Compilation Homecore
Parler du rap français en 1999 sans évoquer l’effervescence vestimentaire qui tourne autour serait être incomplet. La fin des années 1990 est une période où au moins deux grandes écoles du style se côtoient. La page Kangol est tournée, les baggys et sappes amples à l’américaine ont encore la cote, mais restent une niche commerciale dont la clientèle est essentiellement constituée de b-boys. En parallèle, le fameux survet’ Tacchini chanté par NTM en 1998 est emblématique d’un style prisé par de nombreux rappeurs venant des quartiers. Vêtements de sports, souvent plus accessibles que la panoplie du b-boy, font désormais partie des incontournables, au grand dam de certaines marques (Lacoste, Burberry, dans une moindre mesure Ralph Lauren). Aux pieds ? Les incontournables Nike Requin. Plus que jamais, quel que soit le style, la sappe fait partie des codes. Il y a un marché, et ça tombe bien, il y a aussi des créateurs. Pendant que des rappeurs se lancent dans les fringues, avec plus (Royal Wear) ou moins (2High) de succès, d’autres créateurs s’appliquent avec sérieux à développer une identité vestimentaire. Parmi eux, il y a Alexandre Guarneri et sa marque, fondée avant toutes les autres : Homecore. Alexandre n’est pas rappeur, il est un passionné de la première heure et un fin observateur. Il décode le style américain et l’adapte à la française en proposant des vêtements plus resserrés. Ils les logote de façon frontale, détourne la signalétique industrielle des produits nocifs et inflammables, et affiche en gros le nom Homecore sur ses pièces. À la fin du siècle, la marque née en 1992 est devenue la référence hexagonale. Depuis environ trois ans, elle fait un carton. Elle a sa boutique, puis une deuxième, et devient le point de repère de nombreux rappeurs. Pour promouvoir Homecore, qui est à deux doigts de s’essouffler devant la saturation du marché de la sappe « urbaine », Alexandre Guarneri et ses équipes décident de lancer une compilation en son honneur. Pour eux, le street-wear est une imposture, ils font de la fringue hip-hop. Alors pour leur compilation, ils confient la réalisation de celle-ci à Funky Maestro. Poska, Franck et Tecnik convoquent des rappeurs. Au lieu de choisir des grands noms, trop occupés à défendre leurs propres lignes vestimentaires, Homecore s’inscrit dans l’ADN hip-hop de la marque : elle choisit des artistes peu connus, parfois même qui n’en sont qu’à leurs débuts discographiques. Si l’ADN Funky Maestro se retrouve avec la présence de Basic (par exemple), la compilation accueille aussi Triptik, Disiz la Peste et Fdy, les Res-KP ou encore Laddjah (ancien compagnon de route de James Delleck, membre de La Horde et Aktefrazé). L’ensemble est à l’image des vêtements de la marque : de bonne facture, avec une identité forte. Ce sera le dernier morceau de bravoure de Homecore sur la scène hip-hop, avant que tout ce marché de la fringue devienne une jungle, de laquelle le consommateur finira par se détourner.
Tecnik
(Producteur au sein de Funky Maestro, coréalisateur de la compilation Homecore)
« Homecore est parti d’un sponsoring via Poska. Si je me souviens bien, sur le premier maxi de Basic qu’on a produit, il y avait le sticker Homecore. Ils voulaient s’investir plus dans la musique. Ils nous ont parlé d’un projet de disque, Franck a proposé qu’on soit à la réalisation et à la production. Ils ont même embauché une nana en tant que chef de projet. Ils ont investi dans vingt-six jours de studio, prises et mix, mais que des séances de nuit, pour payer moins cher. La ligne de conduite qu’ils ont imposé, c’est d’amener des artistes pas encore exposés, ils voulaient être précurseurs. De notre côté, on a complètement adhéré. On a pu choisir le studio : Recorder, au Pré-Saint-Gervais [en Seine-Saint-Denis, NDLR], là où je venais de faire une formation ingé son. Les gars de Homecore nous ont juste imposé un ingé son qu’on ne connaissait pas, Kiki [Gérard « Kiki » Noël, NDLR]. On a avancé sur le projet en ayant un contrôle complet, de la prise de son au mix, avec en plus quasiment que des prods de moi. On était super attentif au mix : l’ingé buvait et fumait, c’était de nuit, donc parfois il s’endormait sur la console. On lui mettait des petites tartes derrière les oreilles pour le réveiller. [Sourire] À la fin du projet, on était tous déphasés. Commercialement, Homecore voulaient vendre le disque dans leur propre réseau, là où ils vendaient leurs vêtements. Dur. Pour nous, ça posait