Chronique

Roc Marciano
Marci Beaucoup

ManBitesDog Records - 2013

En deux albums, Roc Marciano s’est imposé comme une figure incontournable du rap hardcore new-yorkais. Avec Marcberg et Reloaded, pavés de bitume glacé sortis en Maserati des égouts d’Hempstead, il se créait une stature imposante : celle d’un mac impitoyable, amateur de grosses fesses et de grosses cylindrées, mais tout de même assez fin pour ajouter Hitchcock et Charlélie Couture à la liste de ses références. Lyriciste riche et acéré, beatmaker talentueux et créateur d’ambiance, Roc Marciano est un peu tout cela à la fois. C’est donc naturellement que l’on attendait de lui un troisième album capable de réunir chacun de ces aspects, avec le même aplomb que les deux premiers. Le contrat est rempli, mais les clauses largement modifiées. Concrètement, Marci Beaucoup n’a plus grand-chose à voir avec ses grands-frères. À vrai dire, il ressemble davantage à The Pimpire Strikes Back, la mixtape sortie avant l’album en guise d’apéritif. Beaucoup d’invités (un par titre au minimum), beaucoup de variété pour au final beaucoup de qualité mais aussi un manque flagrant d’harmonie. Si cela ne gênait pas vraiment Pimpire (après tout, c’est le propre des mixtapes que de s’affranchir des règles de l’album), c’est beaucoup plus difficile à avaler pour ce qui est censé être le troisième disque solo de Marciano. Sauf que – retournement de situation – Marci Beaucoup n’a jamais eu pour vocation d’être la prolongation des deux précédents opus. Il faut remonter à février 2012, et une interview du bonhomme sur HipHopDX, pour découvrir qu’il était en réalité prévu de longue date comme un album de producteur. Une précision importante, et pourtant à peine survolée lors de sa promo. Reste que ceci acquit, on comprend mieux le pourquoi du comment.

Marci Beaucoup, c’est donc pour Roc Marciano l’occasion d’exercer ses talents de musicien sur quinze pistes et d’inviter à peu près autant de guests à tailler le bout de gras sur ses productions. Pris comme tel, l’album est effectivement une réussite. On le sait, la casquette de producteur de l’ex-Flipmode Squad est autant sinon plus impressionnante que sa casquette de rappeur. Pour rappel, l’homme produisait déjà – et pas avec les pieds – l’intégralité de son premier disque, et environ 75% de son second. Pour le troisième cependant, l’ambiance est radicalement différente. Le froid presque polaire qui enveloppait Marcberg et Reloaded a laissé place à quelque chose de plus tempéré, et de plus disparate. À vrai dire, il est même difficile de dégager une véritable tonalité à Marci Beaucoup, dont les couleurs virent rapidement d’un opposé à l’autre, d’un morceau à un autre. « Drug Lords », c’est un hiver urbain et rigoureux, où neige de la cocaïne en gros flocons et où la poudreuse ne fond pas. « Dollar Bitch », c’est une plage de côte d’Azur un 31 août, un cocktail siroté à la paille et des pépées en maillot de bain bonnet D qui tapent le beach-volley. Et rebelote sur les deux pistes suivantes, où l’excellent « Didn’t Know », avec son instrumental glacial et martelant, précède un « Soul Music » chaleureux plein de torpeur. Si la personnalité du disque en pâtit, il faut reconnaître que, considérant les titres indépendamment, ce dernier offre plusieurs grands moments de production. Comme les violons noirs de « Squeeze », qui engourdissent, jusqu’à ce qu’une voix samplée décolle et vienne délayer le tout au dernier moment. Ou « Love Means » qui joue sur la répétition à outrance, avant de laisser le sample de The 5th Dimension suivre son cours, pile au moment où l’on sentait poindre l’agacement… Dans les mains de n’importe qui d’autre, il y a fort à parier que ce genre de matériau supra-éprouvé ennuierait ferme. Sauf que Roc Marciano maîtrise avec une perfection insolente l’art de la boucle courte. À base d’échantillons triés sur le volet, il a ainsi pu s’atteler à la confection de tissus sonores de premier choix. Il y a certes quelques essais moins concluants dans le dernier tiers (« Confucius », « Willie Manchester », « Cut the Check ») mais globalement, et malgré le manque d’homogénéité évoqué, Marciano ressort de l’exercice avec les honneurs.

Le problème, c’est que l’autre versant du disque souffre du même défaut de cohérence. Sur le papier, le nombre de featurings laissait craindre le pire. Marciano est avant tout un faiseur d’ambiance et un rappeur d’images, qui n’est jamais aussi bon que lorsqu’on lui laisse l’espace pour développer son univers. Dans les faits, le résultat est loin d’être mauvais. Les invités, partagés entre les vieux de vieille (Evidence, A.G…), les habitués (Ka, Knowledge the Pirate…) et les plus confidentiels (Maffew Ragazino, Quelle Chris…), ne sont pas des bras cassés. De là à dire qu’ils sont à leur place, c’est autre chose. À de rares exceptions près, c’est le magnétisme de Roc Marciano qui accroche l’auditeur, bien plus que les apparitions de ses pairs. Sans compter que son univers si particulier (fait de maquereaux, de V12 et de coke mais aussi très référencé) et dans lequel il excelle n’est pas des plus faciles à investir. Quand certains se prêtent au jeu, d’autre semblent moins à l’aise dans ce registre : si l’alchimie prend sans mal avec Action Bronson par exemple, elle est un peu plus difficile à mettre en route avec Evidence. Ce manque de cohérence globale devient l’écueil majeur d’un disque composite, sûrement trop désordonné pour son auteur, et pour l’auditeur qui peine à rentrer dedans. Si bien que malgré des qualités évidentes, il est difficile de considérer Marci Beaucoup comme le vrai troisième album studio de Rakeem Calief Myer. On parlera plus volontiers d’un projet intermédiaire, par ailleurs très recommandable, mais qui n’a ni l’épaisseur ni la tenue impeccable de ses aînés. Mettez-le dans la rue face à la concurrence, et ce Marciano se pavane toujours avec une classe folle. Mettez-le chez lui devant son miroir, il paraît affreusement débraillé.

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