Rocca - Entre deux mondes
Ce n’est pas un hasard si Rocca est le premier membre de La Cliqua à se lancer dans une aventure solo. Déjà dans Conçu pour durer et la compilation Arsenal Records il s’était largement distingué, notamment sur l’inoxydable « Comme une sarbacane ». Entre deux mondes est l’album des frontières. La frontière entre Paris et Bogota (capitale de sa Colombie d’origine) bien sûr, mais aussi la frontière entre le réel et au-delà. Avec le recul des années il est impressionnant de voir, à à peine 22 ans, la lucidité de Rocca sur le monde qui l’entoure. Alors que de l’autre côté de l’Atlantique la vague du mafioso-rap a déjà tout emporté sur son passage, Entre deux mondes sonne comme un violent rappel à la réalité. Rocca se fait le chantre de la rue, la vraie, pas la fantasmée ni celle de la télévision. Rarement un disque aura autant cité le grand et le petit écran dans le seul but d’en détruire les atours, et de ramener des films de gangster adulés comme le Scarface de De Palma au rang de simple fiction. Les productions de Lumumba, Chimiste et Jelahee, très cinématographiques, participent à élaborer une ambiance aux limites du surnaturel (« La Bonne connexion », « Entre deux mondes », « Aux frontières du réel »). Rocca lui-même joue à plusieurs reprises avec cette démarcation (« La vie est un vrai film d’action garçon » puis « La vie n’est pas un film, ses moments durs ne peuvent pas se zapper », ou encore « Pèse à la Escobar Pablo dans les rues d’Al Pacino, mytho »), comme pour mieux mettre son flou en exergue. Finalement, c’est lorsqu’il retrouve ses compères de La Cliqua (« En dehors des lois » avec Daddy Lord C ou « Sous un grand ciel gris » avec Raphaël, des monuments) que Rocca sent le plus le bitume mouillé, et que les frontières disparaissent pour laisser place à une complémentarité qu’on a que trop rarement vu dans le rap français. Une complémentarité destinée à exploser après ce disque que l’on peut tenir, tout bien considéré, comme le dernier de La Cliqua.