problème. Ils ont fait tout un truc, un packaging spécial… [Grimace sceptique] Mais en termes de ventes, ça limitait le champ d’action, parce que ceux qui achetaient les vêtements Homecore n’étaient pas forcément ceux qui achetaient les disques, et vice versa. Je ne sais pas combien ils en ont vendu au final, mais pour nous de toute façon, c’était pas un objectif. On s’est surtout bien amusés, et c’est le premier projet de réalisation complète pour moi et Funky Maestro. Sur la compilation, je retiens particulièrement le morceau F.Dy et Disiz, « Laisse seulement », je kiffe ma prod’. [Rires] On a découvert l’univers de Disiz et JM Dee, qui était un très bon producteur, avec une couleur vraiment à lui. On n’avait pas le même univers, mais on se comprenait quand on parlait musique J’aime beaucoup aussi la prod du morceau de Laddjah, « Ça crève l’œil », très new-yorkaise. Reda, c’était un mec que DJ James nous avait présenté. De A à Z, c’était le groupe du petit frère de Franck. J’avais bien déliré avec ResK.P., les séances de studio, c’était des barres de rire. Dans le groupe, il y avait Mass, Papy – un mec malheureusement décédé dans des conditions assez atroces -, Off, Prince… Que des mecs avec qui j’ai déliré, je ne les oublie pas. Ce morceau m’a bien marqué. Celui du 357 Squad aussi, le concept des freestyles au téléphone est mortel. Grand regret sur un des rappeurs de ce groupe, Buzz Eastwood, je le trouvais très bon, je ne sais pas ce qu’il est devenu. Et puis on a fait aussi des morceaux house dessus [sourire], des trucs un peu plus dancefloors, pour les breakers, dont un morceau avec Julia Channel. Pour l’anecdote, elle était dans notre bahut à l’époque ! On savait ce qu’elle était devenue, elle ne savait pas ce qu’on faisait. Mais comme elle était devenue l’égérie de Homecore, on a forcément fait ce rapprochement. C’était drôle. Pour la sortie de la compilation avait été organisée une soirée aux Bains Douches. C’était une boîte super select à cette époque. Il fallait avoir de la chance pour entrer. Et ce soir-là, le physio m’avait empêché de rentrer. Je me suis dit « c’est ouf, on fait la sortie d’un album où j’ai fait 70 ou 80% des prods, c’est ma musique qui va passer dans la boîte, et on m’empêche d’y rentrer ! » J’avais envie de péter un plomb, je disais au physio que c’est ma musique qui passait. Je ne sais même plus si je suis rentré au final, mais c’est ce dont je me souviens le plus. » – Propos recueillis par l’Abcdr du Son en août 2013.
Dabaaz
(Rappeur de Triptik, participant à la compilation Homecore)
« On squattait beaucoup la boutique Homecore. C’était l’un des points de chute pour tout le monde. Homecore, c’était un peu comme chez Dan de Ticaret, un lieu où tout le monde passait régulièrement. C’est d’ailleurs chez Homecore que je parle vraiment pour la première fois avec Disiz, que j’avais vu une fois auparavant lors d’un concert des Derniers Messagers, pour lequel on avait ouverts et où Rimeurs à Gages était présents. On a participé à la compilation, comme Disiz dont on nous a beaucoup rapprochés pour le côté rap un peu frais, avec des sons un peu à la Rawkus d’après ce que disait les gens. Fonky Maestro a réalisé toute la compilation, on a fait notre morceau, le projet s’est faits en quelques mois, autour de quelques réunions, des séances photos, de squats à la boutique. On ne s’est pas impliqués du tout dans la réalisation, hormis celle de notre bien sûr. On restait des invités, on était un peu sponsorisés par la marque. La sappe est toujours quelque chose qui m’a passionné et Homecore est la première qui m’a donné envie d’en faire une. [Dans les années 2000, Dabaaz a par la suite fondé une marque de vêtements, Poyz n Pirl, NDLR] Je trouvais ça fou que des français puissent faire des fringues hip-hop de cette qualité-là. Moi je m’étais fait une marque virtuelle, dans ma tête, BadAsses Accessorie. [Rires] Ça n’a jamais vu le jour, mais dans ma tête, c’était très influencé Homecore. Bad Asses, c’était mon alter-ego et ça a été le titre et le thème de l’un des sons dans l’EP qu’on a sorti la même année. Ça au moins, ce n’était pas resté virtuel. [Rires] Je ne connaissais Alexandre Guarneri que de loin, juste autour du projet Homecore. Mais je sais que Grain d’Kaf, qui a aujourd’hui une boutique dans laquelle il vend du Homecore en plus de sa marque Isakin, le côtoie dans le cadre de ses activités. C’est quelqu’un de bon conseil en la matière. » – Propos recueillis par l’Abcdr du Son en décembre 2019.