Qwel : « ne prenez pas tout ça trop sérieusement, je suis dingue »
Lundi 27 Janvier 2003. Le label indépendant de Chicago, Galapagos 4, est de passage à Paris dans le cadre d’une tournée européenne faite de quelques dates. Rencontre avec Qwel, jeune membre de Typical Cats et auteur d’un premier effort solo remarqué, « The rubber duckie experiment ».
Abcdr : Tu peux te présenter ?
Qwel : Salut, je viens de Chicago. Je m’appelle Qwel, de Typical Cats, et je suis sur le label Galapagos 4.
A : Comment as-tu rejoint Galapagos 4 ?
Q : En fait, il y avait un mec de Chicago, Pugslee Atomz, il était à la tête de ce groupe, Nacrobats. Ils m’ont pris sous leur aile et m’ont permis de rencontrer pas mal de monde. Il préparait un morceau pour l’album de DJ White Lightning, White on white crime. Il m’a présenté à DJ White Lightning et on a commencé à traîner ensemble, et c’était parti.
A : Quelles sont tes influences musicales ?
Q : A vrai dire, je pense avoir plus d’influences liées à l’écriture qu’à la musique. En fait, je ne suis pas un très bon rappeur, je continue toujours à apprendre. Je suis bien meilleur au niveau de l’écriture. Mais musicalement parlant, pour ce qui est du rap.(hésitant) Je dirais Saul Williams. Ce gars est un vrai tueur. En fait, j’aime la musique qui te file le cafard, façon Portishead.
A : Abordes-tu de la même façon un morceau solo et un titre avec les Typical cats (composé de Qwel, Qwazar, Denizen Kane, Natural, et Kid Knish) ?
Q : Non, l’approche est complètement différente. Avec Typical Cats, on essaie de faire briller les autres. Ce sont vraiment mes potes. A chaque fois que j’entends un truc de leur part, ça me met sur le cul. L’approche de l’écriture à trois est assez différente, on réfléchit en tant que groupe, pas en tant qu’individu. On évolue avec un esprit de compétition dans le bon sens du terme. C’est une vraie souffrance d’écrire mes morceaux solos, c’est assez différent à ce niveau.
A : Tu dévoiles dans The rubber duckie experiment une forme de cynisme qu’on ne te connaissait pas.
Q : En réalité, je ne voulais pas être simplement cynique. En fait, je vais t’expliquer ce qu’est le rubber duckie. Après les évènements 11 septembre, j’étais vraiment bouleversé. Mon grand frère est dans l’armée, et mon petit frère est en prison. C’est pour cette raison que j’avais écrit cette rime « between army barriers and prison sheets, I can’t sleep« . J’ai commencé à écrire les textes deux jours après les événements du 11 septembre, et à ce moment j’étais comme déchiré. Je ne voulais surtout pas faire un album 11 septembre, je suis sur que des millions de personnes vont le faire. Après, je ne sais pas exactement ce qui se passe, donc je ne vais pas tenter d’expliquer ce bordel. J’ai juste retranscrit ma frustration. Aux États-Unis, ils ont transformé la tragédie du 11 septembre en une vraie publicité. Partout ils te ressortaient des »God bless America ». Tu allais au Mc Do, y’avait une promotion sur les Big Mac, avec le prix et juste en dessous »God bless America ».
Les gens ont commencé à acheter des drapeaux américains à en mettre partout. Oui, c’était tragique mais ça a pris des proportions démesurées. Les citoyens américains sont des rubber duckies. Sur Terre, il y a plus de rubber duckies que de vrais canards, plus de gars qui imitent qu’autre chose. Tu sais, tout ce bordel m’a rendu cynique…et je te passe l’anniversaire du 11 Septembre. A la TV, ils annonçaient deux jours avant, des journées spéciales et tout le bordel.
A : Tu rappes a cappella sur un titre, ‘Silence’, très sombre, penses-tu que certains de tes textes se suffisent à eux-mêmes ?
