… Je n’y peux rien. Je n’étais pas déçu par ce concert en particulier, c’était la journée complète qui m’a saoulé. En lisant ce que j’ai écrit sur le blog, tu verras que le concert n’était qu’un truc dans une journée de merde. Je suis un professionnel, mec : ça arrive. Je ne déteste pas l’Allemagne, j’adore l’Allemagne, tout va bien.
A : Est-ce que tu te rends compte qu’en Europe la plupart des gens ne comprennent pas tes textes ? Est-ce que tu adaptes tes concerts en conséquence ?
T : Oui, je m’en rends compte. En matière de performance, je ne peux faire que ce que je peux faire. Je ne peux pas changer les mots. Au mieux – je serais plus expressif physiquement, parce que je pense que ça un vrai impact. Je pense que j’articule assez clairement, mais au final, je pense que tout rappeur est à la merci de l’ingé-son, même aux États-Unis.
A : Quand tu es sur scène, par exemple quand tu prends une fille du public et que tu rappes autour d’elle, tu as l’air d’être la personne la plus sûre d’elle de la Terre ! D’où ça te vient ?
T: [Il rigole] J’aime blaguer autour de cette histoire de « mec pervers ». Les gens deviennent fous. Faire ce numéro sur scène est marrant pour moi, parce que je fais ce que n’importe quel mec du public aimerait faire.
Quand je suis sur scène, on rigole. Les filles savent que je ne vais pas les violer sur scène. Toutefois, j’ai noté que les filles européennes étaient beaucoup plus pudiques que les filles américaines. Quand je fais mon numéro en Europe, les filles semblent avoir peur ; aux États-Unis, les filles balancent leurs chattes devant ma gueule ! Les meufs sont sauvages chez nous.
A : « I must be conceited, right? Well, I’m balanced out by the lack of self-esteem I’ve felt since I’ve learned how to read and write » (‘Masochist’)
Est-ce que tu ressens toujours la même chose ?
T : Globalement, oui. Je me suis toujours senti incompris et j’ai besoin que les gens m’aiment. Imagine-toi être trop blanc pour les noirs, trop noir pour les blancs et pas assez latino pour les tiens. Ça peut facilement te foutre en l’air quand tu es gamin. Donc j’ai tendance à en faire trop pour bien me faire comprendre. Mais avec l’âge, j’apprends à moins tenir compte de ce que les gens pensent de moi. Je ne peux pas changer, et même si je le pouvais, je serais trop buté pour le faire.
A : Je sais que tu es perfectionniste en ce qui concerne ta musique. L’es-tu aussi à propos de tes concerts ? Es-tu loin de faire des concerts que tu estimes parfaits ?
T : Personnellement, je pense que personne n’a jamais fait un concert parfait. Je suis sûr qu’Usher ou Madonna passent du temps dans leurs suites d’hôtels à se repasser le filage du concert pour pointer chaque minute où ils auraient pu mieux faire. Ca ne sera jamais parfait. J’ai tendance à être obsédé par certains trucs. Particulièrement par les concerts – demande juste à PackFM ou à n’importe qui chez QN5 à quel point je peux changer d’humeur après un concert. Si je rate une phase ou bafouille un mot, j’ai envie de foutre le feu à toute la salle [Il rigole] C’est un peu extrême, mais encore une fois, je veux faire plaisir aux gens au maximum de mes capacités. J’aimerais juste avoir le budget de Kanye pour montrer aux gens ce que je suis vraiment capable de faire. Et à Kanye aussi.
« Les CD sont doucement devenus un truc de niche. Bientôt, ça n’intéressera plus que les collectionneurs. »
A : Tu m’as dit tout à l’heure que tu ne vendais plus d’exemplaires de tes premiers projets, comme « Hyphen » or « Underscore »… Ne pourrais-tu pas les represser ?
T : Je ne suis pas fan du tout d’Hyphen. Ça a été fait à une époque où je cherchais ma voie musicalement, et je me dégoûte quand j’écoute le disque. C’est une série de freestyles et de battles, ce n’est pas Tonedeff, c’est moi qui rappe comme un gamin. Le seul truc qui me tue à propos de ce disque, c’est que j’ai mis ‘Fast’ dessus… et c’est le truc que je préfère de tout ce que j’ai fait. Savoir que les gens ne l’entendront jamais fait un peu chier.
Je ne veux pas mettre de l’argent dedans, mais si tu peux le trouver sur eBay, tant mieux. Underscore est disponible en ligne, à acheter en format numérique, ça me va.
A : Comment réagis-tu à cette vague numérique ?
