Compilation Sang d'encre
Toutes les émissions de Générations n’ont pas acquis la même postérité, et il y a fort à parier que si celle de Jean Pierre Seck, Sang d’encre, est bien inscrite dans l’imaginaire collectif aujourd’hui, elle le doit à la mixtape du même nom. Une K7 légendaire, promesse de « lyrics, impros, et clash inédits et explosifs ! » Rythmées par les plusieurs rounds du combat verbal entre Sheryo et Sadik Asken, les deux faces voient se croiser nombre de futures légendes. La première voix à résonner est celle de Diam’s et le premier morceau réunit ni plus ni moins que Lunatic et Ärsenik. Autant dire qu’en termes de fondations, Sang d’Encre se pose là. La mixtape n’est pas « ambiancée » comme peuvent l’être celles de DJs, mais réellement animée, dans un pur esprit radiophonique. Ainsi JP Seck souhaite-t-il délicatement la bienvenue à ses auditeurs sur le beat de « Dead presidents » qui sert ensuite de fond sonore à Sear, Mark, Yasmina et Olivier Cachin. Ces diverses respirations, pour certaines amusantes, posent un écrin délicat au cœur duquel les prestations sanglantes de Rohff, Rim’k, Ekoué, LIM n’en sont que plus percutantes. Il en résulte une mixtape qui pèse, à l’instar du « morceau de gros porc » de Driver et Dezé, sommet humoristique inoubliable.
Jean-Pierre Seck
(Journaliste, animateur, créateur de la mixtape Sang d’encre)
« J’étais buté au rap américain et la culture de la mixtape était quelque chose de très fort là-bas, alors j’avais envie d’en faire une avec des artistes français. J’avais comme fil rouge les interventions d’une sorte d’humoriste et j’avais des idées de collaborations, dont celle entre Ärsenik et Lunatic. C’était un son que je voulais écouter, donc le jour où je fais ma mixtape j’appelle Booba et je lui demande « tu veux rentrer dans l’histoire ? » Il explose de rire et demande « de quoi tu me parles ? » Je lui explique que je prépare une mixtape et lui propose de faire un morceau avec Ärsenik. Il est chaud. J’appelle Ali qui est partant aussi, puis Lino. Lui me demande si les Lunatic sont chauds, au final tout le monde me dit OK. C’est aussi simple que ça. J’ai failli tomber dans les pommes, je n’avais rien fait de plus que demander. Je n’avais jamais fait de mixtape de ma vie, ni produit quoi que ce soit… Je propose aux mecs l’instru de « Shoot’em up » de Nas, ils la prennent. Le jour de la session, je découvre Lino au travail, il ne rigolait pas ! Quand Lunatic et Ärsenik sont là, ensemble en studio, c’est fou, juste fou ! Ils se sont organisés eux-mêmes pour se mélanger dans le titre, Ali a pris en main le DJ pour les phases de scratch, quand je les ai vus faire j’étais comme un dingue. Ensuite, j’ai organisé d’autres morceaux, et j’ai repris des freestyle de l’émission que j’animais avec Yasmina et David Commelias sur Générations. C’était un talk show de deux heures et on y invitait différents rappeurs pour des freestyles. Cette mixtape, je la fais juste pour le kif, c’est pour me faire plaisir uniquement. Avec le recul, je me rends compte que c’est de la production, mais au moment où je la fais je ne suis pas du tout dans cette logique-là. Après, je connaissais des gens de la chaîne MCM Africa qui me proposent des spots parce qu’ils trouvent le projet cool, L’Affiche me faisait des choses aussi… Finalement tous les gens avec qui j’étais pote me filaient des coups de main, je connaissais bien les magasins sur Les Halles aussi, alors ils me prenaient des exemplaires. Je me rends compte qu’il y a une grosse demande sur la mixtape, je la fais fabriquer et ça part vite. Du coup l’argent rentre, et ça je ne savais pas que ça allait arriver ! [Rires] Je mets ce liquide dans des boites à chaussures sous mon lit, comme dans les films, jusqu’à ne plus avoir assez de boites, c’était un truc de fou. Un jour, la FNAC m’appelle et me dit que la demande sur Sang d’Encre est énorme, ils veulent passer une commande en direct : dix-mille exemplaires ! Je réponds que ce n’est pas possible, je ne peux pas en fabriquer dix-mille. Donc eux avancent l’argent. Je pète un plomb ! En tout, je ne sais même pas combien j’en ai vendues mais en gros c’est une mixtape d’or. Mais moi, je ne savais pas que ça ferait ça, je suis innocent ! « – Propos recueillis par l’Abcdr du Son en décembre 2018 dans le cadre de la conférence « Success Story Day » à La Place Hip-Hop.
Sadik Asken
(Rappeur et producteur)
« Le premier clash que je fais dont tout le monde reparle, c’est d’abord celui avec Zoxea qui n’est pas sur la mixtape mais à la radio. C’est Jean-Pierre Seck qui a organisé ça. Ça me rend fou, je le déteste ce clash. En fait j’arrive pas a concevoir qu’il y a des gars qui me disent l’avoir écouté 200 fois, t’écoutes un clash une fois après t’arrêtes. Les gens connaissent plus le clash que des textes que tu t’es cassé les couilles à écrire. Donc à Zoxea, je lui avais sorti une phase Carambar de dingue et voilà. Moi j’avais rien à perdre, j’étais inconnu au bataillon, les autres avaient un buzz de dingue. J’y vais, j’insulte avec une blague, c’était tendu. Mais aujourd’hui, Zoxea c’est un poto, j’ai fait une tournée à Prague avec les Sages Poètes, j’ai fait leur DJ sur scène alors que je suis pas DJ, et Sheryo aussi, je le recroise c’est mon poto. Les gens ne comprennent pas que c’est du business. C’est de l’oseille, c’est un taf. Dans l’affaire il n’y a pas de vainqueur ou de perdant, l’important c’est que ça fasse parler. Ox’ disait qu’il respectait même les gars qui sortaient des morceaux pourris, parce qu’ils ont pris le temps d’aller en studio, d’écrire un texte, pondre une instru et de poser dessus, c’est du travail. » – Propos recueillis par l’Abcdr du Son en mai 2011.