Tag Archives: Journalisme rigoureux

1.

Par le passé, on a reproché à Jay-Z de plagier les autres rappeurs quand il citait de longs segments de couplets extérieurs dans ses morceaux. D’où la fameuse question de Nas dans ‘Ether’ : « How much of Biggie’s rhymes gonna come out of your fat lips ? ». Booba, lui, fait dans le sampling de lui-même. Dans ‘Illégal’, il doit bien y avoir dix citations directement issues de son répertoire : le refrain qui répond à « J’me suis retourné, j’ai dit ‘Ben, j’vais tout niquer’ « , « J’m’endors avec du Wu-Tang », « pour être dans 92i, faut en avoir une grosse comme Makelele » (lien de cause à effet avec « viens pas chez nous le string entre la chatte et le genou » ?), ou encore un autre clin d’œil à son déjà-légendaire avocat Maître Lebraz… Le fait que Booba ne semble se référer qu’à lui-même d’une manière de plus en plus récurrente contribue à renforcer son image de MC hors-compétition. Le rap n’existe même plus autour de lui. Sur le plus haut trône du monde, on n’est jamais assis que… Bref.

2.

Jay-Z toujours : le Président Carter avait orchestré son retour en 2006 en s’associant à une marque de Champagne méconnue dont j’ai un peu oublié le nom (Ace of Spades ?)… Booba, lui, cite deux fois les bouteilles de whisky Jack Daniels dans ‘Illégal’, deux jours après en avoir explosé une sur la tronche d’une groupie d’un mélomane pendant son coup médiatique à Urban Peace. Jay-Z fait dans le placement de produit, Booba, lui, inaugure un autre concept : le lancer de produit. Très fort.

3.

Il y a un non-gimmick dans ce morceau que je trouve mortel : « Ma prof m’a dit qu’est-ce tu veux faire quand tu seras grand ? Rien ? ». Ce « Rien ? » là, il défonce. Je ne pourrais absolument pas l’expliquer mais cette micro-syllabe défonce. La façon dont il dit « pisse » dans le premier couplet est mortelle aussi, même si c’est un peu embarrassant à admettre.

4.

Bon OK, Booba on t’aime. Nihiliste, impérial, métaphores, tout ça. Mais quand même : « c’est du lourd comme Bernard Henri-Lévy », c’est un peu juste quand même, non ? [Note : la justification par le jeu de mot « Bernard Henri-l’Heavy » sera automatiquement invalidée en cas de contre-argumentation]

5.

Quand on y pense, c’est quand même fou que Booba, le MC rigide par excellence à la sortie de « Mauvais Œil », soit (re ?)devenu un MC espiègle et fluide en quelques années. Si c’est un retournement de veste, il est exécuté avec une classe assez incroyable. Allez j’ose : alors que beaucoup de rappeurs ont entamé une transhumance vocale vers des accents rocailleux pour atteindre Booba, lui semble faire le chemin inverse. (Aspeum a du écrire ça dans une de ses chroniques en 2004. Tant pis.) Pire : on dirait que plus Booba rappe, plus le monde le déteste. Les gens sont étranges.

6.

Sans vouloir casser l’ambiance : ce morceau déboîte. Mais quand même : il y avait une vraie mutation entre le B2O de « Panthéon » et celui de « Ouest Side ». Là, on a droit à une mise à jour des effets sonores du rap US (arpegiattor de la mort, autotune), mais soyons francs : il n’est pas un peu 2006 notre B2O là ?

7.

Paradoxe : si Booba chantait juste sur le refrain, le morceau serait moins bon.

8.

Un esprit mal placé pourrait détourner la pensée n° 1 de ce billet pour prouver qu’en fait, Booba n’a plus rien à dire et tourne en rond. C’est là que je rétorque : Booba pourrait passer la suite de sa carrière à jouer avec des bouts de texte écrits en 1997 et 2001, ce serait quand même le truc le plus kiffant de la Terre à entendre.

9.

Booba, le seul rappeur capable de décrire une scène de club en parlant de sa « bouteille à moitié pleine, à moitié vide ». Amis nerds, adorateurs et détracteurs – oui oui, toi aussi tu es convié ! – prenons le temps de réfléchir à cette phrase comme nous avions réfléchi à « J’ai demandé ma route au mur, il m’a dit d’aller tout droit »« A moitié vide, à moitié pleine »… Imaginez : B2O dans dans le coin VIP du coin VIP, une meuf à chaque bras, musique à fond, qui fixe sa bouteille de Jack Daniels® avec une moue dubitative, sans même apprécier l’instant… Mettons-nous vite d’accord sur un terme officiel : « Bling-bling insatisfait » ou « dépression opulente » ?

10.

Les rappeurs français ont un problème avec la notion de swagger. Quand ils veulent faire les mecs cools, ils donnent toujours l’impression d’enfiler un costume trop grand pour eux. Ils posent à côté de leur fantasme, le contemplent sans pouvoir l’habiter et même s’ils veulent flamber, on ne peut pas s’empêcher de les imaginer à 8 ans sur la banquette arrière de la Renault 25 de leur père (qui a dit Cuizinier ?). Booba, par miracle, échappe à cette malédiction. Pourvu que ça dure.

Reprise des digressions le 24 novembre. Bonne nuit à tous.