En 1998, la troupe de Kenzy connaît sa période faste. Après la déferlante Première Consultation et avant le succès de Pit Baccardi, ce sont deux frangins val-d’oisiens qui vont hisser le drapeau du Secteur Ä au sommet de Paris. Quelques gouttes suffisent…, c’est la rencontre de deux monstres en survêt Lacoste qui balancent des fioles d’acide depuis les toits de la Cerisaie, sur une chorégraphie réalisée par John Woo. Déjà impressionnants sur les compilations Hostile Hip Hop et L.432, Lino et Calbo transforment l’essai avec maestria dans un album à la fois exigeant dans son contenu et accessible dans sa forme. Avec des refrains chantés par Assia, les Neg’Marrons ou Janik, avec Passi et Gynéco en featuring, Quelques gouttes suffisent… est une chaleureuse réunion de famille. Mais c’est aussi une formidable démonstration de puissance et de technique de la part de deux rappeurs surdoués. Calbo est la force tranquille qui assène ses rimes avec la portée et la précision d’un boxeur poids lourd. Lino est le nasillard virtuose qui multiplie les morceaux de bravoure : le troisième couplet tout en assonances de « Sexe, pouvoir et biftons », le premier couplet surhumain de « Quelques gouttes suffisent », la relecture prodigieuse de L’Impasse dans « La rue t’observe »… Idéalement complémentaire, leur duo soutient un disque varié et cohérent, enjoué et virulent, cordial et mordant. Alligator et crocodile dans un chef-d’œuvre.