Kalash
Flot de mots
Dans le dix-huitième arrondissement de Paris, à proximité d’Assassin Productions, Jack Mes et Viktor Coup?K sortent leur premier disque. Sans être réellement signés sur la structure qu’ils côtoient néanmoins via leur participation à la série L’Avant Garde (voir par ailleurs), le duo qui s’est aussi fait connaître localement grâce aux mixtapes Mizérecord s’approche le temps d’un maxi du digne successeur d’Assassin. Si Kouka est un maître de l’improvisation, son flow ne fait pourtant pas d’étincelles sur ce premier disque signé Kalash. Plus étonnant même, il a le timbre rugueux qui le ferait presque passer pour un rappeur marseillais. Mais entre la référence aux troquets du dix-huitième arrondissement, le « Penche toi sur la conscience » de Rockin’ Squat et le « Quand ce monde se délabre » de Casey scratchés, le maxi commence par une profession de foi du rappeur conscient. Si le beat tourne à merveille dès la première piste, si le rappeur de Kalash est solide sur ses placements, c’est la suite de Flots d’mots qui vaut son pesant d’or. « Notre échec » est un merveilleux morceau engagé, déjà clairement politisé, antifa et critique de la police, même si le rappeur ne s’y range derrière aucune bannière. « Notre échec » et son sample de cordes bien tabassé de caisses claires sèches ramène habilement les bavures policières sur le devant de la scène, en citant simplement trois dates qui « fouettent la haine du clebs enragé » et « respirent la souffrance. » Cocktail d’idéaux de dix minutes, ce premier maxi se termine en défiant les inégalités et les impostures de la gentrification sur une forme de fausse impro bouncée. Et si tout ça peut sembler aujourd’hui une recette rap un peu datée, ce premier maxi de Kalash est finalement toujours aussi actuel dans son fond qu’il est encore solide dans sa forme. De quoi vérifier la maxime que Viktor cultive encore aujourd’hui sous forme de rasades d’électro-punk : « le flot d’mots s’écrase comme une grosse paire de Docks. »
Viktor Coup?K
(Rappeur de Kalash)
« Notre premier maxi, Flot d’mots, est enregistré au studio Marcadet. On est signés sur un label de musiques électroniques, Brif Records, qui met vraiment des moyens pour un groupe de rap qui n’a jamais rien sorti. Ce qui est marrant, c’est qu’on enregistre ça au même studio et au même moment que La Caution avec qui on avait partagé le premier volume de L’Avant Garde. Pour eux aussi, c’est leur premier maxi. Ils sont dans la salle à côté de la nôtre et, comme nous, c’est Dawan qui réalise leur maxi et Bruno Sourice qui est leur ingé son. Finalement, dans l’organisation, la seule différence c’est le label puisque eux sont signés chez Assassin productions. De notre côté, Brif Records était un petit label, mais ils avaient été sérieux avec nous. On se sentait bien, c’étaient de bonnes conditions et, comme pour n’importe qui à l’époque dans le rap français, enregistrer un premier maxi c’était l’espoir de se faire un petit nom. L’enregistrement se fait en lockout, de nuit, et même si tout est royal, comme c’est notre première session financée dans un studio pro je me mets une énorme pression. [Sourire] Ça a tourné au gag au début, car lors de mes premières prises à chaque réécoute il y a une toute petite latence, un très léger truc qui donne un côté offbeat. Moi je sais que je ne suis pas en dehors du rythme, que ça ne peut être qu’un problème technique. Mais comme c’est ma première séance professionnelle, tout le monde a cru pendant une heure que je n’arrivais pas à parfaitement me caler parce que j’étais hyper stressé. Pour eux, je remettais ça sur le dos d’un problème technique. Oui, j’avais la pression, mais quand même, pas au point d’avoir la même micro-latence sur chaque prise pendant une heure ! [Rires] Bruno Sourice, avec qui on a beaucoup travaillé ensuite, a fini par capter que ça venait de son matériel. Mais évidemment, il ne pouvait pas débarquer devant le label en disant « ah bah si, depuis une heure c’est un problème technique en fait ». [Rires] Au bout d’un moment, il a tapoté sur deux trois trucs, l’air de rien, et demandé qu’on refasse une prise, et là c’était réglé. C’est aussi ça qui donne ce timbre de voix un peu particulier sur le premier titre. Déjà, et ça s’entendait sur L’Avant Garde, je cherchais encore ma voix à cette époque, et je forçais beaucoup, parfois au point d’avoir des accents caricaturaux. Mais là, après une heure, le timbre de voix grave que je recherchais ne pouvait être qu’accentué. » – Propos recueillis par l’Abcdr du Son en décembre 2019.