Sortie

16'30

Contre la censure

Deux ans après le brûlot 11’30 contre les lois racistes, Cercle Rouge Production remet le couvert. Au menu : une plâtrée de rappeurs énervés, des couplets aigres à volonté et un sample bouillant de Barry White, celui-là même ralenti six ans plus tôt par NTM pour exprimer la détresse émotionnelle de « J’appuie sur la gâchette ». Le recul aidant, 16’30 contre la censure apparaît aujourd’hui comme le chant du cygne d’une époque où défendre des causes sur des compilations et des morceaux fleuves était monnaie courante. Et alors que NTM et le Ministère A.M.E.R avaient déjà fait les frais de leur franc-parler, avec à la clé des amendes salées et autres interdictions d’exercer, il tombe à point nommé. Avec autant de majeurs dressés que d’intervenants, cette dénonciation grand angle de la censure sous toutes ses formes vaut bien sûr pour ses couplets au vitriol, mais aussi pour sa richesse formelle. Derrière la production de White & Spirit et sa boucle de cinq secondes qui passe comme une lettre à la poste seize minutes durant, il faut saluer l’interprétation de tous ses paroliers. Entre autres : les bons mots qui animent les échanges de Sako et d’Akhenaton ; les épiphores corrosives d’un Eben à bout de nerfs (« Rappel-toi Fabius : sang contaminé… Aucune censure ! / Le Pen : les camps de concentration, un détail… Aucune censure ! ») ; les allitérations assassines de Sinistre (« De qui sont ces balles qui sifflent sur nos têtes ? »). Sans oublier les jeux de mots d’un Nakk exceptionnel, qui vient clore le morceau avec une sentence quasi-prophétique : « Prendre les armes, ben je sais pas… On hésite / Ils ont mis des chaînes à mes ancêtres, faut pas qu’ils mettent des chaînes à ma musique / Et on verra, qui fait l’con, qui paiera / Ça on l’saura quand la majeure partie des majors participera ! »

Sinistre

(Rappeur présent sur 16’30 Contre la Censure)

« Je suis arrivé dans les compilations Cercle Rouge par l’intermédiaire de Mystik. Il était signé chez eux, moi j’avais sorti le maxi Itinéraire d’un Bandit, qui était très « défourailleur des valeurs sociales » [rires]. Le label était intéressé, j’ai eu une proposition de signature, mais je l’ai refusé. Tout le monde m’a dit que j’étais fou. Je me sentais peut-être trop jeune, ou pas assez sûr, mais je n’y voyais pas clair. J’ai voulu me préserver. Et d’ailleurs… Mystik était là-bas, et aujourd’hui… Toutes ces compil’ comme 16’30, Sachons dire non, Cercle Rouge, franchement, on y a cru. En tout cas moi, personnellement, j’y ai cru. C’était un discours qui allait dans le sens des communautés. Pas une communauté au sens racial ou religieux, mais au sens social. Des gens qui vivent la même chose, ont les mêmes combats à partir des mêmes conditions de vie. J’ai toujours cru à ça : « Faire de la musique comme un éveil communautaire, pour moi c’est ça le rap » – Youssoupha a d’ailleurs repris cette phrase pour me dédicacer. J’ai donc fait Cercle Rouge, déjà parce que les mecs étaient très forts. Travailler avec eux a été une expérience formidable. Le projet de Monsieur R tenait largement la route, et ça m’arrangeait encore plus que ce soit revendicatif et qu’on me le propose. C’était flatteur. Mais aujourd’hui, l’héritage des compils Cercle Rouge et Sachons Dire Non, je ne le vois pas. Je ne dis pas qu’il fallait découler sur une révolution, mais qu’il y ait quand même un « mieux social ». Alors, est-ce que ce n’était pas simplement du commercial car, en ce temps-là, ce discours était vendeur ? A ce moment-là, quand on écoutait Skyrock, le discours allait dans ce sens-là. Ils diffusaient les 11’30. Les mecs sont tout simplement passés à autre chose. Après, il y a des artistes qui ne parlent pas du tout de politique. Ils racontent la pluie et le beau temps, mais dans la vie, ils sont très engagés. Ce n’est pas parce que tu en parles dans tes chansons que tu es engagé. Il y avait de ça. Ça me désole un peu. Aujourd’hui, dans le fond, je reste dans cette démarche-là, mais avec plus de simplicité dans la forme. Les mecs de Cercle Rouge eux-mêmes sont maintenant dans autre chose. Je les respecte, ce sont des amis, mais professionnellement et musicalement, l’ampleur qu’ils ont donnée à leur projet n’a servi à rien. Peut-être à eux-mêmes, peut-être qu’ils ont fait de l’argent. Mais par rapport au but premier, communiste à fond… [rires] C’est dommage, mais je prend ça comme une étape. Je ne peux pas renier mon passé, ça fait partie de moi et c’est grâce à ça qu’aujourd’hui je peux encore sortir des disques. » – Propos recueillis par l’Abcdr du Son en août 2008.

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1999, une année de rap français - le mix
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