Rassembler une ribambelle de MCs pour défendre une cause, dénoncer une injustice, était un exercice en vogue dans la seconde moitié des années quatre-vingt dix. Le plus souvent, les rappeurs eux-mêmes étaient à l’origine de cette démarche. 1998 est l’année où ces derniers se consacrent à dénoncer la censure, vu que le rap y avait été confronté quelques mois auparavant. NTM avait été condamné et empêché de jouer, le Minister A.M.E.R poursuivi. Alors que portés par la puissance de feu de Cercle Rouge et l’empreinte de 11’30 contre les lois racistes, White, Spirit et Jean-François Richet s’apprêtaient à remettre le couvert avec 16’30 contre la censure, un groupe mi-parisien mi-troyen initie de son côté la même démarche. Ils s’appelaient Les Débutants et franchement, ils n’avaient pas à rougir de la comparaison. Odas, Vers, Leechar, Elias et Ridan (oui, celui qui fait de la chanson à texte aujourd’hui) accueillent une trentaine de rappeurs pour dénoncer la censure. Parmi eux ? ATK, Doudou Masta, LIM, Melopheelo, Fabe, Koma et Mokless, K.Fear de la Brigade ou encore Prince d’Arabee de Soul Choc. Excusez du peu. Sur une production de DJ Sample, tout ce petit monde traite la censure politique, mais aussi économique. Ironie et injustice de l’histoire, le projet sera boycotté par le distributeur lorsqu’il sera question de presser des nouveaux exemplaires. Et histoire d’être maudit un peu plus, Odas remettra le concept sur la table sept ans plus tard, toujours avec Les Débutants, pour évoquer la dépénalisation du cannabis. Le projet sera censuré et retiré des bacs suite à la présence de feuilles de chanvre dans son packaging. La malédiction d’un groupe qui était pourtant prometteur mais qui n’a pas pu profiter à plein de l’effet Streisand. Sur Censure Connexion, l’essentiel reste au moins là, car comme le dit LIM : « on taffe dur pour que nos insultes reste pures, et si j’entends nique la police ça me rassure. »

Odas

(MC des Débutants)

« Le projet est né du morceau Première Couche qu’on avait enregistré avec Vers sur un sample de Charles Aznavour. Big Cheese Records, à qui Ridan avait envoyé des maquettes de nos sons avait flashé dessus et avait proposé un maxi. Pour accompagner ce titre, Ridan qui était sur Paris, malin et qui avait des connexions a proposé de rassembler des rappeurs pour un freestyle autour de la censure. À l’époque, on fréquentait DJ Sample et c’est une de ses productions que l’on retient. La censure était un thème d’actualité dans le rap français, qui vivait ses premières attaques. L’année précédente, NTM avait été condamné, le Ministère Amer aussi. Le maxi s’est super bien vendu pour un projet sans promotion : vingt mille exemplaires en deux mois. Momo de Big Cheese Records, dont le label n’était pas en bonne santé, avait déjà des dollars dans les pupilles en se disant : « putain, je vais sauver la boite grâce à ce disque ! » Et alors qu’on commençait à vouloir presser de nouveaux exemplaires Momo nous a dit que Jean-François Richet, qui préparait 16’30 contre la Censure, avait fait pression sur notre distributeur pour que le disque ne soit pas soutenu s’il devait être à nouveau pressé. Je n’ai jamais vu Richet ou Cercle Rouge le dire mais je pense que c’est vrai car pourquoi Momo aurait renoncé à continuer à exploiter un disque qui remettait d’aplomb les finances de son label ? Concord, qui distribuait le disque, a rompu le contrat avec Big Cheese. Je crois d’ailleurs qu’eux aussi avaient quelques soucis financiers. De toute façon, ce sont les années où le monde de la musique commence à sentir les premières secousses, avant le séisme des années 2000 où plein de labels se casseront la gueule et où les majors enchaîneront les fusions/acquisitions. Au lieu de rebondir directement, on se met à travailler sur quelques projets. De mon côté, en voyant Censure Connexion s’arrêter en pleine ascension, je comprends qu’il faut qu’on soit autonomes, qu’on gère notre business nous-mêmes. Si ce n’est pas toi qui t’en occupe, tu vas te faire piner. C’est comme ça que j’ai monté plus tard Audace Production pour faire 30 rappeurs pour dépénaliser, qui ironie du sort, sera censuré après une semaine dans les bacs. » – Propos recueillis par L’Abcdr du Son en novembre 2018.