Compilation Opération freestyle
En 1998, Cut Killer n’est plus seulement LE DJ français, il est aussi une marque, notamment grâce à ses émissions radio. Tout cela est le fruit d’un travail de longue haleine, commencé par des mixtapes, puis des compilations. Parmi celles-ci, Opération Freestyle occupe une place particulière. Pourquoi ? Car c’est la première fois que le fondateur du Double H DJ Crew, signé en licence chez SMALL depuis une petite année, réalise une compilation cent pourcent rap français. Bien sûr, en 1998 Cut avait déjà mixé les MCs de l’hexagone, des dizaines pour ne pas dire une centaine de fois. Mais avec ces dix-sept pistes, c’est bien la première fois qu’il sort de la mixtape dédiée à un groupe et parsemée de sons américains, ou encore des sélections outre-atlantique, peuplées parfois de soul et de R’nB. Introduit par le maxi Le Prélude, le disque porte rien que dans son intitulé l’ADN de Cut Killer : le DJ est en mission, et il l’est pour encourager la performance, le flow. Il doit exprimer sa capacité à sélectionner les mots vrais, ceux qui vont faire mal. Sur Opération Freestyle, la mission est réussie tant la sélection n’a rien d’outrancière ni d’opportuniste. Au contraire, Cut donne sa chance à des artistes qui pour la plupart sont encore en développement ou alors qui sont des valeurs fortes de l’underground. La Mafia K’1 Fry théorise son cent-treizième clan. Puzzle prépare son album. Al et Duke connaissent pour la première fois la lumière avec l’incroyable « Les Lions vivent dans la brousse. » Les Spécialistes sont en train de se construire une réputation aux côtés du D.Abuz System, qui finalement fait partie des seuls pontes de ce disque avec Côté Obscur, Kertra et Beat 2 Boul. Sans compter Fabe, qui profite de cette opération freestyle pour faire éclater la Scred Connexion au grand jour, avec son hymne. Cut Killer a toujours su faire la tendance, Opération Freestyle est l’un des plus beaux modèles de bonne direction.
Dj Duke
(DJ et beatmaker, compagnon de route d’AL en 1998)
« Al est mon pote d’enfance. On se connaît depuis 1990, nous sommes tous les deux Dijonnais. Quand j’ai quitté Dijon pour Lyon, je me suis mis à mixer régulièrement en soirée avec Cut Killer, qui était vachement plus structuré. Il me demandait de lui faire écouter des trucs de rap français. En 1997 je sors les Duke Flava et il y découvre Al et le morceau « Les Lions vivent dans la brousse ». Il me dit : « ce morceau défonce, je sors une compilation, essaie de le réenregistrer plus propre. » J’ai appelé un ingénieur du son débutant que je connaissais, et avec Al, on a tout refait ensemble. On a réenregistré le morceau et Cut l’a pris. C’est un des morceaux qui a le mieux marché dans la compilation. Le texte d’Al représentait tellement la frustration de milliers de keums et de fous de rap qu’il a grave marché. À côté de ça, il y a aussi sa façon de poser. Al écrit super bien, et il avait ce flow super différent, celui du mec qui se pose juste à côté du rythme. Avec La Rumeur, je pense que c’est le premier en France à avoir eu à la fois ce truc nonchalant dans l’attitude et hyper percutant dans l’écriture. Cut Killer nous a emmené sur la tournée d’Opération Freestyle. On y côtoie le 113, Fabe, Oxmo Puccino, c’est là que toutes les connexions se font. Cut Killer nous a offert une véritable exposition nationale, que ce soit avec la compilation ou avec la tournée. On a dû faire une trentaine de dates, avec quatre ou cinq morceaux à chaque fois et entourés de rappeurs qui sont soit confirmés, soit des futurs grands. Pour Al comme pour moi, je pense que c’est un peu la charnière de nos carrières. » – Propos recueillis par L’Abcdr du Son en juin 2016