T : Tout l’industrie se dirige dans cette direction… Ça ne coûte pas autant d’argent. Comme je le disais, sortir un disque coûte des milliers et des milliers de dollars, donc, quand tu n’as pas cet argent, c’est le moyen le moins coûteux. C’est plus facile à promouvoir, mais uniquement parce que nous avons établi une solide base de fans, surtout sur internet, que nous maintenons depuis 10 ans. C’est plus rapide et plus facile pour nous de sortir un disque numériquement. Récemment, nous avons sorti un EP pour la Saint-Valentin, Baby Blue For Pink. On l’a fini en une semaine, et on l’a sorti un mois après. On n’a pas eu à attendre 3 mois pour la distribution, et on n’a pas eu à injecter $30.000 dedans… Les gens en ligne continuent de chopper de la musique et de la diffuser. Les CD sont doucement devenus un truc de niche. Bientôt, ça n’intéressera plus que les collectionneurs.
A : Tu évoquais ta base de fans… Ça a été dur à obtenir ? Et à conserver ?
T : J’ai construit ma base de fans en travaillant beaucoup et en étant honnête. Beaucoup de concerts, beaucoup de musique, beaucoup d’interaction. J’ai été plutôt transparent et ouvert avec eux, au fil des ans. Avant qu’il n’y ait de blogs et Myspace, j’avais un forum et un site. Je les tiens au courant et ils me témoignent leur affection, parce qu’ils savent que je ne me fous pas de leurs gueules et qu’on a une relation claire. Bien sûr, je fais de la musique pour moi-même, mais tout ce qui entoure la musique est fait à 100% pour les fans. Et 9 fois sur 10, c’est plus de boulot que de faire de la musique.
Mais j’ai vraiment les meilleurs fans du monde. Ils me comprennent – ce qui n’est pas exactement la chose la plus facile vis-à-vis d’un gars qui veut rapper, chanter des ballades, faire des dessins animés et construire un parc d’attraction. Ils m’ont supporté à 100% depuis des années – m’aidant même à corriger des injustices à mon égard (comme l’histoire avec Gibson). Depuis toujours, j’ai échangé avec eux plus que n’importe quel autre artiste – depuis toujours. Ce qui est dur, au fond, c’est de conquérir de nouveaux fans. Mais je crois qu’ils y viendront avec le temps. Je continue de bosser.
A : « Nothing really seems to matter when you’ve gone this far » (‘Gathered’)
Au poker, être « pot-committed » signifie que tu as déjà mis trop d’argent pour pouvoir te coucher, tu es obligé d’aller jusqu’au bout. As-tu parfois ce sentiment à propos de la musique ?
T : C’est exactement ce que je voulais dire avec cette phrase. Pour faire simple, j’ai investi toute ma vie, mes économies, mes salaires, mes relations, ma famille dedans. Si j’arrêtais maintenant, je laisserais tomber plus de monde que ma conscience ne pourrait le supporter. Je dois gagner. Je n’ai pas vraiment le choix. Et par « gagner », je veux dire être capable de subvenir aux besoins de ma famille en faisant ce que j’aime. Parce que, merde, si Lil’ Mama peut le faire… putain, moi aussi je peux.
A : « I decided this was what I wanted to do when I was 11 years old, ’cause I’m one of those ridiculously persistent people who keep getting up after they fall flat on their faces multiple times – I figure that’s what has made me the person I am. »
Quel ton objectif final ? Je veux dire, en remontant ta carrière, on a l’impression que tu as essayé plusieurs fois de toucher un public très large (Arsenio Hall, Lollapalooza)…
T : Au final, mon objectif est de changer la musique. Si c’est un peu démesuré, mon objectif est d’être capable de subvenir aux besoins de ma famille en faisant ce que j’aime. J’ai déjà eu la chance d’avoir accès à des médias grand public, comme la télé ou de gros évènements, mais pas assez pour que ça représente un vrai changement dans ma carrière. Aujourd’hui, mon but est que moi et les artistes de mon label explosions en sortant la meilleure musique possible pour le plus de monde possible. J’ai toujours cru que ce qu’on fait à QN5 a quelque chose de spécial, et que c’est normal que des personnes soient réticentes à écouter. Les personnes qui écoutent deviennent profondément connectés avec cette musique d’une manière très spéciale. On se rapproche chaque jour et je sais que c’est juste une question de temps avant que le reste du monde ne saisisse ce que nous faisons.
A : Je suis sûr que si un psy étudiait ton cas, il aurait quelque chose à dire à propos de ta fascination pour les concepts. Les signes de ponctuation choisis comme titres d’albums, (« Hyphen », « Underscore », « Asterisk »), l’idée du Nouveau Hip-Hop, le nom du label QN5… D’après toi, qu’est-ce que ça révèle ?
T : Si je répondais à cette question, ces concepts n’auraient plus aucun intérêt, non ? [Il rigole]. La typographie peut être étudiée pendant des années par des étudiants en arts. Disons que tout est lié.
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