113
Les Princes de la ville
Si le premier album du 113 était attendu, c’est peu dire que Princes de la ville n’a pas déçu. On retrouve les éléments qui étaient en germes dans leur premier EP, Ni Barreaux Ni Frontières : une écriture réaliste et sans lyrisme soutenue par les boucles de Dj Mehdi, tendues à coups de fouets par des beats claquants. Cela dit, il s’agit de l’éclosion du style 113 dans toute sa splendeur, plus que d’une simple confirmation. Le génie de Mehdi, encadré par Manu Key et encouragé par le goût du risque d’AP, Rim’K et Mokobé, tourne à plein régime. Il puise dans un stock varié (de Kraftwerk à Curtis Mayfield en passant par Ahmed Whabi pour le plus que fameux « Tonton du Bled ») pour produire une musique hypnotique aux synthés virulents qui tournent à l’infini et aux montées de cordes enthousiastes. L’accélération des BPM se prête à la complicité évidente d’AP et Rim’K et à leur manière d’enchaîner les rimes, accoudés au capot d’une voiture ou à la terrasse d’un kebab. Dans le fond, les basses sèches d’une K7 de funk qui tourne dans le poste, parfois noyées dans les modulations hypnotiques d’une sirène de gyrophare. Difficile de ne pas y voir, rétrospectivement, la volonté d’expérimenter, de faire style, de poser une pierre dans l’élaboration d’un rap français pas encore à maturité. Une identité française qui se ressent dans les thèmes choisis et la manière de les aborder. Il ne s’agit pas d’un rap didactique mais d’un rap de proximité, en prise direct avec son environnement et qui grouille de détails dessinant le quartier non pas comme un décor fantasmé mais comme un véritable lieu de vie. Les revendications se font sur le ton abrupt de la conversation ordinaire (« Monsieur le maire est une pince ») et en disent aussi long qu’un discours sur l’échec scolaire, l’immigration, la marginalisation des banlieues et la violence qui y sévit. Et lorsque les trois rappeurs s’imaginent grands bandits, c’est sur le mode de la caricature et de l’hommage au cinéma de gangster (« Hold Up » ou « Reservoir Drogue », produits par Pone), avec une dose d’humour qui s’impose comme une marque de fabrique. C’est le début de la reconnaissance aux yeux du grand public pour le groupe qui, quelques mois plus tard, débarque en 504 à la télé française pour empocher deux Victoires de la musique sous les yeux de Michel Drucker et de Jean-Luc Delarue.