Sortie du film Ma 6-t va crack-er
1995. La France vit la déferlante La Haine. Marches à Cannes. Vince devant son miroir, entouré dans le film d’Hubert et Saïd dont personne ne veut encore écrire qu’ils seront les faire-valoir d’un futur acteur à tout faire du cinéma français. Cut Killer, qui devient en une séquence une légende nationale. 1997, des affiches envahissent Paris. Elles sont posées partout, aussi bien officiellement qu’à la sauvage et au départ, elles ne sont qu’un slogan, écrit entre un mélange de lettrage hollywoodien et un graffiti : Ma 6-T va crack-er. Ces affiches préfigurent d’un film qui sera aux antipodes du long métrage de Mathieu Kassovitz. La Haine était un drame ultra esthétisé. Ma 6-T Va Cracker sera une immersion hyper réaliste. La fusillade sur le parking pue la peur. La séquence à l’arrêt de bus transpire la rancœur et le désœuvrement. La tension d’un concert en MJC ou d’une confrontation avec un professeur y est authentique. À l’écran, ce sont les mêmes lumières, les mêmes phrases balancées à l’arrachée, le même dépit et le même brouillon d’existence que celui qui les a vécus en vrai, de près ou de loin mais toujours de l’autre côté des périphériques et rocades de France. Du coup, le film de Jean François Richet n’a pas besoin de noir et blanc, aussi splendide soit celui de La Haine. Contrairement à son prédécesseur, il ne rend pas visible la jeunesse de banlieue à ceux qui n’ont pas voulu la voir jusque-là. Il est la banlieue. Réalité intolérable pour certains. Alors la critique s’abat sur le film. « Ce n’est pas du cinéma, Jean-François Richet nous fait tout un cinéma de la banlieue » hurle la presse. Comme si les périphéries de France n’avait pas le droit d’être entières et à l’image comme elles le sont chaque soir. Non, elles devraient juste se contenter d’être esthétiques : « sois belle et tais-toi. » Quand Mathieu Kassovitz sortait un film magnifique et tendu, Jean-François Richet avait décidé de filmer la goupille, celle de l’usure qui fait la page faits divers du Parisien autant que celle qui a fait et fera encore les émeutes. La scène d’introduction, avec Virginie Ledoyen manipulant un fusil d’assaut avant de poser un flingue sur sa tempe préfigurait de cette plus sévère des extrémités que la banlieue propose.
White
(de White & Spirit, duo producteur de la bande originale)
« On a eu la chance de ne pas être loin du lieu de tournage, puisque ça se faisait dans notre quartier surtout, avec quelques scènes d’émeutes tournées dans le 93 également. On était toujours avec Jean-François, soit on allait au tournage avec lui, soit il venait au studio quand on bossait avec les artistes. On vivait le film de l’intérieur, on était imprégnés. Maintenant, quand tu bosses sur un film, tu reçois des Wetransfer avec des images. Là, on recevait les images bien plus tard mais on avait vu le plateau, on avait vu la scène et du coup on savait ce qu’on devait faire pour la musique. On l’a vécu de l’intérieur, donc on a un regard particulier dessus. On adore ce film et quand on le regarde maintenant, on se dit que les gens qui n’ont pas aimé n’ont pas compris grand-chose. Sincèrement, c’est un film authentique, qui raconte les choses comme elles se passent. Ce n’est pas un film hollywoodien, comme les gens l’attendaient peut-être. Ce qui a dû perturber certaines personnes, c’est son côté cru. Des gens ont dit que c’était un film d’extrême-droite, ils n’ont rien compris du tout. Il y avait une certaine bien-pensance à l’époque et ça dérangeait. Aujourd’hui ça continue, les gens ne veulent pas voir ce qui est sous leur nez. Certains disaient « non mais ça ne se passe comme ça en cité », mais n’y avaient jamais foutu les pieds de leur vie. La presse à l’époque avait cartonné le film, mais aujourd’hui elle s’en sert comme exemple. Parfois pour pouvoir reconnaître la qualité d’une œuvre il faut du temps. La preuve que Ma 6-t va crack-er a eu un impact, vingt ans après on en parle encore. Il a été censuré, il est resté une semaine en salle mais c’est quand même un film qui est resté dans les esprits. Et je ne parle même pas du disque. Les mentalités évoluent, les gens aussi, c’est une question de contexte. » (Propos recueillis par L’Abcdr du Son, novembre 2017)