La Ménagerie
En Vous
En 2019, il ne reste rien ou presque de La Ménagerie dans les mémoires collectives. Peut-être leur titre sur la mixtape Bonjour la France, parue en 2000 à l’initiative de Fabe. Sûrement aussi, pour quelques acharnés, les incroyables cabrioles verbales de Moudjad durant les années 2000, que ce soit en solo, en featuring, avec Grems, Triptik ou La Fronce. L’évanescence de ce petit bout d’histoire rap français est logique quelque part, puisque La Ménagerie ne fera qu’un seul album au complet : En vous. Déjà auteurs d’une cassette démo en 1996, le trio d’Annecy et leur beatmaker Djé voient leur son cantonné essentiellement aux vallées alpines. Prenant le contre-pied du rap conscient adopté par le groupe phare de la ville, Impact, Moudjad, Bat le primate et Dekpo livrent un album à la pochette ringarde mais au son qui poursuit un seul objectif : le groove. À l’exception de l’hymne limite breakbeat du groupe (« La Ménagerie »), l’album est trempé dans des influences funk. Des grosses basses filtrées accompagnée par un sample de Fabe (« Du jamais vu ») et parfois même jazz (Ahmad Jamal y est samplé) s’enchaînent 22 (!) pistes durant. Produit dans une cave, avec l’aide d’un futur ingé-son de la Radio Suisse Romande, l’album est étonnant et détonne à l’époque. Entre égotrip, attitudes désinvoltes et concepts sortis tout droit d’un bestiaire, En vous tranche avec l’attitude arrogante et désinvolte de ces MCs. C’est un disque hyper appliqué dans ses performances, qui respire la volonté de performance et est très bien produit pour une sortie faite en do-it-yourself. Avant de se disloquer dans la furie parisienne et de se prendre le mur que tout rappeur proclamant « ne sachant rien faire d’autre que rapper » croise un jour sur sa route, La Ménagerie était un OVNI frais, définitivement prêt à ramener le bruit comme ils le disaient sur Bonjour la France. Dabaaz reconnaissait d’ailleurs, au détour d’une conversation avec L’Abcdr en ce mois de décembre 2019, que la Ménagerie avait été une influence pour lui : « On les a connus via le Sept et on a tellement aimé leur son qu’on les a invités sur notre EP, sorti la même année que leur album. Ils avaient une façon de rimer que très peu de rappeurs avaient en France. Il y avait des similitudes avec nous, mais eux m’ont mis une vraie claque, particulièrement Moudjad. » Comme quoi, il y en a au moins quelques-uns qui tendaient l’oreille au-delà d’Annecy !
Moudjad
(Rappeur de La Ménagerie)
« La Ménagerie, c’était Dekpo, qui venait du groupe Extralarge et moi. Mais très rapidement, ça a aussi été Djé, le beatmaker d’Extralarge qui nous a naturellement rejoint, ainsi que mon pote Bat. Digit est notre DJ et en 1996, on sort une première K7 démo sur laquelle Bat ne rappait pas. Puis Yannick, alias Nick Larsen, intègre aussi le groupe. C’est aujourd’hui un responsable respecté au sein de la TSR. [Télévision Suisse Romande, qui est aussi une radio, NDLR] Il a eu beaucoup d’importance dans notre tout petit parcours, surtout local, car il était plus mature. Il poussait beaucoup le groupe, nous encourageait. Et c’est aussi ses talents qui ont permis qu’on sonne vite assez bien. Il nous avait aménagé un studio dans le cave de la grand-mère de Dekpo. On a tout enregistré dans cette cave, où on était fourrés quasiment tous les soirs et chaque week-end. Djé nous faisait des instrus comme un fonctionnaire. On choisissait les samples avec lui, et avec Dekpo, on ramenait les concepts. On voulait faire un truc qui groove avec un côté très instinctif et animal, un rap plus funk, festif. C’est là qu’on fait notre première erreur : on veut tout garder pour l’album, on est persuadés qu’il faut qu’on sorte tout ce que l’on produit. Quand on le termine, on l’envoie en Suisse pour le mastering. Le rendu s’avère dégueulasse, on n’apprécie pas du tout le travail qui a été fait. C’était tellement dégueulasse qu’on a décidé de faire le master nous-mêmes, avec une mixette de DJ. On s’en est servie surtout pour pousser les basses. Il y avait aussi les limites techniques de l’époque, les moyens limités qu’on avait en autoproduction. On a eu un grain particulier sur les sons que les vieilles machines et les contraintes matérielles permettaient d’obtenir. En plus Nick Larsen aimait beaucoup le côté technique du hip-hop et il a réussi à faire sonner le disque de la bonne façon. Même si ce n’est pas le meilleur album que j’ai fait d’un point de vue technique, c’est un disque qui sonne encore bien si l’on excepte la pochette qui était notre troisième erreur. [Rires] On a voulu faire comme dans le livret de The Love Movement de A Tribe Called Quest, mais on a tout foiré en voulant tout faire nous-même. La pochette est finalement devenue la mochette. » – Propos recueillis par l’Abcdr du Son en octobre 2017.