La Rumeur - Le Poison d'Avril
« Discréditer La Rumeur c’est lui servir de sponsor. » Lorsqu’il écrit ces mots pour Stomy Bugsy dans le posse-cut « J’avance pour ma familia », Ekoué n’est sans doute pas conscient de la résonance qu’ils auront quelques années plus tard. Pourtant avec ce couplet mémorable, puis avec Le Poison d’Avril, La Rumeur a déjà défini l’essentiel de sa carrière musicale. Trois volets pour trois thèmes de prédilection : les conséquences du colonialisme, l’état des quartiers en France et la situation du rap. Dans cette première sortie, sans doute la meilleure, c’est Ekoué qui est mis en avant. En avant mais toujours derrière le propos, comme le suggère la pochette et comme on le découvre en écoutant le disque. « Désolé, pas de « yo represent » dans mes textes, j’représente juste l’éducation que mon daron m’a donnée. » Ainsi le rappeur d’Élancourt, sans faire fi d’une forte personnalité (« De l’eau dans mon vitriol » annonce un formidable plan de carrière qui, force est de le constater, a été plutôt bien exécuté), met sa personne au service de ses écrits plutôt que l’inverse. Avec ce langage cru mais fleuri qui caractérise La Rumeur, il amène dans le rap une dimension éthique et politique qui dépasse la simple contestation ou revendication : il parle de crise identitaire dans « Blessé dans mon ego », il parle de subversion dans « Personne n’est moins sourd »… Et il le fait de cette manière qui, vingt années de carrière plus tard, n’a pas pris une ride. « Avec des sales intonations, des postillons dans la che-tron. »
Kool M
(beatmaker de La Rumeur)
« Ce que faisait le Wu-Tang nous avait beaucoup plu, cette idée de transformer un collectif en groupe, cette idée de RZA de prendre plein de rappeurs et d’en faire un collectif, pour ensuite les dispatcher. On s’est dit : on va prendre ce système à l’envers et d’abord présenter les rappeurs. Ekoué était un peu le leader, la tête d’affiche du groupe. C’était donc naturel que ce soit lui qui commence. Mais il était hors de question d’isoler le reste du groupe, et encore moins de ne pas ramener le concept La Rumeur. On a donc décidé de fondre les autres MC dans un freestyle qui les regroupe tous les quatre. On avait trouvé notre modèle. Ce qui est assez génial, c’est qu’en sortant le premier volet, personne ne peut savoir s’il va y en avoir d’autres qui suivront. (…) Pour la promo, où il y avait très peu de budget, on a dit : on va prendre le truc à l’envers. Ils se mettent tous en avant avec des chaînes ou des sappes ? Nous, on va se mettre sur un banc avec le disque devant la figure du MC de sorte qu’il la masque. La Rumeur, c’est flou, c’est un mythe et on va le montrer jusque dans nos pochettes. C’était l’une des façons de marquer le concept de La Rumeur : parler de la réalité plutôt que de parler de nous-mêmes et quand on parle de nous, ne surtout pas faire d’égotrip. Quand Ekoué avait fait son titre avec Assassin, tout le monde se disait : mais qui est ce mec ? Avec Le Poison d’Avril, tout le monde a su. Son cheveu sur la langue, son flow, son propos couplé à son attitude sur l’instru, le fait qu’il ne parlait pas de lui, qu’il ne se mettait pas en avant. D’ailleurs, quand tu regardes, Ekoué devient un peu le king de Paris. Il pose avec tout le monde : Stomy, Casey, Faouzi, Yazid, Koma, et tant d’autres. » (Propos publiés dans le dossier Le Coup monté de La Rumeur, L’Abdr du Son, avril 2017)