String Theory
String Theory
« Rap is outta control » lançait EPMD en 1990. Près d’un quart de siècle plus tard, on pourrait s’écrier la même chose, mais pour des raisons différentes et probablement inenvisageables à l’époque. Le genre a connu son âge d’or médiatique et commercial puis il s’est globalisé, alors que parallèlement il est devenu possible à une part non-négligeable de l’humanité de produire et de diffuser elle-même sa musique. Le rap s’est ainsi complètement éparpillé et, disons-le franchement, ce joyeux bordel est plutôt excitant. Il y a abondance de projets, de collaborations, de créativité, souvent pour pas un rond. Et surtout, le prochain artiste à nous mettre une claque mémorable peut débarquer n’importe quand, de n’importe où.
Le disque éponyme qui nous intéresse ici est tout à fait symbolique de ce décor chamboulé. String Theory réunit un MC, Hex One et un beatmaker, Boom-Bap Zombie (!) Darney. Le premier est américano-colombien, réside dans le sud de la Floride, et fait ses armes depuis plusieurs années au sein du duo Epidemic, auteur l’an dernier du remarquable Somethin for tha Listeners. Le second est suédois et titille nos oreilles depuis quelques temps également, même s’il facture moins de dix-huit piges.
Le son, lui, est d’inspiration new-yorkaise. Puisque la comparaison est inévitable, String Theory rompt avec la simplicité et la douceur de Somethin for tha Listeners. Tout est ici plus froid. Là où de nombreux jeunes producteurs sont de formidables techniciens dont les instrumentaux manquent souvent d’âme et de pérennité, BBZ propose une musique à la fois complexe, profonde et marquante. Dans la lignée de ses travaux précédents (avec uMang notamment), le Suédois impose une patte aux contours de plus en plus nets, aérienne et mélancolique, reposant essentiellement sur des nappes et des samples de claviers.
Hex One est de son côté fidèle à lui-même. Le propos se veut sensé et pondéré. Le flow est irréprochable d’un point de vue technique, mais manque assez cruellement de variation, demeurant identique tout au long du projet, malgré des ambiances variées. Clairement, il ne manque qu’à Hex One de se lâcher un peu, de communiquer son plaisir de rapper, pour faire des disques géniaux. Car ses choix artistiques ne pourraient pas être beaucoup plus judicieux : le garçon sait s’entourer de producteurs efficaces et leur laisser la place nécessaire pour faire des projets cohérents de bout en bout, denrée devenue rare.
String Theory est court, étant même rangé (de façon discutable) dans la catégorie EP par ses auteurs. On regrettera donc d’autant plus un petit passage à vide en milieu de disque, après un départ canon (« Currents », « Theory of Everything », « All Beautiful »). Il n’y a pas beaucoup plus de points négatifs à citer au moment de faire le bilan de la quarantaine de minutes passées avec Hex One et BBZ Darney. Des jeunes gens avec beaucoup de suite dans les idées, voilà ce que c’est aussi, le rap en 2014.
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