Q : En fait, pour ce morceau, je voulais faire ressortir l’émotion suivante. Je marche dans une pièce pleine de rappeurs, et bien bruyante. Moi je rentre tranquillement, en sifflotant, et moi je me parle à moi-même. Je voulais rester modeste et mesuré. Parce que quand tu vois ce qu’est devenu la musique. Putain, dans un des deux albums de rap choisi pour les Grammy Awards, le refrain du single c’est « It’s getting hot in here, so take off all your clothes. » Merde, les gens sont sourds ou quoi ? Parce que c’est pas seulement de la musique de merde, tu as les gens qui sont dessus à remuer leur cul. C’est ça l’Amérique, ils veulent qu’on reste stupide mec.
A : Ouais, ben ça c’est valable pour plein de genres musicaux. Trop souvent ce sont les morceaux dénués de sens qui sont mis en avant.
Q : Oui, malheureusement.
A : Tu produis un morceau, ‘Ugly Widow’, la production c’est une autre façon de t’exprimer ?
Q : Oui, c’est un moyen d’expression bien plus relaxant. Tu exprimes tes sentiments différemment, c’est peut-être plus simple. La musique parle d’elle-même et donne le ton. Cette production était très simple, juste avec une boucle, mais j’en suis content.
« Tu peux dire ce que tu veux, mais la musique ça va plus loin que dire : je suis le meilleur. »
A : Envisages-tu de t’investir plus dans la production dans les années à venir ? Ou était-ce juste une expérience comme ça ?
Q : Je ne sais pas vraiment. En fait les DJs avec qui je travaille, je considère qu’ils sont parmi les meilleurs. Je ne travaillerais pas avec eux s’ils ne faisaient pas musicalement, ce que je fais au niveau des paroles. Si je gère la production et l’écriture des paroles, peut-être que ce serait mieux. Mais j’suis super occupé, mais je vais essayer de m’y mettre plus tard.
A : Tu es proche de pas mal de MCs, pourtant tu n’as invité aucun rappeur sur ton album, pourquoi ?
Q : En fait, je voulais exprimer une vision assez personnelle, au contraire de ce que j’ai pu faire avec Typical Cats par exemple.
A : Tu as fait beaucoup de battle rhymes, y compris à la radio, que t’apporte le contact de la scène et du public ?
Q : En fait j’ai participé à des battle rhymes quand j’étais plus jeune. Mais j’ai véritablement commencé à écrire des rimes à 19 ans, et je n’ai que 22 ans. Quand tu as des grandes battles d’organisés, tu peux sortir des trucs à quelqu’un qui vont le calmer pour le reste de sa vie. Tu peux dire ce que tu veux, mais la musique ça va plus loin que dire « je suis le meilleur. » Sage Francis m’a dit un truc un jour. Je considère que c’est le meilleur commentaire que tu peux avoir à propos des battles. Il m’a dit « regarder une battle rap, c’est comme observer un peintre sur une scène, un pinceau à la main et te décrivant ce qu’il va peindre. » En fait, je pense qu’il y a mieux à faire que d’essayer de provoquer des artistes qui sont proches de moi.
A : Quels plaisirs et besoins ressens-tu a jouer live avec des musiciens ?
Q : Jouer avec un groupe c’est spécial. C’est un peu comme la différence entre digital et analogue. La musique live c’est plus chaud, plus vrai. On a fait ce concert en Belgique il y a peu, je gueulais tellement fort dans le micro que les gars ils ont voulu m’arracher le micro des mains. C’est ça le live !
A : Quel est le plus important pour toi, découvrir le public français ou que le public français te découvre ?
Q : Ah, déjà être à Paris, observer les gens ici c’est fort. Après avec tout ce qu’il y a faire à Paris, penser que des gens ont le temps d’écouter ce que je fais, moi, c’est incroyable. Rencontrer le public français, savoir que certains écoutent notre musique, qu’ils comprennent les paroles ou pas, c’est un sentiment exceptionnel.
A : Quels sont tes projets pour les années à venir ?
Q : A court terme, on va essayer d’enregistrer un album live, on va travailler là-dessus. A coté de ça, j’écris un livre, et je prévois d’en écrire un autre.
A : Merci pour cette interview. Tu veux ajouter quelque chose ?
Q : Merci d’avoir lu cette interview, et ne prenez pas tout ça trop sérieusement, je suis dingue.
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