J-Live
Décembre 2002. 24ème édition des Transmusicales de Rennes. Rencontre avec une des principales attractions du festival Rennais, J-Live, quelques heures avant un concert en forme de démonstration de emceeing. Du rap dans sa plus pure expression.
Abcdr : Ton premier album est sorti officiellement fin 2001 après avoir été bootleggé plusieurs fois, quel bilan fais-tu aujourd’hui de toutes ces péripéties ?
J-Live : Nous avons bouclé la création artistique de l’album en 1999, même s’il n’était pas sorti officiellement dans les bacs. Toute cette histoire est finalement devenue une espèce de légende urbaine. Et même s’il a été bootleggé, ce n’était pas si catastrophique car ce n’était pas comme si le version bootelegg était en concurrence avec une version officielle. Finalement, ça a permis à mon nom de circuler, de continuer à me faire connaître, pour après finaliser All of the above, et sortir officiellement The Best Part.
A : Sur The Best Part, tu as travaillé avec quelques uns des plus grands producteurs, Prince Paul, DJ Premier, Pete Rock. Quel souvenir gardes-tu de ces collaborations ?
J : Plus qu’une ou deux rencontres, je vois les choses de façon plus générale. Je retiens l’ensemble de l’expérience de The Best Part. J’ai appris un petit peu de chacun des producteurs avec qui j’ai travaillé, et eu la possibilité de connaître ceux que j’écoutais depuis des années. Mes modèles sont aujourd’hui mes pairs. Après, j’essaie d’approcher le même niveau de qualité que tous ces artistes que j’ai écouté pendant des années. C’est en travaillant avec eux que je pourrais y parvenir.
A : J’imagine que ces rencontres t’ont aidé dans ton approche de la production
J : Oui, j’ai appris un petit peu de chacun des producteurs avec qui j’ai pu travailler, et particulièrement avec DJ Spinna. Ils ont tous été de véritables exemples pour moi. Jazzy Jeff m’a beaucoup appris au niveau du business, Premier pour le professionnalisme, et Spinna au niveau de la technique pure.
A : Tu t’es beaucoup investi dans la production de ton deuxième album, All of the Above, envisages-tu de continuer un peu plus dans ce sens dans les années à venir ?
J : Oui tout à fait. J’ai produit un tiers des morceaux de All of the Above, je prévois d’assurer la production de la moitié des morceaux de mon prochain album et la totalité du suivant. Voilà les objectifs que je me suis fixé. J’ai aimé travailler avec d’autres producteurs, mais aujourd’hui il s’agit plus d’un luxe que d’une nécessité.
« J’ai fait cette pochette en hommage à Blue Train, c’est un des premiers albums de jazz que j’ai eu. »
A : All of the Above regorge de sonorités jazzy, la pochette du disque est inspirée de Blue Train, l’album de John Coltrane, le jazz tient-il une place particulière au sein de tes influences musicales ?
J : Oui, c’est vrai que le jazz est un thème récurrent sur cet album. J’ai fait cette pochette en hommage à Blue Train, car c’est un des premiers albums de jazz que j’ai eu, grâce à mon oncle. J’ai voulu faire une forme de lien entre les deux genres musicaux, comme ça les gens qui connaissent John Coltrane remarqueront mon album, et inversement. C’est une des raisons pour lesquels j’ai pu faire ça, et ensuite, j’aime beaucoup fusionner ma musique avec le jazz.
A : Musicalement, considères-tu que tu t’inscris dans la lignée de la Native Tongue ?
J : Les gens voient d’un oeil extérieur un certain lien entre la Native Tongue et moi-même. Evidemment, je les ai écouté pendant tellement d’années qu’ils m’ont naturellement influencé mais je n’ai vraiment pas chercher imiter qui que ce soit.
A : De nombreux instruments ont été utilisés dans All of the Above, s’agit-il d’une évolution vers laquelle tu aimerais tendre ?
J : Je ne vois pas les choses en terme d’évolution, j’essaie juste de faire de la bonne musique. Je ne me fixe pas ce type d’objectifs. Quand j’ai demandé à Spinna d’ajouter un certain type de son au beat qu’il avait fait, on a trouvé quelqu’un pour jouer la mélodie. Aussi, quand on n’a pas pu clearer les samples, comme pour ‘The 4th 3rd’ et ‘How real it is’ on a ramené quelqu’un (Eric Krasno) pour le jouer à la guitare. On aime bien faire ce genre de choses, que ce soit de la guitare, du piano ou d’autres instruments.
