Fabe - Détournement de son
Dans les premières lignes des remerciements inclus au livret de Détournement de son, Fabe écrit : « Je remercie Cut & Abdel pour leur confiance et parce que j’ai enfin fait l’album dont j’avais envie. » Chaque mot de cette phrase a son importance. Mais s’il y en a deux qu’il faut retenir, c’est l’adverbe « enfin » et le nom – pas si commun que cela – « envie. » Le premier reflète un changement de cycle pour Fabe. Le contrat qui le liait avec Unik Records a été cassé suite à un conflit avec le distributeur du disque, le label Mercury. Mais c’est aussi la fin de la collaboration avec DJ Stofkry. Lui qui était le beatmaker exclusif de L’Impertinent lors des deux premiers albums ne produit plus qu’un seul titre sur Détournement de son. Quant à l’envie, elle est peut-être satisfaite par ce flow et cette écriture qui deviennent encore un peu plus clinique, lapidaire et sentencieux. Le flow de Fabe continue de ralentir tout en gagnant en précision, et s’il s’affirme comme « le mec que tu sens froid, qui a du sang froid et qui est distant », le MC désormais solidement installé à Barbès ne quitte pas ses habits d’humaniste. Il est juste en colère. Et elle est froide. Est-ce que ça lui fait abandonner le groove ? Bien au contraire. L’équipe du Double H, avec Cut Killer, Cutee B et Abdel en tête, réalise la production exécutive d’un disque rempli de sonorités différentes. Détournement de son est bien nommé pour son discours, mais aussi pour sa production tant il est un catalogue de sampling des musiques noires américaines à lui tout seul. Et c’est entouré de onze beatmakers que Fabe n’est enfin plus en duo, mais en équipe. Un disque qui cultivera ce paradoxe d’homme à la fois farouchement indépendant et solitaire, mais pourtant très attentif aux aventures collectives, que ce soit avec la Scred Connexion, le Double H ou même l’épopée de La Rage de dire qui viendra deux ans plus tard. Et peut-être la meilleure incarnation française du concept d’Edutainement, cher à KRS One.
Texaco
(Ex-manager et responsable promo de Fabe en 1998)
« Même si on restait très proches et que j’étais impliqué sur sa promo, j’avais arrêté de manager Fabe après Le Fond et la Forme. Fabe avait peut-être besoin d’un conseiller mais pas d’un manager. C’était un bosseur et un mec super discipliné. Il faut savoir que jusqu’à Détournement de Son, il bossait toujours à La Poste. Ça te donne une idée d’à qui tu as affaire. Détournement de son est clairement le meilleur de Fabe condensé en un album. Déjà, il rompt avec la linéarité des productions. Enfin il montre sa versatilité ! En termes de réalisation et de moyens, il y a tout : SMALL, le Double H et Cut, les productions. L’album aurait dû exploser. Mais malgré toute la promo, l’équipe Double H, SMALL qui n’est pas rien en termes de label, le disque n’a jamais connu le succès qu’il méritait. Pour moi, c’est parce que les gens étaient encore bloqués sur « Ça fait partie de mon passé. » Ce titre avait bloqué plein de gens. Si Fabe n’a jamais été disque d’or, pour moi, c’est à cause de ce morceau qui, finalement, est la première impression qu’il avait laissé au public. Les autres rappeurs savaient qu’il ne fallait pas trop blaguer avec Fabe, mais le public en-dehors du milieu hip-hop pointu ? C’était mort. C’était en plus le tout début de Time Bomb, du rap un peu plus caillera. Le public rap plus mainstream n’a jamais compris « Ça fait partie de mon passé. » Pour eux, c’était du rap de bobo avant l’heure. « Lettre au Président », « Des durs, des boss et des dombis » n’ont jamais réussi à effacer totalement cette première impression. Tu ne peux pas lutter contre un premier morceau surmédiatisé, il est dans la tête des gens.Tu pouvais insister tant que tu voulais : « mais réécoute, t’es sûr de ce que tu dis ? » Rien à faire. Par contre quand ceux qui étaient dubitatifs ont pris le temps d’écouter Détournement de son, ils te disaient : « ah en fait, c’est un album de fou, tu avais trop raison. » » – Propos recueillis par L’Abcdr du Son en décembre 2015.