Mo'vez Lang
Héritiers de la rue
1999, les membres de Mo’Vez Lang rappent depuis presque une dizaine d’années. À neuf ans déjà, LIM, Cens Nino et Boulox squattaient dans les halls et en profitaient pour tailler leurs rimes, entre autres. Repérés par Les Sages Poètes de la Rue, les trois gamins ont fait parler d’eux en foulant de nombreuses scènes locales et en brûlant les freestyles. Tous originaires de Boulogne-Billancourt, il était logique que ces deux formations se rencontrent pour travailler ensemble, la première sous l’aile de la seconde, pour ériger leur ville en véritable école de la rime et de l’assonance. Après leurs premiers titres posés sur les Cool Sessions Vol. 2, la compilation Dans la sono de Beat 2 Boul et le premier album des Sages Po, et après avoir assuré les premières parties de ces derniers, Mo’Vez Lang sort son premier album. Enregistré en un seul mois, Héritiers de la rue condense toute la spontanéité et la fougue des jeunes rappeurs, couplées à l’expérience et à la créativité des producteurs (dix-sept morceaux produits par Melopheelo, trois par Zoxea et deux par Egosyst). Les deux frères des Sages Po gèrent la direction artistique et produisent la majorité des morceaux, conférant au disque une ambiance funky et dynamique tout en restant sombre et réaliste. Tout comme l’indiquent la pochette et le titre, la rue est au centre de l’album : délinquance, violences policières, consommation de drogues, aucun filtre n’est utilisé pour s’exprimer sur ces sujets, même le voile de la pudeur tombe à certains moments pour revenir de façon très sincère sur une jeunesse parfois désabusée. Malgré le constat amer des textes, la réalisation a fait en sorte qu’on se souvienne de Héritiers de la rue comme un album touchant, entraînant et positif.
Melopheelo
(Sage poète de la rue, réalisateur de l’album Héritiers de la rue)
« Mo’Vez Lang était un groupe chapeauté par mon frère Zoxea, c’est lui qui les a rencontrés pour la première fois. C’étaient des petits du quartier qui suivaient un peu notre évolution à travers la musique et qui se sont mis à rapper. Je me souviens que Zoxea faisait régulièrement des ateliers d’écriture avec eux, ils venaient rapper à la maison quelques fois. C’est d’ailleurs lui qui a trouvé le nom du groupe, c’est le nom qui les représentait le mieux. Quand on a monté notre label Beat 2 Boul, ils faisaient naturellement partie des premiers groupes, c’était une famille. Zoxea n’était pas disponible à 100% à l’époque car il était en studio pour l’enregistrement de son premier album, À mon tour de briller. Du coup j’ai pris le relai sur le projet. Après leurs nombreuses apparitions, ils étaient assez matures pour entrer dans une aventure d’album. On a tout fait à la maison, je me suis occupé de la réalisation des productions, en allant aussi chercher des producteurs extérieurs pour donner du relief. J’apportais certains thèmes, des refrains sur des morceaux ou j’aidais un peu quand je sentais que le texte pouvait aller plus loin. En plus des délais de rendu, on était dans une sorte d’urgence car ils se sentaient prêts à dire les choses, à se dévoiler enfin sur un long projet. On sent d’ailleurs cette urgence dans les interprétations de LIM, il est habité. Avant de commencer, j’avais demandé aux garçons de me ramener des disques, des influences, des choses qui leur parlaient. LIM a ramené de la musique orientale, Cens Nino a ramené des disques africains, j’ai construit les morceaux autour de ça. Mo’Vez Lang est un groupe de quartier à la base, il fallait donc que ce soit très street, notamment par rapport au titre qu’on avait déjà trouvé avant de commencer l’album. C’est la rue qui les a accouchés, c’est cette métaphore qu’il fallait garder, la D.A. c’était donc de raconter sa vie au quotidien, en passant par plein de sentiments, de périodes bonnes ou mauvaises. Sur l’album, il y a trois interludes, des moments un peu calmes durant lesquels les artistes se présentent. Pour chacun, j’avais récupéré une portion d’un morceau que j’écoutais, je le mettais dans les machines et je leur demandais de parler d’eux, ce qu’ils ont fait d’une traite, en disant ce qu’ils avaient sur le cœur. Je pense qu’on a trouvé la bonne alchimie entre les titres, les textes, les thèmes, de façon très naturelle, et on a fait en sorte que ce soit leur album. Ce disque a eu un impact important sur la génération de l’époque en termes de lyrics, jusqu’à aujourd’hui encore, cet album a une vision de la rue très palpable. Je pense qu’il est peut-être arrivé trop tôt par rapport à l’époque mais il a eu un très bon succès d’estime, ils avaient rempli toutes les cases pour moi, je suis fier d’avoir travaillé dessus. » – Propos recueillis par l’Abcdr du Son en décembre 2019.