La Cliqua
La Cliqua
Quand La Cliqua sort son premier album, quatre ans se sont écoulés depuis Conçu pour durer. Presque une éternité pour le rap français, qui fait qu’en 1999 le groupe qui incarnait le renouveau n’est plus qu’une équipe de qualité parmi d’autres. Gavé d’excellentes sorties, le public a un peu oublié Rocca et les siens qui, entretemps, ont perdu Egosyst et Kohndo. Placée dans une dynamique assez négative, La Cliqua compte sur ce premier long format pour renverser la vapeur. Hélas les ventes démarrent très mollement, le peu de cohésion qui existait entre les membres s’évapore et le groupe disparaît sans trompettes ni tambours dans les semaines qui suivent. Pourtant, cet album éponyme est loin d’être mauvais. D’une constance assez remarquable, il sort malheureusement alors que le soufflet est bien (trop) retombé. Sa ligne directrice apparaît également un peu trop éloignée de ce qui a fait le succès de La Cliqua : la virtuosité et la légèreté de Conçu pour durer sont en effet rangées au placard pour un rap plus dur, plus rectiligne, plus percutant. Une mutation qui en désarçonnera beaucoup, mais force est de constater que le groupe s’en sort plus que bien et qu’on ne s’ennuie pas : les morceaux remarquables s’enchaînent, dans un style maîtrisé et implacable, autant du côté des rappeurs que des producteurs. L’album s’achève avec « Un dernier jour sur terre », récit clinique de l’apocalypse décliné par Rocca et Daddy Lord C et peut-être le morceau le plus marquant de La Cliqua. Une belle manière de clore le parcours d’un groupe majeur de l’histoire du rap français, puisqu’il devait s’arrêter là.
Le Chimiste
(Producteur de La Cliqua, cofondateur d’Arsenal Records)
« Cet album c’était un peu la carte de la dernière chance, après les départs d’Egosyst et de Kohndo. Tout le monde avait besoin de thune et les gens attendaient depuis trop longtemps. On avait sorti une compilation, les solos, Ideal J, Hasheem mais pas d’album de La Cliqua. Et on avait commencé à signer des artistes en développement, notamment Mr JL et Nino. On avait un contrat de cinq ans avec Barclay, mais Barclay et Polygram ont été rachetés par Universal. Ils ont fait des audits dans toutes les sociétés affiliées pour vérifier la santé financière de chacune et conserver celles qui pouvaient les intéresser. Donc on a sorti l’album en espérant que ça fasse un carton pour qu’on nous garde en licence. Mais il n’a pas marché. On a eu 20 000 précommandes au lieu des 50 000 prévues. On a fait 30 000 au bout de trois mois alors qu’on avait espéré en faire 60 voire 100. Les ventes n’ont pas suivi, les artistes étaient déçus… et Universal a fermé les robinets, plus d’avances, plus d’argent. On est passés à la trappe. Trop de frais, pas assez de profits. Très vite, mon téléphone ne sonne plus autant qu’avant. Si j’avais eu le soutien de mes artistes, j’aurais été prêt à assumer le maintien en vie du label via d’autres réseaux de distribution. Mais l’éclatement de La Cliqua était en route depuis bien longtemps. Le groupe n’était même pas encore fondé qu’il s’effritait déjà. De par les personnalités, les mentalités et les âges différents. Au tout début, il y avait un très bon feeling entre nous, on a kiffé les uns sur les autres et on avait une super énergie. Et comme cette énergie était puissante, on s’est fait vite remarquer et on a eu des fans, du monde autour de nous. Le succès, l’argent, la jeunesse et l’inexpérience… A la sortie du dernier album, les artistes ne veulent plus faire la promo, plantent les interviews, manquent aux concerts. Les egos avaient pris des dimensions inattendues. L’argent qui aurait dû être un moteur pour la productivité du groupe était devenu un virus qui a rapidement entamé nos relations. » – Propos recueillis par l’Abcdr du Son en juin 2014.