Pour le prochain album, il y aura sûrement de la flûte, du violon, à vrai dire on ne sait jamais à l’avance. Après, je ne sais pas s’il s’agit réellement d’évolution, car en réalité la musique est toujours bien présente, qu’elle soit issue de samples ou qu’elle soit jouée. On essaie surtout d’amener des idées nouvelles et de travailler avec des sons inédits.
A : Joues-tu toi-même des instruments de musique ?
J : Quand j’étais jeune, je jouais du piano. J’ai commencé à apprendre la contre basse mais je n’ai jamais terminé. J’espère pouvoir étudier plus tard, si j’ai le temps, l’approche théorique de la musique un peu plus dans le détail. Je voulais apprendre aussi à la batterie, pour ressentir au mieux le rythme.
« Tous les MCs ont un message à faire passer, qu’il soit positif ou négatif, optimiste ou pessimiste. »
A : Tu étais professeur, et on ressent dans certains de tes morceaux une envie d’éduquer, de donner des conseils, tu dis dans ‘How Real it is’, « the illest weapon ain’t your nine boy, it’s your brain« , vois-tu des similitudes entre le rôle de professeur et celui de MC ?
J : Oui, tout à fait. Un bon professeur doit bien animer une salle de classe, il doit aussi avoir une scène pour parler, et un ordre de présentation bien établi, comme lors que tu as le micro dans la main. On peut trouver effectivement un certain nombre de points communs entre les deux fonctions, notamment dans le souci d’intéresser et de s’adresser à un public.
A : Certaines formes de rap n’ont pas ce souci d’éduquer son public, qu’en penses-tu ?
J : Non, je ne sais pas. Si tu étudies précisément chaque MC, qu’ils soient présentés comme faisant du gangsta rap ou autre chose, tu réalises qu’ils ont tous un message à faire passer, qu’il soit positif ou négatif, optimiste ou pessimiste. L’immense majorité des MCs ont des choses à dire à la jeunesse. Et même si les propos négatifs, lorsqu’ils sont exprimés en musique, ils peuvent avoir des conséquences très positives. Enfin, après, certains traits sont glorifiés avec une telle ignorance, qu’il n’y a parfois pas grand chose à retirer. Mais je pense qu’il faut juger chaque artiste individuellement en fonction de la sincérité qu’il peut avoir vis à vis de sa musique.
A : Tu évoques dans ‘Satisfied’ les évènements du 11 Septembre, en tant que New-Yorkais comme as-tu vécu cet événement ?
J : Mal bien entendu. C’était un événement tragique, j’ai malheureusement des amis qui ont perdu des proches pendant ce drame. Après les gens ont eu des réactions très différents par rapport à cet événement, mais je ne pense pas qu’un tel drame puisse avoir des répercussions positives, à part si ça aide certains à se rendre compte de ce qui passe dans le monde. Dans ce cas, j’espère que le 11 Septembre permettra aux gens de prendre conscience pourquoi cet événement a eu lieu et quelles en sont les raisons. En comprenant les tenants et les aboutissants de tout cette affaire, les Américains pourront réagir différemment et donner une autre vision de l’Amérique. Je pense que beaucoup de gens voient les Etats-Unis uniquement à travers les actions de son gouvernement, et ne réalisent pas que ces agissements ne reflètent pas toujours les idéaux de sa population.
A : Tu étais déjà venu en France il y a maintenant plusieurs mois de cela, notamment pour un concert à Paris. Quel image as-tu du rap en France ?
J : Je n’ai pas vraiment eu l’occasion de découvrir le rap français lors de mon passage la dernière fois. J’ai quand même vu qu’il y avait un véritable intérêt pour la musique, et une approche propre du rap en raison des spécificités culturelles Françaises. Lors de mon concert à Paris, j’ai ressenti un véritable soutien et respect de la part du public pour ma musique. Je ne parle pas français, je n’ai donc pas pu juger de la pertinence des paroles, mais juste me rendre compte de la qualité des productions et du flow des MCs. Mais, il y a à coup sur des bonnes choses en France.
A : Qu’écoutais-tu ces derniers jours ?
J : En ce moment j’écoute le dernier album de The Roots, celui de Soulive, le nouveau El Da Sensei. Pas mal de choses à vrai dire, selon mon humeur.
A : Quels sont tes projets pour les mois et années à venir ?
J : Ma femme attend un enfant qui devrait naitre courant Février. Je vais prendre un break à partir de fin Décembre pendant quelques mois. Je vais aussi en profiter pour écrire, enregistrer et préparer le prochain album.
A : On l’attend impatiemment…
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